Âmes Sombres

auroremichelle38

De la Normandie à la Savoie en passant par l'Isère, un tueur en série fait des ravages. Le commissaire Borly met un point d'honneur à l'empêcher de nuire.

9 mars 2011

 

Aujourd'hui, je crois que je suis tombé amoureux !

Je n'en ai pas parlé à mon Oncle, Max. Il ne comprendrait pas qu'à dix-neuf ans, je sois attiré par des femmes plus mûres que moi.

C'est la première fois que je ressens ça. Je suis euphorique et j'en reste fébrile rien que de repenser à cette femme.

Tout a commencé quand je suis parti faire un tour pour m'aérer après avoir consacré ma matinée entière à plancher sur mes révisions.

J'ai marché un moment, je ne sais pas exactement combien de temps. J'ai attendu d'avoir soif au point de m'arrêter dans le premier bar venu.

C'est là que j'ai vu Héléna.

Seule à une table, elle enchaînait les mojitos si vite que j'en suis venu à me demander à quel moment elle allait s'écrouler.

Accolé au comptoir, j'ai regardé cette belle blonde le temps de finir mon soda, puis je me suis installé à côté d'elle.

Je ne m'attendais pas à ce qu'elle me déballe toute sa vie à un inconnu, de sa rencontre avec le père de sa fille à son état actuel à cause d'un homme qui l'a fait cocue et qui venait de la larguer. J'ai cru entendre qu'elle habitait Paris et qu'elle était de passage sur Caen pour le travail.

Je ne suis sûr de rien, je n'ai pas compris tout ce qu'elle me racontait.

Pour ne pas être désobligeant, j'ai accepté le shoot de vodka qu'elle m'a payé et je l'ai bu cul-sec.

Près d'une heure s'est écoulé lorsqu'elle s'est excusée en se levant difficilement de sa chaise. J'ai vite compris qu'elle avait l'intention de prendre sa voiture pour rentrer. Je ne pouvais pas la laisser faire. Pas dans cet état.

Son histoire m'a touchée et, à ce moment-là, j'ai ressenti de la sympathie pour cette femme. Par altruisme, peut-être, mais surtout par compassion, je lui ai proposé de la raccompagner chez elle.

Après quelques minutes d'argumentations et de dénégations de sa part, Héléna a fini par accepter de laisser sa voiture sur place pour prendre les transports en commun en ma compagnie.

L'hôtel dans lequel elle logeait durant son court séjour à Caen se trouvait non loin de la gare, quartier que je connais comme ma poche. En moins de dix minutes, nous sommes arrivés à destination et j'ai dû ouvrir la porte moi-même tant elle ne tenait plus debout. Je l'ai aidée à se mettre sur son lit et elle s'est endormie comme une masse.

Allongée sur le côté, ses cheveux lui mangeaient à moitié la joue. Je pouvais admirer son corps longiligne.

Je l'ai légèrement tourné pour la positionner sur le dos. En voyant cette femme blonde, aux cheveux ondulés et aux yeux verts, j'ai eu un flash.

MAMAN !

Contre ma volonté, mes mains ont attrapé l'oreiller derrière sa tête et l'ont plaqué contre sa figure. J'ai dû la réveiller puisqu'elle se débattait en tentant de crier. Les seuls sons audibles n'étaient que couinements et souffles étouffés par la force qui s'abattait sur sa bouche et son nez.

MA force.

Je ne saurais décrire toutes les émotions que j'ai pu ressentir à cet instant.

Un mélange de fierté, d'orgueil et un fort sentiment de puissance. Elle est devenue ma proie. Elle était à ma merci.

Les membres tendus, crispés, elle a émis son dernier râle puis ses muscles se sont relâchés. Et elle est partie.

Je l'ai regardé tendrement en reprenant mon souffle. Pas longtemps. Il fallait encore que je la fasse belle pour son enterrement.

J'ai donc cherché des vêtements de couleur bordeaux, la préférée de maman, dans la penderie de la chambre. Il me manquait du matériel pour que tout soit parfait. Je suis sorti de l'hôtel en vitesse sous le regard étonné de la fille de l'accueil. J'ai hésité à rebrousser chemin pour lui donner une excuse, puis je me suis dit que si elle entrait dans la chambre, elle verrait seulement une femme ivre dormant sur son lit, la tête à côté de son oreiller.

Pas la peine de s'en faire.

J'ai retiré cent euros avant de me mettre en quête d'un magasin de prêt à porter féminin pour acheter des bijoux. J'ai pris un collier de perles que je trouvais classe que j'ai payé en espèces.

Pour assurer le coup, j'ai retiré encore cinquante euros et trouvé un fleuriste à quelques pas de là. Je lui ai acheté sept roses blanches. Après une demi-heure d'achat, je suis retourné à l'hôtel. Mon intuition s'est confirmée lorsque la jeune femme de l'accueil m'a interpellé.

« Vous voulez une chambre ?

― Non, je viens voir ma sœur, chambre 52, répondis-je calmement.

― Je dois vous informer que madame dort... chuchota la fille comme si ma victime pouvait l'entendre d'outre-tombe.

― Je sais. Je l'ai ramenée tout à l'heure, elle était complètement ivre. Je suis passé à la pharmacie lui prendre un anti-vomitif.

― Et les fleurs ? Elles sont pour votre sœur ? Demanda la belle, visiblement intéressée.

― Oui. On ne s'est pas vu depuis six mois et j'ai complètement oublié son anniversaire. Les fleurs, c'est la moindre des choses pour me faire pardonner, non ?

― Ouais, si vous le dites. »

Je crois que je l'ai vexée, mais je n'avais pas le temps pour la drague.

J'ai déshabillé Héléna qui avait un corps de rêve. Ses petits seins retombaient un peu, j'imagine que ce sont les conséquences de l'allaitement, et son sexe était impeccablement rasé.

L'idée de la toucher m'a effleuré un instant, mais une nouvelle image de maman m'est revenue à l'esprit, me ramenant à la raison.

J'ai lavé le corps inerte et froid avec un savon à l'odeur de jasmin, coupant soigneusement ses ongles longs avant de lui passer la robe rouge, les escarpins et le collier. Comme toute femme qui se respecte, elle avait son propre maquillage. Je me servis de son fond de teint pour lui donner bonne mine et j'ai pris un vernis à ongle rouge sang que j'ai étalé sur chacun de ses ongles avec une infinie douceur et une précision méticuleuse. Sans débordements.

Je ne saurais en donner la raison exacte, mais le simple fait d'apprêter Héléna, de souligner sa féminité et sa beauté grâce au maquillage et au vernis, m'a mis dans un état second. Un peu comme un peintre jouant avec les couleurs du bout de son pinceau.

Finalement, dans mon genre, moi aussi je suis un artiste !

J'ai posé ses mains délicates sur son ventre plat, puis j'ai disposé les roses blanches autours de son corps.

Afin de garder à jamais son souvenir, j'ai immortalisé mon œuvre par une photo sur mon téléphone portable.

Allongée sur le lit, elle était toute vêtue de rouge, jusqu'aux ongles.

Elle ressemblait à un ange qui regardait le ciel.

En redescendant à l'accueil, j'ai croisé le regard interrogateur de l'hôtesse. Pour la rassurer, je lui ai annoncé que ma « sœur » dormait et que je reviendrais la voir plus tard.

Je suis rentré chez Max, il y a plus d'une heure maintenant. Quand il m'a demandé où j'étais, je lui ai simplement répondu que j'étais sorti me dégourdir les jambes. Il n'a pas cherché à en savoir davantage.

J'ai appelé William. Je voulais tout lui raconter, mais lorsqu'il a décroché, je me suis ravisé. C'est un trop grand secret pour lui et cela risquerait de nuire à sa carrière ou de me nuire s'il venait à en parler. Je ne pouvais pas prendre ce risque.

À présent, en écrivant sur ce journal et, avec du recul, je me rends compte d'une chose capitale : Aujourd'hui, je ne crains rien puisque je n'ai pas de casier, donc mes empreintes ne sont pas répertoriées, mais la prochaine fois, s'il doit y en avoir une, ce ne sera pas la même chose.

La seule chose qui pourrait mettre la police sur mes traces serait l'employée de l'hôtel. Je ne vois pas ce qu'elle pourrait leur révéler à part que je suis grand, aux cheveux courts et noirs, que j'ai des yeux gris bleu et que je portais une chemise blanche avec un pantalon noir et des baskets grises. Pour finalement leur avouer que je me suis présenté comme le frère de la victime. Je n'ai aucun signe distinctif, pas de tatouage, ni piercing. C'est l'avantage d'être un homme banal.

La prochaine fois, je ferais mieux !

 

1

 

Il y avait beaucoup de monde cet après-midi-là, place de la gare à Caen.

Des voitures et fourgons de police stationnaient près d'un hôtel. Les techniciens de la police scientifique, tous vêtus de blanc avec leur charlotte sur la tête, leur combinaison, leurs sur-chaussures et leurs gants, s'affairaient à prendre des clichés de la façade de l'immeuble tandis que leurs collègues répertoriaient chaque indice. Les passants, curieux, s'arrêtait pour regarder le spectacle.

Soudain, un SUV noir passa à toute vitesse sous les yeux effarés des badauds et se gara derrière une voiture de police, dans un crissement de pneus.

Un officier en costume s'approcha de la voiture alors que son conducteur en sortait. Ce chauffeur en imposait. La trentaine passée, il mesurait plus d'un mètre quatre-vingt-dix. Large d'épaule, il était vêtu d'une chemise bleu pâle qui flottait sur un jean noir avec des chaussures de ville vernies. Ses yeux noirs contrastaient avec la blondeur de ses cheveux et la pâleur de son visage.

Il se présenta en montrant sa carte :

« Commissaire Antoine Borly. Qu'est-ce qu'on a ?

― L'hôtesse d'accueil de l'hôtel nous a signalé un cadavre dans une chambre, annonça l'officier en montrant du doigt une femme, visiblement choquée, assise sur un banc en face d'eux.

― Il est comment ce cadavre ? Demanda le commissaire d'un ton qui montrait son agacement.

― Je vous laisse voir par vous-même... susurra le policier d'un air mystérieux.

― Le Proc' est déjà arrivé ?

― Depuis un petit quart d'heure, il discute avec les collègues. »

En pénétrant sur les lieux, Antoine en resta bouche bée. Il s'attendait à voir du sang sur les murs et toute l'horreur d'un massacre en bonne et due forme. À la place, il vit une belle femme d'une trentaine d'années, allongée sur un lit aux draps en soie. Elle semblait rêveuse, les yeux fixés au plafond. Ses mains posées sur son ventre, et son visage lisse, elle aurait pu ressembler à la Belle aux bois dormants qui venait de se réveiller.

Une robe bordeaux, des escarpins, un collier de perles, sept roses qui entouraient ce corps inerte.

Tout ce spectacle n'était qu'une mise en scène.

Le commissaire ne voyait que deux explications possible à cet effet théâtral. Soit, le tueur avait cherché à maquiller son meurtre en donnant l'impression que sa victime s'était endormie. Soit il s'agissait d'un rituel.

Antoine sortit de sa torpeur en voyant le procureur Grange le rejoindre. Il avait l'air énervé.

« Monsieur le procureur, commença Antoine comme si son retard n'avait pas été remarqué.

― Commissaire, vous êtes encore en retard...

― Je suis désolé, j'ai dû rentrer chez moi me doucher, s'excusa Antoine.

― Je me fiche bien de vos excuses ! je vous demande d'être à l'heure.

― Bien monsieur.

― Ça fait combien de temps déjà qu'on travaille ensemble ?

― Cinq ans.

― Depuis le temps, j'ai appris à vous connaître, Borly. Vous êtes un excellant enquêteur. Assidu, engagé dans votre travail et ponctuel.

― Je m'excuse, ça ne se reproduira plus.

― Bien ! En attendant, je veux votre rapport détaillé demain à la première heure. »

Le procureur le laissa en plan. Visiblement, il comptait lui faire payer son quart d'heure de retard en le forçant à travailler d'arrache-pied la soirée durant.

Antoine sortit de l'hôtel et retrouva son collègue, Matéo Blind, près d'une des voitures de police.

« D'après le légiste, la victime est décédée suite à une asphyxie vers dix-huit heures cet après-midi, soit il y environ une heure, déclara le brigadier.

― Étranglement ?

― Non, il n'y avait pas de marque de strangulation sur son cou. On a trouvé un coussin à côté de la tête de la victime. On l'a envoyé pour analyses.

― Qui l'a trouvé ?

― Cette femme, répondit Matéo en montrant une brunette assise sur un trottoir.

― Tu l'as interrogée ?

― J'ai essayé, mais elle est en état de choc. Elle n'a pas dit un mot depuis qu'on est arrivés.

― Ok, j'essayerais tout à l'heure. Tu as quelque chose sur la victime ?

― Héléna Bertoli, trente-deux ans, habite à Paris...

― Qu'est-ce qu'elle est venue faire à Caen ?

― J'allais y venir. Elle travaille pour le magazine Grazia. J'imagine qu'elle faisait un reportage sur une célébrité de la région. Ou sur la région elle-même.

― Autre chose ?

― Oui, J'ai trouvé une photographie dans ses papiers. Une petite fille. Et un SMS du père de l'enfant annonçant à notre victime qu'il la quitte.

― Vois avec Cathy pour qu'elle tente de le joindre. J'aimerais lui parler...

― C'est déjà fait. Son train arrive dans une heure.

― Super. Maintenant rentre chez toi.

― Hors de question...

― Tu as déjà fait plus de dix heures supplémentaire cette semaine, repose-toi. Donc rentre chez toi et viens en pleine forme demain.

― Et toi ?

― Je vais interroger le témoin et faire mon rapport. »

&*&*&

Antoine s'assit sans bruit à côté de l'employée de l'hôtel. Il lui donnait à peine vingt-cinq ans. Brune, aux cheveux bouclés et au visage poupon, elle faisait moins que son âge. Ses yeux bouffis fixaient le bitume. Elle leva la tête et braqua un regard sans âme vers lui. S'il ne s'agissait pas d'un témoin crucial, il aurait peut-être tenté sa chance malgré leur différence d'âge.

Il se dégageait de cette jeune femme un charme indéfinissable. Il profita de cet instant pour se présenter.

« Je suis le commissaire Borly. Et vous ?

― Alice...

― Pouvez-vous me dire ce qu'il s'est passé ?

― Je ne sais pas... j'ai frappé à la porte pour prévenir Madame Bertoli que quelqu'un cherchait à la joindre. Vu qu'elle ne répondait pas, je suis entrée et... murmura-t-elle.

― Et vous avez trouvé le corps...

― Oui. J'ai cru qu'elle dormait... souffla la jeune femme se prenant la tête des deux mains.

― Qui cherchait à joindre la victime ?

― Une femme, mais elle ne s'est pas présentée et ne m'a pas laissé le temps de lui demander son nom.

― Madame Bertoli était une habituée de l'hôtel ?

― Oui, elle réservait une chambre pour une semaine, chaque année.

― Pour les vacances ?

― Je ne sais pas...

― Vous étiez proche ?

― Pas vraiment. On se disait bonjour, au revoir et je lui apportais ce qu'elle demandait comme pour tous les clients.

― Savez-vous si la victime avait des problèmes. Dans sa vie personnelle ou dans son travail ?

― C'est... enfin, c'était une femme discrète qui parlait très peu. Donc non, je n'en sais rien. La seule chose que je peux vous dire, c'est que lorsqu'elle a quitté l'hôtel cet après-midi, elle n'avait pas l'air très bien.

― Que voulez-vous dire ?

― Elle avait la tête de celle qui a appris une mauvaise nouvelle.

― À quelle heure est-elle sortie ?

― Vers treize heures trente.

― Et vous a-t-elle dit où elle se rendait ?

― Elle ne me l'a pas dit, mais j'imagine qu'elle est allée au bar se prendre une bonne cuite...

― Qu'est-ce qui vous fait dire ça ?

― Quand elle est rentrée, elle était ivre et ne tenait plus debout. Heureusement que son frère était là pour la ramener dans sa chambre.

― Son frère ? C'est lui qui s'est présenté ?

― Oui, lorsqu'il est revenu de la pharmacie.

― Il vous a dit son nom ?

― Non, il n'est pas allé aussi loin dans ces présentations, répondit le témoin déçu.

― Pouvez-vous me le décrire ?

― Il était aussi grand que vous, mais plus maigre. Ses cheveux étaient noirs et ses yeux bleus viraient sur le gris. Oui, j'aime regarder les hommes, droit dans les yeux.

― Si je résume, vous avez vu la victime sortir vers treize heures trente et rentrer accompagnée d'un homme qui se prétendait être son frère.

― C'est ça.

― À quelle heure était-elle rentrée ?

― Seize heures, je crois.

― Et cet homme s'est rendu à la pharmacie juste après ?

― Non, il a dû rester une demi-heure dans la chambre avant de sortir.

― Combien de temps s'est-il absenté ?

― Une trentaine de minute.

― Cela ne vous a pas intrigué ?

― Pas vraiment. J'ai pensé qu'il s'était perdu sur le chemin du retour.

― Comment était-il en revenant ? Avait-il l'air stressé, angoissé ?

― Non, il était calme. Il s'est présenté comme étant son frère et m'a expliqué qu'ils ne s'étaient pas revus depuis plus de six mois. Donc, quand il m'a dit qu'ils aimeraient être seuls pour leurs retrouvailles, je les ai laissés tranquille.

― À quelle heure a-t-il définitivement quitté les lieux ?

― Un quart d'heure environ avant que je la trouve... Comme ça...

― Bien, j'en ai fini pour ce soir. Allez vous reposer. Par contre j'aimerais vous voir demain au commissariat pour faire votre déposition.

― Vous croyez que c'était réellement son frère ?

― Je suis désolé, je ne peux pas répondre à votre question tant que l'enquête est en cours, mais je peux vous garantir que vous n'avez rien à vous reprocher. »

Antoine regagna sa voiture et pris la route du commissariat. Il avait encore du pain sur la planche et comptait bien profiter des dix minutes de route qu'il avait devant lui pour réfléchir à ce qu'il venait d'apprendre.

&*&*&

L'odeur du café réveilla le commissaire qui se sentit perdu, l'espace de quelques secondes. Semi-allongé sur sa chaise de bureau, il pivota sur lui-même perplexe. Ses cervicales tiraillaient par la mauvaise position sur son fauteuil et son cerveau tournait à mille à l'heure. Il se souvenait de la voiture et de toutes les questions qui lui étaient passées par la tête sur le chemin du retour. Il se revoyait plancher sur son compte rendu détaillé jusqu'à ce qu'il s'endorme à l'aube, sans avoir terminé son rapport.

Pris de panique, il regarda sa montre. Sept heures quarante-cinq. Il devait rendre les détails de l'enquête au procureur en charge de l'affaire à la première heure ce matin et son travail n'était pas encore achevé. Il se redressa pour se remettre au travail et constata que son ordinateur lui tournait le dos. Il fit le tour de son bureau et découvrit Sandra, concentrée sur sa tâche.

« Tu es tombée du lit ? S'étonna-t-il. Eh ! Tu fais quoi là ?

― Ce cadavre ressemble à la belle aux bois dormant... ça m'a tenu éveillée toute la nuit. J'ai fait du café... Sers-toi.

― Merci ! Mais c'est à moi de faire ce fichu rapport... bougonna le commissaire.

― Si tu veux, j'efface ce que j'ai fait... Mais tu n'auras plus que quinze minutes pour le terminer. Tu connais le Proc', il est toujours à l'heure.

― Tu es là depuis quelle heure ?

― Je vais t'en apprendre une belle... Tu ronfles comme c'est pas permis !

― Tu aurais pu me réveiller !

― Je sais, mais tu es trop mignon quand tu dors... »

Antoine lui rendit son regard complice lorsque Matéo les rejoignit.

Encore engourdi par sa petite nuit, le commissaire s'éclipsa en s'excusant pour aller aux toilettes se rafraîchir.

Le procureur Grange discutait avec les officiers lorsqu'Antoine refit son apparition. La remarque ne se fit pas attendre.

« Décidément, la ponctualité, ces derniers temps, n'est pas votre fort, Borly.

Antoine allait répondre, mais Sandra ne lui en laissa pas l'occasion.

― Excusez-moi ! Le commissaire m'a demandé de vous remettre son rapport le temps qu'il aille se changer. J'avais oublié de vous le donner, annonça-t-elle, tendant une pochette au procureur. J'ai cru comprendre que tu as passé la nuit ici, commissaire...

― C'est exact, répondit Antoine mal à l'aise.

― Bien. Tenez-moi au courant dès que vous aurez une piste, commanda Grange. Les journalistes sont sur les dents, j'aimerais bien avoir quelque chose à leur raconter pour les calmer. »

Le procureur tourna les talons et sortit du commissariat, la mine renfrognée.

« On fait quoi maintenant ? Demanda Matéo.

― Ce que le Proc' demande. On trouve le coupable et vite, répondit Gérard, l'aîné de l'équipe.

― Merci Papy, mais ce que je voulais savoir c'est : par où on commence ?

― Ok. Le mari de la victime, ça a donné quoi ? demanda Antoine stressé.

― D'après lui, sa femme devait écrire un papier sur les plus belles plages de la Manche, dont celles du Calvados, annonça Sandra.

― Qui pourrait lui en vouloir ? Demanda Matéo.

― Pas mal de monde, en fait ! Elle s'est acharnée sur certaines personnalités, par le passé. Les dernières en date sont les candidats de la Star Académie.

― J'imagine mal la Starac' au complet faire une mise en scène pareille pour maquiller un meurtre. Il faut avoir un grain pour faire ça ! lança Matéo

― Peut-être pas, mais ça reste une piste. Papy ?

