"1984"

Hervé Lénervé

Eh oui, pour Georges Orwell, 84, c’était déjà de l’anticipation, il écrivit son roman en 1948 en inversant seulement les deux derniers chiffres, pour son titre.

Dans sa fiction, il nous décrit lentement, au fil des pages, au fil des concepts, au fil de l'esprit, un Monde radicalement différent de celui que l'on connaît, où Big Brother est omniprésent et omniscient.

Les êtres humains y ont été réduits à une psychologie de fourmis dans une Société Fourmilière. Par l'apprentissage, la bureaucratie a modifié la nature de l'humain. Le ministère de la culture réduit sans cesse le langage articulé pour en faire qu'un outil de propagande. Le même mot change de sens, quand il s'adresse au système, l'insulte devient éloge, les hommes n'ont plus les moyens techniques pour critiquer, pour analyser, pour se rebeller*. Si une pensée parasite vient perturber le bienfondé de l'orthodoxie, l'esprit la repousse, la rejette à cause de l'angoisse qu'elle génère dans la peur de la déviance. Orwell nous parle de « crime-thinking », comme nos religions peuvent mettre, dans nos têtes, des actes interdits et tabous qui culpabilisent à la seule idée d'y penser.

L'amour entre un homme et une femme est interdit, toutes les formes d'amour le sont, d'ailleurs, sauf celle pour Big Brother, un être imaginaire, virtuel, une sorte de Dieu, en vérité, je vous le dis !

Le héros et l'héroïne doutent. Ils vont connaître la Passion. Une Passion dangereuse, une Passion dévorante, une passion démesurée, sur le fil du rasoir. Ils s'aiment comme seul acte révolutionnaire encore possible contre le totalitarisme. Ils savent bien, tous deux, qu'un jour, ils se feront prendre, ils ne s'en aiment que davantage, désespérément, à la folie, à la psychose dans l'attente paranoïaque de la sanction.

Dans leur moment de lucidité, ils se disent : « ILS nous prendront, ILS nous tortureront, ILS nous ôteront la vie. Mais ILS ne pourront jamais nous enlever notre Amour, car il est en Nous et ILS ne peuvent pas entrer en Nous. Notre Amour n'appartient qu'à Nous. C'est notre unique richesse.

C'est grand, c'est fort, c'est beau… mais c'est faux ! Car ILS leurs voleront leur Amour, ILS entreront en eux, pas avec les scalpels des chirurgiens, juste avec des mots et des situations. D'ailleurs, ILS ne les tueront même pas, ILS les relâcheront. Ils leurs rendront leur liberté, une fois recadrés, « reconditionnés ».

La fin du livre est d'une noirceur insoutenable. Les deux anciens amants se reverront au hasard d'une manifestation en l'honneur de la ploutocratie. Le héros enserrera, même, la taille de l'héroïne, par une vieille habitude, un vieux réflex, peut-être ou par la curiosité du souvenir d'un ancien sentiment perdu. Il n'y aura aucune magie féerique dans ce contact, seulement le contact froid d'une main froide sur un corps qui ne tressaille pas sous l'étreinte, qui ne répond même pas, une indifférence pire que le rejet. Leur Amour démesuré est bien mort à tout jamais.

***

Un livre d'une intelligence, d'une beauté magnifique, mais d'une tristesse à chialer, car nous, lecteurs, on aurait aimé y croire. Nous lecteurs, nous étions obligés de nous identifier aux héros, car ce sont les seuls repères qui nous rappellent encore notre humanité face à des robots décérébrés par le conditionnement.

Âmes sensibles s'abstenir !

Ce pessimisme de l'avenir, cette perversion des civilisations, ce déclin de l'humain est à peine supportable.

***

Pour ceux qui voudraient savoir comment, ILS ont pu entrer dans la tête des amants. C'est assez simple comme expérience en psychologie. Il suffit de confronter les amants à la chose qu'ils redoutent, chacun, le plus au Monde. Leurs terreurs originelles. Comme unique salut, réclamer que le supplice, tant redouté, soit fait à l'autre, que l'autre subisse l'horreur à sa place.  Ce qu'ils feront l'une et l'autre et quand on a vendu son Amour pour sauver sa propre vie, on n'aime plus.

On pourrait toujours se dire, ce n'est pas vrai, j'ai bluffé, j'ai menti, je ne l'ai pas trahi(e), mais le psychisme ne se dupe pas aussi facilement…

ON N'AIME PLUS, NI AUTRUI, NI SOI-MÊME. ON N'AIME QUE BIG BROTHER EN SEUL SALUT AU RESTE DE NOTRE VIE DE FOURMIS.

*Parallèle : les jeunes de nos cités ont appauvri leur langage au point de ne plus avoir les mots pour parler de leurs sentiments sincères. Dans le film « L'esquive », le héros transi d'amour pour l'héroïne, ne sait rabâcher qu'une seule phrase à sa chérie « Bon, tu me kiffes ou quoi ? ». Le reste du temps, les jeunes s'affrontent à coups d'insultes, car ils ne savent plus communiquer, ils ne peuvent que s'agresser comme des animaux dans le registre « agression ou fuite ». En 2019, on approche de « 1984 ».

  • Big Brother, oui mais Big Sister, on en parle jamais!

