A Dieu

petisaintleu

Toute sa vie, il s'était forgé sa réputation sur des calembours et des jeux de mots douteux – quoi que beaucoup fussent pétris de références historiques ou littéraires hermétiques pour le commun des incultes.

Son ego n'aurait pas supporté que, même outre-tombe, on ne se souvinsse de ses blagues qu'un tout petit instant d'éternité. Son cercueil couleur caca d'oie ne fut qu'une modeste introduction pour en boucher un coin à l'assemblée. Il se doutait que l'ambiance serait solennellement constipée.

La chienlit connut son apogée, après qu'un clodo qu'il avait recruté deux jours avant son décès eut prononcé une oraison funeste, quand démarra la musique qui était sensée résumer sa vie. Il avait d'abord opté pour une version punk de Puisque tu pars. Mais le chanteur dut jeter l'éponge après qu'on lui eut diagnostiqué une crête de coq. Le prêtre qui manquait d'humour refusa la reprise de Charles Aznavour, Emmerdez-moi jusqu'au bout de l'enfer.

L'illumination lui vint alors qu'à l'unité des soins palliatifs il se coltinait sur Youtube la 3e saison de La classe. Le plus compliqué, ce fut de faire interpréter le titre en adagio pour enfin voir le bout du tunnel et mourir en pet foireux, histoire de rester fidèle à son humour nauséabond. Avant de casser sa pipe, il vida sa tirelire et il fit appel à l'orchestre national moldave. Lorsqu'ils entamèrent A la queue leu leu, ils traduisirent les airs circonspects comme de la tristesse pudiquement retenue.

Quand le convoi parvint au cimetière, tout le monde pleurait, de honte. Il faut dire que le corbillard repeint en rose bonbon était du pipi de chat à côté de la troupe des majorettes de Fourmies au complet qui l'accompagnait.

Arrivé devant le trou qui s'apprêtait à choper la bière, il était trop tentant de leur faire une dernière fleur. Il avait fait déposer une trentaine de stapelia grandiflora, une plante du sud-est de l'Afrique connue sous le doux nom de « Plante charogne » à cause de son odeur. Les invités se dirent qu'il était à gerber, éternellement.

La cerise sur le gâteux, il l'avait réservée à son épitaphe dont les premières lettres de chaque strophe ressortaient en doré pour que le plus crétin des mortels sache y lire distinctement l'acrostiche :

J'ai vécu en bouffon

En héros je mourrai

Vous pensiez me connaître ?

Oubliez ce que vous crûtes que je fus

Untel, Machin ou Trucmuche ; que m'importe !

Solitaire dans l'humilité

Effacé dans l'abnégation

Mon âme est certaine de sa destination

Malgré les turpitudes, au-delà des apparences

En joie je vais rejoindre le royaume des humbles

Réjouissance que je n'aurai plus à masquer sous un voile de pudeur

De profundis libérateur

Enfin !

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