― Je viens d'arriver... Je n'ai pas encore eu le temps de me renseigner, mais je vais voir du côté de la gare. Il y a peut-être des gens qui ont vu un type rôder. »

&*&*&

L'après-midi touchait à sa fin. Le procureur Grange revint à la charge.

« Du nouveau ?

― La victime enquêtait sur les candidats de la Starac'... lança Sandra.

― Vu l'affluence médiatique de cette émission, on ne peut pas se permettre de les interroger sans preuves.

― L'hôtesse de l'hôtel est venue faire sa déclaration au commissariat. Elle a fait un portrait-robot, mais on ne pourra pas en tirer grand-chose, remarqua Antoine.

― Qu'est-ce qui vous fait dire ça ?

― Le seul signe distinctif de notre tueur est un sac à dos “ Quechua ” de couleur beige. Sinon, il fait environ ma taille...

― Ce qui reste assez peu commun, ajouta Sandra.

― La victime avait un amant... annonça Papy en entrant dans le bureau de son commissaire.

― Précise ta réflexion, demanda Antoine.

― En regroupant ses appels téléphoniques, j'ai trouvé un numéro qui revenait souvent, dont, la veille de son décès. En appelant, j'ai appris qu'il s'agissait d'un certain Adam Goré. Il m'a assuré que c'était purement sexuel et que son mari n'était pas au courant. Mais s'il l'a su, il aurait très bien pu péter un plomb.

― Une affaire de jalousie ?

― Pourquoi pas.

― Et la mise en scène ? demanda le procureur, visiblement sceptique.

― Le mari jaloux aurait très bien pu étrangler sa femme, au sens propre, pour ensuite la déguiser pour faire penser à un suicide ou une mort naturelle, proposa Matéo.

― Que dit le labo ?

― On n'a pas encore de nouvelle, s'excusa Borly. »

&*&*&

Cela faisait plus d'une semaine que l'équipe de Borly tentait de résoudre l'énigme du meurtre d'Héléna Bertoli. La victime n'avait pas de réels ennemis.

Durant l'interrogatoire, le mari avait assuré ne pas avoir eu connaissance de l'adultère de sa femme et avait avoué avoir une autre femme dans sa vie depuis près de six mois, raison pour laquelle il venait de quitter la mère de sa fille.

Antoine était dans le flou le plus total. Restait à trouver l'auteur du meurtre et son mobile, qui pourrait expliquer la mise en scène. Borly était assis face à son bureau, l'ordinateur allumé sur son rapport journalier dont la page restait blanche.

Le téléphone du bureau sonna, s'était la Crim'. Sandra entra au même moment et enclencha le haut-parleur.

« Borly...

― Bonjour... Karim Benali à l'appareil.

Les empreintes trouvées sur la scène de crime ne sont pas fichées. On a trouvé un cheveu brun et court sur le corps de la victime. L'ADN ne correspond à aucune fiche, ni de la police, de la gendarmerie, ni même d'Interpol. La seule chose que je peux affirmer, c'est qu'il s'agit d'un homme.

Enfin, c'est bien avec le coussin que le meurtrier a étouffé sa victime puisque l'on a trouvé de la salive dont l'ADN correspond à 90% à celui de la victime.

― Autre chose ?

― Rien. Aucune trace de pneu, ni de chaussure.

― Je vous remercie. Envoyez-moi votre rapport au plus vite. »

Le commissaire eut tout juste le temps de raccrocher que le téléphone sonna à nouveau.

« Borly...

― Docteur Fournier à l'appareil. Je viens de vous envoyer le rapport d'autopsie. Si vous voulez un petit résumé ?

― Je vous écoute.

― En fait, je n'ai pas grand-chose. Si ce n'est que j'ai trouvé des ecchymoses anciennes sur le corps de la victime et que je peux affirmer qu'elle s'est cassé la cheville il y a quelques années...

― Vous n'avez rien trouvé concernant les causes du décès ? Ni la méthode utilisée.

― Si, les analyses prouvent ce que j'avais constaté sur le coup, que la victime a succombé à une asphyxie. Cependant, le relevé toxicologique a souligné un taux élevé d'alcool dans le sang de la victime. »

En raccrochant, Antoine regarda Sandra d'un air de dire : on ne le retrouvera jamais.

&*&*&

Après trois semaines de recherches, l'équipe de police n'avait toujours pas de suspect. Le procureur était sur le point de classer l'affaire. La seule information tangible qu'ils avaient obtenue venait d'un bar près de l'hôtel où dormait Héléna Bertoli. Le gérant avait aperçu un homme correspondant au portrait-robot. Le commissaire demanda donc à faire passer un avis de recherche aux informations locales, sans grande conviction.

Ils n'eurent pas à attendre longtemps. En fin d'après-midi, un jeune homme de dix-neuf ans se présenta, sous le nom de Jonathan Nowack, interrogé par Sandra.

« L'interrogatoire a donné quoi ? Demanda Antoine fébrile.

― Il a bien parlé avec notre victime, mais selon lui ce n'était que pour lui demander l'heure.

― Le barman dit qu'ils auraient discuté pendant une bonne demi-heure.

― Notre témoin affirme qu'il n'a pas compris un traître mot de ce qu'elle lui racontait, tant elle était ivre.

― Et par rapport à la déclaration de l'hôtesse d'accueil ? Qu'il se serait présenté comme son frère.

― La victime lui aurait baragouiné le nom de son hôtel. Bon samaritain, il l'aurait raccompagnée. Il n'a parlé à personne.

― Tu ne le crois pas ? Demanda le commissaire sceptique également.

― Pas vraiment, non.

― Il a montré des signes de stress ?

― Non. C'est ça que je trouve louche.

― Soit il dit la vérité et c'est parce qu'il n'a rien à cacher qu'il ne s'inquiète pas. Soit il est très bon comédien et il a un sang-froid hors-normes.

― Il attend dans mon bureau. On fait quoi, alors ?

― On n'a rien contre lui que je sache ?

― Malheureusement, non.

― Alors, on le laisse repartir !

― Mais... s'indigna Sandra. »

Antoine ne laissa pas sa collègue terminer sa phrase. Il pensait comme elle, cet homme était bizarre, mais tant que la bizarrerie n'était pas considérée comme preuve, ils n'avaient rien contre lui.

Jonathan Nowack ressortit du commissariat aux environs de cinq heures le soir.

Assis sur son canapé en tissu, Antoine sirotait une bière en regardant la télévision. Il n'avait de cesse de ruminer son échec. Faute d'éléments suffisants pour démasquer l'assassin d'Héléna Bertoli, le procureur avait décidé de classer l'enquête. Il avait rappelé à l'équipe qu'ils ne pouvaient pas se permettre de stagner sur une seule et même affaire, sachant que d'autres malfrats sévissaient et devaient également être retrouvé et traduits en justice.

Il leur assura cependant qu'il rouvrirait l'enquête si des indices probants lui étaient soumis.

Si le Proc' considérait qu'il ne s'agissait que d'une simple affaire de jalousie amoureuse, Antoine en doutait fortement.

Le commissaire changea de chaîne et tomba sur les informations locales. Un journaliste assez jeune parlait du meurtre d'une femme de trente-deux ans retrouvée dans un hôtel sur la place de la gare, décrivant oralement la mise en scène du tueur.

Avant de clore son reportage, il prit un malin plaisir à rappeler à la population l'inefficacité de la police française. Il annonça que le procureur allait clore l'enquête.

&*&*&

La rage au ventre et le moral dans les chaussettes, Antoine éteignit le téléviseur et décida de sortir à pied. Il avait besoin de se changer les idées en engloutissant une bonne dose d'alcool dans le bar le plus proche de chez lui. Ce qui, l'espérait-il, l'aiderait à mieux dormir cette nuit.

C'est dans ces moments-là qu'il regrettait d'avoir choisi ce métier.

2

 

Antoine venait de terminer son rapport sur un braquage qui avait eu lieu sur Caen lorsqu'il reçut un coup de téléphone. Une femme d'une trentaine d'années avait été retrouvée morte chez elle. C'était son frère qui avait trouvé le corps. Il appela son équipe sur-le-champ. Deux par voiture.

Vingt minutes suffirent pour que l'équipe d'enquêteurs arrive sur le lieu du drame. Laissant Sandra conduire, Antoine avait appelé le procureur Grange pour lui parler de l'appel qu'il venait de recevoir.

Ils arrivèrent en même temps et se garèrent derrière les fourgons de la police scientifique.

« Commissaire... grogna Grange.

― Monsieur le procureur, je vous présente le lieutenant Tucker.

― Monsieur le procureur, répondit Sandra avec une poigne de fer.

― On s'est déjà rencontré, non ?

― Oui. Lors de mes débuts dans la police. Une affaire de vol à l'arraché.

― C'est ça... ravi de vous revoir.

― Moi de même, Monsieur.

― On y va, souffla le procureur.

― Espèce de con, souffla Sandra à l'oreille d'Antoine. »

Les policiers et le procureur durent monter deux étages sans ascenseur. Le corps se trouvait dans la chambre à coucher.

En marchant, Antoine admirait la belle décoration de l'appartement de type deux pièces. Des tableaux, représentant la nature, étaient accrochés çà et là sur les murs blancs. Des rideaux sobres et unis aux couleurs claires habillaient les fenêtres.

En découvrant le corps, le commissaire Borly eut un haut-le-cœur. Non pas que la scène fut horrible, mais parce qu'elle le replongeait deux mois en arrière, lors de son plus grand échec. Il ne savait qu'en penser et en resta pantois.

Le corps était intact. Vêtue d'une robe rouge échancrée sur la poitrine, des escarpins de la même couleur, le vernis assorti sur des ongles manucurés et les cheveux mi-longs de chaque côté de la tête, la femme ressemblait à un ange entouré de sept roses blanches. La même mise en scène, le même genre de femme à l'exception que celle-ci avait les yeux marrons alors que ceux de la première étaient verts.

Le médecin légiste, agenouillé au-dessus du corps de la victime, le détailla de la tête aux pieds. Il interpella Antoine pour lui donner ses premières constatations. Le commissaire s'avança et écouta.

« La victime est décédée d'asphyxie...

― Due à ce coussin ? Demanda Antoine en pointant un oreiller qui se trouvait à côté de la tête de la femme.

― Possible... Les analyses nous le diront.

― Il y a des traces de lutte ?

― Apparemment non. En tout cas pas dans l'appartement. Je ne vous cache pas qu'il va être difficile de trouver de l'ADN ici. Les ongles de notre victime sont trop courts et je n'ai pas trouvé de cheveux, ni cellule épithéliale.

― Heure du décès ?

― Aux environs de quatorze heures.

― Autre chose ?

― Pour l'instant rien. Enfin, je vous ferais parvenir mes conclusions dès que j'aurais fait l'autopsie.

Antoine sortit de la chambre in extremis avant de se sentir mal, suivi par le procureur qui ne semblait pas mieux que lui. Matéo les rejoignit, il avait des informations.

« Elle s'appelait Sonia Garnier, elle allait sur ses 34 ans. Elle était vendeuse dans une boulangerie à Colombelles.

― Tu as pu parler avec le frère de la victime ?

― Oui, mais il est tellement choqué qu'il nie le décès de sa sœur.

― J'irais lui parler. Tu as autre chose ?

― Non...

― Elle fréquentait un gars nommé Rémy, annonça Sandra en courant vers eux.

― Comment le sais-tu ?

― Une des voisines avec qui elle parlait beaucoup. Celle-ci m'a même avoué que notre victime et ce mec devait se rencontrer au Flunch d'Hérouville...

― Elle t'a dit comment la victime l'a rencontré ?

― Elle ne l'avait pas encore vu. Ils avaient sympathisé sur un site de rencontre et elle devait le rencontrer ce midi. »

Antoine demanda à Matéo et à Sandra de faire un tour au Flunch d'Hérouville pour vérifier si quelqu'un avait vu la victime avec un homme. Il en profita pour faire un tour dans la kitchenette où se trouvait le frère de la victime, un café fumant devant lui. Le commissaire se servit une tasse avant de se placer face à l'homme qui devait avoir trente-cinq ans ou plus.

« Pouvez-vous me dire qui est l'homme que votre sœur devait rencontrer ce midi ?

― Je ne sais pas son nom. Sonia m'avait juste dit qu'elle parlait avec un type sur Meetic. Elle ne m'a jamais dit qu'elle devait le rencontrer, sinon j'aurais insisté pour l'accompagner...

― Vous étiez proches ?

― Pas à ce point-là, mais j'aime ma frangine. Au début, elle avait trouvé un boulot de vendeuse sur Hérouville pour s'occuper de notre mère. Quand maman est morte, Sonia s'était fait des amis et ne se voyait pas quitter le cocon familial. Moi, je ne me suis jamais sentie à mon aise dans cette ville donc, quand l'occasion s'est présentée, je suis parti à l'autre bout du monde. Je sais qu'elle m'en a toujours voulu.

― Vous travaillez dans quoi ?

― Je suis archéologue. Je viens de rentrer d'une fouille en Afrique du Sud. Je voulais lui faire la surprise...

― Est-ce que vous voyez quelqu'un qui pourrait lui en vouloir ? Demanda Antoine.

― Non, je ne vois pas. Est-ce que vous pensez que ce mec sur internet pourrait être assez détraqué pour...

― C'est une piste. Mais je ne pense pas, non. »

Absorbé par ses pensées, il laissa le témoin en plan dans la cuisine avant de rejoindre ses collègues.

&*&*&

Déjà une semaine de passée sur cette enquête et Antoine n'avait aucune piste. L'autopsie avait relevé des traces de somnifère et l'analyse du coussin avait confirmé l'hypothèse de l'asphyxie. Cette fois-ci, les techniciens de la scientifique n'avaient rien trouvé, ni traces quelconque, ni empreintes, ni ADN. Debout, fixant le mur sur lequel étaient accrochés des clichés des victimes et leur famille, les scènes de crime et une photographie de Jonathan Nowack, le commissaire tentait de faire le point. Une seule et même question le taraudait. Est-ce que ce jeune homme de dix-neuf ans pouvait avoir un lien avec leur affaire ?

Papy entra dans la pièce sombre, surprenant son supérieur dans sa rêverie.

« Tu en penses quoi ? demanda le quinquagénaire.

― Je n'en sais trop rien. Si c'est réellement ce Jonathan Nowack, il ne se serait pas présenté de son chef lors de l'enquête sur le meurtre d'Héléna Bertoli...

― Et si c'est bel et bien lui, c'était son meilleur atout pour brouiller les pistes. Tu sais, la psychologie d'un tueur, en particulier, d'un tueur en série, est très complexe...

― On ne peut pas encore parler de tueur en série. On n'a que deux meurtres qui semblent similaires. Ce n'est pas suffisant.

― Tu as une autre hypothèse alors ?

― La presse a beaucoup parlé du meurtre d'Héléna Bertoli, détaillant tout jusqu'à la robe rouge dont elle était vêtue lorsqu'on l'a trouvée. C'est peut-être une simple imitation. Un fanatique de trucs glauques qui aurait voulu s'essayer à l'habillage d'un cadavre. Ou alors l'ennemi juré de cette Sonia qui aurait trouvé l'idée du déguisement assez bonne...

― Tuc ne le sent pas ce jeune, et je peux t'affirmer que son instinct ne la trompe que très rarement.

― Tu as quoi sur lui ?

― Jonathan Nowack, dix-neuf ans, commença Gérard en relisant ses notes. D'un père inconnu qui l'a abandonné à la naissance. Élevé par sa mère qui était femme de ménage. Celle-ci est décédée en septembre dernier. Il est aujourd'hui accueilli chez un oncle.

― Sa mère ? C'était un meurtre ?

― Non. Cancer du pancréas diagnostiqué en phase terminale, mais c'est une piste qu'on pourrait suivre, non ?

― Donc tu penses comme Sandra ? Pour toi il est coupable ?

― Peut-être...

― Mais on ne peut pas l'arrêter pour le seul motif que sa mère est morte, sinon il faudrait arrêter tous les hommes de la région qui ont perdus un parent proche de sexe féminin l'année dernière.

― C'est sûrement le seul d'entre tous ces hommes qui correspond parfaitement au portrait-robot fait par la fille de l'accueil de l'hôtel...

― Et qui s'est présenté de son plein gré, je te le rappelle !

― Mais si on ne le met pas en garde-à-vue, on ne pourra pas comparer ses empreintes à celles trouvées sur notre première victime...

― Alors trouve-moi de quoi l'inculper ! »

Papy sortit de la pièce, agacé. Antoine était tout aussi stressé, voire pire. Il était d'accord avec Gérard sur un point. Cette même mise en scène pour les deux victimes faisait penser à l'acte d'un tueur en série, mais il subsistait des zones d'ombres.

En général, ces meurtriers multirécidivistes ont des rituels, ce qui semblait être le cas dans leurs deux affaires. Ce qu'il y avait d'étrange, c'était que les deux meurtres avaient étés commis à trois mois d'intervalle. Sans être un spécialiste des tueurs en série, la théorie voulait que les meurtres soient rapprochés de quelques jours, au pire d'une semaine. Trois mois, ça faisait trop.

La journée touchait à sa fin et Antoine s'apprêtait à rentrer chez lui quand Matéo fit son apparition.

« Désolé de te retenir, mais je n'en ai pas pour longtemps.

― Accouche...

― L'enquête de voisinage n'a rien donné. Personne n'a entendu, ni vu quoi que ce soit. Tous s'accordent à dire que notre victime était une fille gentille, discrète et serviable.

― Du côté du Flunch ?

― Les employés qui étaient de service ce soir-là ont bien reconnu la femme et l'on vu sortir avec un homme, mais aucun n'a pu me le décrire.

― J'ai trouvé... s'exclama Tuc en s'adressant aux deux hommes. Le gars que la victime devait rencontrer...

― Super ! Et ?

― Je l'ai convoqué pour demain à neuf heures. J'imagine que tu veux lui parler ?

― Bon boulot, Sandra.

― Et moi ? Demanda Matéo vexé.

― Toi aussi, Matt !

― Bon, on va fêter ça ?

― Je te remercie, Matt, mais je suis crevé. Je rentre et je vais me coucher, s'excusa Antoine.

― En fait, ce n'est pas Gérard qu'on devrait surnommer Papy, mais toi, siffla Matéo, un brin moqueur. »

Le commissaire avait mal dormi. Sa nuit avait été peuplée de cauchemars. Entouré de femme de trente ans, blondes aux yeux verts, habillées d'une robe rouge avec des escarpins assortis, il ne pouvait s'empêcher de leur écraser un coussin sur le visage. Il s'était réveillé en sursaut, trempé de sueur, à plusieurs reprises. Son mauvais rêve se répétait dès qu'il se rendormait. À quatre heures du matin, il tournait dans son lit, cherchant le sommeil qui ne venait plus. Il se leva et prit une douche brûlante avant d'aller au commissariat préparer son interrogatoire.

Assis sur sa chaise de bureau, le jeune commissaire, les yeux injectés de sang et cernés par le manque de sommeil, ruminait encore les informations qu'ils avaient obtenues, mais qui restaient trop vagues. Les questions se succédaient comme dans beaucoup d'affaires pour meurtre, mais le manque de réponses précises risquait de le rendre dingue. Absorbé par ses pensées, il n'entendit pas Sandra s'approcher.

« Tu es tombé du lit ?

― Quoi ? Balbutia-t-il.

― On avait pris l'habitude que tu sois à la bourre... pas si en avance.

― Je n'arrivais pas à dormir.

― Moi non plus...

― À cause de ce meurtre ?

― Hum, hum... Et toi ?

― Pareil.

― Bon. Je me suis renseignée sur le type du net que la victime devait rencontrer. Il s'appelle Joachim Godin, vingt-huit ans. Il a une petite tâche sur son casier qui date de ses dix-huit ans. Il aurait fait miroiter le grand amour à une fille pour lui soutirer du fric. C'est le père de la gamine qui a porté plainte pour escroquerie et abus de confiance.

― Des conséquences ?

― Faute de preuves, il a été relâché.

― Ok. Quoi d'autre ?

― Il était peintre en bâtiment, mais la boîte qui l'employait a fait faillite. Il est au chômage technique depuis février dernier.

― Je te remercie, j'ai tout ce qu'il me faut...

― Tu es sûr que tu ne veux pas que je l'interroge ?

― Non, je vais le faire moi, répondit Antoine sèchement.

― Désolée. Je ne voulais pas te vexer. C'est juste que tu as l'air crevé et je pense que tu ferais mieux de rentrer chez toi te reposer.

― Chez moi c'est encore pire, je suis seul. Donc, je n'ai personne à qui parler et confier mes doutes. Donc, je ressasse tout seul dans mon coin. Ici, au moins, j'espère trouver des réponses à mes questions.

― Je comprends. Je suis pareille. »

&*&*&

Un peu avant neuf heures, ce matin-là, un homme se présenta à l'accueil du commissariat pour une convocation. C'est Matéo qui était de corvée. Le jeune officier lui donnait la trentaine. Il mesurait un peu moins d'un mètre quatre-vingts. Le bleu guida le visiteur dans le bureau du commissaire qui lui fit signe de s'asseoir et renvoya son subordonné à ses occupations. Antoine pianota quelques secondes sur son ordinateur avant de commencer l'interrogatoire.

« Savez-vous pourquoi je vous ai convoqué, Monsieur Godin ?

― Je n'en n'ai pas la moindre idée. Excès de vitesse, peut-être ? répondit l'homme en haussant les épaules.

― Quelqu'un a retrouvé Sonia Garnier sans vie, chez elle, l'après-midi du vingt juin...

― Ah merde, Lâcha l'homme. Qu'est-ce qui s'est passé ?

