Alter-natifs

Christian Lemoine

Sous les feuilles du tilleul, vénérable témoin de la cour et des labeurs de la vigne, une maison roulante a posé son châssis. Des jeunes vies tourbillonnent. Entre des tentes déployées en ailes protectrices, car la pluie baigne de son chant pénétrant les cailloux, la terre collante, trace ses rigoles moqueuses sous les pas glissants ; entre les tentes déployées circulent des envies, des plaisirs sonores, des rires de clowns apeurés, ou les insinuations à mots uniques d'une longue silhouette souple qui se joue de l'équilibre et de l'attraction. Contes à tiroir d'une autruche et d'un minot frustré infatué d'une découverte maléfique, conte végétal d'un arbre rouge havre de fleurs multicolores. Un orgue de barbarie déroule ses cartes perforées, sous la bâche, là où la veille au soir, vielle à roue et violoncelle jetaient des paires de danseurs dans des apprentissages gauches, des bourrées, des scottishs, quelque valse lente. La voix d'Alice, dans un pays de merveilles sensibles mais bienveillantes : ni chausse-trapes, ni chat moqueur, ni méchante reine.

Sous les feuilles du tilleul, un monde en naissance, quelques lendemains qui se surprennent à murmurer une mélodie subtilement joyeuse. Les grandes illusions coulent dans le lointain. Ici, la terre mouillée se plaît à tracer les empreintes des pieds des celles et ceux, des elles et eux, de celles-ci et de ceux-là qui invitent et inventent, en gestes mesurés pour le galbe d'un arceau, l'ellipse parfaite où inscrire la révolution d'une planète moins écorchée. Fi des discoureurs qui recyclent à l'infini des recettes depuis longtemps éventées ! celles-là et ceux-ci, par les mains ardues arc-boutées sur les chevilles de bois, grammairent dans la simplicité de leur jeunesse volontaire tout un dictionnaire d'amitié et de communion. Ils sont le monde qui vient, elles sont l'aube qui se dessine, Alter-Natifs, visages ouverts sur l'horizon dégagé, et leurs yeux défrichent les nuées obscures, déchiffrent les courbes arabesques des ramures, décryptent tant bien que mal les troubles ambitions de leurs sentiments confus. Que leur chemin soit sinueux, qu'importe ! Ils sont l'aube levante.

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