3 Procès à la Cour des vampires
Veronica Tomaszewski
D'immenses tribunes se dévoilaient depuis l'entrée principale de la Cour. Les murs en pierre vieillis par les aléas du temps, avait vu passé des centaines de procès au fil des siècles. L'ensemble ressemblait davantage à un théâtre, qu'à un tribunal. Je levais la tête, frappée par la richesse qui émanait de l'endroit. Là-haut se trouvaient des balcons dorés, surplombés par une gigantesque fresque antique, où le diable accueillait les condamnés aux enfers, dont la peinture s'animait comme du feu.
Des sièges de velours noir formaient le centre de l'édifice, déjà remplit de vampires venus assister au procès. Au-devant du public, se dressait la scène entourée de tentures rouges sombres. L'allée qui séparait les sièges, traversant toute la salle depuis l'entrée jusqu'à l'avant-scène.
– Que les accusés s'avancent, ordonna le juge depuis son perchoir niché au centre de la scène imbibée de lumière.
Un tumulte s'élevait depuis le public, chacun se retournait pour observer la famille de traîtres. Je jetais un coup d'œil discret à ma mère, sa haute stature fière ne laissait paraître aucune faiblesse, je pouvais discerner son impatience d'en finir avec cette affaire. Rassemblant mon courage pour préserver un honneur subjectif, je relevais la tête, tirant de mon répertoire ma plus convaincante expression de fierté.
Ceux qui faisaient régner l'ordre dans la salle ne portaient qu'un simple pardessus noir, ceinturé à la taille, suivit par une paire de bottes hautes cirées, ils inspiraient l'autorité silencieuse. L'un d'eux, dont les cheveux aussi roux que les miens retombaient le long de son dos en une cascade de boucles, portait une épée contre sa cuisse, prête à être dégainée à tout moment. S'approchant de nous, il nous invita à monter sur la scène avant de nous placer devant des pupitres séparés. Ma mère et mon père prenaient place de part et d'autre du juge, tournés face au public. Je comprenais que ce procès devait être conçu comme un spectacle, l'assemblée voulait voir les visages des coupables et non pas leur dos, comme à l'accoutumée, peu importe le verdict du juge, le drame devait se jouer pour le plaisir du public, avec du sang versé.
L'homme armé me tira par le bras, sans me lancer un regard ni même une parole, pour me placer face au pupitre du juge, debout. Lançant un regard de détresse à ma mère, elle me fit un subtil signe de résignation en levant la main. Je sentais que quelque chose n'allait pas, ignorant pourquoi moi seule était mise en avant, pourtant dos à l'assistance, je détonnais avec l'ensemble. Une bête de foire parmi les monstres.
Mon regard fut attiré par un mouvement en hauteur, niché proche des plafonds et des machineries, un petit garçon observait la scène. Sa tête était posée aux creux de ses bras croisés, il se tenait ainsi contre le garde-fou, sur un pont en bois poussiéreux qui donnait accès aux hautes lumières. Son visage aussi pâle que celui des autres vampires du public, ressemblait davantage à un masque de théâtre plongé dans l'obscurité. Son expression neutre s'effaça quand il comprit que je regardais dans sa direction, que je l'avais vu. Sans un bruit, il glissa son index contre ses lèvres en signe de silence.
– Mademoiselle a-t-elle aperçu un fantôme ? lança le juge pour débuter les hostilités, la pique m'avait été lancée en pleine face. Son vieil air amusé, tenait d'un sadisme propre à l'espèce. Il avait délibérément rabaissé son sarcasme, pour que même et surtout une enfant comme moi puisse saisir l'humiliation, ce qui doublait la peine.
La vérité du fantôme du théâtre restait entre moi et Glen Bellyard – dont j'ignorais qui il était à l'époque – le garçon aux cheveux noirs, qui échappait à l'oppression royale pour venir voir le procès du siècle en toute intimité, avec une vue imprenable sur Cordélia Raymont, née humaine, jugée vampire. Mes pensées revenaient vers le juge.
– Je vous prie d'excuser mes manières, Monsieur le Juge, pouvons-nous commencer ?
Ma mère écarquilla les yeux à mon audace, mon père laissa échapper un petit rire. Maintenant que j'étais moi-même un vampire, la répartie faisait partie de mon vocabulaire. Un violent coup du poing du juge sur son pupitre, me fit sursauter légèrement.