― J'allais vous poser la même question. Nous savons que vous aviez rendez-vous avec la victime, le jour du drame à midi...

― Oui, mais j'ai décommandé.

― Pourquoi lui avoir donné rendez-vous dans ce cas ?

― Je n'avais pas envie de la rencontrer. Vous savez, je vais sur les sites de rencontres uniquement pour flirter. Je ne cherche pas l'âme sœur comme toutes ces midinettes. J'aime user de beaux textes pour faire rêver les filles et, si j'ai l'occasion de coucher je ne m'en prive pas. Mais avec Sonia c'était différent. Il y avait une alchimie entre nous et je savais que si on se voyait, la magie allait disparaître.

― Mais elle a insisté...

― Exactement. Et, fatigué de refuser ses avances, j'ai accepté de la rencontrer. Je me suis dit qu'en lui posant un lapin, je la dégoûterais et qu'elle m'oublierait.

― J'ai une autre théorie. Vous êtes allé à ce rendez-vous, sûrement par curiosité. La fille était jolie donc vous avez tenté votre chance. Elle vous a peut-être trouvé sympa et vous a invité à boire un dernier verre chez elle. Vous jouez le tout pour le tout et essayez de lui soutirer de l'argent. Elle refuse et vous sortez de vos gonds.

― Vous avez une imagination débordante, Monsieur le policier. Mais c'est totalement faux.

― On a trouvé une plainte pour abus de confiance et escroquerie... Vous confirmez ?

― Il y a bien eu plainte, mais il n'y avait aucune preuve. C'est le père de ma première copine qui s'est imaginé que j'essayais de soutirer du fric à sa fille chérie, juste parce qu'ils sont blindés de thunes !

― Ok, passons cet épisode et revenons au présent. Aujourd'hui vous avez une bonne raison de chercher à vous faire de l'argent facile...

― Je vois où vous voulez en venir. Heureusement que tous les chômeurs ne sont pas des voleurs sinon les commissariats seraient déjà over...

― Pouvez-vous me dire ce que vous faisiez le vingt juin aux alentours de quatorze heures ?

― J'étais chez moi. Seul.

― Ce n'est pas bon pour vous ça, vous le savez ?

― Je ne connais aucun texte de loi qui pourrait me mettre en prison pour être resté seul chez moi, sans personne pour le prouver, répondit Joachim d'un ton ironique.

― Et que faisiez-vous le dix mars dernier vers seize heures ?

― Vous croyez vraiment que je me souviens précisément de ce que je faisais il y a trois mois en arrière ?

― Faites un petit effort. Pour votre bien.

― Je ne sais plus, moi ! Je devais être au boulot...

― Impossible. J'ai vérifié, vous êtes inscrit chez Pôle-Emploi depuis février.

― Ou alors, j'étais chez moi... Ou chez des amis... Voir, sûrement dehors !

― Vous savez que je peux vous inculper ?

― Pour quel motif ?

― Le premier qui me vient serait entrave à la justice. Je pourrais même vous coller un outrage...

― Mais pas pour le meurtre en question, sinon vous ne me poseriez pas des questions si stupides... Et je vous rappelle qu'un policier n'a pas à menacer un suspect !

― Vous feriez un bon avocat... mais ne vous en faites pas, je vous coffrerais un jour. Pour meurtre ou autre chose... »

À défaut, Antoine dut le laisser libre.

Le lendemain soir sur BFMTV, une belle journaliste annonçait que la police stagnait concernant le meurtre de Sonia Garnier. Le principal suspect avait même été relâché.

Pour Antoine, c'était un échec de plus. Une affaire que le Proc' allait classer faute de preuves. Il but un verre de whisky cul-sec et partit se coucher.

 

3

 

La sonnerie du téléphone réveilla Antoine qui dormait comme un bébé. Ce matin-là, il sentait qu'il se faisait vieux, et pourtant il n'avait que trente-trois ans. Sa nuit avait été courte. Il avait passé la soirée et toute la matinée, en discothèque et dans les bars, accompagné d'une belle rousse qui dormait, blottie contre lui.

Ses quatre heures de sommeil ne lui avaient pas permis de décuver totalement, et c'est avec une gueule de bois carabinée qu'il décrocha instinctivement son téléphone. Il n'avait même pas pensé à regarder le nom de son interlocuteur, mais reconnut aussitôt la voix de sa petite sœur, Lisa, qui semblait complètement paniquée.

Alarmé, il se leva et se pressa d'enfiler ses vêtements d'une main, oubliant sa fatigue ainsi que l'étrangère étendue dans le lit.

« Lisa ! Souffle un bon coup et explique-moi calmement ce qui se passe, parce que là je ne comprends rien !

― Je viens de rentrer... de la plage... et, je ne sais pas... elle a l'air si paisible...

― Tu parles de qui ?

― Bien de Magalie, qui d'autre ?

― Ah, oui, souffla Antoine, je l'avais oubliée, elle.

― Ah ne commence pas ! Ce n'est pas le moment, cria Lisa.

― Désolé. Tu es où là ?

― Dans l'appartement secondaire de ses parents, à Cabourg.

― Tu as essayé de la réveiller ?

― Je n'ose pas, pleura-t-elle. En plus, elle est habillée en tenue de soirée. Une robe rouge que je n'avais jamais vue avant...

― Oh putain ! jura Antoine.

― Quoi ? Dis-moi ce qui se passe !

― Ne bouge pas ! Appelle le 17, tu m'envoies l'adresse. Je suis là dans un quart d'heures. »

Le commissaire finit de s'habiller à la hâte et mit sa tête sous l'eau fraîche pour se réveiller. Il secoua frénétiquement la fille et lui demanda de partir, sans prendre le temps de s'excuser.

Au volant de sa Dacia, il composa le numéro de Sandra.

« Salut... Tu n'es pas censé être en congé ? S'étonna-t-elle.

― Notre meurtrier a frappé à nouveau... à Cabourg. Je t'ai envoyé l'adresse. Embarque Papy et Matt, et rejoignez-moi !

― Déjà, tu peux dire « s'il te plaît » ? Et je te rappelle que ce n'est pas notre secteur !

― Je m'en tape, du secteur ! s'écria-t-il. Il s'en est pris à ma belle-sœur...

― Bah, fallait commencer par là... Ok, on te rejoint au plus vite.

&*&*&

À quelques minutes près, l'équipe caennaise se gara en même temps sur le parking d'un immeuble proche de la plage. Antoine eut à peine le temps de sortir de sa voiture que Lisa fondit en larme dans ses bras. Les collègues de Cabourg avaient déjà commencé leur travail et un officier vient à leur rencontre.

« Messieurs, Dames, Vous n'avez rien à faire ici. C'est une scène de crime.

― Commissaire Borly, se présenta Antoine en montrant ses papiers.

― Police de Caen ? Ricana l'officier. Je crois que vous vous êtes trompé de secteur.

― Cette jeune femme est ma sœur, expliqua Antoine en désignant Lisa. Et la victime est sa compagne...

― Ah ! Dommage... En tout cas ce n'est pas votre affaire, mais la nôtre.

― J'aimerais parler à votre supérieur, officier... Comment déjà ?

― Officier Delabre. Je suis désolé, mais le commissaire Jarret n'est pas encore arrivé...

― Ne joue pas au plus malin avec nous, s'énerva Papy.

― Non... mais...

― Eh ! Tout le monde se calme et quelqu'un m'explique ce qui se passe, lança un homme grand et chauve au regard froid.

― Les collègues de Caen cherchent à nous piquer l'enquête, se plaignit l'officier.

― Je m'en occupe, vous pouvez retourner au travail...

Commissaire Jarret, se présenta l'homme en s'adressant à Antoine. À qui ai-je l'honneur ?

― Commissaire Borly et le témoin est ma sœur. Votre victime est sa compagne...

― Je vois... mais vous n'êtes pas dans votre législation. Je vous demanderais donc de nous laisser faire notre travail et de rentrer chez vous. Vous comprenez...

― Je comprends, mais je peux vous aider dans votre enquête...

― En quoi ?

― D'après ce que ma expliqué ma sœur, la mise en scène s'apparente aux meurtres de deux autres femmes...

― Je vois où vous voulez en venir. Les meurtres de Caen et Hérouville... Vous vous trompez. Suivez-moi, vous allez comprendre. »

Antoine et Gérard emboîtèrent le pas de leur collègue tandis que Sandra et Mattéo restèrent avec Lisa.

&*&*&

« La victime est décédée aux alentours de seize heures cet après-midi. Les marques autour de son cou montrent que l'assassin l'a étranglée, potentiellement à main nue, avant de la déguiser de la sorte... déclara le médecin légiste.

― Vous voyez, le mode opératoire est différent, lança le commissaire en charge de l'affaire. Il y a fort à parier qu'il s'agit d'un plagiat.

― Ou alors, c'est le même meurtrier qui aura cédé à la panique, proposa Papy.

― Mais ce n'est qu'une hypothèse, grinça Antoine qui ne savait plus quoi penser.

― Je vous laisse interroger le témoin en premier dans un cadre tout à fait officieux, annonça le commissaire Jarret.

― Je vous remercie.

― Si cela peut vous réconforter, je compte vous donner des nouvelles sur l'évolution de l'enquête. Par contre cela doit rester strictement entre nous, sinon je risque des ennuis... Et vous aussi.

― Comptez sur moi. Et je ferais en sorte à ce que Lisa vienne donner sa déposition demain à la première heure.

― Bien. Allez, bonne soirée, Borly. »

&*&*&

Lisa semblait perdue. Ses yeux bleus, rougis par les larmes étaient écarquillés et s'étaient fixés droit devant elle. Incontrôlables, ses ongles griffaient la chair de ses bras. Antoine s'accroupit, faisant face à sa petite sœur et lui prit les mains, en espérant la ramener à la réalité.

« Qu'est-ce qui s'est passé ? Chuchota-t-il.

― On s'est disputées, répondit la jeune femme d'une voix atone en fixant soudain son frère.

― Elle t'a encore trompée ? râla Antoine sous le regard effaré de ses équipiers.

― Je ne sais pas. En tout cas ce n'était pas la cause de notre engueulade.

― Alors c'était quoi ?

― Toi...

― Comment ça ?

― Tu ne l'aimais pas et elle te le rendait bien, crois-moi. Alors quand je lui ai demandé de faire un effort pour me faire plaisir en venant avec moi te voir et qu'elle a refusé, je me suis braquée et on s'est disputées. On s'est traitées de tous les noms jusqu'à ce que je claque la porte... Si tu savais comme je m'en veux !

― Calme-toi, susurra-t-il en prenant Lisa dans ses bras.

― Je n'aurais pas dû la laisser...

― Ce n'est pas de ta faute !

― Si ! Tu te rends compte que si je ne lui avais pas demandé l'impossible et que j'étais venue te voir seule, on ne se serait pas disputées et elle serait sûrement encore vivante !

― Arrête ! Tu te fais du mal, là. On va retrouver le salop qui a fait ça, mais pour y arriver, il faut que tu répondes le plus précisément à mes questions.

― Ok.

― Après votre dispute, tu as fait quoi ?

― J'ai pris la voiture et je suis allé à la plage...

― Laquelle ?

― Celle de notre rencontre...

― Il était quelle heure quand tu es arrivée à Luc-sur-mer ?

― Treize heures trente, je crois.

― Et quand tu es rentré, tu n'as rien vu d'étrange ? Tu n'as croisé personne ? Des changements dans l'appartement ?

― Je n'ai vu personne. Par contre les draps ont été changés.

― Ils étaient comment ?

― Verts à pois blancs.

― Bon, tu dors chez moi et demain tu vas signer ta déposition à Cabourg. Va dans la voiture, j'arrive. »

Tandis que Lisa s'installait côté passager, Antoine rejoignit ses collègues.

« Putain, mais je suis sûr que c'est lui !

― Peut-être, mais je te rappelle que ce n'est pas notre enquête, trancha Sandra.

― Leur commissaire me tiendra au courant s'il y a de nouveaux éléments.

― Et tu lui fais confiance ?

― Oui.

― Ta sœur est lesbienne ? Demanda Matéo de but en blanc.

― Qu'est-ce que ça peut te foutre ? Lança Antoine, les yeux remplis de haine.

― Bon, tu nous expliques ce qui s'est passé avec ta belle-sœur pour que tu l'aies dans le nez comme ça ? le pressa Papy.

― C'était une allumeuse bisexuelle, qui m'a fait des avances et qui rendait ma petite sœur malheureuse, ça j'en suis certain.

― Mais il ne s'est rien passé entre toi et la victime, insista Matéo.

― Que je sache, ça me regarde ! »

&*&*&

Antoine n'eut que trois jours à attendre avant que le commissaire Jarret lui envoie des informations sur l'avancée de l'enquête concernant Magalie Desgranges.

Les deux gradés avaient sympathisé à plusieurs occasions lors de séminaires. De ce fait, et peut-être aussi parce que la victime n'était autre que la belle-sœur de Borly, le commissaire lui avait fait une fleur. Ce que le procureur en charge ne comptait pas faire. Dès qu'il eut vent de son aventure sur les lieux du crime à Cabourg, celui-ci voulut mettre les choses au clair avec Antoine.

« Il est hors de question que je vous laisse mettre votre nez dans cette affaire ! Lança le procureur. D'une part parce que celle-ci n'est pas de votre ressort. D'autre part, vous êtes trop impliqué puisqu'il s'agit d'un membre de votre famille...

― Cela changerait quelque chose si j'avais des informations sur le meurtrier ? Demanda Antoine d'un ton mystérieux.

― Je vois où vous voulez en venir. L'officier Delabre m'a parlé de votre hypothèse. Mais elle ne tient pas. La victime a été étranglée cette fois-ci et non étouffée avec un coussin. Vous le savez comme moi, si le mode opératoire change, il ne s'agit plus d'un tueur en série.

― Quelle est votre théorie alors ?

― Je pense que Jarret a raison. Vu l'ampleur médiatique et les détails qui ont fuité des locaux de la police, n'importe quel malade aurait pu se faire passer pour notre meurtrier.

― J'ai une absolue confiance en mes collaborateurs et je peux vous garantir qu'ils n'y sont pour rien... précisa Antoine vexé.

― Je m'en doute. Pour l'instant ce ne sont pas les fuites qui me font souci, c'est vous. L'affaire Desgranges reste celle de la police de Cabourg. Sachez que si je vous prends à y mettre votre grain de sel, je n'hésiterais pas à vous sanctionner. C'est clair ?

― Très, clair. »

&*&*&

Malgré la menace évidente, Antoine n'était pas prêt à laisser tomber sa sœur. Il y avait fort à parier que le commissaire Jarret s'était, lui aussi fait sermonner. Cependant cela ne l'empêcha pas d'envoyer par mail les nouveaux éléments dont il disposait. Une copie sur son ordinateur personnel plus un imprimé, c'était tout ce dont avait besoin le jeune commissaire de Caen avant d'effacer le mail incriminant.

Ce matin-là, il était sept heures et Antoine était déjà à son bureau, en pleine réflexion alors qu'il lisait la conclusion du médecin légiste. Il restait persuadé qu'un seul et même tueur était à l'origine des trois crimes. Son instinct le trompait rarement, mais il n'avait aucun élément tangible et un tribunal lui demanderait des preuves.

D'un autre côté, la théorie de Jarret, soutenue par le Proc', se tenait également. Comme l'avait souligné ce dernier, il y avait eu des fuites au sein du commissariat de Caen et la presse avait donné de nombreux détails sur les victimes et sur la méthode du tueur. Il était donc possible qu'un fanatique eut l'idée de passer à l'acte. Mais cette hypothèse semblait trop simple aux yeux d'Antoine.

« Eh bien tu arrives de plus en plus tôt... Tu es malade ? Demanda Sandra avec un grand sourire aux lèvres en pénétrant dans le bureau du commissaire.

― C'est peut-être parce qu'il s'agit de ma belle-sœur, lança Antoine qui n'était pas d'humeur à la plaisanterie.

― Excuse-moi, c'était déplacé.

― Non, c'est moi. Je dois avouer que je ne suis pas une très bonne compagnie en ce moment. Surtout avec les menaces du Proc'...

― Qui te passent par-dessus, vu ce que je vois entre tes mains...

― Si tu veux baver pour te faire mousser, rien ne t'en empêche, râla Antoine.

― Je pensais que tu me connaissais mieux que ça, souffla Sandra en faisant mine de se diriger vers la porte.

― Excuse-moi. C'est juste qu'en six mois on a subi deux échecs. Si je devais en affronter un troisième, surtout celui-là... je ne le supporterais pas.

― Je te comprends. Alors on va faire en sorte de résoudre cette affaire coûte que coûte, en oubliant le Proc'... »

Matéo et Papy arrivèrent en même temps. Le commissaire expliqua à son équipe son entrevue avec le procureur et leur parla des sanctions qu'ils risquaient de subir s'ils décidaient de le suivre.

« On travaille ensemble depuis quelques années maintenant et on est comme une famille, déclara Papy en scrutant chacun de ses collègues qui hochèrent la tête. Là, je parle pour nous tous... On sera toujours de ton côté, même si nos carrières sont en jeu.

― Merci les amis, chuchota Antoine ému.

― Bon, assez bavassé. Qu'ont données les analyses, demanda Matéo sous les yeux effarés de ses collègues.

― Comme pour les deux autres meurtres, la victime a été retrouvée allongée sur son lit, habillée toute en rouge jusqu'aux ongles. Le légiste a trouvé des traces de somnifères dans son sang, annonça Antoine.

― Ok, assez pour les similitudes, s'agaça Sandra. Quelles sont les différences ?

― Magalie... enfin la victime n'a pas été asphyxiée avec un coussin, mais étranglée. De plus ma sœur... enfin, sa compagne m'a affirmé que les draps ont été changés avant qu'elle ne rentre.

― Il suffit de retrouver les draps pour avoir l'ADN du tueur, remarqua Matéo.

― Pas si simple. On ne sait pas dans quelle rue l'assassin les a jetés. De plus le camion poubelles est passé un quart d'heure avant l'arrivée de la police sur les lieux. Alors si tu veux perdre du temps à fouiller la déchetterie de Cabourg, sans certitudes de les trouver, ce sera sans moi, lança Sandra sarcastique.

― On se calme et on réfléchit, proposa Papy. S'il s'agit bien du même meurtrier, pourquoi aurait-il changé de processus pour sa troisième victime ?

― Pour brouiller les pistes ? Soumis Matéo.

― Ah, j'ai une idée, s'extasia Gérard en attrapant un calepin et un stylo. Antoine, ta sœur et la victime avaient combien d'écart ?

― Cinq ans, je crois.

― Et la plus jeune c'était ta sœur ?

― Oui, et ?

― Tu nous as bien dit que ta belle-sœur est bi et qu'elle t'a dragué ?

― Exact, grinça Antoine irrité.

― Et tu es plus jeune qu'elle ?

― De quelques années, oui... Au risque de me répéter, tu veux en venir où ?

― J'y viens. Donc elle aime fréquenter des personnes plus jeunes qu'elle...

― Cougar ? s'extasia Matéo.

― Pas exactement puisqu'elle avait une attirance pour des personnes d'environ cinq ans de moins qu'elle. On parle de cougar quand l'homme a au minimum dix ans de moins...

― Ah... Je vois... souffla Sandra qui se mit à penser tout fort. Imaginons que cette fois-ci, la victime se soit entichée d'un gosse...

― Un gosse ? Demanda Antoine dubitatif.

― Majeur bien sûr. Donc entre dix-huit et vingt-cinq ans. Sûrement puceau, mignon...

― Ils commencent le câlin... notre tueur perd son sang-froid et l'étrangle au lieu de prendre le coussin... continua Papy, enjoué.

― Oh, mais j'y pense... Ce Nowack... rappela Sandra. Le gars qui s'était présenté lors de l'appel à témoin sur l'affaire Bertholi...

― C'est vrai qu'il pourrait correspondre, surenchérit Papy.

― Tout comme Joachim Godin qui n'a que vingt-deux ans... Eh, les gars, je vous rappelle qu'on a besoin de preuves et que là, vous ne faites que des suppositions ! S'énerva Antoine.

― Et moi, je te ferais remarquer que pour avoir des preuves il nous faudrait de l'ADN ou des empreintes, ce que l'on n'a pas ! Répondit Papy tout aussi agacé. »

&*&*&

Antoine rentra chez lui, harassé de sa journée. Son après-midi avait été faite de cambriolages, de vols à la tire et d'agressions, mais ce qui l'avait hautement épuisé, c'était toutes ces questions qui le taraudaient. Sa belle-sœur était-elle vraiment cougar ? Et dans ce cas, était-ce ce qui l'avait envoyé six pieds sous terre ? Il avait promis à Lisa de lui donner toutes les informations dont il disposerait, mais il n'en avait aucune. Les seules théories réalistes risquaient d'anéantir sa petite sœur, ce qui le tint éveillé la nuit durant. Il profita de son insomnie pour envoyer un mail à son homologue de Cabourg, lui précisant l'hypothèse de Gérard. En espérant qu'il ne se moque pas.

&*&*&

Deux semaines plus tard, Antoine reçut un mail de Cabourg, lui annonçant qu'ils avaient un suspect. Un certain Joachim Godin, qui était sur les lieux du crime l'après-midi du meurtre. Le commissaire était soulagé. Il pouvait enfin affirmer à sa sœur qu'ils avaient probablement trouvé l'auteur du crime, mais lorsqu'il le fit, celle-ci n'eut pas la réaction qu'il attendait.

« Tu te fous de moi ? Joachim ? répéta Lisa, visiblement atterré.

― C'est la seule piste que l'on ait.

― Mais c'est impossible ! C'est son meilleur ami... Il n'aurait jamais pu faire ça !

