7 Escapade solitaire (partie 1)

Veronica Tomaszewski

Les années défilaient rapidement, je m'éveillais ce soir-là déjà âgé de quinze ans. Glissant hors des draps sans bruit, je prenais un temps pour scruter l'obscurité. Une routine qui me collait à la peau depuis plus d'un an, j'aimais perdre mon regard dans le néant, pour oublier les couleurs de la réalité. Dans l'ombre, rien ne peut échapper à la couleur noire, rien ne peut demeurer intact, nous sommes tous sur un même pied d'égalité. Il m'arrivait parfois de penser être une autre, prenant le temps de savourer cette idée absurde en allumant des bougies. Et là je croisais ma personne dans le miroir. La petite fille revenait toujours, la matinée était toujours gâchée.

La mélancolie de l'éveil est une habitude chez les vampires, chacun possédait son regret ou désir inatteignable. Celui de ma mère était de n'avoir jamais laissé mon père perdre ses émotions, tous les matins elle imaginait son mari transi d'amour auprès d'elle, tandis que lui, la prenait dans ses bras, une expression absente au fond des yeux. Un début de soirée, mère était venue dans ma chambre en pleurs, je l'avais bordée des heures durant, lui promettant que tout irait bien, car Thomas ne revenait pas avant les trois nuits suivantes. Elle se sentait très seule, et même moi sa fille, je peinais à combler sa tristesse froide, surtout au réveil.

Une fois mon reflet bien ancré dans ma mémoire, je pouvais commencer ma journée. J'appelais une domestique pour l'habillement, lui laissant le choix de la robe, rien ne pouvait améliorer ma taille de naine après tout. J'oubliais de me nourrir, passant plus d'une semaine sans boire de sang, mon teint de poupée virait au vieux chiffon.

Une idée me vint alors, je voulais aller chasser dans la clairière où mes parents s'étaient rencontrés. Des humains devaient encore s'y trouver, le temps de la chasse au gros gibier à manger pour l'hiver qui s'en venait. Mère ne se trouvait nulle part dans le manoir, je pouvais aller me promener librement. Je gagnais en autonomie malgré mon apparence frêle, ça me faisait très plaisir de me sentir « adulte ».

Je quittais la demeure des Raymont appelée par ma faim, en direction de la forêt de l'Est. Mes dons de vampires me permettaient de parcourir la ville en un clin d'œil, je préférerais passer par les toits, un moindre risque de heurter quelque chose sur mon passage.

 – Oh comme la lune est impressionnante aujourd'hui, soufflais-je dans ma course, ne nous tombe pas dessus je t'en prie.

L'air qui me caressait le visage en sifflant m'apaisait, je me sentais voler dans les tréfonds du ciel étoilé, mon bras tendu essayait de saisir un flanc de l'astre lunaire qui se rapprochait de moi.

Une fois hors de la ville, la forêt ne se trouvait plus très loin. Je la distinguais en haut de la montagne, il ne me restait qu'une étendue d'herbes déserte à traverser avant l'orée du bois. Je pressais le pas, curieuse de découvrir le lieu qui abritait les souvenirs de ma mère et mon père.

 

L'atmosphère de la forêt se détachait de l'extérieur. Un léger brouillard semblait dormir contre le sol humide, les feuilles mortes bruissaient sous mes pas. Mes yeux pouvaient déceler les mouvements réguliers des branches, plonger au cœur de la nature charmante où aucun bruit ne pouvait m'échapper. C'était se lier à un autre monde, où ma place restait celle d'un spectateur. Non loin, une biche prenait soin de ne pas s'approcher, ainsi que les autres espèces de la nuit.

Tout autour de moi dansait le vent, il pouvait s'envoler très haut pour rejoindre le ciel dissimulé d'imposants sapins sombres. L'odeur des feuilles pourris, de la terre vivante et de l'écorce qu'une pluie discrète nourrissait, m'enchantait au point de ne plus penser au sang. Je ne désirais aucun mal aux habitants des bois, bercée par le chant des oiseaux et des insectes encore éveillés à cette heure avancée.  Comme je me sentais bien ici.

Mais je ne parvenais pas à dénicher de clairière dégagée. Plus je m'enfonçais en elle, plus le silence se faisait épais, je pouvais respirer ce silence trop parfait. Par prudence, je me déplaçais sans bruit, furtivement toujours en quête d'une clairière. Et pas une seule trace de présence humaine, pourtant je savais que les chasseurs appréciaient la nuit en cette période, avant l'hibernation de la faune, où étaient-ils ? Allons plus loin.

La forêt s'intensifiait étrangement, loin de déboucher sur un endroit plus léger, je fermais les yeux pour passer au travers de toiles d'araignées. J'agitais mes bras pour enlever la sensation désagréable qu'elles laissaient sur mon visage. Quand j'ouvrais les yeux à nouveau, les arbres se trouvaient espacés, et devant moi se trouvait un manoir.

Signaler ce texte