1 - LA PREMIÈRE

ileen-gass

Partie 1/9

La terreur s'installa chez moi, à Pilestone*, dans la nuit du 23 au 24 janvier 1987, lorsque douze jeunes femmes de seize ans disparurent dans des circonstances mystérieuses.

Elle s'intensifia dans la matinée du trois février de la même année, lorsque William Russell, fermier de cinquante-quatre ans, se pendit dans sa ferme cachée dans les bois, en laissant sous ses pieds suspendus dans le vide, une lettre écrite à l'encre noire dans laquelle il avoua avoir enlevé, séquestré, violé, tué puis caché les douze filles, un peu partout dans le village.

Tous les moyens pouvant les retrouver furent immédiatement mis en place.

Les hélicoptères de la police survolèrent les champs et les montagnes. Les habitants de Pilestone et des alentours fouillèrent les forêts et le village avec des policiers aidés par des chiens. Des plongeurs cherchèrent même dans le lac. Mais jamais elles ne furent retrouvées.

Voilà l'histoire des douze filles de mon village. Et comment tout s'est terminé pour elles.

Maintenant, voici la mienne. Comment tout à commencé et comment tout s'est terminé...

***

Je me souviendrai toujours de comment j'ai rencontré la première victime de William Russell - tout du moins, son esprit. C'était en 2015, une semaine avant mon internement à l'hôpital psychiatrique de Formen*, ville située à 15 kms de chez moi. J'avais quatorze ans.

J'étais dans ma chambre, en plein chagrin d'amour. Mon petit-ami de l'époque, Daniel, Dan Prescott, m'avait larguée pour une raison obscure - mais j'avais compris, le lendemain, que la fille avec laquelle il flirtait devant mon lycée, en était la cause...

J'étais allongée sur le ventre, sur mon lit, à repasser dans ma tête nos plus beaux souvenirs, quand j'ai eu froid, très froid. Un filet de fumée blanche s'est échappé d'entre mes lèvres, et j'ai entendu sa voix.

Celle de La Première.

Elle chuchotait en boucle une série de numéro :

48 56 13 89 123

Quelques minutes plus tard, elle s'est tue, puis elle est apparue devant moi.

Elle était de dos, m'empêchant de voir son visage. Ses pieds étaient nus et elle portait un jean brut complètement trempé et tâché de terre. Son sweat à capuche rose ainsi que ses longs cheveux châtains clairs étaient également mouillés et souillés par la terre.

Je n'avais, ce jour, pas eu l'occasion de voir son visage, mais je pouvais affirmer que de dos, elle me ressemblait en tous points.

Déjà entrain de pleurer, j'ai crié avec tant de force et de peur, que ma mère a débarquée dans ma chambre comme une furie, en me demandant ce qu'il m'arrivait.

La Première a choisit ce moment-là pour disparaître pendant quatre jours. Mais pas sa voix qui me répétait inlassablement :

48 56 13 89 123

Ma mère est psychologue. Je vous laisse imaginer ce qu'elle a pensé quand je lui ai appris que pour la première fois de ma vie, je venais d'entendre et de voir un mort.

Elle a cru que j'étais devenue folle suite à ma rupture d'avec Dan.

Schizophrène, troubles mentaux, voilà les mots qu'elle a employé en parlant de moi à mon père et au directeur de mon lycée, peu avant mon internement à l'hôpital psychiatrique de Formen.

Ma mère m'avait proposée d'y rester un mois afin de bien me reposer, et j'avais acceptée, pensant qu'elle avait raison, que je vivais mal ma rupture d'avec Dan et que le fait de ne pas le voir lui et sa nouvelle copine  pendant un certain temps allait me faire le plus grand bien.

J'ai sincèrement pensé ça. J'ai sincèrement cru que mon séjour dans cet hôpital psychiatrique allait me faire du bien et faire disparaître la voix et la vision de La Première.

Mais elle est revenue.

Où que j'aille, elle était là. Et sa voix qui me répétait les numéros, aussi.

48 56 13 89 123

48 56 13 89 123

Sans arrêt.

Jour et nuit.

Finalement, j'y suis resté deux ans. Autrement dit : jusqu'à mes seize ans. Je dois ça à ma chère mère qui m'avait menti en me disant que je n'y resterai qu'un seul mois...

Lors de ses très rares visites, elle avait eu le culot de me dire que j'avais eu de la chance. Que j'aurais pu y rester beaucoup plus longtemps. Dix ans, comme Ellen, mon ancienne voisine de chambre qui elle, voit les morts, mais ne les entends pas.

Enfin bref, tout ça c'est ce qu'il s'est passé avant et pendant mon internement. Ce qui suit, c'est ce qu'il s'est passé après...

*Ville fictive. Je prononce [Païl] [stone]

*Ville fictive. Je prononce [Formènn]

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