5 Freya (partie 1)

Veronica Tomaszewski

La silhouette imposante de notre demeure se dessinait au lointain, telle une forteresse de pierres. Les ténèbres commençaient à se dissiper, accueillant ce voile rougeâtre de l'aurore. Déjà les faibles émanations du soleil irritaient mon visage découvert. Mes vêtements épais qui me protégeaient du froid mordant de la nuit habituellement, s'interposaient entre la lumière et ma peau, m'évitant de graves blessures. Ma mère ne semblait pas en proie aux tortures discrètes de levé du jour, étant un vampire ancien, je pense que sa résistance avait dû s'accroître avec le temps. Tout le contraire du bébé vampire enfouie dans ses bras forts.

            Nous arrivions en trombe dans le hall d'entrée du manoir, la fraîcheur rassurante de l'ombre nous enlaçait divinement, une fois la lourde porte refermée. J'ôtais ma cape blanche avant de remarquer les taches de sang séché qui l'imprégnait. Un drôle de réflexe primaire s'empara de moi, quand j'humais avidement l'odeur encore très présente du sang. L'arôme qui s'en dégageait me grisait, une sensation se déversait dans tout mon corps comme un frisson de chaleur langoureux.

            Soudain, je vis mère m'observer attentivement dans mon instant de transe. J'éloignais mon nez de la cape ensanglantée, balbutiant des excuses tout bas. Elle s'avança vers moi tranquillement, se saisissant du vêtement à son tour. Son visage détendu se mélangea au tissu rougi, avec une lenteur surhumaine, elle se délectait des saveurs de ma victime.

             – Tu n'as pas à t'excuser ma fille, murmura-t-elle en détachant ses lèvres de la cape, c'est tout à fait naturel d'apprécier l'odeur du sang. Merci d'avoir partagé avec moi ce dernier souvenir de ta proie.

            Elle pria un domestique de se charger de laver mes vêtements, je me changeais rapidement dans une des nombreuses robes que m'avaient offert mes parents. Je choisis une robe de velours doré, pour me maintenir au chaud.

            Pendant ce moment d'intimité, mon esprit s'égara. Je pensais à mon ancienne vie, à ce nouveau mode de vie, à la facilité avec laquelle je m'accoutumais à ma nature de vampire. Je croisais le regard de mon reflet dans le miroir de ma chambre. Ce qui s'y trouvait n'avait plus rien d'humain, ce n'était qu'un vampire qui pouvait prendre des vies les yeux fermés. Mes grands yeux verts s'étaient assombris, dévoilant l'immensité du néant. Mon visage n'exprimait rien et pourtant, je ressentais une puissance inconnue s'agiter dans mon âme d'enfant.

            Je regagnais le salon pour rejoindre ma mère. Déjà un grand feu s'embrasait dans l'âtre, devant lequel un service à thé trônait sur une table en bois vernie. La robe de mère aux couleurs du deuil contrastait avec l'ensemble du mobilier aux teintes plus chatoyantes. Elle était assise devant la petite table, elle m'attendait.

            Face à elle, je prenais place sur le fauteuil confortable, habituellement habité par mon père. Il était en voyage depuis hier soir, son travail de noble l'obligeait à se déplacer souvent, laissant sa femme seule derrière lui. Je soupçonnais ma mère de m'avoir fait sa fille pour tromper la solitude, et je comprenais ce choix parfaitement. Les temps où père ne revenait pas, cela nous permettait de passer des moments privilégiés mère-fille. Je n'ai pas honte d'avouer aujourd'hui avoir toujours aimé profondément ma mère, à l'opposé de mon père qui m'importait que très peu, l'amour n'avait jamais eu l'occasion de se manifester entre nous.

             – Allez-vous me raconter votre première chasse ? demandais-je enthousiaste, l'intérêt porté aux aînés est une mine d'or que je prenais soin d'alimenter avec elle.

             – Je suis heureuse que tu t'intéresses à notre nature, elle servait le thé en prenant le temps d'introduire son récit, combien de sucres ma chérie ? Deux ?

            J'acquiesçai, n'ayant pas le cœur de prendre la parole pour si peu de choses. Je savais qu'elle n'aimait pas parler d'elle, sans y mettre quelques formes. Mais mon jeune âge ne pouvait pas taire l'impatience de l'enfance, alors elle renonça rapidement aux détours devant mon mutisme qui l'implorait de commencer son histoire sans tarder.

             – Ma première chasse était bien différente de celle que tu viens d'expérimenter, avança-t-elle en se replaçant plus confortablement dans son fauteuil, car je n'ai pas été transformée en vampire : je suis née ainsi.

 

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