Allée des Cygnes

Muriel Guigo

Allée des Cygnes, sous l'oeil fidèle et bienveillant de la dame de fer jusqu'au regard de vigie de la statue de la Liberté, sage sur mon banc en attendant de me pendre à ton cou, je me prépare au spectacle improvisé d'anonymes animés.

Sur le viaduc de Passy, surplombant cette oasis au milieu des flots, telle une barge ayant posé l'ancre entre rive gauche et rive droite, le métropolitain charrie, à intervalles réguliers, son flux noyé de quidams bigarrés.

En contrebas, point de cygnes majestueux, mais des canards en rang serré et leur progéniture filant en goguette sur la Seine où quelques pêcheurs statiques sur leur ponton scrutent, fébriles, les ronds dans l'eau de possibles poissons-chats, silures et autres habitants du fleuve, prêts dans un ultime accès de désespoir, à se prendre à leur ligne.

Entre les ponts de Bir-Hakeim et de Grenelle, long ruban ondoyant, l'allée bordée de marronniers et d'essences variées déroule ses charmes au fil des saisons où promeneurs solitaires, joggeurs et couples enlacés goûtent l'ombrage bienfaisant en été, les couleurs chatoyantes et nostalgiques de l'automne, la clarté retrouvée en plein coeur de l'hiver, enfin le renouveau bourgeonnant du printemps, annoncé par le pépiement de la multitude d'oiseaux invisibles, nichant dans le vert tendre du feuillage renaissant.

Alors que barges et péniches venues de l'ouest remontent leur lourde charge sur les quais parisiens, les bâteaux-mouches, en une navette quotidienne, embarquent les touristes devenus, pour un temps, les aventuriers lointains de drakkars en expédition.

Ilôt de verdure flottant dans son écrin de jaspe mouillé, balcon sur la Seine changeante au gré des humeurs et du temps qui s'étire, entre Passy et Grenelle, un havre de paix pour promeneurs solitaires, joggeurs et amants désunis.

Seule sur mon banc, me parviennent évanescentes, les notes égrenées d'un accordéon essouflé d'avoir tant joué ; je regarde le temps qui passe en contrebas, mais point de signe.

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