Alice

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« Oh, Alice, que vous êtes douée. Continuez ainsi, oui, gardez cette lame enfoncée dans la chair fraîche. »
Je ferme les yeux, respire profondément, appréciant comme à chaque fois cette odeur si particulière qu’est celle du sang.

Je déteste mon prénom. Cinq lettres. Chiffre impair. Trois voyelles, deux consonnes. Pourquoi a-t’il fallut que je m’appelle Alice… Une raison de plus de détester mes parents, ces deux clochards pathétiques qui n’ont rien su me donner d’autre que des vêtements sales et troués, des tartines de cailloux, et quelques cours primaires de mathématiques et de tenue en société.
On pourrait croire à première vue que j’ai une haine profonde envers eux.
Eh bien, cela n’est pas tout à fait faux. Mais pour tout vous dire, c’est envers le monde entier que j’éprouve ce dégoût. Les Hommes ne savent se contenter que du minimum, ils ne sont pas ambitieux pour un sou.
Dès que j’ai atteint l’âge de la maturité, j’ai tout de suite compris pour quoi j’étais faite. Il était hors de question que je finisse poissonnière à m’égosiller la voix pour les quatre ou cinq moins infortunés du quartier. Ni même que j’en vienne à vendre mon cul pour les baveux prêts à éjaculer sur n’importe quoi qui ressemble de près ou de loin à un être vivant. J’avais des projets plus grands, et bien plus grands encore que cette misérable ville de Kenstone, nichée au fin fond de la campagne anglophone.
C’est à l’aube de mes quatorze ans que j’ai enfin commencé à trouver un moyen de supporter l’air encrassé de la ville. J’avais cette impression magnifique et indescriptible d’avoir, pour la première fois depuis ma naissance, inspirer quelque chose de propre. Sans l’odeur nauséabonde des fruits et légumes pourris que les gens s’arrachent tous les mardi matin, et surtout sans avoir l’impression qu’à chaque respiration, toute une couche de saloperies vienne se coller à mes poumons.
Je venais d’avoir quatorze ans, donc. J’aimais cet âge. Mais qu’à moitié. Il fallait que je pense simplement au fait que c’est un nombre pair, mais il ne fallait surtout pas que je pousse la réflexion plus loin, car je savais très bien que la somme des deux chiffres faisait cinq.
Tout autant de lettres dans mon prénom.
J’avais passé la journée dehors à traîner des pieds sur les pavés, ressassant ici et là ce dédain immense pour ce qui m’entourait. Mon esprit s’est vite accommodé à la solitude, à tel point que dès qu’une personne s’approchait pour me vendre un quelconque bien ou pour me faire des propositions indécentes, j’étais mal à l’aise. Mal à l’aise d’avoir à l’esprit des idées magnifiquement malsaines vis-à-vis d’elle.
À quelques bazars de là se trouve ma maison. Le soleil n’allant pas tarder à se coucher, il fallait que je rentre. Et ce malgré mon aversion. D’autant plus qu’à chaque fois que je rentrais trop tard, je devais affronter le regard désappointé de mes parents, peinés de ne pas comprendre mon comportement.
D’une nonchalance naturelle, j’ai pris la première rue à ma droite pour retarder mon retour au domicile. Comme toutes, elle était étroite, étouffante, sinistre. Soudain, une silhouette est apparue au bout de l’allée. Cela m’étonnait, car elle semblait adulte, or tous travaillaient encore en ce moment. Ceci dit, ce n’était guère extraordinaire non plus.
Ne prêtant pas attention à ce détail, j’ai donc continué mon chemin, toujours aussi lentement, et cela me permettait d’ailleurs de pouvoir analyser la personne. Au fur et à mesure de ses pas, je pouvais voir que c’était un homme, assez petit et maigrelet, le cheveu noir et hirsute. Probablement la vingtaine. Voire un peu plus, qui sait.
Contre toute attente, il s’approcha de moi.
« Bonsoir, jolie jeune fille. Auriez-vous l’heure, s’il vous plaît ? »
Contre toute attente. Son air négligé me plaisait, parce que de sa bouche les mots sortaient purs.
