2 Les doutes (partie 2)
Veronica Tomaszewski
Depuis mon adoption, ma vie s'est radicalement transformée. Loin de la lumière du soleil, de la misère ou de la peur. L'état de vampire éloignait les mauvais effets du corps, ce dernier se retrouvait purifié par la mort, pourtant toujours capable de vivre. Plus de digestion, de battements de cœur, ni de respirations. Débarrassée de ces habitudes physiques, je me sentais légère et étrangement propre, mes organes ne travaillaient plus à éliminer la crasse de l'organisme. Mais la plus belle sensation résidait dans l'absence de la putréfaction du corps, une fois devenue immortelle, il ne se mourrait plus. Un vampire devait être une statue figée, capable d'échapper à sa léthargie, seul l'esprit gagnait sur le charnel. Et pourtant, cette prison corporelle dans laquelle sont piégés les humains, incapables de fuir leur propre condition matérielle, tragiquement libérés par la mort, je vivais la même chose. Du moins, je comprenais rapidement que ma nouvelle condition apportait son lot de pièges.
Je le comprenais la nuit du procès de mes nouveaux parents.
Toute la société des vampires était au courant de mon arrivée, la rumeur se rependait partout comme « l'enfant vampire des Raymont » ou « L'humaine petite fille adoptée des Raymont ». Mes nouveaux parents ignoraient la provenance du bruit qui courait à leur encontre et la mienne. Ils comptaient m'introduire dans le monde de la nuit, quand les démarches administratives seraient terminées et mon adoption finalisée.
Entre quelques menaces de mort envoyées à mes parents par la plupart des aristocrates vampires, suivis de visites peu courtoises de connaissances venues s'assurer de mon existence avec effroi, c'était au tour de la famille royale de nous envoyer une missive. La convocation à rejoindre le palais dans deux nuits, pour subir le procès de la Cour des vampires. Le procès du siècle. Mes parents seraient invités à comparaître pour avoir trahi la loi et la Cour, leurs agissements criminels devaient se voir sévèrement punis. Au milieu de ce tumulte insensé, la jeune vampire que j'étais n'avait pas eu le temps de se nourrir. Le destin semblait s'amuser à succéder les événements infortunés dans ma vie, et ce n'était que le début.
Mon père, Thomas Raymont, prenait place dans le fiacre aux côtés de sa femme, Frey Raymont. Je demeurais assise sur la banquette en face d'eux, angoissée à l'arrivée du procès. Ma mère gardait une contenance sereine, essayant de me rassurer tant bien que mal.
– Ne t'inquiète pas trop Cordélia, une fois le malentendu dissipé tout redeviendra normal, elle prit la main de père pour lui demander silencieusement son soutien, il n'y aura plus rien à craindre.
– Nous n'avons jamais trahi la confiance de nos pairs, lança-t-il d'une voix confiante, en revanche ton état commence sérieusement à m'inquiéter, jeune fille.
Il m'observait avec attention, essayant de déterminer ce qui n'allait pas. Ses yeux bleus aux reflets dorés n'invitaient pas au réconfort, aussi glacials que l'hiver, accentués par des cheveux très noirs, très semblables à ceux de son épouse. Elle aussi me contemplait avec une expression compatissante. Je ne savais plus où me mettre.
– Elle n'a pas bu de sang depuis sa transformation il y a plus de quinze jours, avança ma mère dont la voix manquait de s'éteindre à l'annonce des jours a jeun, ma chérie nous t'emmènerons chasser une fois le procès terminé.
Personne n'eut d'objection. Je me sentais faible depuis la proposition d'adoption, nous n'avions pas eu un moment de répit, durant les deux semaines que j'avais passées chez eux. Penser à la chasse éveillait une sensation primitive chez moi, le besoin de traquer une proie pour la dévorer me faisait envie, autant que mes gènes humains réprouvaient l'idée. J'avais très faim.