    · Il y a environ 5 ans ·
    P1000170 195

    arthur-roubignolle

    • Elle faisait la lessive de son grand-frère ! :o))

      · Il y a environ 5 ans ·
      Photo rv livre

      Hervé Lénervé

  • Mon livre de chevet ! Merci d'en avoir parlé car je vais pouvoir dormir tranquille :o)

    · Il y a environ 5 ans ·
    Gaston

    daniel-m

    • Ronf... Ronf... Ronfflleeuuu!... :o))

      · Il y a environ 5 ans ·
      Photo rv livre

      Hervé Lénervé

    • Je voulais dire "merci d'avoir fait le boulot comme ça je n'aurai pas besoin de le faire". De toute façon, personne ne lit ! :o)

      · Il y a environ 5 ans ·
      Gaston

      daniel-m

  • Livre référence s'il en est.
    La recherche du bonheur et certainement ce qui détruit toutes les sociétés, alors ceux qui savent font tout pour protéger l'être humain contre cette utopie.
    Mais la Voice Populi n'est elle pas la meilleur antidote contre les Autocrates, Dictateurs et Tyrans de la pensée unique ?

    · Il y a environ 5 ans ·
    Chainon manquant

    dechainons-nous

    • Vive les fourmis. Rémy Chauvin disait: ce n'est pas la fourmi qui existe, c'est la fourmilière. Un individu isolé de sa fourmilière meure. :o))

      · Il y a environ 5 ans ·
      Photo rv livre

      Hervé Lénervé

    • oui et la fourmi est un des rares spécimen résistant aux radiations.
      Lire (ou relire) Rêve de fer de Norman Spinrad

      · Il y a environ 5 ans ·
      Chainon manquant

      dechainons-nous

    • j'y ai préféré "La part de l'autre" d'Eric Emmanuel Schmitt. :o))

      · Il y a environ 5 ans ·
      Photo rv livre

      Hervé Lénervé

    • connais pas, je note .

      · Il y a environ 5 ans ·
      Chainon manquant

      dechainons-nous

    • mais en lisant le synopsis me revient une critique qui avait dérivé sur le sujet de son refus de son école des beaux arts. Reverrance en avait fait un teste "Fiction"

      · Il y a environ 5 ans ·
      Chainon manquant

      dechainons-nous

  • Je ne le répèterai jamais assez, ce sont les religieux qui tuent l'amour à grands coups de morale. Avant et encore maintenant !

    · Il y a environ 5 ans ·
    Louve blanche

    Louve

    • ...et cette société qui veut nous formater et qui y arrive, lorsque jeune enfant, notre cerveau malléable absorbe tout. Ce n'est que par la suite, mais c'est parfois trop tard, que nous arrivons à nous désengluer...

      · Il y a environ 5 ans ·
      Louve blanche

      Louve

    • Ceci dit, pour les sociologues nous ne sommes que culture, c’est un peu excessif, certes, mais sans culture nous serions tous des Kaspar Hauser. :o))

      · Il y a environ 5 ans ·
      Photo rv livre

      Hervé Lénervé

    • Tout à fait !

      · Il y a environ 5 ans ·
      Louve blanche

      Louve

  • Dans certaines parties du monde sous l'influence de certains religieux cela fait longtemps que certains aspects de 1984 sévissent pour des questions de vertus.

    · Il y a environ 5 ans ·
    30ansagathe orig

    yl5

    • C'est la triste réalité, si 1984 garde l'aspect d'une fable, d'un exercice cohérent de style, Toutes les religions, en leur temps, ont falsifié la réalité pour la conformer à son registre de croyances. C'est 1984 ! :o))

      · Il y a environ 5 ans ·
      Photo rv livre

      Hervé Lénervé

  • à méditer

    · Il y a environ 5 ans ·
    Humain

    Humes Heinz

  • ça fait un siècle que j'entends parler de ce livre - déjà par le prof de philo - sans oser y perdre mon temps, dois-je le lire, tu m'interpelles .. merci HL

    · Il y a environ 5 ans ·
    Lune 08

    scribleruss

    • Chaque lecture est un acte personnel. Maintenant, je peux te dire que pour moi, ce livre a été une révélation, c’est certainement un peu grâce à lui, si j’ai repris des études de psycho à trente ans. Donc bien sûr je te le recommande. Je ne suis pas fan des romans d’anticipation, encore moins de SF, mais là comme dans « Le meilleur des Mondes » d’Aldou Huxley on est dans une réflexion intelligente et subtile sur le devenir envisageable des Sociétés. Pour aborder « 1984 » il faut admettre que la normalité n’est que statistique, celle du plus grand nombre. Imagine, un Monde ou la normalité est la folie, dur, dur, dur à vivre dans ce Monde-là. :o))

      · Il y a environ 5 ans ·
      Photo rv livre

      Hervé Lénervé

    • et pareil pour " le meilleur des mondes " mon allergie aussi aux sf ... Décidément j'ai des lacunes ...

      · Il y a environ 5 ans ·
      Lune 08

      scribleruss

    • Le meilleur des Monde, combine la génétique par croisement aux apprentissages de conditionnement. Donc là, les deux leviers de la personnalité sont présent. Mais le livre m'a moins séduit. Dans 84 on parle d'une chose que tout le monde connaît par sa condition d'être humain, les sentiments. La projection sur les deux pauvres héros donne une trame romanesque, qui n'existe pas ou peu dans le meilleur des Mondes.

      · Il y a environ 5 ans ·
      Photo rv livre

      Hervé Lénervé

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