Affamés

Christian Lemoine

Du cap où le vent affole les girouettes, la vue se dégage jusqu'aux falaises, les liserés blancs qui font du chenal guère plus qu'un canal. Si proche, l'atteinte en est pourtant interdite. La transparence de l'air se joue des nomadismes et incruste dans les chairs la marque du clandestin. Cette méduse brune, chahutée dans les vagues, c'est une sacoche ombellée, ouverte en couronne mortuaire offerte aux flots. Ce pilon noir au sable creusé, c'est une trace de méchant feu dont le plus petit cotret n'a séché ni larmes ni tunique empesée d'écume. Cet escabeau branlant, c'est l'armature brisée d'une caravane oasienne égarée dans les maquis misérables. Et ces cris, et ces courses, et ces appels à l'arrière des convois au milieu de la nuit des candélabres oranges, ce sont les protestations de princes démasqués comme autant de satrapes hors de leurs empires naufragés. Un jeu de cartes, une main fabuleuse, un tarot magnifique, étalé sur le sable ; la promesse des astres et des pierres contre les plantes des pieds brûlées et sanglantes, et la promesse repoussée sans cesse. Et les paumes qui cherchent le peu de flamme, et la sordide baccade, car entre les mains affamées sans cesse un bol y contient autant qu'une cantine, puisqu'il contient toute une vie. Du cap, les vaisseaux honnissent les altérés et promènent l'arrogance fastueuse d'un monde inaccessible.

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