Hypnotisée, j’ai répondu après avoir regardé mon semblant de montre au quadrant fêlé :
« Il est dix-sept heures cinquante-cinq.
- C’est bien aimable à vous…
- Alice.
- Alice. Merci. Mais, dites-moi, au risque de paraître grossier, ne devriez-vous pas être rentrée chez vous ? La nuit s’apprête à tomber, et elle est bien plus dangereuse qu’il n’y paraît, surtout pour les jeunes filles de ton âge.
- La pénombre ne m’effraie pas, Monsieur.
- Cela tombe bien, je m’y complais beaucoup également. Que diriez-vous de m’accompagner faire quelques pas ?
Il avait quelque chose dans ses yeux. Une légère lueur étincelante, qui donnait l’impression qu’il avait des petits diamants, là, dispersés dans ses iris bleus. Son parfum était envoûtant. Je ne connaissais pas cette odeur –et c’était sûrement pour cette raison que cela m’avait à ce point attiré. Habituée à l’abjecte puanteur qui s’était imprégnée dans tout le village, toute senteur étrangère me faisait du bien. Comme un grand bol d’air frais.
Mais, à ce moment précis, si j’avais dû être mal à l’aise, cela aurait plus été à cause du fait qu’il était intrigant et que, de ce fait, je n’avais aucune pensée sadique à son égard.
- Pourquoi pas, oui. »
Il se glissa alors doucement derrière moi en m’indiquant de sa main dans quelle direction il souhaitait aller.
C’était plus qu’étrange comme situation. Je ne me concentrais même pas sur le chemin, ni sur le temps qui passait, mais sur le simple fait qu’en quelques secondes il a su effacer toute la haine qui m’habite –et, malgré mon jeune âge, il y en a, de la haine.
Il faisait des remarques à chaque fois que nous passions devant une échoppe, mais n’écoutant que d’une oreille, j’ignorais ce qu’il disait.
«  Alice, c’est ici, nous y sommes.
- Pardon ? Où sommes-nous exactement ?
- Comme je viens de vous le dire, il s’agit de l’endroit où je vis.
- Excusez-moi.
- Ce n’est pas grave, ma belle. »
À ces mots, j’ai senti mon cœur palpiter. Comme si je revenais de naître pour la première fois.
En effet, je n’avais jamais encore ressenti ce genre de sentiment. J’éprouvais un certain plaisir à être en sa compagnie, et à observer chaque millimètre carré de son corps.
Il portait une chemise bordeaux, rentrée à l’intérieur de son pantalon noir. Il était si bien habillé, que s’il ne m’avait pas dit que nous étions chez lui, j’aurais pensé qu’il habitait une ville voisine plus grande et plus riche.
Les gens d'ici s'habillent ordinairement avec des panchos en tissus déchirés de partout, ou bien, pour ceux qui ont un peu  plus de moyens, avec des marcels gris tâchetés de crasse et des pantalons coupés au-dessus du genoux.
Je me sentais sale, à côté de lui. Sale et ridiculement petite. Mais malgré cela, il parvenait à me faire sentir bien.
Il avait des traits fins, qui contrastaient fortement avec ses sourcils broussailleux et sa barbe épaisse. C’est à peine si l’on y voyait encore ses lèvres. Ces lèvres sur lesquelles, depuis au moins cinq minutes, j’ai posé mes yeux.
Nous étions désormais assit l’un en face de l’autre sur des petits coussins posés à même le sol. Il m’avait proposé un verre d’eau, et s’en était servi un aussi.
« Alors, dites-moi, que faisiez-vous dehors et seule à cette heure ?
- Pas grand-chose. J’essayais simplement d’échapper à la morosité de cette ville qui me donne pas mal envie de dégobiller.
- Vous me semblez si lésée… Mais je sens pourtant que vous pouvez en faire votre force. Vous êtes capable de faire de grandes choses.
Je n’ai jamais été aussi gênée. Il était évident que j’étais de son avis, mais plus il parlait, plus sa voix pénétrait dans mon cerveau, se cognant à mon lobe temporal, envoyant des milliers d’informations à tous mes membres. Et moins j’arrivais à rester moi-même. Je sentais mon cœur qui s’emballait à chacun de ses gestes, le mouvement d’air ramenant son odeur si unique jusqu’à mes narines.