― Tu ne sais pas ce que peut faire un soi-disant « meilleur ami » parfois, avait répondu Antoine calmement.

― Joac, c'était notre témoin lorsqu'on s'est pacsées ! Rétorqua Lisa avant de partir énervée.

&*&*&

Quelques jours plus tard, Antoine reçut un second mail du commissaire Jarret. Un mail d'excuse, lui expliquant qu'ils s'étaient trompés. Le fameux Joachim était à un mariage à l'heure du meurtre et il avait dix témoins qui pouvaient l'attester.

Antoine ne savait qu'en penser.

Après un mois d'investigation sans résultat, Jarret lui annonçait que le procureur avait classé l'affaire. C'en était trop pour le jeune commissaire de Caen. Sa décision était prise.

Un soir, dans son bureau au commissariat, Antoine convoqua son équipe. Il avait une grande nouvelle à leur annoncer. Pour lui, elle était bonne et c'était la seule solution. Pour l'équipe, celle-ci risquerait d'être très mauvaise et de les choquer.

« Tu as mis une femme en cloque et tu vas l'épouser ? Plaisanta Sandra.

― Pas exactement, répondit Antoine qui redoutait leur réaction.

― Alors ? Qu'est-ce qui se passe ? Demanda Papy inquiet.

― Tu as eu un blâme ? Tu as une mise à pied ? Surenchérit Matéo sous les regards noirs de Sandra et Gérard.

― Ni l'un, ni l'autre, répondit Antoine d'une voix atone. J'ai déposé ma démission ce matin...

― Tu as fait quoi ? Demanda Sandra hébétée.

― Je te l'avais dit et, là, je le confirme, ce nouvel échec je ne le supporte pas...

― Et tu vas faire quoi ? Demanda Matéo abasourdi.

― Ne t'en fais pas pour moi, je sais déjà ce qu'il me reste à faire...

― Comptes sur moi, déclara Sandra qui comprit avant ses collègues.

― Tu me connais... sourit Gérard. Tu peux compter sur moi...

― Quelqu'un va m'expliquer, s'impatienta Matéo qui ne comprenait pas.

― Si je veux continuer mon enquête, ce n'est pas dans la police que je pourrais le faire, expliqua Antoine. Je dois me mettre à mon compte, en tant que détective privé... Et j'aurais sûrement besoin d'aide...

― Ah, là je comprends mieux, sourit Matéo. Bien sûr que je suis avec toi !

 

 

 

 

 

 

 

 

Mars 2012

 

Aujourd'hui, j'ai décidé de faire un tour dans ma nouvelle ville en sortant de l'université. À dix-sept heures, le soleil ne resterait pas longtemps et je voulais voir la beauté d'Annecy avant qu'il ne se couche.

Entre lac et montagnes, cette ville Haute-Savoyarde est pleine de charme.

Il faudra qu'un jour je prenne le temps d'une randonnée pour voir le spectacle en hauteur, j'imagine que cela doit valoir le détour.

Assoiffé, je me suis arrêté dans un bistrot pour commander un demi. Ce soir, Annecy n'était pas la seule à être sublime.

Une femme d'une trentaine d'années passée était assise au comptoir. Elle semblait arasée d'une journée de travail bien remplie. Mon verre était vide et je remarquais que le sien n'allait pas tarder à l'être. À moins que la malchance joue en ma défaveur, faisant que la femme commande un second verre, il était temps pour moi de me ruer vers la sortie si je voulais avoir une possibilité de l'intercepter. Je me levais et fis mine de prendre un appel en collant mon portable à l'oreille. En sortant précipitamment, je la bousculais en m'excusant d'un geste de la main. J'épiais discrètement la belle qui sortait un billet en me tournant le dos. Je n'eus qu'à attendre que quelques secondes avant qu'elle ne se dirige vers moi. Je me retournais et la regardais me devancer. Je ne savais pas trop comment l'aborder sans passer pour un gros lourd, voire un pervers. J'allais baisser les bras en me disant que c'était couru d'avance quand j'eus une idée farfelue.

Je me mis à lui courir après elle en la hélant. Arrivé à sa hauteur, je la saluais comme si nous étions de vieux copains.

« Vous êtes ? Demanda-t-elle incrédule.

― Tu ne te souviens pas de moi ? Demandais-je sur un air contrit.

― Pas du tout.

― On était à l'école ensemble...

― Je suis désolée, je ne me souviens pas, répondit-elle en tournant les talons.

― Vous n'êtes pas Magalie ?

― Non, moi c'est Justine...

― Ah. Désolé pour le dérangement alors, murmurais-je en faisant semblant de m'éloigner.

― Vous ne m'avez pas vraiment dérangée. C'est juste que j'ai passé une journée épouvantable et que j'ai hâte de rentrer chez moi...

― Je vous comprends. Je peux vous avouer quelque chose ?

― Dites toujours.

― Vous lui ressemblez beaucoup, à Magalie... Vous avez le même sourire et je vous garantis que vous êtes aussi belle, si ce n'est plus.

― C'est gentil, sourit-elle. Vous habitez loin ? Je peux vous ramener si vous voulez...

― Albertville, mais je vais me débrouiller pour rentrer. Je vous remercie.

― Je peux au moins vous offrir un verre ? Mon appartement n'est pas très loin et ça me fait plaisir.

― Proposé si gentiment, je ne peux qu'accepter...

&*&*&

En entrant dans l'appartement, j'eus la désagréable impression de pénétrer dans la tanière d'un homme et ma première idée était de fuir comme si j'avais peur qu'un amant entre par surprise et me zigouille. Tout dans ce lieu me faisait imaginer qu'un homme vivait avec elle. Pourtant, je ne voyais aucune photo d'elle et de la personne qui partageait sa vie.

En tout cas, j'attendais ce moment délectable depuis si longtemps que je ne pouvais pas me débiner à la moindre contrariété.

Je pris sur moi pour ne pas montrer ma gêne et m'assis sur un fauteuil en cuir en posant mon sac à dos à mes pieds.

Justine sortit de la cuisine quelques minutes plus tard avec deux verres de vin rouge. Du bon, d'après mon palet. Je le dégustais tout en cherchant à en savoir plus sur ma proie.

« Vous vivez seule ?

― Vous êtes bien curieux, Monsieur.

― Je demande parce que je ne vois pas de photos...

― Mes souvenirs restent gravés dans ma mémoire... Et pour satisfaire votre curiosité mal placée, je vis seule, mais mon cœur est déjà pris !

― Ah...

― Et sans vouloir vous offenser, vous n'êtes vraiment pas mon type...

― Alors c'est quoi votre type ?

― Si vous aviez une poitrine, vous seriez plus à mon goût... lança-t-elle sur un ton de défi.

― C'est pour la même raison que vous êtes parfaitement... à mon goût.

Elle se leva et se dirigea dans la cuisine. J'en profitais pour lui demander où se trouvaient les toilettes. Elle me répondit de loin et je m'éclipsais.

Autant, elle m'avait avoué son penchant pour les femmes, ce qui me faisait fantasmer, autant sa pharmacie m'apprit qu'elle était sujette à la déprime. Elle collectionnait les somnifères et les antidépresseurs. Je décapsulais deux somnifères au cas où et retournais dans les WC pour tirer la chasse d'eau.

Assise devant deux autres verres, Justine m'attendait sagement. En m'approchant, je m'excusais de la déranger et lui demandait un mouchoir. Elle se leva à nouveau et je profitais des quelques secondes de son absence pour ouvrir la gélule et verser la poudre blanche dans son verre. Elle me tendit une feuille de Sopalin et je mouchais ce que je pus en la regardant engloutir son verre d'un trait. Je décomptais dans ma tête. À zéro, elle s'endormit comme une masse.

Je l'ai porté jusqu'à son lit. Elle était vraiment belle avec ses longs cheveux blonds bouclés. Sa petite robe était assez remontée et j'aperçus sa petite culotte blanche ce qui me fit fantasmer. Le souvenir de maman ne me laissa guère de temps pour les idées malsaines. Je posais délicatement la femme sur le lit et partit récupérer mon sac dans le salon. Dans le couloir, je m'imaginais lui faisant l'amour. Je pouvais presque l'entendre jouir. Et la seule question qui me vint alors à l'esprit resta en suspens. Est-ce qu'un jour je serais capable de faire l'amour à une femme avant de la tuer ?

Maman me ramena vite à la réalité et je rejoignis la belle endormie pour commencer le travail.

Après l'avoir étouffé en évitant soigneusement de me faire griffer par ces ongles longs, je les lui coupais. Enfin nue, je l'ai lavée soigneusement avant de la sécher. Je l'ai habillée, maquillée avant de passer le collier de nacres autour de son cou. Mon moment de pur bonheur reste la pose du vernis. C'est la beauté, le geste féminin par excellence. C'est comme si, par cet acte gracieux, je la rendais plus femme qu'elle n'a pu l'être jadis, la ravivant en quelque sorte.

Difficile à comprendre et tout aussi difficile à expliquer.

Bien centrée dans le lit, entourée de sept roses blanches, la belle au bois dormant vêtue de rouge semblait regarder Dieu. Je fixais le souvenir de ce moment magique dans mon téléphone avant de réfléchir à ce qu'il me restait à faire.

&*&*&

Tout d'abord, la vaisselle pour enlever toutes traces de salive et d'empreintes. Ensuite, un coup de serpillière dans tout l'appartement parce que l'on traîne souvent beaucoup de choses sous nos semelles. Enfin, refermer derrière moi et rentrer. Ce qui ne fut pas de tout repos à plus de vingt heures le soir. La tournée des bus se terminant qu'à 19h45. J'ai donc dû faire du stop, poireautant au bord de la route durant presque trente minutes. Il faut dire que passé dix-neuf heures, un lundi soir, il n'y a pas grand monde sur la route. Lorsque je posais mes fesses sur mon canapé, il était près de vingt-deux heures.

J'eus à peine le temps d'envoyer un texto à William pour lui demander de me rappeler, avant de m'endormir à mon tour.

 

4

 

La scène de crime était déjà délimitée par la rubalise de la scientifique lorsque l'équipe du commissaire Farges gara le Partner de la police d'Annecy sur le parking du parc de la ville avant de rejoindre à pied l'immeuble où avait eu lieu un crime. Le quinquagénaire aux cheveux gris coiffés en brosse était grand et large d'épaules. Son visage carré et ses yeux bleus électriques ne faisaient qu'amplifier sa stature imposante. Le commissaire s'avança vers le médecin légiste qui était penché sur le corps.

Pour ses deux collègues, la scène semblait plus hypnotisante qu'horripilante, leurs yeux écarquillés le prouvaient. La victime, qui devait avoir une trentaine d'année, semblait implorer le Ciel de sa clémence. Vêtue d'une robe de soirée rouge, des escarpins et du vernis assortis, on l'imaginait parfaitement rentrant d'une soirée entre amis et s'allonger sur son lit, éreintée. Le commissaire resta de marbre, mais ce n'était qu'une façade. Sa façon à lui de se protéger. En imaginant sa propre fille, vêtue de la sorte et allongée sur ce même lit, il se mit à frissonner discrètement. Il ne pouvait et, surtout ne devait pas, montrer ses faiblesses à ses équipiers. En un clin d'œil, il effaça cette image glaçante et entrepris de questionner le légiste.

« À quelle heure remonte la mort ?

― Si je me fie uniquement à la rigidité cadavérique et à la température du corps, je dirais entre dix-huit heures trente et vingt et une heures, répondit le Docteur Skarnowsky en continuant son examen.

― Une idée des circonstances de la mort ?

― Sans aucun doute, notre victime a succombé à une asphyxie, probablement due au coussin qui se trouve à côté de son crâne, affirma le médecin concentré sur le cadavre qui s'offrait à lui. J'ai aussi remarqué une trace de piqûre dans le cou de la victime, ce qui laisse à penser que son agresseur lui a injecté un produit. L'autopsie m'en dira davantage.

― Florence, je te laisse récolter ce que tu peux auprès des voisins, malgré l'heure tardive. Si tu n'as rien de probant, recommence demain matin.

― Bien, chef.

― Sarah, tu t'occupes d'interroger le témoin principal... Au fait, il s'agit de la femme de la victime, déclara-t-il avec une moue montrant son dégoût.

Sarah ne releva pas le ton méprisant de son supérieur qui était connu de tous comme le pire des homophobes.

Le brigadier Florence Verrier prit sa mission très à cœur, même si elle savait pertinemment qu'elle serait forcée de recommencer le lendemain matin. Elle avait tout à prouver.

De son côté, le lieutenant Sarah Duguey se dirigea vers la compagne de la victime. Elle était décidée à faire parler le témoin coûte que coûte, pour montrer à son chef de quoi elle était capable.

« Bonjour, je suis le lieutenant Duguey... Et vous ?

Le témoin ne réagit pas. Inlassablement dans ses pensées, profondément choquée, la jeune femme semblait ne plus rien voir d'autre que le bitume sur lequel ses yeux s'étaient fixés. Sarah comprit qu'elle n'y arriverait pas. Une idée germa dans son esprit. Avant que Florence ne se mette en route pour parler aux voisins, elle proposa à sa collègue un deal. Un échange de bons précédés. Le commissaire n'aimait pas que ses adjoints échangent leur rôle dans son dos, mais, parfois la nécessité s'imposait. Ce qui était le cas ce soir-là. Chacune accepta de faire le rapport sur la mission que l'autre signerait comme il se devait.

Florence s'assit sans bruit auprès de son témoin. Après avoir laissé passer un blanc pesant, profitant du ciel dégagé pour voir les étoiles jaillir de la voie lactée, le brigadier prit la parole.

« Je sais ce que vous vivez...

― Ah oui ? Lança la femme instinctivement.

― Il y a quelques années, j'ai perdu un être cher. Mon meilleur ami s'est suicidé. Aujourd'hui encore, je cherche à savoir pourquoi.

― Sauf que dans mon cas, il ne s'agit pas d'un suicide, répondit froidement le témoin. Ma femme s'est faite assassiner. Et c'est à vous de me dire pourquoi...

― Mais pour trouver une explication, et surtout le coupable, j'ai besoin de vous. Surtout de vos réponses.

― Allez-y, je n'ai rien à cacher.

― Comment vous appelez-vous ?

― Marlène Valserine.

― Vous êtes la compagne de la victime, n'est-ce pas ? Demanda Florence qui avait allumé un dictaphone.

― C'est exact, répondit le témoin d'un ton cordial, comprenant qu'elle était enregistrée.

― Que faisiez-vous ce soir, avant cette terrible découverte ?

― Je travaillais. Je suis aide-soignante à l'hôpital de Seynod.

― À quelle heure avez-vous trouvé la victime ?

― J'ai fini à vingt et une heures trente. Le temps de rentrer, il était vingt-deux heures.

― Connaissez-vous quelqu'un qui pourrait en vouloir à votre compagne ?

― Non. Vous savez, Justine avait le cœur sur la main. Elle est... Enfin... était professeur des collèges et elle voulait aider tout le monde, ses élèves autant que les parents paumés.

― Y a-t-il des parents d'élèves qui avaient quelque chose à lui reprocher ? Des comportements inappropriés ? Une pédagogie qui ne leur convenait pas ?

― Il y a bien Monsieur Bonnaz, qui d'après Justine, n'aimait pas la façon dont elle parlait à son fils. Je crois qu'il a cru qu'elle lui faisait du charme, voire des avances, alors que n'importe qui la connaissant un tant soit peu, savait qu'elle n'avait de cesse de vouloir aider les brebis égarées, comme elle les appelait.

― Si je comprends bien, vous pensez que cet homme pourrait être l'agresseur de votre femme ?

― Je n'en sais rien. Justine m'a parlé de lui un soir. Elle m'a dit qu'elle le trouvait borderline et qu'elle ne se sentait pas vraiment en sécurité. De là à parler d'un assassin...

― Bien, je vous remercie pour votre coopération. Je vous laisse nous retrouver demain matin au commissariat pour signer votre déposition, et si nous avons d'autres questions, nous vous recontacterons. Je compte sur vous pour faire de même si autre chose vous revient d'ici-là, dit Florence en lui tendant sa carte professionnelle »

Comme elle s'en doutait, Sarah récolta tous les honneurs. Même si, en réalité, c'était Florence, le petit brigadier, qui avait interrogé le témoin, c'était Sarah qui avait signé, et donc gagné.

D'un autre côté, la seule satisfaction que Florence trouva à cette ironie, c'était de se dire qu'elle l'avait échappé belle finalement. Sarah récoltait peut-être les lauriers, mais également les responsabilités qui allaient de pair. Elle devrait trouver au plus vite un suspect pour le juge, sans quoi son grade serait mis en jeu. Sans l'avoir rencontré, tous connaissaient la réputation du juge Bellini, qui était le genre qui peut faire sauter n'importe quelle carrière s'il n'a pas ce qu'il demande en temps et en heure, surtout lorsqu'il s'agit de lieutenant qui prennent la grosse tête.

Automatiquement, le stress de Sarah se déversa sur la plus faible du moment. L'enquête de voisinage n'avait rien donné, mais Sarah s'obstina à envoyer le brigadier sillonner la zone une fois encore, comme si elle voulait lui faire payer ses responsabilités dangereuses.

Cela lui semblait encore impossible, mais Florence avait mené son enquête de voisinage à bien, ce que Sarah n'avait pas réussi à faire. Elle le devait à la seule personne qui avait accepté de lui avouer tout ce qu'il savait. Le voisin de palier de la victime lui avait donné l'impression d'un homme bourru, sans gêne et plutôt rustre. Cependant, son témoignage n'était pas sans être intéressant. Le petit homme, d'une soixantaine d'années et au ventre proéminent lui avait avoué être adepte du voyeurisme et qu'il espionnait régulièrement sa jeune voisine. Vissé au judas de sa porte, il l'avait vu, le soir fatidique, invitant un homme de grande taille à entrer chez elle. Malheureusement, il n'avait vu que le sac à dos qui était noir et gris de marque “ Eastpack ”. Il n'avait pas vu son visage et ne pouvait donc pas faire un portrait-robot. Le voisin décrivit cependant, un jeune homme à la voix grave, le crâne rasé, vêtu d'un tee-shirt noir et d'un jean de même couleur. Il ne semblait pas malintentionné et le voisin en avait conclu qu'il s'agissait d'un ami de sa jeune voisine.

Florence attendit la réunion journalière pour donner ses informations à tout le monde. Pour une fois, le lieutenant ne récolterait pas tous les honneurs.

Le juge Bellini informa l'assemblée de l'enquête qui les inquiétait, donnant les détails de la scène de crime, qui replongea péniblement le brigadier sur cette scène qui l'avait tant dérangée.

Chacun son tour fut interrogé sur les avancées de l'enquête.

Sarah parla en premier du principal témoin, la femme de la victime. Florence refoula l'envie de crier que c'était elle qui avait trouvé ces informations.

Prenant sur elle, Florence était satisfaite d'avoir coupé l'herbe sous le pied de sa supérieure, qu'elle jugeait hautaine et hypocrite. Elle pouvait enfin apprécier les gratifications qui lui étaient dues.

&*&*&

Dans le bureau du lieutenant, l'heure était aux réprimandes et Florence ne comptait pas se laisser faire.

« Pourquoi ne m'as-tu pas parlé avant de ton entrevue avec le voisin de la victime ? Assena Sarah.

― Tant que je vous vouvoie, je vous prierais d'en faire autant, souffla froidement Florence.

― Bien ! Je réitère donc ma question, brigadier, pourquoi avez-vous omis de me parler de votre entretien avec le voisin de notre victime ?

― Sans vouloir vous manquer de respect, lieutenant, je ne dois de compte qu'au commissaire Farges. Ne l'ayant pas vu avant, j'ai fait part à tous de ma découverte lors du débrief... »

Le commissaire de la police d'Annecy fit son entrée au même moment. Fort de sa personnalité froide et de son impartialité, il en imposait auprès de tous ses officiers, mais surtout, auprès des membres son équipe qui retint son souffle.

« Quand est-ce que vous allez arrêter vos chamailleries, les filles ?

― Mais, elle aurait dû m'en parler avant, se plaignit Sarah en lançant un regard mauvais à sa collègue.

― Pour que tu te fasses mousser ? Se moqua le commissaire. Brigadier Verrier, je vous comprends, souffla-t-il à Florence sur un ton plus doux. Cependant, le lieutenant à raison, vous auriez dû la tenir informée des avancées de l'enquête.

― Mais vous avez dit vous-même que vous me comprenez, s'excusa Florence.

― J'ai dit que je vous comprends, non que j'approuve votre comportement envers votre supérieur direct.

Le petit sourire moqueur de Sarah finit d'exaspérer Florence qui allait répondre lorsque le commissaire reprit la parole.

― Brigadier, je connais vos compétences... et force est de constater que vous avez envie de répondre. Je vous donne donc l'occasion de le faire sans retenue.

― Je vous remercie, Commissaire, répondit calmement Florence en se tournant vers Sarah avec une lumière nouvelle dans les yeux.

» Lieutenant, si vous ne croyez plus au bien-fondé de votre travail, ce n'est pas mon problème. Si vous délaissez les intérêts des victimes pour de simples chiffres, libre à vous. Cependant, moi, je reste convaincue que les victimes et leurs familles sont les premières impactées face aux atrocités des pervers que nous traquons chaque jour. Pour répondre à votre question, à savoir pourquoi j'ai omis de vous parler de mon entrevue avec un témoin, la réponse est simple.

» À la fin de ma première année dans ce commissariat, vous étiez mon mentor. Cependant, après cinq à vos côtés, je n'ai eu droit qu'à votre jalousie et à votre orgueil. Si ce métier, qui consiste à aider les victimes et à donner un sens aux familles face à la mort et à la délinquance, ne vous atteint plus, moi, ce n'est pas de ma faute. Pour ma part, c'est une vocation et je ne laisserais donc personne m'empêcher de trouver...

