A comme Vérité

Cyrille Royer

Entre deux murs de paroles, le vent souffle comme un grand bol d'air, un bol d'air qui sent le renfermé pour l'amour funambule. Il regarde les parois bien lisses et il pourrait ébranler le mur en retirant la bonne lettre, mais il y a longtemps que ce jeu ne l'amuse plus. À force de retourner les mots, il sait bien qu'il n'y a rien derrière,  rien qu'une trame odieuse toute tendue vers l'accomplissement de leur vitrine.

Il regarde souvent le soir sur la mer de paroles. À la lueur du crépuscule les serpents périodiques font briller leurs anneaux comme du fiel pour rivaliser avec le soleil. Les mensonges s'abreuvent à cette mer de paroles et ils bronzent sans s'en rendre compte. Alors l'amour écoute le chant mélancolique des et cætera qui ne mentent pas.

Il donne un coup de pied à un point-virgule tout petit tout paumé dans la rue qui a perdu sa période. Il rentre chez lui et regarde sous le paillasson, mais il n'y a rien sous le paillasson, alors il s'assoit sur son fauteuil en osier avec un verre de jus de citron à guetter le paillasson, et il se dit qu'il n'y a jamais rien sous le paillasson.

Mais il ne sait pas que l'horloge est tombée dans le lac. Il ne sait pas que la vérité promène ses gros seins innocents dans l'appartement d'à côté, de l'armoire à glace au petit salon et du petit salon à l'armoire à glace, avec personne pour la contredire. Alors elle ferme à clef mais elle ne met pas la clef sous le paillasson, elle la jette par la fenêtre sur le tas de gravier qui garde farouchement le secret comme le dernier de ses petits enfants.

Et l'amour à casquette a donné un coup de pied dans le tas de gravier comme encore un petit mensonge, le tas de gravier qui n'a pas compris et qui hurle de tout son cliquetis, et un mensonge a bien vite avalé la clef comme encore une petite vérité.

Mais l'amour ne décollera plus jamais de son fauteuil en osier car l'horloge toute gonflée dans le lac aux noyés. Il n'y a jamais rien sous le paillasson. Et les serpents lovent toujours leurs satellites, les mensonges boivent toujours de la mer, et toujours deux malheureux sans espoir et sans histoire, l'amour tout entier dans son verre de citron solidifié, et la vérité fait toujours l'amour avec elle dans sa petite prison à loyer modéré. Et cætera, et tout est dans l'étrange fixation d'un tableau sans artiste, sans joli menteur.

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