– Je vous déconseille de jouer avec moi jeune fille, il se racla la gorge avant de marquer une pause pour jauger l'assemblée. Nous sommes rassemblés aujourd'hui au sein du tribunal de la Cour, pour délibérer au sujet d'une trahison des lois de notre monde. Cette enfant, dit-il en me désignant, a été transformée en vampire par Freya Raymont.
Des exclamations s'élevèrent, le juge sourit de toutes ses dents en désignant ma mère. Son expression presque désolée illuminait délicatement ses iris noirs. Elle se leva pour prendre la parole.
– Je n'ai en aucun cas utilisé mes pouvoirs sur ma fille, lâcha-t-elle sans prendre le temps d'user de courtoisie, elle a choisi toute seule de devenir vampire, sans mon intervention.
Je sentais l'incompréhension prendre de court le juge et le reste de la salle, même le fantôme eu un mouvement dans le coin de mon œil. Le juge invita ma mère à préciser les faits sans omettre l'adoption. Elle expliqua toute l'histoire, avant de conclure promptement sur notre lien nouveau. Mon père apportait des éléments pour appuyer sa femme, n'hésitant pas à exposer des papiers officiels sur mon adoption, ils se battaient réellement pour moi, pour notre famille. Il sortit même plusieurs articles de la presse humaine, relatant de meurtres sanguinaires la nuit de ma mort, dont le criminel était surnommé « le dévoreur ». Cela ne faisait pas l'ombre d'un doute, un vampire s'était amusé en ville cette nuit-là, et j'en avais été sa victime. Et c'était moi qui comparaissais en tant que criminelle. J'enrageais.
Le pire dans ce procès, c'était que le vrai coupable ne pouvait être jugé selon le mode de vie des vampires : tuer des humains sans discernement, n'était pas un crime pour le peuple de la nuit, bien que le geste aille au-delà du besoin de se nourrir. Seulement, que le vampire ne se soit pas bien assuré d'avoir achevé son œuvre sur moi, était « dommageable » selon les dires du juge. Il insinuait qu'il était de mon méfait d'avoir osé survivre à cette attaque. « Normalement, les humains en meurent. » avait-il conclu.
La justice blâmait ma mère pour son élan de compassion envers moi, elle était en partie responsable de ma survie.
– Votre désir d'avoir une descendance vous a aveuglée, concéda le juge, mais maintenant cette enfant va rester éternellement dans ce corps si fragile et petit ! Que justice soit rendue à cette pauvre créature, manipulée par sa propre mère adoptive !
La tournure dramatique de ce tribunal n'avait plus aucun sens, on y accusait les victimes et blâmait les bienfaiteurs. Je devais prendre la parole, tout ce chaos se déroulait devant moi et j'en étais son point central, sans que personne n'en ai vraiment quelque chose à faire de mon sort, tout était prétexte à voir mes parents au bûcher.
– Ce sont mes parents désormais, ma voix me surprit car toutes les autres venaient de s'éteindre, on m'écoutait enfin. Je souhaite pouvoir trouver la paix malgré ma venue dans votre monde trop tôt, que mon assassin soit puni. Mes parents m'ont tendu la main dans mon désespoir, moi qui n'ai jamais eu de famille. Attrapez le monstre qui m'a fait ça ! Ne me prenez pas mes parents, voyez plutôt leur courage de vouloir élever une fille qui ne grandira jamais. Ou faites-les brûler vifs au soleil, je lançais au public un regard de défi, mais qui me prendra en charge, parmi vous, avec tout l'argent que coûte un enfant ? Qui deviendra ma famille, pour réparer les dommages causés, par la perte que vous voulez me faire subir ?!
Le silence.
Personne n'osa se manifester, j'avais gagné selon leurs règles. Le juge frappa un coup de son marteau pour signer la fin du procès, mes parents n'allaient pas être tués en fin de compte. Ma mère s'élança vers moi, suivit par mon père, pour me prendre dans ses bras, gonflée de fierté à mon égard.
Je vis le jeune garçon, encore contre la rambarde, il applaudissait en silence, un sourire aux lèvres. Je lui rendis son sourire, profondément soulagée.
Ma condition d'enfant avait été mise à rude épreuve, du haut de mes neuf ans, je venais de tenir tête à toute une assemblée de vieux vampires. Contre la chaleur rassurante de ma mère, je fondis en larmes en sentant mes nerfs me lâcher. Nous prîmes le chemin de la maison, mon père me portant sur ses épaules, le crâne trempé de pleurs.