― C'est bon, je crois qu'elle a compris, coupa le commissaire avant de sortir de la pièce.

Florence regarda les yeux revolvers qui la fixaient d'un regard noir, avant de s'énerver pour de bon.

― Je te rappelle juste que quand tu m'as demandé d'interroger le témoin-clé de cette affaire, parce que tu ne savais pas comment t'y prendre, je l'ai fait sans broncher. Non plus, quand tu t'es approprié cet interrogatoire, qui finalement était mon affaire. Non plus encore, quand tu m'as relégué à ce que tu considérais comme la basse besogne. L'enquête de voisinage, qui, apparemment a donné quelque chose avec moi. Donc maintenant, je te prierais d'oublier tes airs condescendants et suffisants avec moi, puisque tu ne fais pas mieux... voire pire !

Puis, Florence claqua la porte de ce bureau qui n'était pas le sien, laissant Sarah sans voix.

&*&*&

Sarah rentra chez elle, la rage au ventre. L'affront que lui avait fait sa subordonnée lui paraissait insurmontable. Jamais au paravent, Florence n'avait eu de mots déplacés à son égard. C'était, pour le lieutenant, une première qui la déconcertait, mais elle ne comptait pas en rester là. La petite jeune commençait sérieusement à lui taper sur le système. Sarah était décidée à faire comprendre à mademoiselle « je-suis-meilleure-que-tout-le-monde » que sa place était parmi les plus bas échelons de la police.

Florence, elle, était tellement remontée contre son supérieur que la seule idée de rentrer chez elle et ressasser ce qu'elle venait de dire haut et fort l'énervait davantage. Son seul moyen pour se calmer et retrouver ses esprits était de marcher. Prendre l'air pour ré-oxygéner son cerveau. Sa marche intensive porta ses fruits au bout d'une heure. Ce temps-là lui permis de réfléchir à ce qu'elle avait dit et aux conséquences que cela pourrait engendrer.

Consciente que si quelqu'un avait eu vent de leur échange, elle pourrait être mise à pied et dessaisie de l'enquête, elle n'avait, par ailleurs, aucun regret. Elle s'était laissé faire trop longtemps par cette femme aigrie et désabusée par son travail. Celle-là même qui n'aimait visiblement pas les gens et ne trouvait satisfaction qu'en faisant du profit et en relevant des défis, même à l'insu des victimes. Florence détestait ce genre de personnage qu'elle considérait indigne de la police.

Le lendemain matin fut rude pour les deux policières qui avaient très mal dormi.

L'atmosphère du commissariat était pour le moins étrange. Leurs collègues n'avaient de cesse de les regarder du coin de l'œil, visiblement désolés pour elles. Les raisons de ces regards timides et des messes basses étaient claires, elles allaient avoir des problèmes. Chose qui se confirma lorsque le commissaire les fit convoquer immédiatement dans son bureau.

En entrant dans la spacieuse pièce à la décoration sobre, les policières découvrirent Farges assis sur sa chaise. Il avait l'air à la fois énervé et stressé, ce qui ne fit qu'électriser d'avantage la pièce qui semblait chargée en électricité statique. Derrière lui, debout, se tenait un homme grand, aux épaules larges. Il leur tournait le dos, mais son costume trois pièces ne laissait aucun doute, il s'agissait d'un magistrat.

L'homme se tourna et le commissaire le présenta comme le juge Bellini qui était en charge de l'affaire. Les deux femmes se souvenaient de lui. C'était d'ailleurs sa dernière réunion concernant cette affaire de meurtre qui avait ravivé les tensions entre les rivales. Cependant, elles ne l'avaient vu que de loin. Elles remarquèrent son front dégagé, ses petits yeux noirs, son nez aquilin et sa bouche qui ne formait qu'un simple trait, faisant penser à une caricature.

Les policières se regardèrent en étouffant un rire commun.

Leur intimant qu'elles pouvaient s'asseoir, le juge les fixa un instant avant de commencer sa tirade en déambulant dans les quatre coins de la pièce.

« Mesdames, vous me décevez, déclara le magistrat d'un ton ferme. Et avant de vous entendre, je tiens à préciser que ce n'est pas le commissaire qui est venu se plaindre de votre comportement, même s'il aurait dû m'en faire part avant, souffla-t-il en fixant Farges de ses petites billes menaçantes. Malheureusement pour vous, j'étais dans vos locaux, hier soir, et j'ai tout entendu. Vous conviendrez que je ne peux pas laisser passer de tels comportements.

― Oui, mais... se défendit Sarah alors que Florence restait de glace et que le commissaire se liquéfiait sur place.

― Je vous prierais de me laisser finir avant de prendre la parole, souffla le juge agacé. Vous étiez peut-être énervées, voire enragées, en rentrant chez vous. Aussi bizarre que cela puisse paraître, ce n'était pas mon cas. Certes, j'étais agacé, mais le pire c'est que je me suis posées beaucoup de questions sur votre compte. Pour y répondre, je me suis penché sur vos états de services et j'ai également questionné vos anciens collègues ainsi que les plus récents. D'ailleurs, vous m'excuserez auprès d'eux pour les avoir dérangés à une heure si tardive. À votre avis, qu'en est-il ressorti ?

― À vous de nous le dire... lança Sarah qui décida de jouer la carte de la provocation.

― C'est une question ouverte... et puisque vous semblez avoir tellement envie de parler, répondez-moi, Lieutenant Duguey. Qui êtes-vous dans votre travail ? Quel est votre tempérament et vos motivations ? Par pitié, ne me dites pas que c'est une vocation.

― Franchement ? Non, ne n'est pas une vocation, loin de là. J'ai toujours été une élève sérieuse, je faisais la fierté de mes parents. La seule ombre au tableau c'est que je ne savais pas ce que je voulais faire de ma vie. Je n'avais pas de métier précis en vue, comme la plupart de mes camarades. Alors quand l'occasion de me former à un métier précis s'est présenté, je n'ai pas hésité une seconde. Pour ce qui est de mon tempérament, chaque enquête est pour moi un défi personnel.

― Bien, je comprends mieux. C'est peut-être ce dernier aspect qui fait que vos collègues vous trouvent injuste, parfois ingrate et souvent trop dans la compétition.

― Possible, mais...

― Vous pourrez me donner votre version après. Pour l'instant j'aimerais entendre la réponse du brigadier Verrier...

― Comme vous le savez peut-être, mon père a été commissaire à Besançon, enchaîna Florence, se prenant pour une oratrice. Au départ, je voulais suivre ses traces, mon père était un exemple. En entrant à l'école de police, j'avais un esprit critique envers moi et mes camarades. Puis, un an dans la police, sur le terrain, m'a fait comprendre que tout n'est pas noir ou blanc. Suivant les situations, nos convictions peuvent changer et les règles que l'on s'impose peuvent être remodelées...

― Vous voyez, lança le juge à l'attention de Farges, J'avais raison de leur faire confiance. Hier, j'étais prêt à vous dessaisir de l'enquête, annonça-t-il d'un ton grave en se tournant vers Florence et Sarah. Je vous donne une seconde chance parce que vous êtes deux bons éléments qui doivent travailler ensemble. Faites-en bon usage, vous n'en n'aurez pas d'autre. »

Après son sermon, le juge prit ses affaires et partit. Le commissaire attendit d'être sûr que personne ne l'entendrait pour reprendre la parole.

« Les filles, je suis désolé pour cette intervention, mais...

― Le juge à raison, ce n'était pas professionnel de notre part, le coupa Florence.

― Ça ne se reproduira plus, assura Sarah avec un grand sourire.

― Je suis content de vous l'entendre dire, souffla Farges, soulagé. Pour en revenir à l'enquête, j'ai reçu les résultats de la scientifique et du légiste. La victime a été asphyxiée avec un coussin, ce qui confirme notre hypothèse. Il y avait des traces de benzodiazépine dans son sang, si on ajoute la trace de piqûre dans son cou, on peut facilement dire que quelqu'un lui a injecté un médicament...

― Reste à savoir si cette personne a commis une erreur, souffla Sarah.

― Il y a des caméras dans la rue de l'immeuble, je pourrais les visionner, proposa Florence. On ne sait jamais.

― Moi, je vais réinterroger la famille de la victime, au cas où, annonça Sarah.

― Bien, je vous laisse à vos nouvelles occupations. Et je veux être le premier informé cette fois-ci ! »

&*&*&

La guerre entre les deux rivales ne cessa pas. Au contraire, elle s'était amplifiée tout en se faisant plus discrète. C'était devenu une guerre froide.

Florence et Sarah menaient leur enquête en solo, tout en gardant un œil sur les avancées de l'autre. Persuadées de l'incompétence de l'autre et avides de prouver qu'elles avaient raison, chacune vérifiait le travail déjà fait. Sans entraide, ni esprit d'équipe, elles ne faisaient pas avancer les choses et se mettre des bâtons dans les roues à longueur de temps commençait à les agacer. Chaque jour, les deux policières devaient user de sang-froid et de self-control pour ne pas craquer et éviter de s'insulter. Malgré leur double visionnage des vidéos de surveillance de la rue où se trouvait le bâtiment de la victime et des doublons d'interrogatoires des membres de la famille et des amis, Florence et Sarah faisaient choux blanc. La seule image intéressante qu'elles trouvèrent fut celle d'un homme assis sur sa moto, avec la tenue adéquate, sans oublier les gants et le casque qui empêchait de voir son visage.

Depuis plus d'un mois sans le moindre indice ni même un suspect, la tension était palpable au commissariat, et la troupe du commissaire Farges avait le moral au plus bas. Il faut dire que les policiers qui étaient sur cette affaire critique auraient eu besoin d'un chef pour les soutenir et les guider dans leur investigation en laquelle ils ne croyaient plus, mais Farges était aux abonnés absents depuis quelques semaines. Il ne venait plus au bureau, et lorsqu'il le faisait, c'était en silence. Il ne s'intéressait plus à son enquête. C'était comme s'il fuyait ses obligations. Personne ne comprenait son changement d'attitude, mais aucun n'aurait eu l'audace de lui demander des comptes. Les tentatives de Florence et Sarah pour le couvrir, qui était peut-être l'unique point sur lequel elles formaient une équipe, risquait de ne plus marcher longtemps auprès du juge. Celui-ci fit son apparition dans les locaux de la police, deux mois après avoir infligé son sermon aux deux rivales.

&*&*&

Tous trois étaient assis autour de la table ronde, l'épicentre de leur salle de réunion. Un silence de plomb s'était abattu sur les deux enquêtrices et leur supérieur. Se regardant dans le blanc des yeux, tous ressentaient cette électricité qui réchauffait la grande salle. Une veine commençait à grossir sur la tempe du juge. Tous connaissaient la signification de ce vaisseau qui gonflait lorsque le magistrat faisait un effort surhumain pour contenir sa colère. Une poignée d'officiers, seulement, avaient déjà vu Bellini hors de lui et de ce qu'ils ont pu en dire, c'était « Sauve-qui-peut ! ». Sarah en faisait partie. Elle espérait de tout cœur ne pas avoir à revivre ce moment pour le moins traumatisant.

Après une demi-heure d'attente, le magistrat perdit patience.

« Bon ! On va commencer sans Farges... S'il se sent concerné, il daignera peut-être nous faire l'honneur de sa présence, annonça-t-il froidement. Alors, pouvez-vous me résumer ce que l'on a concrètement sur cette sordide affaire ?

― À vrai dire, pas grand-chose, se lança Sarah qui transpirait à grosses gouttes tant elle était stressée.

― La victime s'appelle Justine Martin, 34 ans, en couple, sans enfants, énonça Florence d'une voix qui se voulait fluide. Elle a été assassinée dans son appartement entre dix-neuf heures trente et vingt et une heure, pas de trace d'effraction. Les conclusions du légiste confirment l'hypothèse que le meurtrier lui a injecté un produit contenant de la Benzodiazépine avant de l'étouffer avec un coussin. Aucunes traces dans l'appartement, ni empreintes, ni ADN.

― Nous avons écarté la piste concernant, Madame Ray, sa conjointe. Nous avons vérifié, elle a terminé son service à l'hôpital de Seynod, à vingt et une heure trente ce soir-là. Le portrait qu'elle a fait de la victime nous montre une femme fragile depuis le décès de son père. Sa mère lui rejetait la faute, ce qui l'a conduit à une tentative de suicide...

― De quoi est-il mort ?

― Une crise cardiaque, répondit Florence.

― J'imagine que vous avez interrogé la mère de la victime ?

― Oui, répondit Sarah qui avait retrouvé son assurance. Celle-ci affirme ne plus avoir de contact avec sa fille depuis plus de seize ans et ne chercherait pas à renouer les liens. D'après elle, sa fille aurait provoqué la crise cardiaque de son mari en lui avouant ce que madame a appelé « sa lubie de coucher avec des femmes ». Elle avait demandé une autopsie, espérant sûrement prouver ces dires, mais il est apparu que la mort était naturelle. Concernant le crime, madame Martin n'est au courant de rien. Elle a juste l'intuition qu'une des conquêtes de sa fille aurait pu être jalouse...

― Cependant, la coupa Florence, sa compagne m'a assuré que Justine était fidèle. Elle en avait douté au début de leur relation et l'avait fait suivre par un détective privé de la région. Au cas où, elle continue de le payer et reçoit toujours ses rapports.

― Il a vu ou entendu quelque chose ce soir-là ? demanda le procureur qui parut soudain intéressé.

― Non, répondit Florence en baissant les yeux. Cette semaine-là, il était en arrêt...

― Les amis de notre victime l'ont lâchée à sa sortie d'hôpital, embraya Sarah. Je les ai appelés et tous étaient d'accord pour dire que la victime était devenue asociale depuis sa tentative de suicide. Désagréable et ingrate envers eux, ils avaient complètement coupé les ponts depuis des années. Seule, une certaine Sofia Altera, sa nouvelle belle-sœur avait gardé contact.

― Qui est-ce ?

― La femme d'un des frères de la victime.

― Combien de frères ?

― Deux. Elle les appelait chacun une fois par mois.

― Vous les avez contactés ?

― Oui, souffla florence. Ils semblaient choqués de ce qui est arrivé à leur cadette, mais n'ont aucune idée de ce qui a pu se passer.

― En clair, on n'a rien... murmura le juge en réfléchissant.

― Non, mais on va chercher encore, s'exclama Florence qui ne voulait pas s'avouer vaincue si vite.

― C'est vrai, en creusant un peu plus on trouvera sûrement quelque chose ou quelqu'un... renchérit Sarah, pour une fois complémentaire avec sa collègue.

― Ce n'est pas la peine, déclara solennellement Bellini. On en a fini avec cet échec. Vous avez assez délaissé vos enquêtes respectives et il est grand temps que vous retourniez arrêter les délinquants de cette ville.

― Et les médias ? Demanda Sarah qui n'appréciait guère ce revirement.

― Les médias ont déjà beaucoup parlé de ce meurtre...

― Sérieux, râla Florence, on va encore se faire traiter d'incapable si on clôt l'affaire aussi vite.

― Vous l'avez peut-être remarqué, la presse s'en est toujours prise à la police. Ça m'étonnerait qu'elle s'en prive. Que l'on continue ou que l'on passe à autre chose, les journalistes n'auront de cesse de nous critiquer. Parce que je vous rappelle que si l'on continue et que l'on ne trouve rien, ils se feront un malin plaisir de rappeler qu'on est des incapables. Alors que si l'on arrête les recherches, le scandale va durer un temps, mais sera vite oublié quand on coffrera d'autres malfrats. »

 

5

 

L'alerte avait été donné à dix-huit heures, juste après la découverte du corps et l'équipe de Farges arriva sur les lieux plus d'une demi-heure plus tard. Sur la fin du mois de juin, les touristes commençaient à envahir les rues d'Annecy et ce jour-là, il faisait particulièrement chaud. Les plages étaient bondées et à l'heure où chacun rentrait chez soi, la traversée de l'agglomération devenait un parcours du combattant. Malgré le gyrophare et la sirène hurlante, les policiers comme les automobilistes ne pouvaient guère faire mieux. En passant du côté de Sévrier, les abords du lac n'étaient pas des plus larges. Ainsi, les deux collègues avaient espéré gagner du temps en passant par le col de Bluffy pour redescendre sur Talloires. L'idée était pourtant judicieuse, mais les cyclistes, sur cette route relativement étroite, les empêchaient d'avancer à leur guise.

En se garant devant le bâtiment de quatre étages situé au centre de Faverges, Florence et Sarah s'attendaient à ce que le commissaire les invective pour leur retard malvenu. Enfin, elles l'espéraient. Mais Farges n'était pas là et pour le remplacer dans son investigation, le juge Bellini vint à leur rencontre.

« Mesdames, les salua-t-il cordialement.

― Le commissaire n'est pas là ? S'étonna Sarah.

― Il vient de m'informer de son arrêt... Il aurait attrapé un méchant rhume... »

Au ton du juge, les policières comprirent qu'il n'était pas convaincu de la bonne foi de leur supérieur. Elles se posaient également des questions sur son compte, mais elles firent comme si de rien était.

« Qu'est-ce qu'on a, demanda Florence impatiente de changer de sujet.

― Je ne sais pas, je vous attendais. On y va ? »

La scène qui s'offrit à eux ressemblait étrangement à une affaire que tous auraient bien aimé oublier, avec ce regard au plafond, ce corps sans vie tout vêtu de rouge. La seule nuance étant l'état déplorable de l'appartement. On aurait dit qu'une tornade avait tout soufflé sur son passage. Les deux policières semblaient complètement déroutées. D'un côté, la mise en scène rappelait étrangement l'affaire qui les avaient occupées trois mois plus tôt. Pourtant, tout semblait converger vers un cambriolage qui aurait mal tourné. Florence reprit ses esprits assez vite, mais Sarah avait l'air sous le choc. Prise de panique, elle se tourna hâtivement et sortit de la pièce. Le brigadier et le juge firent bonne figure en se concentrant sur ce que leur disait le docteur Brunel.

« La victime est décédée récemment, je dirais une ou deux heures avant notre arrivée...

― C'est quoi, ça ? Demanda Florence en montrant du doigt le front de la victime.

― J'y viens, râla le médecin qui semblait agacé par cette intervention qu'il jugeait impromptue. J'ai remarqué trois traces suspectes sur le corps de cette jeune femme. Celle-ci, sur la tempe droite. Celle que vous avez vue sur le front. Et une autre sur la trachée.

― À quoi sont-elles dues, à votre avis ? Demanda simplement le juge.

― Visiblement, quelqu'un lui a donné trois coups violemment, répondit le légiste faisant abstraction de la question qui lui était posée. Par contre, je n'ai pas la moindre idée de l'arme du crime...

À peine eut-il fini sa phrase qu'un officier annonça d'un air enjoué qu'il venait de la trouver. Il perdit tout enthousiasme en voyant le médecin serrer les dents de rage.

― Je pense que vous avez touché le gros lot, ironisa le légiste avec une étrange lueur dans les yeux. En plus, il y a des traces de sang...

― Bien, vous avez peut-être une idée de ce qui a pu provoquer la mort ? Demanda le juge qui commençait à s'impatienter.

― Les coups portés à la tempe et au front ont dû l'assommer. En revanche, un coup violemment sur la trachée aurait pu asphyxier la victime qui se serait vite étouffée, mais pour en être certain, vous devrez attendre les résultats de l'autopsie.

― Très bien, autre chose ?

― Pour l'instant non.

― Il y a un témoin dans la cuisine, je vous laisse vous en charger, dit le juge à l'attention du brigadier avant de partir.

― Bien sûr, mais j'ai quelque chose à voir avec le lieutenant, d'abord... souffla Florence. »

Elle descendit les escaliers en courant et sortit en trombe, énervée.

« Tu en veux une, proposa Sarah en tendant calmement son paquet de cigarettes.

― Sans façon, ce n'est pas bon pour la santé, je te rappelle !

― Peut-être pas pour la santé, mais c'est un super calmant, répondit le lieutenant ironique.

― Bon, tu m'expliques ? Râla Florence.

― T'expliquer quoi ? Demanda Sarah d'un air contrit.

― Déjà, pourquoi tu t'es barrée comme une voleuse !

― Désolée, j'avais un coup de fil urgent à passer...

― Oh, non ! Pas à moi, s'insurgea Florence énervée à l'extrême. Je vois deux possibilités...

― Dis toujours...

― Soit, ça te faisait vraiment chier de me voir... mais je ne te pense pas capable de manquer une occasion de me montrer que tu es la meilleure. Soit, il y a autre chose qui m'échappe...

― Donc tu n'as rien compris, répondit froidement Sarah. Tu n'as vraiment rien vu ?

― Voir quoi ? Demanda sèchement Florence chez qui l'état d'énervement montait crescendo.

― Putain, mais c'était toi ! Lança Sarah qui avait les larmes aux yeux. C'était toi sur ce lit...

― Je te remercie, râla Florence vexée. Je connaissais la haine que je t'inspire, mais jamais je n'aurais imaginé que tu m'enterres déjà !

― Mais non, ce n'est pas ça, s'excusa Sarah. C'est juste que vous avez à peu de choses près le même âge, et je me rends compte que ça aurait pu tout aussi bien être toi !

― Et ? demanda le brigadier qui sentait que derrière cette phrase se cachait une révélation.

― Et dans ce cas, ça m'aurait foutu les boules...

― Merci.

― Hein ? S'étonna Sarah désarçonnée par sa collègue. Qu'est-ce que j'ai dit encore ?

