Accents circonflexes et histoire de grand-mère

aile68

Retrouver le goût des mûres, du foin dans la grange, sauter la haie à pas de course comme les chevaux autrefois, profiter enfin du soleil! Aujourd'hui c'est réjouissance pour tout le monde, on fête les cent ans de la grand-mère, les petits-enfants sont venus de loin pour cela, même de Londres! On présente le petit dernier à la famille, on le gâte, on le chouchoute, il a des joues comme des pommes bien mûres. J'aime les accents circonflexes, ils ornent les textes, surtout ne pas les oublier, les mots seraient bien fades sinon. Je présente ici mon âme comme un bouquet de genêts que j'offre avec un gâteau à la représentante de nos ancêtres lointains. Les joues roses, la coiffure en chiffon, la grand-mère telle une puce ou une guêpe s'agite sur son fauteuil garni de coussins, elle a les yeux qui rient, éclaircit sa voix comme au théâtre, ajuste sa posture comme une prima donna. Elle a le premier rôle aujourd'hui, et elle rêve que ça dure encore un peu, chaque jour elle présente sa quête ou sa requête au bon Dieu pour qu'il la fasse vivre encore un peu. Non elle ne vit pas dans une geôle, point de châtiment pour elle, assise à côté du poêle, elle aime quand le chat lui frôle les pantoufles, ça lui fait comme une brève caresse, un léger massage, c'est bien mieux que le kiné. Aujourd'hui point de maison de retraite, si elle s'écoutait elle prendrait la bêche de feu son mari... Elle profite de ce jour presque sans fêlure pour respirer le soleil dans les branches. Une herbe nouvelle qu'on n'avait jamais vue avant pousse dans le jardin, laissons-la vagabonder le temps de cette fête que rien ne gâche, tel le chat qui court après sa pelote. Grand-mère ne tricote plus, elle regarde parfois le matin blême d'hiver quand elle se réveille. Elle ne s'ennuie toutefois jamais, une pile de magazines la côtoie jour et nuit, la vie c'est encore pour elle une sacrée aventure, celle des petites choses et des petits pas des moineaux dans la neige qui recouvre le parc de la maison de retraite, situé presque au bord de l'océan. Grand-mère et l'océan, c'est rigolo la première fois qu'on l'a vue en maillot de bain. N'empêche qu'elle nous a tous bluffés avec ses brassards, elle a nagé jusque à la limite imposée par le vent. Et puis elle est revenue avec un petit sourire moqueur qui lui a donné l'air d'une petite fille espiègle et malicieuse.  

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