A la chaleur

Il navigue sur les crêtes, loin porté son regard vers les sommets qui lui incombent. L'aval des torrents ne soumet point les épissures de ses regrets, mais s'en détend soudain la corde. Ainsi qu'une enveloppe soufflée d'air chaud, la fine membrane de la sphère n'éprouve aucun relief intérieur, ne s'attache à nul hauban, absence de tout étai ; et malgré tout, solidité de la structure. De sa thébaïde à la limite des atmosphères, il peut contempler dans la nuit qui vient le lent charroi silencieux des montgolfières, comme autant d'arbres du vivant qui voguent en surface du temps, loin de toute origine.

Dans des gravures de neige, la cosmogonie prudente de ses pas a tâtonné, à la recherche du noyau central. Il s'y dessine le portrait discret de ses inquiétudes, qu'une bourrasque effacera sans peine. Alors, il faudra un autre matin pour juguler les conspirations désinvoltes et réenchanter les légendes séquestrées dans le pergélisol. Outrage d'un aujourd'hui amnésique qui ne connaît pas l'échine courbée de son ascendance. C'est un corail qui meurt et surgit, poussant à ses extrêmes ses rameaux bourgeonnants et vifs, campés à ses troncs morts dont ils méprisent les jours. Pareil aux générations déliées.

Il est droit hérissé, arrimé à l'aube fortuite, rare de sa lignée à jauger les confluences, et trop délaissé, parfois en fonder un héritage. Pourtant d'autres vigies aussi veillent dans la tourmente statique, qui allient en secret, hors de toute éclaircie, leurs âmes en faisceau. Et lors, de leurs brasiers épousés, germe l'hypothèse d'une transhumance.

(à J.C. Ameisen)