― Tu m'as juste démontré ce que je pensais, répondit Florence avec un grand sourire. En fait, tu n'es pas un monstre. En revanche, je ne comprends toujours pas pourquoi tu te comportais si mal avec moi.

― Bien, c'est con, mais quand tu es arrivée, j'ai eu peur pour mon poste. Tu avais l'air si sûre de toi et je t'imaginais plus compétente. Puis, j'ai appris à te connaître et à t'apprécier. Donc quand j'ai vu que notre rivalité te forçait à te surpasser pour me montrer ce que tu vaux, j'en ai un peu profité. Finalement, j'ai compris que je te stimulais...

― Merci. Au fait, moi aussi, je t'aime, susurra Florence.

― N'en fais pas trop non plus !

― Ok. On a un témoin à interroger, on le fait à deux pour une fois ? »

&*&*&

L'homme assis à la table de la petite cuisine n'avait pas plus de trente-cinq ans. Son teint était blafard, ses yeux rougis par les larmes et ses mains tremblantes tenaient une tasse fumante qui menaçait de tomber à tout moment. Florence se demanda soudain, s'il s'agissait du meurtrier rongé par la culpabilité ou s'il était un simple témoin choqué d'avoir perdu un être cher. Le regard braqué sur cet homme mince, la question s'encrait peu à peu dans l'esprit du brigadier qui n'arrivait plus à penser. Constatant le trouble de sa collègue, Sarah prit l'initiative d'entamer la conversation.

« Bonsoir, je suis le lieutenant Duguey et voici le brigadier Verrier, annonça Sarah en montrant de la tête Florence qui restait inlassablement dans ses pensées. Pouvez-vous me dire votre nom ?

― François... Méjan... murmura l'homme qui ne semblait pas voir ce qui l'entourait.

― Pouvez-vous me dire ce qu'il s'est passé ?

― Lynda... souffla-t-il en regardant la policière avec des yeux horrifiés.

― Florence ?! Appela Sarah qui sentait qu'elle ne s'en sortirait pas seule.

― Lynda... souffla Florence en s'asseyant à la place de sa collègue. Que lui est-il arrivé ?

― Je ne sais pas... Elle était...

― Moi, je sais... murmura la policière. Fermez les yeux et soufflez doucement.

― Qu'est-ce que tu fais ? Murmura Sarah à son oreille.

― Il faut que je le calme sinon, on n'en fera rien, expliqua-t-elle à Sarah avant de continuer. Concentrez-vous, et dites-moi ce que vous avez fait aujourd'hui, demanda Florence au témoin. Gardez les yeux fermés.

― Je me suis levé vers huit heures ce matin et j'ai commencé le travail à neuf heures trente...

― Quel est votre métier ?

― Je suis traducteur d'anglais, italien et russe.

― Vous traduisez quoi ? Des livres ?

― Non. Je traduis des textes et des contrats officiels pour des grandes entreprises internationales.

― Vous bossez au sein d'une entreprise ?

― Non, je travaille de chez moi.

― Bien. Avez-vous quelqu'un dans votre vie ?

― Non pas vraiment... je suis amoureux, c'est tout, répondit le témoin en refoulant ses larmes.

― Très bien, vous avez terminé votre travail à quelle heure ? Demanda Florence pour changer de sujet avant qu'il ne craque.

― Je suis allé au plan d'eau de Marlens pour décompresser... Et je l'ai vu...

― Qui ? Demanda Florence perdue.

― Lynda, répondit le témoin les yeux remplis de larmes. Elle était avec un type qui portait un gros sac à dos et ils rigolaient... Elle ne m'a même pas remarqué.

― Ok... murmura Sarah qui venait d'avoir une idée qu'elle devait laisser germer.

― Vous avez fait quoi après ? Repris Florence.

― Je suis rentré chez moi pour me remettre au travail, mais je n'arrêtais pas d'y repenser.

― Vous êtes allé voir Lynda ? Chez elle ?

― Pas tout de suite. J'avais besoin de boire un verre pour me donner du courage...

― Donc vous êtes allé dans un bar ?

― Non, mais la moitié de MON bar y est passé... répondit le témoin avec un sourire moqueur.

― Vous êtes venu ici à quelle heure ?

― Dix-sept heures trente.

― Et j'imagine que vous nous avez appelés aussitôt... demanda Florence qui connaissait la réponse.

― Non, il fallait que je digère d'abord... répondit-il en faisant une grimace.

― Digérer quoi ?

― À l'évidence, elle avait un mec et ça me dégoûte... Sérieux ! Vous avez vu sa tenue ? De la provoque, c'est tout !

― Bien, je n'ai pas d'autres questions. Je vous laisserais vous présenter au commissariat demain pour faire votre déposition...

― Ouais, ouais... »

Les deux policières sortirent du bâtiment et Sarah alluma sa clope avant de demander des comptes à son binôme.

« Qu'est-ce qui t'es arrivé ?

― Quoi ? Il a parlé, non ? Lança Florence sur la défensive.

― Ouais, sauf que j'ai dû te hurler dessus avant pour que tu t'en occupes ! Et après, j'ai eus peur que tu lui mettes ta main dans la figure...

― Je ne l'aurais pas fait ! Même si l'idée m'a vaguement effleurée.

― Oui, mais n'empêche ! Ce n'est pas ton genre de péter les plombs comme ça, alors qu'est-ce qu'il se passe ?

― Je me demandais juste s'il s'agit simplement d'un témoin ou s'il pourrait être un tueur de sang-froid...

― Elle ça m'a aussi traversé l'esprit...

― Tes conclusions ?

― Il était fou d'elle et dingue de jalousie, ça se voit à la façon dont il parle de la victime, énonça Sarah.

― Donc tu penses qu'il lui aurait fait des avances, elle le repousse et il voit rouge ? c'est vrai ça se tient, approuva Florence.

― Le hic, c'est que généralement ce genre de type ne se contente pas juste de tuer...

― La plupart du temps, il y a viol... Compléta Florence en réfléchissant. Mais le légiste n'a pas parlé d'indices allant dans ce sens...

― Il n'a peut-être pas eu le temps, tout simplement...

― Et il aurait mis le souk dans l'appartement pour faire croire à un cambriolage qui aurait mal tourné ?

― Je pense qu'on tient une piste, déclara Sarah fière d'elle. »

&*&*&

Lorsque le brigadier Verrier prit son service, le témoin principal venait d'être emmené en salle d'interrogatoire. Pour ne pas gêner, elle s'assit dans la pièce voisine, derrière la vitre sans teint qui lui permettait de voir et d'entendre sans se faire remarquer. C'était sa place préférée. De l'extérieur, elle avait tout le loisir d'analyser l'attitude et la tonalité du suspect. Florence rêvait de devenir comportementaliste. Pouvoir lire dans le regard et les gestes involontaires paraissaient magique à ses yeux. Seulement, pour obtenir ce diplôme, il faut avoir fait un cursus en faculté de sociologie, ce qui était loin d'être le cas de la policière. À sa sortie du lycée son but était de devenir professeur de sport au collège. Malgré plusieurs tentatives à passer les concours, elle s'obstinait à l'échec. Puis elle s'est rendue à l'évidence en se disant que suivre les traces de son père serait plus simple pour elle. Finalement, son métier d'enquêtrice l'intéressait autant, et, pour rien au monde elle n'en changerait.

Dans la pièce d'à côté, le lieutenant Duguey menait son interrogatoire pour le moins musclé. Il faut dire que le témoin ne se laissait pas faire, à croire qu'il avait décidé de lui compliquer la tâche.

« Je ne comprends pas ce que je fais là, s'indigna l'homme aux muscles saillants. Je vous ai dit tous ce que je savais, il y a quelques jours.

― Oui, mais j'aurais besoin d'éclaircir deux ou trois petites choses.

― Du genre ? Demanda le suspect sur la défensive.

― Il y a des incohérences entre ce que vous nous avez dit le soir du meurtre et ce que vous avez déclaré à ma collègue...

― Je suis désolé, mais je ne me souviens pas ce que j'ai pu raconter comme conneries ce soir-là. Je vous rappelle que j'étais sous le choc...

― Eh bien, je vais vous rafraîchir la mémoire, répondit Sarah en feuilletant son calepin. C'est ça... Le soir du drame, vous avez affirmé ne pas être en couple, mais tout de même amoureux de quelqu'un...

― Ah oui, je me souviens maintenant, la coupa-t-il. C'est juste que...

― Et le lendemain, vous avez déclaré à ma collègue ne plus avoir été amoureux depuis que votre ex vous a quitté, il y a trois ans, enchaîna Sarah en faisant abstraction de l'intervention du suspect. Maintenant, j'aimerais bien savoir où est la vérité.

― Je vous assure que personne ne fait battre mon cœur, ni de façon officieuse et encore moins de façon officielle, répondit l'homme avec assurance. Oubliez ce que je vous ai dit ce soir-là, j'étais choqué d'avoir vu le cadavre d'une amie proche et je ne savais plus ce que je racontais.

― Tout le monde sait que l'alcool désinhibe, annonça Sarah comme une évidence. Le fait d'être « sous le choc », comme vous dite, a les mêmes effets que l'alcool...

― Possible, mais quel est le rapport avec moi ?

― Vous étiez clairement choqué ce soir-là et passablement alcoolisé, ce qui instinctivement et inconsciemment vous obligeait à nous faire part de vos réels sentiments...

― Peut-être, mais...

― Alors, vous comprendrez aisément que, lorsque vous affirmez n'être amoureux de personne alors que quelques jours auparavant, vous avez montré des signes évidents de jalousie envers l'inconnu qui était avec votre ami, j'ai du mal à vous croire...

― Il y a erreur sur la personne. En tous cas, je ne me souviens pas d'avoir été jaloux et encore moins d'avoir parlé d'un inconnu qui riait avec Lynda.

― Comment pouvez-vous savoir s'ils riaient ?

― Vous l'avez dit, s'indigna l'homme visiblement gêné.

― Non, j'ai parlé d'un individu qui était avec votre amie, mais je n'ai pas parlé de rire.

― Bien, c'est moi. J'ai dû me tromper, mais je reste certain que vous me l'avez dit. Je ne l'ai tout de même pas inventé ! »

Florence avait assisté à cette scène avec un petit sourire en coin. Elle reconnaissait bien là sa collègue qui aimait jouer le chaud et le froid avec ses suspects. Commençant gentiment, elle les laissait raconter ce qu'ils voulaient sans les contredire pour mieux les mettre face à leurs contradictions. Lorsque le mis en cause était devenu coupable, Sarah terminait systématiquement ses interrogatoires en affichant les preuves sous les yeux du malfrat. Concernant ce genre de suspect qui change de version comme de chemise, elle les laissait également déblatérer leurs mensonges pour mieux les confondre face à leurs fausses déclarations. Parfois, ils admettaient l'évidence au bout d'une heure, mais celui-là n'avait toujours rien avoué depuis presque trois heures. Sarah commençait à se demander si elle ne s'était pas engagée sur une fausse piste.

De son côté, Florence avait déjà compris que sa collègue n'en tirerait pas plus. C'était à son tour de jouer. Une fois encore, c'était elle la roue de secours, mais lorsqu'il s'agissait de jouer au gentil flic et méchant flic, elle n'en tenait pas rigueur. Cependant, ce jeu que les deux policières appréciaient tant n'était pas celui auquel elles s'adonnaient le plus souvent. En règle générale, Florence restait à sa place de subalterne en entrant dans la petite pièce sombre uniquement pour donner des informations fraîches et si elle n'en avait pas, elle prenait simplement des nouvelles. Le suspect imaginait à ce moment-là, que les flics l'avaient oublié, cela faisant, il se relâchait. Sarah pouvait donc marteler de plus belle son entretien pour espérer avoir des réponses.

Florence frappa à la porte et souffla un bon coup avant d'entrer quand sa collègue répondit. Celle-ci se leva, soulagée, et rejoignit le brigadier, à l'écart des oreilles indiscrètes.

« Putain, il ne veut rien lâcher, bougonna-t-elle entre ses dents.

― Ouais c'est ce que j'ai cru comprendre. Bon, je te fais un topo rapide. Nico est allé à la pêche aux informations du côté du plan d'eau. Aucun client n'a reconnu ni vu notre victime. Le patron était en congé, le serveur qui travaillait l'après-midi du meurtre n'était pas là, mais Nico a pris son numéro. Ils doivent être en grande discussion en ce moment même.

― Donc on n'a rien de plus, souffla Sarah déçue.

― Tu me vois vraiment venir vers toi les mains vides ? Demanda Florence sans attendre de réponse. Non ! Bon. Avec Sam, le juge nous a accordé le mandat pour la perquisition chez le suspect. Le concierge de l'immeuble était témoin. Et devine ce que l'on a trouvé...

― Des preuves ?

― Pas vraiment... Pour être sûr, il faudra attendre les analyses. Notre cher M. Méjan a oublié de nous dire qu'il est motard...

― Vous avez embarqué la moto ?

― À ton avis... Oui, plus le casque et les gants. »

Sarah semblait avoir repris confiance en elle et se dirigea d'un pas assuré vers la table en formica. Elle posa le dossier que lui avait donné sa collègue avant de partir et le posa au centre de la table. Assise à sa place, en face du suspect, les festivités pouvaient reprendre.

« Vous ne nous aviez pas dit que vous possédez une moto...

― Bien, je ne pensais pas avoir besoin de vous le dire, répondit l'homme.

― Il y a une caméra dans la rue de l'immeuble où la victime a été retrouvée... annonça-t-elle en faisant durer le suspense.

― Possible, mais en quoi ça me concerne ?

― Sur la vidéo, on voit distinctement un homme casqué descendre de sa bécane...

― Et vous en avez conclu que c'est moi puisque j'ai une moto, la coupa-t-il.

― Alors ? C'est vous ?

― Non, puisque je n'ai pas tué Lynda.

― Je peux vous dire ce que je crois ?

― Mais, je me fous de ce que vous pouvez croire ou pas ! râla l'homme.

― Je pense que vous étiez jaloux de cet étranger avec qui votre amie avait l'air de tant s'amuser. En fin d'après-midi, vous passez la voir, décidé à lui déclarer votre flamme. Peut-être avez-vous tenté d'aller plus loin avec elle. En tout cas, elle refuse et vous pétez les plombs...

― Non ! Cria le suspect.

― Après coup vous avez eu des remords et peur que la police fasse le lien entre la victime et vous, alors vous maquillez le meurtre pour faire penser à un cambriolage.

― C'est des conneries, hurla l'homme. D'accord, c'est vrai j'étais amoureux de Lynda et j'avoue que la voir avec ce type m'a rendu dingue ! Mais comme je vous l'ai dit, je suis rentré chez moi et j'ai noyé mon chagrin dans l'alcool jusqu'à m'endormir sur mon canapé. À dix-sept heures trente, je me suis réveillé et j'avais la tête dans le gaz. C'est là que je me suis décidé à passer la voir pour lui avouer ce que je ressens pour elle, et c'est en arrivant deux minutes plus tard que je l'ai trouvé... Comme ça. »

Sarah avait réussi à lui faire cracher le morceau, mais un goût de déception se faisait encore sentir.

Puis le doute la saisit. Les apparences sont parfois trompeuses et la première impression peut être erronée. Et s'ils faisaient fausse route ?

&*&*&

Florence attendait depuis près d'un quart d'heure devant la porte du bureau du commissaire. Désireux de reprendre en main l'enquête qu'il avait négligée, Farges avait intercepté le brigadier dans les couloirs du commissariat pour lui demander de passer au plus vite dans son bureau lui faire un rapport.

La petite porte en bois était assez fine pour que Florence puisse entendre la conversation, pour le moins houleuse, entre le juge et Farges. Tous savaient que les deux hommes se connaissaient bien. Anciens camarades à l'université jusqu'à ce que chacun suive son chemin, Farges en Haute-Savoie alors que le juge était parti sur Caen. Malgré la distance, ils avaient gardé le contact et s'étaient retrouvés près de vingt ans plus tard lorsque le juge fut muté sur Annecy. Florence comprenait que Bellini sermonnait Farges pour ses absences à répétitions et son manque d'implication pour l'affaire en cours.

Soudain, les cris firent place à des murmures et Florence eut beau tendre l'oreille, elle n'entendait que certains mots. Elle avait l'impression que les deux hommes étaient de connivences et cachaient des choses qui pouvaient être essentiel concernant leur affaire de meurtre. Cependant, elle ne pouvait les incriminer puisqu'elle n'avait aucune preuve.

« Tu te rends compte dans quelle situation tu me mets par rapport à tes hommes et au parquet ? Râla doucement le juge.

― Je sais, répondit Farges en baissant les yeux. Je suis désolé, mais je n'ai pas le choix et tu le sais bien !

― Oh si, on a toujours le choix ! Par exemple, tu pourrais choisir de faire confiance à tes collègues pour te concentrer sur TON enquête !

― Putain ! Mais tu peux comprendre que j'ai besoin de réponses ? S'énerva le commissaire en s'efforçant de murmurer pour ne pas hurler.

― Tu devrais surtout faire ton deuil pour avancer.

― Tu es sérieux ? Souffla Farges. Ce n'est pas comme si on avait retrouvé un corps dans la voiture. J'aurais préféré d'ailleurs, au moins j'aurai été fixé. Non, je te rappelle que Bernadette, a eu un violent accident de voiture après qu'on se soit disputé et qu'on n'a rien trouvé. Ni corps, ni ses affaires personnelles.

― Et toi, je te rappelle que tu es censé avoir la tête dans cette sordide affaire de meurtre, lança froidement Bellini. Si tu veux jouer les héros et rechercher ta femme tout seul, libre à toi, mais dans ce cas tu n'as qu'à faire comme Borly et te mettre à ton compte. Si je n'ai pas ta démission demain à la première heure sur mon bureau, je ne veux plus entendre parler d'absences pour convenance personnelle... »

La conversation se termina brusquement lorsque quelqu'un frappa à la porte. Les deux hommes tournèrent la tête à l'unisson lorsque Florence fit son apparition. Le commissaire l'avait totalement oubliée.

« Excusez-moi, souffla Florence, prête à rebrousser chemin. Vous m'avez demandé de passer vous voir, mais je peux revenir plus tard si je dérange.

― Ce ne sera pas la peine, nous avions terminé, répondit Bellini avant de souffler quelques mots à l'oreille de Farges. »

Le juge ferma la porte derrière lui et le commissaire se redressa sur sa chaise avant de demander à Florence de lui relater les avancées de l'enquête.

Le brigadier prit quelques minutes pour relire ses notes dans leur ensemble, sous le regard inquisiteur de son chef pour qui la patience n'était pas sa qualité première. Lorsque ses idées furent en place dans son esprit, Florence fit un bref résumé de leur précédente enquête sur Annecy, rappelant leur seul et maigre indice. La vidéo, enregistrée par une caméra de surveillance, qui révélait un individu sur sa moto. Il était impossible de voir son visage puisqu'il portait un casque.

Après avoir ravivé le douloureux souvenir de cet échec, pourtant nécessaire pour leur affaire actuelle, la jeune femme récapitula la situation.

La scène était différente de celle qu'ils avaient vu à Annecy. L'idée d'une série n'était donc pas viable.

Ils n'avaient ni ADN, ni empreintes. Seul le témoignage d'un voisin qui avait vu un homme entrer chez la victime aurait pu leur donner un indice. Si ce n'est que le voyeur n'avait pu voir que le dos de l'étranger. Restait plus que le témoin, dont les propos pris à chaud étaient tout à fait différents de sa déclaration officielle.

« Hier, nous avons réinterrogé le témoin qui avait trouvé la victime le soir du meurtre...

― Son ami, si j'ai bien compris.

― C'est ça. Il a nié en bloc, mais lors de la perquisition à son domicile, nous avons trouvé une moto avec son casque et ses gants, récita Florence comme si elle avait appris son texte par cœur.

― Vous les avez envoyés à la scientifique ?

― Les résultats devraient vous être parvenus d'ici une semaine.

― Rien d'autre ?

― Si, Nico... Enfin, l'officier Morin et moi sommes allés interroger les employés du bar. L'un d'entre eux nous a fait un portrait de l'étranger avec qui la victime parlait l'après-midi du meurtre...

― Je vous remercie, je vais enfin pouvoir raconter quelque chose à la presse, la remercia-t-il visiblement soulagé. »

 

Dauphiné libéré 74

Rubrique fait-divers

 

Un mois et demi après le drame qui a bouleversé Annecy et ses environs, La police a enfin une piste sérieuse. L'homme, sur le dessin ci-dessous, a été vu à Marlens avec la victime. D'après un témoin, il lui aurait parlé à la terrasse d'un bar à proximité du plan d'eau. Aujourd'hui recherché, nous invitons toutes personnes le reconnaissant à appeler le numéro-vert en bas de la page ou à aller directement au commissariat le plus proche. Attention, cet homme peut être dangereux, nous vous recommandons de ne rien faire (...)

 

Ce matin-là, Sarah relut plusieurs fois cet article, jusqu'à ce que ses yeux se figent sur les traits de ce personnage en deux dimensions. Ses cheveux courts étaient noirs et coiffés à la brosse. Le plus dérangeant sur ce visage n'était pas ses petits yeux en amande, ni son nez fin et encore moins sa bouche qui semblait venue d'un dessin caricatural. Non, ce qui dérangeait le plus le lieutenant, c'était la forme carrée de ce visage qui le rendait sévère. À ses yeux c'était plus un masque qu'un visage.

 

Les mois passèrent et la certitude que cet inconnu resterait introuvable commença à s'ancrer dans l'esprit du commissariat d'Annecy jusqu'à baisser le moral des troupes.

L'enquête stagnait. L'effusion de canulars et de fausses alertes concernant l'inconnu de Marlens avaient envahi le commissariat quelques semaines jusqu'à ne plus se faire entendre du tout.

