7 Escapade solitaire (partie 2)

Veronica Tomaszewski

Cette découverte m'intrigua, cette vieille bâtisse tenait encore debout, perdue au milieu d'une partie dense de la forêt de l'Est. Les murs en pierre fissurée se faisaient dévorer par de la mousse et du lierre fané, le toit délabré par endroit donnait libre entrée à la pluie. La totalité des fenêtres que je pouvais voir, souffraient du temps. Leurs morceaux de verre brisés, gisaient encore sur le sol de terre humide.

Sans mesurer aucun danger, j'entrais dans la ruine pour y dénicher de possibles humains, voulant s'abriter du mauvais temps de la saison. Je les surprendrais avant qu'eux ne le fassent.

En passant le seuil de la porte d'entrée, l'odeur agressive de la poussière me fit tressaillir un moment. Je remerciais l'inutilité de la respiration chez les morts-vivants, mes poumons figés n'auraient pas à subir de nuage de poussière. Le rez-de-chaussée ne cachait pas grand-chose d'intérêt, plus personne ne vivait là depuis mille ans, tout tombait en lambeaux. Je ne pouvais pas utiliser mon odorat pour capter quelque chose de vivant, mes oreilles n'entendaient aucun son suspect.

J'empruntais l'escalier qui menait à l'étage, déjà une trentaine de minutes venaient de s'écouler. À peine eu-je une tête dans le premier étage, qu'un mouvement rapide effleura ma vision périphérique. Je n'étais donc pas toute seule ici. Tranquillement, je montais les dernières marches. Pour attirer ma proie, je me dirigeais dans la direction opposée, feintant de n'avoir rien remarqué.

Ce petit jeu dura quelques minutes, la présence me suivait discrètement, quand allait-elle lancer l'assaut ? Un humain ne pouvait pas être effrayé par une petite fille perdue. Légèrement agacée par son manque d'implication, je me tournais vers la présence.

Il se décida à attaquer.

Un éclair de lumière blanche fondit sur moi d'un coup, cette chose ne pouvait être humaine ! Je la repoussais de toute ma petite force, pour parvenir à m'enfuir. Rapidement, mon corps me porta dans tout l'étage, talonné par mon agresseur. Je revoyais la nuit de ma transformation en vampire, incapable de courir me mettre à l'abri du monstre sanguinaire. Mon cœur mort se serra, je devais ralentir au pire moment !

N'y tenant plus je m'enfermais dans une des pièces du manoir, la clef verrouilla la porte de ce qui ressemblait à une chambre. Je parvenais à entendre la présence se rapprocher, je devais rester silencieuse, elle ne me sentirait pas.

Plus un son en provenance du couloir. Qu'est-ce que c'était ? Mes pensées s'embrouillaient, un frisson me parcourut toute entière : cette chose venait de me suivre pendant plusieurs minutes, pourquoi m'attaquer maintenant ? J'ignorais ses réelles intentions, mais je les soupçonnais mauvaises à mon encontre. Doucement, je collais mon oreille contre la porte en bois écaillée. Au risque qu'il m'attende devant la porte, je m'en éloignais pour partir par la fenêtre. Je ne désirais pas en savoir plus sur la chose, plus m'importait de ne pas me faire tuer une seconde fois dans ma vie.

J'atteignais la fenêtre furtivement, guettant au-dehors si la voie était libre. Un bruit de verre brisé fit voler la fenêtre en éclats, devant mes yeux. Je restais bouche-bée devant la beauté de ce spectacle, avant de deviner la haute silhouette d'un jeune homme vêtu de noir. Les fragments vitrés semblaient danser autour de lui, je n'avais jamais rien vu d'aussi gracieux de toute ma vie. Ses longs cheveux blancs ressemblaient à de la soie, son visage fin souriait et ses yeux gris plongeaient dans les miens avec intensité.

Une seconde plus tard, il prenait mon visage dans sa main pour le regarder, je restais figée sur place. Il murmura quelque chose contre moi.

 – Je vais te dévorer mon enfant, le souffle de sa voix contre mon oreille était gelé.

Ma peur s'évanouit quand l'inconnu dévoila ses canines souriantes. Je levais une main pour l'empêcher, avant de lui montrer les miennes.

 – Ne me mange pas, vilain vampire, raillais-je.

Ce fut ma première rencontre avec Charles Barthelemy.

 – C'était trop beau pour être vrai, il se lamentait depuis plus d'une heure, assit à côté de moi sur le vieux lit. Une petite fille sans défense, perdue dans la forêt ! Bien évidemment je l'attaque ! Même la vitesse avec laquelle tu as pris la fuite ne m'a pas alerté…

 – Tu te répètes mon grand, soupirais-je en lui tapotant le dos.

 – Oh je suis navré, il essuya ses yeux honteux pour les tourner vers moi, je ne t'ai même pas demandé ton nom.

Cette nuit-là, je la passais au manoir de la forêt de l'Est en sa compagnie. Charles était l'héritier du Duc Barthelemy – dont je n'avais jamais entendu parler – et vivait seul depuis la disparition de ses parents en mer. Comme avec le jeune prince Glen, bien des années plus tôt, je lui racontais mon arrivée chez les vampires. Nous avions fini par nous prendre dans les bras, pleurant tels deux nouveau-nés. Je me souviens que mes bras ne pouvaient pas faire le tour de son corps, mais qu'il me serrait contre lui assez fort pour nous deux.

Les escapades nocturnes en quête de sang se faisaient avec Charles, parfois en ville ou de retour dans la forêt. Nous ne sommes jamais parvenus à trouver la clairière en fin de compte.

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