A bientôt.

effect

Extrait de: " L'odeur du pain était plus forte que celle de la lavande d'une armoire à la campagne: elle était présente jusque dans ses cheveux."

- Tu veux bien rester encore un peu ?

- Pour quoi faire ?

- Juste pour rester encore un peu...

- J'suis pas un vase sur une table, j'suis pas une potiche qu'on regarde par curiosité et qu'on repose en se pinçant les lèvres pour dire c'est joli !

- Mais Betty, je ne t'ai jamais traité de vase ni laissé seule et vide ! Souviens-toi de celui de la cuisine et du nombre de fois où j'ai changé son eau et la composition de ses bouquets !

- Les bouquets ! Parlons-en des bouquets ! T'as vu tes fleurs ! Toujours des jonquilles... jonquilles à Noël... jonquilles à la saint-Valentin... jonquilles au printemps... jonquilles en juin... jonquilles tout le temps ! T'as plus d'idées ou t'as reçu un container de bulbes devant ta porte ?

- Allez s'il te plait... 5 minutes encore... faut que je te raconte un truc.

- Que t'es encore tombé amoureux ? Que t'as acheté un nouveau tas de ferraille sur Leboncoin.fr ? Que tes nuits sont frappés d'insomnies et tes jours d'ananie et de nanana ? T'intéresse plus personne Effect. Au début c'était drôle, mais là franchement regardes-toi ! Tu ressembles à cette reproduction du clown triste de Bernard Buffet, moche et à foutre dans une chiotte en plastique sur un terrain vague de festival à trois balles pour essayer d'oublier l'odeur de la pisse sur les murs !

- Betty, oui c'est vrai... je reconnais tout ça.

- Ben c'est bien, tu vas pouvoir mettre à jour tes compteurs ! C'est une Américaine ? Une Italienne ? Une à retaper ?

- Une insulaire.

... J'aimais quand Betty donnait du fard à ses joues, cette petite note de prune dans mon rétroviseur, et quand elle peignait ses pieds d'orange sur l'habillage de mon tableau de bord. J'aimais l'odeur de ses fruits et du vernis mélangés dans mon cuir. J'aimais voir perler ses seins dans un virage d'épingle du bord de mer, aussi quand elle secouait sa tête aux cheveux d'or après la pluie dans la douceur de ma ventilation. J'aimais le rouge de sa bouche qui coulait dans mon miroir intérieur, ma courtoisie légendaire. J'aimais l'entendre dire dans une conduite apaisée et dans la technologie Bluetooth de ma machine:  Tu m'aimes encore ? T'es sûr ? ... allo ? J'aimais aussi la musique sentimentale qu'elle envoyait dans mes portières et je respectais le cendrier vide pour on ne sait jamais si on devait me revendre un jour, ce serait plus facile. J'aimais quand elle glissait ses jambes sur mon accoudoir central, le soleil semblait tapisser mon pare brise. J'aimais quand elle s'endormait sur ma banquette arrière et qu'elle s'excusait de s'être assoupie dans le silence de ma mécanique. J'aimais quand elle criait sur Happy notre chien, compagnon de nos voyages. Il la respectait et retournait à sa couche dans un œil de reflets. J'aimais quand elle se parfumait du petit brouillard que laissait dans un dernier souffle, le pschitt de son atomiseur dans mon vide-poche. J'aimais la voir me fouiller dedans, puis rien, puis refouiller à nouveau, puis re-rien, et pleurer d'avoir perdu son huile d'amandes douces surement tombée entre deux sièges. Sur les parkings des soirées chics, on disait que j'avais de la chance, que ma place était réservée. Je roulais toujours de beauté et de matières lorsque sa main se posait sur le levier de mes vitesses...

Signaler ce texte