Personne n'y était plus, tous en avaient marre de cette enquête sans issue.

À croire que Farges et le juge lisait dans leurs pensées. Lors de la réunion journalière, plus de deux mois après le meurtre, Bellini annonça, non sans amertume, que cette affaire serait renvoyée à la police judiciaire.

 

6

 

Ce matin-là, Florence venait de prendre son service. Elle, qui pensait rattraper le retard accumulé sur ses dossiers d'agression et de vol durant ces deux dernières semaines, déchanta lorsque le commissaire l'intercepta pour lui demander de le retrouver dans son bureau au plus vite. Pressé, il avait déjà tourné les talons lorsque le brigadier lui posa une question.

« Ça ne peux pas attendre demain ? Parce qu'aujourd'hui, j'ai beaucoup de travail.

― Non, c'est urgent, insista Farges. Une femme a été retrouvée morte dans son appartement hier, à Albertville.

― Sans vous manquer de respect, je vous rappelle que ce n'est pas dans notre secteur, et qu'en l'occurrence nous n'avons pas à empiéter sur l'enquête de nos collègues.

― En fait, c'est le commissaire Lauthier, d'Albertville, qui nous a lui-même appelé en renfort, dit une voix qu'elle connaissait bien dans son dos.

― Monsieur le juge, dit-elle sur un ton cordial, mais surpris.

― Il pense que cette affaire pourrait avoir un lien avec deux de nos anciennes enquêtes, continua Farges. Celles du meurtre de Justine Martin et de Lynda Bonnaz.

― Pour vous aider dans vos recherches, j'ai demandé l'aide d'un ami, expliqua à son tour Bellini. Il nous attend pour un débriefing avant de partir pour Albertville. »

Acculée, Florence était obligée de suivre ses supérieurs. Elle se sentait tellement fatiguée qu'elle avait peur de s'assoupir en public. D'un autre côté, elle était curieuse de voir où allait mener cette réunion avec un total étranger.

Le débriefing ne se déroula pas dans le bureau du commissaire comme elle l'avait imaginé, mais dans la salle de réunion, beaucoup plus spacieuse pour accueillir l'équipe au complet. Le juge Bellini, le commissaire Farges et un homme grand, à l'allure de molosse, aux cheveux couleur d'ébène étaient assis côte à côte. Le brigadier et le lieutenant s'assirent face à face tandis que le reste des officiers occupèrent les places restantes. Après avoir brièvement présenté l'inconnu sous le nom d'Antoine Borly, un détective privé, le juge fit passer un dossier fin à chacun. Il attendit que le silence se fasse et que toutes les pochettes soient ouvertes sur la première image avant de faire un signe au détective.

« Avant de parler de cette terrible affaire, j'aimerais savoir qui a déjà entendu parler de l'affaire de “ l'Anti-Blondes ” » ?

― Ce n'est pas cette histoire de trois meurtres se déroulant à trois mois d'intervalles ? Demanda Florence incertaine.

― Effectivement. Sinon, que pouvez-vous me dire sur ces trois affaires ?

― Ah, oui, je me souviens, s'écria un officier en bout de table. Les médiats en avaient beaucoup parlé, l'année dernière jusqu'en octobre, et depuis plus rien.

― Merci de votre intervention, officier. Quelqu'un a autre chose à ajouter ? demanda le juge, pressé de passer à la suite.

― J'aimerais juste savoir en quoi ces affaires qui datent de l'année dernière nous concerne, demanda Sarah qui partageait l'agacement de Bellini. Et pourquoi vous intervenez ?

― Bien, Madame Duguey...

― Lieutenant...

― Lieutenant, continua Antoine calmement malgré le ton agressif de son interlocutrice, ces anciennes affaires pourraient avoir une grande importance dans l'enquête que vous allez mener. Avant de vous en donner les raisons, je vais répondre à votre seconde question par un petit récit...

― Ah, mais c'est vous qui étiez en charge de ces enquêtes, non ? Réfléchit Florence à voix haute.

― Exactement, c'est d'ailleurs la raison qui m'amène et celle qui a poussé vos supérieurs à me contacter.

― Nous attendons alors avec impatience vos explications, lança Sarah d'un ton sarcastique.

― L'année dernière a commencé une série de meurtres dans le Calvados. Le premier avait eu lieu en mars et le dernier en septembre. Les trois scènes de crime avaient dérouté toute mon équipe. Nous nous attendions à voir des scènes d'horreur, anarchique, injectée de sang. Au lieu de cela, nous étions constamment dans des appartements rangés, presque chéris...

― Pas nous, intervint Sarah qui montrait ouvertement son scepticisme. La scène de crime de notre second meurtre ressemblait plus à un dépotoir qu'à un appartement rangé...

― Buguey ! la reprit Farges qui semblait désolé pour Borly. Gardez vos commentaires pour vous.

― Laissez, je comprends la réticence du lieutenant à mon égard. J'en aurais eu de même à votre place, relativisa Antoine. Ce que je veux vous expliquer, c'est que les affaires qui ont pris tout mon temps en Normandie et celles qui vous occupent en ce moment ont beaucoup de point communs. À commencer par le fait que le juge a dû clore les deux premières, faute d'éléments.

― Que cherchez-vous exactement ? Demanda Florence aussi sceptique que sa collègue. Si vous n'aviez rien avant, qu'est-ce qui vous fait croire que vous trouverez quelque chose maintenant ? Il y a de fortes chances que l'on fasse choux-blanc une fois encore.

― J'en suis conscient, mais contrairement à vous je ne suis pas pessimiste parce que j'ai un but, lança Antoine, visiblement vexé. Je me suis donné le devoir de retrouver " l'Anti-Blonde ", coûte que coûte...

― Pourquoi ? Demanda Sarah qui sentait que cet homme, qu'elle trouvait trop jeune pour avoir été un jour commissaire, ne leur disait pas tout.

― Notre troisième et dernière victime, avant que l'assassin prenne le large, n'était autre que ma belle-sœur. La femme de ma petite sœur à qui j'ai promis de retrouver son meurtrier. À l'époque, j'étais commissaire à Caen et les seuls à connaître mes liens de parenté avec la victime sont uniquement les membres de mon équipe.

― Pourquoi vous parlez de votre grade de commissaire au passé ? Demanda Florence par curiosité.

― Entre le parquet qui était prêt à me remplacer pour ces enquêtes parce que les magistrats me trouvaient trop subjectifs et certains membres de mon équipe qui étaient persuadés que je faisais fausse route en suivant la piste d'un tueur en série, j'ai préféré quitter le commissariat pour me mettre à mon compte et mener mon enquête comme bon me semble.

― Bien, on peut revenir sur l'enquête qui nous intéresse ? Demanda Farges qui commençait à perdre patience.

― Juste avant, pourriez-vous me détailler les deux premiers meurtres ? »

Florence s'empressa de prendre la parole et fit son compte rendu en prenant garde à ne rien oublier. Elle parla des victimes. Nota les concordances des deux meurtres, mais également les différences dont la vidéo d'un homme descendant de moto, les marques de coup présents sur la seconde victime, ainsi que le portrait anarchique de cette dernière scène de crime. Borly resta pensif quelques instants avant de reprendre la parole.

« Nous allons étudier ensembles les photographies que nos collègues d'Albertville nous ont fait parvenir. »

Sur la centaine de clichés que la police scientifique avait pris, seules une quinzaine d'image leur avait été envoyées. Sur la première, on pouvait voir la victime avec son visage poupon, allongée, ses bras croisés sur le ventre. Elle portait la même robe de soirée que les autres et ses yeux fixaient, également, le plafond. Le second cliché était un gros plan d'un coussin semblant porter la trace d'un visage humain. Une autre image montrait un lave-linge contenant un jean clair et un débardeur, les affaires que la victime portait lors du meurtre. Sur tous les clichés, l'appartement deux pièces de 43 m² paraissait avoir été nettoyé à blanc. À l'intérieur du lave-vaisselle, des verres et des assiettes séchaient. La toute dernière image provenait d'une capture d'écran faite à partir d'une vidéo d'une caméra de surveillance. Sur l'image, un homme très grand aux cheveux ras s'apprêtait à entrer dans une Clio apparemment grise. De dos, les enquêteurs ne pouvaient voir son visage, mais Antoine le reconnut tout de suite même si l'image était floue. Il ne fit aucun commentaire, se gardant bien d'avouer qu'il s'agissait de l'homme qu'il traquait. Il lui fallait absolument des preuves.

Sarah tourna la photographie dans ses mains et elle fit remarquer qu'il y avait une inscription. Il était noté le numéro de plaque d'immatriculation ainsi que le nom de la propriétaire du véhicule qui n'était autre que la victime. Tout au fond de la pochette se trouvait un rapport détaillé d'une vingtaine de pages que l'équipe lut en diagonale. À la fin, était stipulé que les enquêteurs albertvillois avaient mis en place une recherche avec une annonce dans le journal télévisé afin de retrouver la voiture volée.

&*&*&

Deux jours après le drame, l'équipe de Farges s'était réunie de bon matin pour un récapitulatif, accompagnés par le juge et le détective Borly qui subordonnait l'affaire. Les trois policiers n'avaient pas chômé durant ces dernières quarante-huit heures. Chacun avait une tâche précise destinée à leur amener des indices.

Florence avait mené l'interrogatoire du témoin principal. De son côté, Sarah avait regroupé les comptes rendus du commissariat d'Albertville avec ses propres recherches afin de décortiquer la vie privée et professionnelle de leur victime. Borly s'était rendu sur place pour effectuer une seconde enquête de voisinage qui pourrait peut-être lui donner des pistes.

Chacun relisait ses notes en silence, le visage fermé, lorsque le juge prit la parole.

« Lieutenant Duguey, je vous laisse nous faire votre présentation de la victime.

― Camille Surgey, vingt-neuf ans. Elle était secrétaire juridique au tribunal de grande instance d'Albertville. Divorcée depuis deux ans, elle a une petite fille âgée de trois ans et son ex-mari, Romain Taulier, habite Ugine. Je l'ai d'ailleurs convoqué pour quatorze heures cet après-midi. La victime n'a aucun ennemi connu dans le cadre de son travail, en tout cas c'est ce que m'ont affirmés ses collègues. Ils la voyaient comme une fille renfermée et peu avenante. Pour finir, comme vous le savez, notre témoin principal n'est autre que sa mère.

― Bien. Brigadier ? Appela le juge assez fort pour que Florence sorte de sa torpeur. Pouvez-vous nous faire un résumé de l'interrogatoire de la mère ?

― Excusez-moi... Oui, bien sûr. Cet interrogatoire ne m'a donné aucun élément nouveau. La mère a fini son service de femme de ménage, enfin, de Technicienne de surface, à 18h30. Elle est directement allée chez sa fille. Celle-ci ne répondant pas, elle a utilisé le double de la clé pour ouvrir la porte. C'est là qu'elle a vu la scène. D'après le témoin, Camille Surgey était appréciée de tous. Sa mère ne voit donc pas qui pourrait vouloir sa mort. J'ai vérifié son alibi. Le directeur de l'entreprise de nettoyage qui l'emploie m'a donné son planning qui corrobore son histoire puisqu'elle s'occupait des locaux de Staübli. En même temps, je vois mal une mère tuer de sang-froid son enfant puis élaborer une mise en scène si glauque.

― Je suis de votre avis, mais dorénavant, je vous prierais de bien vouloir garder vos commentaires pour vous, la repris le juge. Enfin, Borly. Qu'a donné l'enquête de voisinage ?

― Personne n'a rien entendu. Seuls deux voisins proches ont déclaré avoir vu un homme grand, de dos, qui portait un gros sac à dos, sortir de l'appartement de la victime. On peut donc laisser tomber l'idée d'un portrait-robot. Certains voisins ont qualifié la victime d'aguicheuse et d'allumeuse. Parce qu'elle aurait tendance à flirter facilement avec les hommes.

― Et vous ? Demanda Farges. Qu'en pensez-vous ?

― Sincèrement, je n'aime pas les psys parce qu'ils généralisent trop. Si vous leur posez la question, ils vous diront sûrement que ce comportement reflète une personnalité peu sûre d'elle et bourrée de complexes. Je serais d'accord avec cette conclusion à une nuance près. Je ne sais pas si vous en avez connu, moi oui. Ce genre de femmes aguicheuses sont très mal vues, cependant, il ne faut pas oublier que ce tempérament pourrait s'apparenter à une maladie psychologique. Tout cela pour vous rappeler que cette femme a pu faire souffrir nombre d'homme contre son gré, juste parce qu'elle a besoin de se sentir désirée...

― Donc, si je résume, soupira le juge, dans son travail tout se passait bien, certains de ses amants auraient pu avoir envie de se venger. Si j'en crois sa fiche, son père est décédé depuis plus de dix ans et sa mère travaillait lors du drame. Il nous reste que l'ex-mari...

― La seule chose qu'il m'ait dite par téléphone c'est qu'ils ont divorcé d'un commun accord et que, pour leur fille, ils s'efforcent de s'entendre. Pour le reste j'en saurais plus tout à l'heure, affirma Sarah.

― Florence, enchaîna Farges, je veux que vous alliez voir les amis de la victime. Sarah, je vous laisse interroger le père de l'enfant. Et Borly...

― Je sais ce que j'ai à faire, merci, le coupa Antoine excédé. Je vais aider le lieutenant pour son interrogatoire.

― Comme vous voudrez, râla le commissaire qui n'aimait pas se voir envoyer bouler par un petit détective. Retracez-moi au plus vite l'emploi du temps de la victime. Au fait... continua Farges, j'ai reçu les résultats d'analyses...

― Et ? Demanda Antoine qui espérait une bonne nouvelle.

― Et rien, ils n'ont trouvé aucune empreinte, ni ADN. »

&*&*&

Le lieutenant et le détective se rendirent au centre aquatique cet après-midi-là. En entrant, l'odeur du chlore envahit leurs narines ne laissant filtrer aucun autre parfum. À chaque couloir, trois en tout, des panneaux indiquaient les différentes activités. Celui à droite de l'entrée, indiquait les vestiaires de la piscine et de la salle de musculation. À gauche, un corridor se séparait en deux pour accéder à la balnéo et au sauna, mais aussi aux terrains de squash. Au centre du hall se tenait l'accueil. Sarah dégaina son badge en se présentant avant de demander à parler avec le responsable des terrains de squash. La petite brune d'une quarantaine d'année les fit patienter avec un grand sourire destiné à Antoine. Amusé, il lui rendit poliment son sourire, espérant secrètement que l'hôtesse d'accueil, qui n'était pas son genre, ne se ferais pas d'illusions. Ils n'attendirent que quelques minutes avant qu'un homme de taille moyenne, rasé à blanc ne les rejoignent.

« Bonjour, je suis le responsable de la salle de musculation ainsi que du squash, se présenta l'homme spontanément. En quoi puis-je vous aider ?

― Connaissez-vous cette jeune femme ? Demanda Sarah en lui tendant une photo.

― Bien sûr, c'est Camille... Vous venez à cause de ce qui s'est passé ?

― Et que s'est-il passé ? Demanda Antoine faussement intrigué.

― Bien, vos collègues sont venus m'interroger la semaine dernière, ils ont dit que Cam' s'était faite assassiner... C'est vrai ?

― Malheureusement, oui, répondit Sarah gravement.

― Honnêtement, je ne vois pas qui aurait pu lui en vouloir...

― Elle était licenciée depuis longtemps chez vous ?

― Au squash, c'était la troisième année. Elle faisait de la musculation intensive avant, mais elle a arrêté pendant sa grossesse et n'a plus souhaité reprendre.

― Elle s'entraînait sur le terrain combien de fois par semaine ?

― Une fois. En général, le jeudi soir, mais je n'en suis pas certain. Je ne suis pas tous les jours ici.

― Et vous ? Vous venez combien de fois par semaine ? Demanda Antoine qui commençait à se sentir inutile.

― Sur les terrains de squash, je n'y viens que les lundis. Le reste de la semaine, je suis en salle de musculation.

― Avez-vous déjà vu Camille se disputer avec quelqu'un ? Un employé du centre ou un autre licencié ?

― Vous savez, le squash se passe comme le tennis. Nos adhérents réservent leur terrain et invitent qui ils veulent... En tout cas, nous n'avons jamais eu de soucis.

― Pourriez-vous nous donner la liste de vos adhérents ?

― Si cela peut vous aider à retrouver cet enfoiré... Attendez-moi là quelques instants. »

Antoine lança un coup d'œil à Sarah, celui qui voulait dire « On ne trouvera rien ici » tandis que l'homme revenait, une simple feuille à la main. La liste prenait le recto et le verso qu'Antoine lut en diagonale jusqu'à ce que ses yeux se figent de stupeur sous le regard intrigué du lieutenant et du responsable de salle. Il leva la tête et regarda sa collègue incrédule. Le seul mot qui lui vint en tête et qu'il murmura inconsciemment, trahissait son émotion : « Pu...Tain ! »

&*&*&

Il était dix-huit heures trente lorsque le juge convoqua Florence et Farges dans son bureau.

« Borly m'a appelé cet après-midi pour me demander de faire une réunion d'urgence, annonça-t-il. Avec le lieutenant, ils ne devraient plus tarder. En les attendant, Brigadier, pouvez-vous nous résumer les interrogatoires de l'ami et de la voisine de la victime ?

― Bien, Bertrand Bonjoug, l'ami de la victime, ne nous apprend rien de nouveau si ce n'est qu'ils jouaient régulièrement au squash ensemble sauf le jour du meurtre puisqu'il était de mariage. J'ai vérifié, il y a une dizaine de témoins qui confirment son alibi. J'ai vite compris qu'il était secrètement amoureux de notre victime, et il ne l'a pas nié. Personnellement, je ne le vois pas comme tueur de sang-froid...

― Et pour ce qui est de la voisine ? Demanda Farges en lançant un regard noir à sa subordonnée.

― Le jour du meurtre, elle avait en garde la fille de la victime, le temps de son travail et de sa séance de squash. Celle-ci ne lui connaît aucun ennemi et n'a perçu aucun changement singulier chez elle... »

Antoine et Sarah entrèrent dans le bureau, coupant la parole à Florence malgré eux. Borly coupa l'herbe sous le pied du juge qui s'apprêtait à ouvrir la bouche.

« Si j'ai demandé au juge Bellini de vous convoquer, clama-t-il comme faisant face à une pleine assemblée, c'est que l'on a du nouveau...

― Ne faites pas durer le suspense, expliquez-nous, s'exclama le juge vexé.

― Le responsable de la salle de squash d'Ugine nous a donné la liste des adhérents et un nom venu de Caen à retenu mon attention...

― Non... Vous avez dû vous tromper, souffla le juge qui comprit aussitôt de qui voulait parler le détective.

― Si...

― Vous parlez de quoi, au fait ? Demanda Farges qui se sentait largué.

― Nowack, répondit doucement le juge. Il s'était présenté comme témoin sur le premier meurtre il y a eu à Caen...

― Faute de preuves et simple témoin, je n'étais pas tenu de prendre ni ses empreintes, ni son ADN, expliqua Antoine.

― Personne n'en a plus entendu parler...

― Jusqu'à maintenant, murmura Borly qui se croyait seul.

― Très bien, nous allons faire le nécessaire, il faut qu'on mette la main sur ce type, déclara Farges. »

&*&*&

Le lendemain de cette incroyable découverte, aux alentours de sept heures du matin, une poignée de CRS couvrait l'équipe de Farges. Le juge n'avait eu aucune hésitation à signer la commission rogatoire qui donnerait l'autorisation aux policiers de fouiller l'appartement avant d'arrêter le suspect. L'immeuble se situait dans l'hyper-centre d'Albertville. Sarah et Antoine montèrent doucement les escaliers qui menaient à l'appartement indiqué sur l'adresse que leur suspect avait donné aux responsables du centre aquatique, suivis de leur escorte. Après plusieurs tentatives au poing et à la sonnette, personne ne répondit. Sarah s'apprêtait à défoncer la porte et prit son élan lorsqu'elle vit deux CRS qui prenaient leur élan, un bélier à la main.

L'appartement n'était pas grand et dénué de toute vie. Il n'y avait ni meuble ni décoration, si bien que l'on aurait pu croire que personne n'y vivait.

Dehors, le propriétaire des lieux discutait avec Florence.

« Vos collègues ne m'ont pas laissé le temps de les prévenir, mais mon jeune locataire a quitté les lieux la semaine dernière.

― Il n'avait pas de préavis ?

― Si d'un mois, répondit l'homme. Vous savez, Albertville fait partie des zones en tension.

― Savez-vous où il est allé ? Il a bien dû vous donner ses nouvelles coordonnées ?

― Non et j'en suis bien désolé, avoua-t-il. Lorsque j'ai reçu l'enveloppe qui contenait les clés de l'appartement, je me suis aussitôt rendu sur place pour lui demander de me régler le mois dernier et une partie du mois en cours. Malheureusement, l'appartement était déjà vide. J'ai décidé de garder son chèque de caution en guise de dédommagement.

― Donc vous n'avez aucune idée de l'endroit où il se trouve maintenant ?

― Non, je suis franchement navré.

― Si autre chose vous revient, je vous laisse me contacter, répondit Borly en tendant sa carte professionnelle. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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23/12/12 – 14h35

 

Enfin prêt

Tout d'abord, je vous souhaite à tous un joyeux Noël un peu en avance !

Demain soir, c'est le réveillon et j'espère que vous allez bien en profiter.

En tous cas, je vous assure que moi oui ! je vais enfin rencontrer une femme qui me parait être extraordinaire. J'espère juste qu'elle se montrera à la hauteur de mes attentes !

