2 Les doutes (partie 1)

Veronica Tomaszewski

Je n'avais jamais cru en l'existence des vampires, monstres et autres fantômes. Ce monde au-delà de l'imagination purement humaine, ne m'intéressait pas. Mes yeux ne pouvaient pas percevoir les silhouettes éthérées des morts, et jamais il ne m'avait été donné de rencontrer d'homme pâle aux dents étrangement pointues.

Pourtant, l'imagination s'arrête aux limites des connaissances humaines. Ce que nous connaissons et avons vu de nos propres yeux. Sage est celui qui maintient cette distance respectueuse avec les monstres, réprouver l'existence d'autres formes ne peut pas aboutir à une vie paisible, car elles entourent nos quotidiens, de la naissance à la mort, tapis dans l'ombre. Ces moments où quelque chose se produit. Là où les raisonnements ne servent plus à rien, la réalité demeure inchangée : ce qui est arrivé est juste ce qui est arrivé. Cette option est impossible, trop terrifiante et dangereuse, alors la science trouvera un moyen de rassurer les témoins de faits étrangers. Mais au fond de leur esprit, reste une parcelle de vérité abominable, celle qui reconnaît avoir vu la chose, pour admettre pleinement son existence.

C'est une chance de ne pas voir frontalement les choses de la nuit, la peur qu'elles engendrent pourrait tuer n'importe qui. Elles pourraient tuer n'importe qui. Seul le soleil garde les vivants à l'abri des ténèbres.

La nuit de ma mort humaine a prouvé tous ces faits, submergée d'horreur et de compréhension, obtenir un court instant les clefs de la raison, avant de sombrer dans le chaos. Cela a entaché mon esprit d'une marque indélébile, mes premières semaines vampiriques se sont succédées de chutes psychologiques intenses. Je plongeais dans une introspection vertigineuse, remettant toute mon existence en cause et tout mon savoir. Plus rien n'avait de sens, mes pensées se retrouvaient piégées dans une cage sans issue, la sensation terrible que rien ne pourra nous sauver.

La patience de ma nouvelle mère, avait réussi à éclairer le chemin démentiel que je poursuivais. Elle restait avec moi des heures durant, m'expliquant calmement ma nouvelle condition.

 – Tu as choisi de survivre alors que la mort t'attirait vers elle. La force dont tu as fait preuve ne mérite pas que tu te laisses tomber comme ça. Cette nouvelle vie a bien plus à t'offrir, ses paroles encourageantes me procuraient une sensation de paix, quand elle caressait mes cheveux tendrement, j'adorais sa présence à mes côtés dans mes moments de doute. Notre monde peut être cruel, personne ne te mentira là-dessus. Nous sacrifions notre humanité à devenir de grands vampires, immortels et sources des promesses du passé, nous servons les desseins de l'avenir par nos témoignages. Toi aussi maintenant, tu fais partie de cet héritage.

 – Je n'ai nulle part où aller, ma voix faible blessait ma gorge asséchée par la soif, si nous sommes immortelles, alors mon avenir est d'errer dans les rues pour toujours. Je subirai le froid et la faim des humains, mais sans pouvoir mourir !

Ma bienfaitrice me lança un regard d'une tristesse infinie, une larme chaude coulait le long de son visage fin. Ses yeux noirs n'étaient qu'amour, malgré son apparence stricte toute vêtue de taffetas sombre. Hésitante, elle prit mes petites mains dans les siennes.

 – Tu n'as pas à rester seule dans le froid, souffla-t-elle entre deux sanglots, si tu n'as pas d'attache au-dehors, alors reste ici. Je n'ai jamais réussi à avoir d'enfant, si tu le veux bien, tu pourrais devenir ma fille adoptive et vivre dans le manoir avec moi. Je serais ta mère et je t'aimerais pour toujours, pour que tu n'ai pas à souffrir.

 Les larmes me montaient aux yeux pour libérer un flot brûlant sur mes joues, nous étions submergées par l'émotion, noyée dans nos propres pleures retenus trop longtemps. Instinctivement, nos deux corps se cherchaient pour se soutenir. Elle me prit dans ses bras avec force, je sentais que je pouvais me briser à tout instant, m'accrochant à son amour de toute mon âme.

 – Mère…, je la sentie me serrer encore plus, guidez-moi dans ce nouveau monde, ne me laissez pas seule ! Je vous en supplie !

 – Ma fille, bienvenue parmi les tiens, je ne t'abandonnerai jamais, ma petite fille adorée. Quel est ton nom mon enfant ?

Mère me libéra son emprise pour me regarder droit dans les yeux.

 – Je ne possède pas de nom.

Elle sembla plonger dans des réflexions, étudiant mon visage avec attention. Un sourire interrompit son air triste, révélant sa beauté encore plus. Ses longs cheveux couleurs de l'ombre, noués sur le côté de son cou gracieux, laissaient son visage éclairé, où je pouvais distinguer jusqu'au plus discret grain de beauté, sous sa bouche rougit par la crise de larmes.

Ses yeux brillaient d'un éclat chaleureux, alors qu'elle prononça mon nouveau nom.

             – Cordélia.

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