- Merci.
Je crois même que ma voix en tremble.
- Que diriez-vous de cuisiner ? Il est bientôt dix-neuf heures, on risque d’être vite affamé. 
Nous nous sommes donc levés et dirigés vers la cuisine. Je ne pouvais cesser de sourire, et de le regarder, encore, sans m’en lasser.
Il avait sorti sur sa table en chêne un rouleau à pâtisserie, un sac de farine, de la levure ainsi qu’un grand saladier. Il retroussa ses manches.
- J’espère que vous aimez le pain !
- Oui, ne vous inquiétez pas.
- Parfait. »
Il me laissa mettre la farine dans son plat, à laquelle il ajouta une cuillère de sel, puis de l’eau, et pour finir la levure. J’ai donc commencé à pétrir la pâte, et c’est alors qu’il se plaça juste derrière moi, plaquant son corps tout contre le mien, et posant ses mains sur les miennes, enfouies dans la pâte. Je me suis soudainement stoppée, comme pétrifiée par son comportement inattendu. Il n’a prononcé aucun mot. Il s’est juste contenter de continuer à malaxer doucement la pâte, mélangeant ses doigts aux miens. Je repris ce que j’étais en train de faire, complétement perdue dans mes pensées.
Pourquoi fallait-il qu’il soit aussi troublant ? La situation en aurait inquiété plus d’un. Mais moi, non. J’étais surtout étonnée, notamment parce qu’on ne se connaît que depuis plus ou moins une heure –et encore, on ne se connaît quasiment pas puisque j’ignore toujours son nom, mais je suis surprise surtout car j’aime ce qu’il se passe. J’apprécie d’avoir ce corps inconnu qui m’écrase, qui me fait sentir en sécurité. Il pourrait être le Diable que je le suivrais quand même.
J’ai donc repris mon activité, et il n’y avait réellement rien de plus plaisant que de nous sentir en harmonie. Nous pétrissions cette boule épaisse ensemble, nos corps se balançant au même rythme régulier. Et plus nous le faisions, plus je sentais son odeur de propre et son corps se frotter au mien tendrement, plus je retenais mon souffle. Plus mon cœur pétillait d’excitation.
Il recula délicatement, retirant ses mains du plat, et j’ai soudainement eu une envie extrême et forte de le retenir. Comme si, maintenant qu’il m’avait approché, il n’avait plus le droit de s’enfuir. Mais il était encore trop tôt pour que je puisse avoir ce genre de réaction, et il ne l’aurait probablement pas tolérée.
Je l’ai suivi dans son geste, puis nous sommes partis nous assoir à nouveau dans son salon. À la différence que cette fois, il s’est assis à côté de moi.
« Bon, et bien il ne nous reste plus qu’à attendre que la pâte monte !
- Qu’allons-nous faire en attendant ?
- Et bien, j’ai déjà ma petite idée. J’aimerais vous montrer un livre de ma bibliothèque que j’ai beaucoup apprécié, et je voudrais partager cela avec vous. Si vous n’y voyez aucun souci bien entendu.
- Volontiers, oui. Il raconte quoi, ce bouquin ?
- Deux amants qui meurent d’amour et de passion.
- C’est gai, dites-moi.
- Je trouve les tragédies plus intéressantes. Elles marquent l’histoire et restent dans les mémoires pendant très longtemps. »
Pendant qu’il se dirigeait vers sa chambre à coucher, j’en ai profité, je l’avoue, pour observer une fois encore ses maigres formes. Ses jambes fines, légères, et ses petites fesses moulées dans son pantalon.
Il est revenu une minute ou deux plus tard, le livre en main, un sourire en coin.
Comme il me le tendait fixant droit son regard dans le mien, j’ai pris l’ouvrage. Sa peau m’effleura. Une fois de plus, je me retenais de cacher cette mystérieuse attirance que j’avais envers lui. Je sentais ses yeux posés sur mon visage. Pendant que je lisais la quatrième de couverture et que je feuilletais quelques pages, une douceur vint caresser ma cuisse.
Je ne rêvais pas. Il avait posé ses doigts sur ma peau abîmée. Une vague de chaleur intense m’avait submergée d’un coup d’un seul.
