1 - LA PREMIÈRE

ileen-gass

Partie 6/9

- Jo, attend ! m'as-tu crié en me poursuivant.

- Laisse moi ! t'ai-je répondu en larmes.

Tu m'as rattrapé a mi-chemin du parking et tu t'es planté devant moi pour m'empêcher d'aller plus loin.

- Qu'est-ce qui t'es arrivé dans le couloir ?

- Laisse moi tranquille. Va t'en !

Je t'ai contourné et tu m'as dis sur un ton suppliant :

- Je veux savoir ce qui t'arrive !

J'étais énervée. Énervée et humiliée. Je t'ai refais face et j'ai aboyée:

- Pourquoi ? Pour ensuite le répéter à tout le monde ?

Tu as paru blessé.

En me désignant le lycée :

- Je ne suis pas comme tous ces connards, Jo.

Toujours en colère, je t'ai dis, le regard haineux :

- Pourtant, tu m'as regardé exactement comme eux.

Je t'ai plantée là. Continuant mon chemin vers le parking du lycée. Puis je me suis figée, parce que tu m'as dis :

- C'est difficile d'apprendre que quelqu'un qu'on aime souffre de troubles mentaux.

Cette phrase m'avait rappelée celle que mon père m'avait dit hier, peu après mon retour à la maison.

- Ça l'est encore plus quand on constate par soi-même que c'est la vérité.

J'ai d'abord hésité avant de me tourner vers toi. Ensuite j'ai marmonné :

- Je ne souffre pas de troubles mentaux.

Il y avait un banc quelques mètres derrière toi. Je m'y suis dirigé. Tu m'as suivi, et nous nous sommes assit côte à côte.

— Dis-moi ce qui se passe, Jo. Je ne vais pas me moquer de toi.

J'ai rassemblée mes jambes contre ma poitrine. Les ai entourée de mes bras.

— Si, tu vas le faire. Je le ferais, si j'étais toi...

— Okay.

Tu as alors fait quelque chose d'étrange. Tu as sortis ton téléphone de la poche de ton pantalon et tu m'as demandé de te filmer.

— Quoi ? t'ai-je interrogé en le prenant.

— Filme moi ! Je vais te raconter un truc super bizarre sur moi. Si après que tu m'ai dis ton truc, je me moque de toi, envoie cette vidéo à toute notre classe.

J'ai roulé les yeux.

— Andrew...

— Fait-le !

Tu étais sérieux. Tu avais ce regard si profond et autoritaire, que j'ai obéit tout de suite.

— Ça tourne, t'ai-je annoncé.

— Okay...

Tu as pâlit d'un coup. Et j'ai souris en coin. Tu as glissé une main dans tes cheveux bruns  - geste que tu fais à chaque situation stressante - tu as humecté tes lèvres et tu m'as appris, sans avoir le courage de me regarder dans les yeux :

— Je parle tout seul. Tout le temps. À n'importe quel moment.

Pour moi, c'était une plaisanterie. J'ai encore levé les yeux au ciel, puis j'ai voulu arrêter de filmer. Mais tu m'as pousser à continuer à le faire.

— Non, vraiment, Jo ! J'ai des conversations avec moi-même, je te le jure ! Tu peux demander à ma mère ! Je parle même aux objets ! Je suis genre : Salut, grille-pain ! Comment tu vas ? Quoi de neuf, aujourd'hui ?

Malgré moi, j'ai ris.

— Je fais ça tout le temps ! Je sais pas pourquoi, je ressens le besoin de parler à tout ce qui m'entoure. Je le fais chez moi, au lycée, dans la rue... Je suis même pas discret !

Tu t'es tu, attendant sans doute que je dise quelque chose. Là, j'ai coupé la caméra et je t'ai dis, un sourcil en l'air :

— T'es bizarre.

— Non. Je suis différent. Tout comme toi.

Je t'ai souris doucement et t'ai rendu ton portable.

Tu l'as rangé dans la poche de ton pantalon.

J'ai inspiré un grand coup et j'ai soupiré en regardant le parking du lycée, en face de nous :

— Je vois les morts.

J'ai marqué une pause exprès pour voir ta réaction. Tu es resté de marbre. Alors j'ai poursuivi :

— C'est une fille. Toujours la même. Elle ne me parle pas. Excepté pour me donner des numéros. Ceux que tu as vu sur mon cahier de cours, en chimie.

— Okay, m'a-t-il dit comme si je venais de lui apprendre que 2+2 faisait 4.

- Okay ?!

Il s'est étonné.

- Bah, oui. Qu'est-ce que tu veux que je te dise ? "Putain, tu vois les morts ?!" ?

- Par exemple !

- Putain, tu vois les morts ?!

Tu m'as fait rire.

- Y a plein de gens qui les voit, Jo.

- Mmh... Mais y a personne qui parle à son grille-pain !

- Oh, tu m'emmerdes...

J'ai souris.

- Y a des gens qui parle tout seul, m'as-tu appris le plus sérieusement du monde. On dit que ceux qui le font, sont des génies. J'ai vu ça sur internet...

J'ai levé les yeux au ciel.

 Nous avons gardé le silence.

Il y avait devant nous, sous une voiture rouge garée sur le parking de notre lycée, un chat roux qui guettait un pigeon en position d'attaque. Il remuait la queue tel un balancier, attendant patiemment que l'oiseau se rapproche de lui pour l'attaquer.

- Tu l'as vois depuis combien de temps, la fille ? m'as-tu demandé sans quitter le chat et le pigeon du regard.

- Depuis deux ans.

- C'est pour ça que t'es allée en HP ?

J'ai acquiescé en regardant mes mains rassemblées sur mes cuisses.

- Tu l'as vu dans le couloir, tout à l'heure ? C'est pour ça que t'as hurlé ?

J'ai sentis mes mains devenir moites.

- Elle n'arrêtait pas de me répéter une série de numéros, lui ai-je dis, mal à l'aise . Comme s'il fallait absolument que je les retienne. Je ne sais pas pourquoi. Elle m'a criée dessus et poussée, aussi. J'en pouvais plus.

J'ai ouvert mon sac à dos entre mes pieds pour sortir mon cahier de chimie. Je t'ai montrée là où je les avais gribouillée.

Tu les as regardé attentivement. Prenant très au sérieux ce que je te disais.

- Faudrait que je mène l'enquête pour savoir ce que c'est, m'as-tu dis, les sourcils froncés. Je peux le garder ?

J'ai accepté.

Tu es descendu du banc.

Comme je pensais que tu retournais au lycée, je t'ai avoué timidement que je ne voulais pas y aller. Tu m'as répondu avec un sourire malicieux :

- Ça tombe bien, Je t'amène en ville.

J'ai été étonné.

- Mais les cours sont pas fini !

- Tu veux vraiment retourner affronter tous ces connards ?

- Non.

- Alors viens, qu'est-ce que t'attends ?

Je me suis levée du banc en souriant. Tu m'as tendu ton bras pour que je le prenne.

- T'as une mobylette ? me suis-je ébahis quand tu t'es posté devant elle. Ça existe encore, ces trucs là ?

— L'écoute pas, Gertrude, as-tu dis à ta mobylette.

J'ai pouffé.

— Gertrude ?!

— Parfaitement, c'est son nom.

Tu m'as tendu ton casque.

Il était assortit à ta mobylette : bleu clair.

— Et lui, c'est Jean-Claude.

J'ai ris.

Tu m'as aidé à enfourcher ta mobylette sans tomber, tu t'es installé derrière le guidon, je t'ai serré dans mes bras, puis tu as démarré.


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