A jamais ou Le droit au silence pour les morts et le droit à la parole pour les absents ...

poulpita

Où je spoile le film "à jamais", pour vous faire part de quelques réflexions.

A jamais. Le film réalisé par Benoît Jacquot avec Mathieu Amalric, Julia Roy. Un film que je ne recommanderai pas particulièrement mais qui a éveillé en moi un questionnement intéressant dont je vous fais part.

L'histoire (attention, sans aucune retenue, je raconte tout du début à la presque fin, pour les besoins de la réflexion). Laura et Rey se croisent, coup de foudre,. S'installe entre eux de la douceur, du silence. Ils se marient vite et vivent isolés dans une grande maison. Rey devient au bout de quelques temps nerveux, instable, et finit par se suicider sur la route, en moto. Laura reste seule dans leur grande maison. Pas très longtemps seule, finalement, puisqu'elle convoque le fantôme de Rey. Plus exactement, elle se dédouble et demande à son double de jouer le rôle de Rey, à table, devant le feu de la cheminée, au lit. Laura porte les vêtements de Rey, fume comme Rey, et entre dans un délire solitaire. Laura-Rey apprend par cœur les dialogues de leur vie commune passé et les rejoue. On a donc à l'écran trois personnages. Laura, la vraie. Laura qui joue Rey. Et Rey (lorsque Laura est vraiment à l'aise dans son délire). Laura essaie de retrouver une vie de couple avec Rey, pose des questions dans le vide, essaie de dialoguer avec le fantôme. Et le fantôme, Laura-Rey répond, avec les dialogues du passé, avec un regard fixe, sans sentiment, comme un homme tout frais sorti de la morgue. Lorsque Laura-Rey répond à Laura, ses réponses sont à côté de la plaque, puisque ce sont des jolis souvenirs, des dialogues-répétition du passé, indépendamment du contexte. Vous me voyez venir, non ?

Ce film moyen, qui est en fait l'adaptation du roman de Don DeLillo, A jamais, a le mérite de traiter sous un angle orignal la convocation des morts ou du passé dans le présent.

Cette convocation de Rey par Laura pour soulager des blessures trop fraîches, n'apporte pas de réconfort. Et le film met bien en évidence l'infertile superposition du passé et du présent. J'y ai vue, moi,  l'occasion d'une double réflexion, très personnelle.

Un. Cesser de convoquer les morts ou les absents dans un contexte qui ne leur est plus adapté. Qu'aurait-il dit, que penserait-il, que voudrait-il ? Peu de mots ou d'attitudes sont universels ou intemporels, et accorder aux absents ou aux morts le droit au silence peut parfois être judicieux.

Deux. Les morts, sont bien morts. Mais les absents ? Les absents sont les vivants qui ne font plus partie de nos vies, mais ils sont intégrés parfois dans nos rêveries. Si leur souvenir est si important que nous pensons à eux, imaginons ce qu'ils diraient, donnons-leur le droit à la parole. Laissons-leur le droit d'accepter (ou non) d'être présent,  mais en conformité avec ce qu'ils sont aujourd'hui. Et s'il n'est pas possible de les retrouver, accordons-leur, à eux aussi, le droit au silence.


 

 

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