J’ai posé le livre à côté de moi et l’ai affronté. Lui. Cet homme dont j’ignorais tout. Cet homme qui, en un geste, me faisait perdre tous mes moyens.
Il passa sa main gauche dans mes cheveux tandis que la droite caressait toujours ma cuisse.
Ma chevelure brune frôlait mes maxillaires carrés, et tombait sur mon cou. C’est donc à cet endroit qu’il déposa ses doigts fins et froids. Une vague de frissons s’empara de mon corps. Et, à ce moment, il attrapa ma gorge. Le livre me tomba des mains et a attéri sur la tranche, ouvert en deux, comme s'il avait été éventré.
Petit à petit, puisque je ne me débattais pas, il resserrait son étreinte. De sa deuxième main qu’il ôta de ma cuisse, il fouilla sa poche pour en ressortir un aikuchi au manche en bois agrémenté de décorations argentées. De jolis chrysanthèmes se mêlant à des grappes de raisins. Sa lame était miroitante. D’une quinzaine de centimètres plus ou moins.
J’ai senti la peur commencer à pénétrer en moi. Et je me suis sentie si bête. D’un coup je me voyais déjà agonisante, en train de perdre mon sang comme un vulgaire animal gisant sur le sol. Prise au piège par cet homme qui m’a aveuglée depuis le début grâce à ses belles paroles et à son trop-plein confiance en lui-même déstabilisant.
J’étais en train de me dégager de son emprise –ou du moins d’essayer, agrippant son bras gauche au poignet pour l’en défaire de mon cou mais plus je le poussais à se détacher, plus son pouce s’enfonçait dans ma pomme d’Adam. Il pencha sa tête pour me susurrer à l’oreille dans un sifflement : « Chut. Ne vous inquiétez pas, je ne compte pas vous faire de mal. Mais si vous vous débattez, alors je risque d’être violent. »
Les larmes aux yeux, je hochai la tête. Il leva son couteau vers moi, puis le fit tourner sur lui-même dans sa main. Au lieu d’avoir en face des yeux  la lame, j’avais le manche, présenté devant moi, comme une invitation.
Je l’ai alors pris dans mes mains, ce que le bougre devait vouloir puisqu’à cet instant précis il a souri et a relâché la pression.
« Faites-moi mal. »
Je ne savais pas quoi faire.
« Vous détestez le monde, n’est-ce pas ? Alors allez-y. Défoulez-vous. Je suis là pour ça. »
Silence.
« J’ai vu en vous ce que peu de gens peuvent voir. J’ai vu la haine qui vous incarne me foudroyer en un regard. Vous n’êtes pas seule. Et vous n’êtes pas faite pour une vie ordinaire. Je vous ouvre la porte d’un monde qui vous réclame depuis votre naissance. »
Sa voix semblait lointaine, profonde. Elle me transperçait de part en part. Pénétrait dans mon esprit et se faufilait comme un ver. Répandant sa noirceur.
L’arme à la main, je commençais à frôler sa peau doucement, hésitante, en le fixant du regard cherchant une quelconque réponse au flot de questions qui me submergeait.
Que voulait dire toute cette mascarade ?
Qu’attendait-il de moi ?
Allait-il me faire du mal ?
Fallait-il vraiment que moi je lui en fasse avec son couteau ?
Pas de temps à perdre à répondre à tout ça. Il a pris ma main qui tenait la lame et se l’est enfoncé lui-même dans la chair de son avant-bras gauche.
Une simple plaie, trois millimètres de profondeur, et déjà le sang commence à remonter à la surface pour s’échapper.
Il lâcha prise et reposa ses doigts en haut de ma cuisse, tout au bord de mon vagin humide.
J’ai donc continué ce qu’il a commencé. J’ai replanté l’arme dans sa peau.
Tendrement.
Infiniment.
Ces petites morsures bordeaux, comme des étoiles sombres dans un ciel beige, souple, palpable.
Encore, et encore.
Une, deux, trois. Tandis que ces quinze centimètres d’acier s’enfonce dans son avant-bras, il ferme les yeux et souffle son plaisir sur moi.
Quatre, cinq, six. Plus le sang s’enfuit, plus l’homme gémit.
