A la montagne.

Marcel Alalof

Il se tenait debout devant la cheminée éteinte, se demandant pourquoi il était revenu dans cette maison de famille, inoccupée depuis la mort de ses parents, quarante ans plus tôt. Il avait vu dans le jardin, un carré de légumes, se dit, désabusé, que le voisin en prenait à son aise. A son arrivée, la porte n'était pas fermée à clé, mais tout était comme avant, jusqu'aux photographies et gravures murales. Sur la table basse se trouvaient deux tasses.  Il approcha l'une d'entre elles de ses narines, reconnut l'odeur de verveine,  l'infusion que préférait sa mère, dont la senteur persistait, tel un extrait de parfum intemporel.

Il regarda encore, se dit que rien n'avait changé, remarqua soudain,  à un ou deux mètres, dans la pénombre, le cadre qui supportait l'image d'un vieillard qu'il ne reconnaissait pas, puis vit, en se rapprochant, que l'image changeait,  réalisa qu'il s'agissait de son reflet dans le miroir recouvert de poussière, se dit que oui, rien n'avait changé, sauf lui.

Il pensa à sa famille, ses parents,  ses frères et sœurs, tous disparus, ses enfants, partis à jamais avec leur mère. Il prit conscience,  peut-être pour la première fois, qu'il était seul au monde. Mais,ces mots »seul », »au monde »,avaient ils un sens quand on était seul au monde ?

Il ouvrit la porte, laissant entrer l'air de la montagne, si revigorant quand on a encore le goût des êtres et des choses. Il avançait dans la neige, jusqu'à la rambarde, conçue cent cinquante ans plus tôt pour servir de garde-fou à des personnes d'un mètre soixante ;lui, faisait près de deux mètres. Il baissa les yeux, contempla la vallée, ou sa maquette, huit cents mètres pus bas. Il se souvint qu'enfant, il s'agrippait à la barrière qu'il avait enjambée, les jambes dans le vide,  tenant à la seule force de ses bras, jusqu'à ce que sa mère lui ordonne de cesser ses gamineries. Elle était loin maintenant ,elle, la seule femme qui avait su le protéger.

Il enjamba le parapet plus aisément qu'il ne l'aurait pensé, se dit qu'il était souple pour son âge. Il tenait la rampe d'une main, les pieds sur le rebord, le regard baissé vers le gouffre, qui lui semblait ne pas être plus bas que la chaussée vue du bord d'un trottoir. Il se souvint de l'histoire de l'homme tellement petit, qu'il s'était tué en se jetant du bord d'un trottoir ;puis   de la phrase : »Nous étions au bord du précipice, mais nous avons fait un pas en avant ! »

Oui,il fallait aller de l'avant.

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