Tout allait très vite, les plaies se multipliaient, et j’ai placé ma deuxième main sur son entre-jambe, comme il l’avait fait avec moi.
C’était la première fois que j’étais en contact avec un sexe masculin. J’ai pour habitude d’éprouver un certain dégoût envers cela, m’imaginant tous ces hommes qui les sortent à tout bout de champs à chaque paire de fesses qu’ils croisent dans la rue, puis qui les rangent aussitôt que la semence a quitté son lit.
Il était dur, et à chaque fois que l’adulte serrait ses jambes, je sentais le pénis se lever.
Une odeur de sueur et de sang se mêlait, et je dois dire que dans le feu de l’action elle n’était pas désagréable. C’était même tout le contraire. Je prenais plaisir à prendre de grandes inspirations, jusqu’à ressentir le parfum de métal jusque dans mon cœur.
Des filets de sang coulaient de tout son bras, et pourtant il prenait toujours autant de plaisir.
J’arrivais presque à me laisser aller et à ne plus analyser tous les détails que je pouvais voir, tels que sa bouche à demie-ouverte, ou bien ses paupières mi-closes ne laissant apparaître que le blanc de ses yeux.
C’était une expérience nouvelle pour moi. Et, lorsque ce genre de choses arrive, j’ai plutôt tendance à compter le nombre de cils de la personne en face de moi, ou bien à me concentrer sur la petite aiguille de ma montre, ou encore quelques autres détails futiles. Mais là, je commençais à me laisser aller, en retrouvant ce plaisir malsain qui m’habitait chaque jour toujours plus.
Je rêvais de sang. D’horreurs et de douleur.
Et cet homme a exaucé mon vœu.
La lame a ensuite toucher une de ses cuisses. Perforant le tissu puis l’enveloppe de chair.
Le plaisir l’inondait, et cela s’entendait aux sons qu’il produisait. De longs gémissements, presque inaudibles parfois.
Il trouvait du réconfort dans la souffrance. Comme s’il avait quelques maux à expié, et qu’il profitait que son sang s’échappe pour que s’enfuient avec ses pêchés.
La lame s’enfonça de plus belle. Avec plus de violence cette fois. L’appel du sang était trop fort.
Il serra sa main autour de ma gorge, un peu plus fort que les secondes précédentes.
Mes sens disparaissaient, ma vue se troublait car mon cerveau commençait à manquer cruellement d’oxygène.
La chaleur était intenable, mais il n’était plus question de se dévêtir maintenant. C’était trop tard.
Il n’était plus question de rien du tout.
Ma voix se perdait à chacune de mes tentatives d’intervention. Il m’était impossible de dire quoi que ce soit.
Si j’avais pu dire ne serait-ce qu’un seul mot, je n’aurais même pas mentionné la température excessive de la pièce. Ni même l’odeur de sueur qui prévalait sur celle du liquide rougeâtre qui me faisait office d’unique horizon, mais plutôt sur le fait que la tête commençait à me tourner, que je voulais qu’on arrête, que je ne contrôlais plus rien.
D’abord quelques picotements dans les bras et les jambes. Le couteau se décolla sans difficulté de ma paume et rebondi sur le coussin avant de tomba sur le sol dans un bruit sourd.
Quelques étoiles dans les yeux, l’impression de ne plus avoir de salive dans la bouche, comme si mon corps avait sécrété tout ce qu’il avait de liquide en lui. Plus de larme à pleurer, plus d’aide à espérer.
Cette horrible impression qui ne me quittera plus que ses doigts avaient réussis à passer à travers ma peau, qu’ils avaient pu me toucher au plus profond de mon âme.
Je suis partie avec, comme dernière sensation, son entre-jambe humide et dur.
Après ça, j’ai dû m’effondrer comme une vulgaire feuille morte un soir d’automne.
Mais satisfaite d’avoir pu me défouler, et me vider de ces vagues de haine qui m’habitaient.
Cependant, c’est une chose à laquelle on prend très vite goût une fois qu’on y touche.
Cela m’a fait un bien extrême. C’est pourquoi je compte recommencer à nouveau.

Dans un autre monde.

Déterminée à foutre l’enfer à feu et à sang.

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