 

Commentaires

 

Loulou18 – 23/12/12 – 20h02

J'espère pour toi que cette rencontre aboutira à quelque chose de bien.

Passe un joyeux Noël !

 

Anonyme74 – 23/12/12 22h48

Je te remercie, Loulou18, pour ta sollicitude.

En y réfléchissant bien, je pense qu'il n'y a aucun risque pour moi d'échouer aux vues de ce que je réserve à cette inconnue... ;)

 

 7

 

Au beau milieu d'un rêve dans lequel un bel inconnu au corps d'Apollon courait vers elle pour l'embrasser, Carmen Thevenod entendit une musique. Le début de la chanson Borderline de The Veer Union semblait lui parvenir d'un autre monde. Il fallut lui quelques minutes pour comprendre d'où venait ces notes et quelques secondes de plus pour décrocher. La voix de la commissaire au réveil était rocailleuse, sûrement due aux cigarettes et au joint qu'elle avait fumé la veille, sans parler de l'alcool.

À l'autre bout du fil, le lieutenant Descombes lui annonçait qu'un corps venait d'être trouvé inerte à Saint-Julien-en-Genevois.

La commissaire ne chercha pas à en savoir davantage et raccrocha aussitôt en regardant l'heure : midi moins le quart. C'était le genre de nouvelle qui la remontait à bloc même après une nuit de sommeil qui n'aura duré que quatre heures. À trente-neuf ans, elle restait une grande fêtarde qui passait ses soirées à boire et fumer jusqu'au bout de la nuit avec ses amis. Elle aimait ça et ne comptait pas s'en priver, surtout depuis qu'elle se trouvait seule. Son mari l'avait quitté pour une gamine de vingt-cinq ans à peine et ses jumeaux avaient quittés le nid depuis quelques mois.

Au volant de sa Seat, Carmen nota l'adresse sur son GPS et arriva sur les lieux dix minutes plus tard. Lorsqu'elle sortit de sa voiture, c'est le brigadier Ludwig Schmidt qui vint à sa rencontre, suivit de loin par le lieutenant Descombes.

« Alors ? Demanda-t-elle, visiblement pas bien réveillée.

― Bonjour Commissaire... sorti Ludwig d'un ton ironique

― Oh c'est bon Loulou ! J'ai passé une sale nuit et je n'aime pas les meurtres qui me casse mon week-end, surtout quand c'est la veille de Noël.

― Moi je pense plutôt que tu as passé une bonne nuit, en charmante compagnie, qui apparemment s'est terminée à l'aube ! Susurra le lieutenant dans son dos.

― Merci Christian pour cette remarque déplacée et sans intérêt ! On peut passer à ce qui nous amène ici ?

― Bien madame ! Notre victime s'appelle Nadya Cors. Le corps a été découvert dans ce bâtiment, expliqua Christian en montrant un immeuble de quatre étages à la façade récemment rénovée.

― Qui l'a découvert ?

― La mère de la victime, répondit Loulou. Elle est dans le fourgon.

― Une idée de ce qui s'est passé ?

― Disons que, au premier coup d'œil, beaucoup d'hypothèses peuvent venir en tête, annonça Christian. Mais tu vas voir ce n'est pas une mise en scène qu'on a l'habitude de voir... »

Au troisième étage du bâtiment des années soixante-dix, sans ascenseur, les trois flics entrèrent dans un appartement de soixante mètres carrés, composé de deux chambres, d'une grande pièce de vie et d'une cuisine ouverte.

Tout était impeccablement rangé. Des embruns de Javel laissaient à penser que les lieux avaient été aseptisés récemment. Ils entrèrent dans la chambre où se trouvait le corps. La pièce était entièrement blanche, du sol au plafond, en passant par le mobilier et le linge. La tenue rouge de la victime, allongée sur son lit faisant office de cercueil, contrastait avec ce décor d'hôpital. C'est le médecin légiste qui ramena les trois coéquipiers à la réalité.

« La pauvre fille a visiblement été étranglée...

― Avec quoi ? Demanda la commissaire.

― Vous voyez ce bleu sur sa trachée ? Il peut être dû à un coup porté avec un objet lourd ou par une forte pression des pouces. En tout cas, la victime a dû souffrir le martyr.

― L'heure du décès ?

― Entre dix heures et onze heures et demie, ce matin.

― C'est quoi ces traces sur les draps, demanda Ludwig en soulevant la jambe pour mieux voir.

― Du sperme ou du liquide vaginal, j'en saurais plus après analyses.

― Il y a eu viol ? Demanda Christian.

― Non, il n'y aucune marque qui va dans ce sens.

― La porte n'a pas été forcée, donc c'est la victime qui a ouvert à son bourreau... Ils sympathisent, elle lui offre un verre, ils couchent ensemble... Mais à quel moment, il l'étrangle ? Murmura Christian trop fort.

― Tu causes tout seul maintenant ? Se moqua Loulou.

― Désolé, je réfléchissais à haute voix...

― Bon, les gars ce n'est pas le tout, mais j'en veux un qui interroge le voisinage et l'autre va parler avec le témoin.

― Et toi ? demanda Christian curieux.

― Je dois me préparer à rendre des comptes... »

&*&*&

Carmen était en grande discussion avec le juge Bellini lorsqu'on frappa à la porte. Elle n'eut pas le temps de répondre que son lieutenant entra suivi du brigadier. 

« Lieutenant Descombes, le salua le petit homme. Ravi de vous revoir.

― M. le juge... je ne m'attendais pas à vous, avoua Christian désarçonné.

― Je comprends votre surprise. Et non, au départ ce n'est pas moi qui devais suivre cette affaire. C'était le juge Mollier-Carroz, mais il est en vacances. Et je dois avouer que je me suis quelque peu imposé lorsque j'ai entendu parler de votre enquête...

― Vous vous connaissez, s'étonna le brigadier Schmidt.

― Disons que nous avons des connaissances en commun et que j'ai eus la chance de travailler sur une affaire avec le lieutenant lors de ses débuts à Annecy, répondit le juge avec enthousiasme.

― Bien, on peut peut-être parler de notre affaire, maintenant ! S'agaça la commissaire.

― Bien sûr, mais j'aimerais d'abord vous expliquer pourquoi je m'intéresse à cette enquête. » 

Bellini leur raconta brièvement les enquêtes qui ont pris une bonne partie de son temps d'Annecy jusqu'en Savoie, l'année précédente. Il allait parler de sa collaboration avec un ancien flic de Caen devenu détective privé quand quelqu'un frappa à la porte.

« Je vous présente Antoine Borly, un ancien policier devenu détective, annonça fièrement le juge.

― Messieurs... Madame... salua Borly un peu gêné par cet accueil.

― Excusez-moi de ma question qui pourrait paraître ridicule, mais qui êtes-vous ?

― Désolé, je n'ai pas entendu votre nom, lança Antoine aussi froidement que son interlocutrice.

― Commissaire Thevenod, et voici mon équipe, le lieutenant Descombes et le brigadier Schmidt.

― Ok, donc monsieur le juge ne vous a rien dit, constata le détective en lançant un regard en biais à Bellini.

― J'ai juste eu le temps de leur parler des meurtres d'Annecy, s'excusa le juge.

― Bon, avez-vous déjà entendu parler de " l'Anti-blonde " ?

― Non, répondirent en chœur Carmen et Ludwig.

― Moi si, annonça Christian. J'ai gardé contact avec certains collègues d'Annecy, dont Sarah Duguey qui était sur ces enquêtes.

― Et elle vous en a parlé ? S'indigna Bellini.

― Pour sa défense, ces enquêtes l'ont beaucoup marquée et elle en a gardé un goût amer puisque l'assassin court toujours.

― Bien, moi ça m'arrange, déclara Antoine. On avancera plus vite. Lieutenant, je vous laisse le soin de mettre au parfum vos coéquipiers. Et je vous promets que Madame Duguey ne sera pas inquiétée, affirme-t-il en lançant un regard sans appel au juge. Maintenant, j'aimerais connaître les détails de notre affaire.

― Je me suis renseigné sur la victime, commença le brigadier. Elle s'appelle Nadya Cors, trente-deux ans. Ses parents sont décédés dans un accident de voiture quand elle avait deux ans, elle a vécu dans la même famille d'accueil jusqu'à ses dix-huit ans : Monsieur et Madame Polinsky. Elle était vendeuse en prêt-à-porter en Suisse. Séparée depuis quelques mois, elle a la garde de son fils de deux ans. Le père habite à Lyon et avait pris l'enfant pour les vacances, je l'ai appelé. Il arrive vers dix-sept heures.

― Autre chose ?

― J'ai fait le tour des voisins les plus proches. Il y en a un qui habite le bâtiment en face de notre victime, il affirme avoir aperçu un homme cagoulé passer devant l'immeuble. Il était grand et portait un sac à dos.

― Au fait qui a découvert le corps ?

― La mère adoptive de la victime, Madame Polinsky.

― Je l'ai interrogée, enchaîna Christian. D'après elle, sa fille s'entendait avec tout le monde et n'avait pas d'ennemis connus. Sa séparation serait due à la mutation sur Lyon du conjoint, la victime ne voulait pas quitter sa région. La garde de l'enfant s'est fait d'un commun accord. La seule chose réellement intéressante que j'ai appris, c'est qu'en entrant dans l'immeuble, Madame Polinsky a vu un homme grand sortir du bâtiment par-derrière. Vu de dos, elle affirme qu'il était grand, qu'il portait un sac à dos noir et elle pense avoir vu une cagoule sur sa tête.

― La seule description que le voisin et la mère ont fait de notre suspect, il portait un sac et une cagoule, murmura Bellini sceptique.

― Or “ l'Anti-Blondes ” n'a jamais caché son visage avec des cagoules jusqu'à maintenant lança Borly. Est-ce que je peux voir les photos prises par les techniciens ?

Le juge fit passer à chacun une pochette colorée avec pour titre :

« Affaire N° 118-74 : N. CORS »

 

Le détective scruta attentivement la cinquantaine de clichés. Les images étaient soigneusement triées par catégories. En premier venait les photographies des extérieurs, qu'Antoine passa vite. Ensuite, l'appartement, vu sous tous les angles. Enfin, la victime, prise sous toutes les coutures. Allant des fleurs, du corps entier, puis les gros plans des draps, des marques sur la peau et des extrémités, dont les ongles.

« Je vous l'accorde, il y a des similitudes avec les meurtres de “ l'Anti-Blondes ”, mais on a aussi beaucoup d'incohérences.

― Que voulez-vous dire ? demanda la commissaire qui doutait visiblement de Borly.

― Tout d'abord, les marques de strangulation...

― Que vous aviez également vu sur une victime en Normandie, lança le juge à l'attention d'Antoine.

― Exact ! Et une autre victime à Faverges avait des marques de lutte sur la tempe et dans le cou.

― Donc, votre soi-disant tueur en série serait du genre à péter les plombs, demanda Carmen toujours aussi sceptique.

― On peut aussi imaginer qu'il a du mal à contrôler ses émotions, ses frustrations... Sinon, j'ai trouvé une autre différence, et pas des moindres ! Regardez ses ongles, surtout le vernis.

― Il déborde un peu, et alors ?

― Je n'ai pas les photos des victimes de “ l'Anti-Blondes ” sur moi et c'est dommage parce que vous auriez pu voir comme ce type soigne les femmes après leur mort. Il est si minutieux dans la pose du vernis qu'il n'a jamais dépassé...

― Vous avez l'air de l'admirer, ironisa Carmen.

― Sinon, il y a un dernier point qui ne va pas, enchaîna Antoine sans relever la remarque. Jusque-là, notre tueur entourait ses victimes de roses blanches. Or, Nadya Cor se retrouve avec des lys blancs...

― Qui signifient la pureté, expliqua Ludwig.

― Je sais, et la rose blanche, le deuil.

― Et Nowack a enterré sa mère juste avant les premiers meurtres en Normandie, murmura le juge qui voyait où voulait en venir le détective.

― Qui est ce Nowack ? Demanda Descombes.

― Mon suspect numéro un. Je vous expliquerais dans quelques minutes comment je l'ai rencontré et ce qui me fait dire qu'il n'est pas net.

― Si je comprends bien... commença Bellini.

― Ce n'est pas “ l'Anti-Blondes ”. J'ai plutôt l'impression qu'il s'agit de quelqu'un qui veut se faire passer pour notre tueur en série...

― Vous avez pensé à une simple coïncidence ? demanda la commissaire, agacée par ce type.

― Je ne crois pas aux coïncidences, j'ai plutôt l'impression d'un plagiat. Soit un malade qui croit avoir dépassé le maître, soit un fan qui pense lui rendre hommage.

&*&*&

« ... Tu te rends compte, c'est du lourd !

― Mouais... personnellement, je m'en serais bien passé !

― “ L'Anti-blonde ”... soit trois meurtres en Normandie et trois autres dans les deux Savoie, c'est énorme et c'est à nous que le bébé est confié !

― Tu es peut-être trop jeune ou trop naïf pour comprendre, mais je vais quand même t'expliquer. Cette putain d'enquête, c'est le genre où tu rames pendant des mois voire des années, tu te donnes corps et âme pour qu'au final l'affaire soit classée et qu'on te dise que tu as fait de ton mieux, mais qu'il faut oublier !

― Tu as sûrement raison. Surtout que ce Nowack, on ne sait pas à quoi il ressemble.

― Je suis sûr que Borly nous cache quelque chose ! lança Christian.

― Genre : il sait où on peut le trouver, mais ne veut rien dire ?

― Je n'en sais rien ! Peut-être ! En fait, je ne sais pas pourquoi la commissaire ne fait rien pour le dégager de chez nous !

― Elle lui fait peut-être confiance, proposa Loulou.

― Pas moi ! »

Dans la salle de pause, un officier avait suivi attentivement la conversation des deux hommes qui venaient d'entrer. Son intérêt s'était amplifié lorsque le nom Nowack arriva à ses oreilles. Il s'agissait peut-être d'une coïncidence, mais la jeune femme était persuadée que ses doutes étaient fondés. Elle devait en savoir plus, mais comment ? Pour une jeune de recrue, poser trop de questions pouvait nuire à sa future carrière. Elle hésitait. D'un côté, elle se savait assez téméraire pour leur parler et les questionner. En même temps, elle était consciente qu'il y avait toutes les chances pour qu'ils l'envoient promener. Dans un élan de courage, elle se leva, son café à la main et s'avança vers les deux coéquipiers.

Elle soufflait doucement espérant chasser son stress, mais ces deux hommes l'intimidaient, surtout le plus âgé. Il y avait quelque chose dans ses petits yeux bruns d'agressif, de repoussant. C'était peut-être sa carrure de rugbyman qui lui faisait peur. Elle regarda ensuite l'autre homme. Beaucoup plus jeune, près de dix ans de moins. De taille moyenne, mince, des cheveux bruns et des yeux verts, rieurs, c'était le genre qu'elle aurait bien dragué à une autre époque. Le seul fait de le regarder, l'apaisa et elle devint plus sereine. Le trouble l'envahit quand le jeune homme la regarda à son tour. Elle était proche de lui. Il fallait qu'elle ouvre la bouche.

« Excusez-moi de vous déranger... Je suis nouvelle et j'essaye de me familiariser avec ce commissariat donc je pose des questions à un peu tout le monde.

― Pas de soucis, on est tous passés par là un jour, la rassura le bel homme. Moi c'est Ludwig. Et voici mon collègue...

― Lieutenant Descombes, Le coupa sèchement Christian. Et vous ?

― Laura... Veyrand, répondit timidement la jeune femme.

― Tu veux savoir quoi au juste ?

― Je me demandais sur quoi vous travaillez en ce moment...

― En quoi ça vous regarde ? Je ne vais pas parler de mon enquête à une gamine, nouvelle recrue en plus ! Vous ne manquez pas de culot !

― Excuse-le, murmura Ludwig alors que Christian repartait, énervé. En même temps, il n'a pas tort. On ne peut pas en parler, c'est une affaire sensible...

― Je sais... je vous ai entendu.

― Tu nous espionnais ?

― Non ! s'indigna Laura. Bon, si j'avais une ou deux informations sur votre type, on pourrait parler calment ?

― Je t'écoute...

― Pas ici, refusa-t-elle nerveuse. Dans un endroit neutre.

― Ok, je t'invite à dîner alors, proposa Loulou tant charmé par la fille qu'intrigué par ses possibles révélations

― Demain soir si tu veux.

― Très bien, je te donne mon numéro et tu me dis où tu veux manger. »

L'équipe du commissaire Thévenod ainsi que Borly se sentaient un peu à l'étroit dans le bureau exigu du juge, surtout que la tension était palpable entre Christian et Ludwig.

« Du nouveau depuis hier ? Demanda le juge.

― Pas grand-chose pour moi... Si ce n'est qu'une nouvelle recrue a essayé de nous soutirer des informations sur notre enquête quand nous étions en pause, râla Christian en jetant un regard noir à son coéquipier.

― Parce que vous en avez parlé en salle de pause ? s'écria Carmen excédée.

― Vous n'avez tout de même pas nommé “ l'Anti-Blondes ” ? Surenchérit Bellini.

― Ok, on se calme, Invita Borly. On va commencer dans l'ordre si vous le voulez bien ! Comment s'appelle cette nouvelle recrue ? et que voulait-elle exactement ?

― Elle s'appelle Laura Veyrand et...

― Et elle nous a demandé de but en blanc sur quelle affaire on est en ce moment, enchaîna Christian irrité.

― Et vous avez répondu quoi ?

― Moi ? Que ça ne la regardait pas et je me suis barré ! Après, je ne sais pas ce que monsieur le brigadier a pu lui dire.

― Je n'ai rien dit, j'ai seulement excusé la manière dont Christian l'a agressée.

― Mais tu n'as rien compris mon pauvre ! Maintenant, les jeunes recrues c'est « Je me renseigne sur ton enquête pour mettre mes grosses paluches dedans, histoire de me faire mousser » !

― Les autre peut-être, mais elle, je crois ne pas !

― Ah... J'ai compris ! Elle te plaît !

― Non !

― Notre Loulou a le béguin pour une nouvelle recrue ! se moqua Christian. Tu vas la revoir ?

― Eh, c'est bon les chamailleries là ! S'écria Carmen. On dirait deux gosses de maternelle !

― J'ai ce qu'il me faut, remercia Borly. Je vais mener mon enquête sur cette femme et on avisera suivant les informations que j'aurais. Sinon, du nouveau ?

― Les résultats d'analyse sont arrivés, annonça la commissaire. Les traces trouvées sur les draps c'est bien du liquide vaginal, mais il n'y a aucune trace de sperme. Ce qui indique que la victime a eu un rapport protégé avant son décès.

L'autopsie confirme la mort par strangulation et a révélé des traces de somnifère dans le sang de la victime.

― Pourquoi l'aurait-il étranglée si elle était endormie ? Se questionna Bellini.

― Soit il lui a donné une dose trop faible, soit il a trop attendu... proposa Loulou. Dans les deux cas, elle a pu se réveiller et se débattre.

― Pourtant, les analyses ne révèlent aucune trace de lutte sur le corps, pas de peau sous les ongles et ni empreintes, ni ADN, exposa Carmen.

― Sinon, l'entretien avec l'ex ? Ça a donné quoi ? Demanda Bellini.

― Rien, déclara Christian. Il l'a vu lorsqu'il est venu chercher son gosse en fin de semaine dernière. Il devait le ramener, ce week-end. Il n'a pas remarqué de changement de comportement. Elle ne lui a rien dit.

― Bien, messieurs-dames, je vous laisse retourner à votre travail, on refait le point dans quelques jours.

― Ludwig, vous pouvez attendre quelques minutes ? L'interpella Antoine, alors que les autres sortaient de la pièce. Dites-moi franchement, est-ce que vous avez parlé à cette fille ? Demanda-t-il alors qu'il ne restait que le juge.

― Non, souffla le jeune homme, intimidé par la présence imposante du juge.

― Ok... monsieur le juge, je prends une pause avec ce jeune homme, je reviens, annonça Antoine en attirant le brigadier vers la porte. Vous fumez ?

― Non...

― Moi oui, et j'en ai vraiment besoin d'une ! Donc on va dehors, déclara Borly en se dirigeant vers l'extérieur.

Il prit le temps d'allumer sa cigarette et de tirer une longue bouffée qu'il recracha goulûment quand Ludwig lui posa la question qui le démangeait.

― Vous allez faire quoi exactement ?

― Je ne lui veux pas de mal, je veux juste me renseigner. Et j'aurais besoin de vous... Alors dites-moi si vous lui avez parlé.

― Oui, un peu... Mais je n'ai pas parlé de l'enquête.

― Alors c'est peut-être elle qui a parlé !

― En quoi ça vous regarde au juste ? demanda Ludwig agacé par toutes ses questions.

― Le fait que cette femme vienne vous voir comme ça, histoire de savoir sur quelle enquête vous êtes... Je trouve ça bizarre. Surtout si elle vous a entendu parler de Nowack, là ça devient plus que suspect...

― Elle m'a juste dit qu'elle aurait des informations à me confier sur notre homme.

― Lesquelles ?

― Je n'en sais rien. Elle semblait mal à l'aise, elle ne voulait pas parler au commissariat donc je l'ai invité à dîner demain soir.

― Très bien, allez à ce rendez-vous et on en reparlera plus tard.

― En fait, Christian a raison, elle me plaît et je ne veux pas lui faire de tort ! avoua-t-il timidement au détective.

― Je l'ai compris quand Christian s'amusait à vous charrier... Bon, je vous propose qu'on en reparle lorsque j'aurais fait ma petite enquête. Je vous donne les informations que j'ai récoltées. Si vous en savez plus, vous me le dites, ça vous va ?

― Ça marche. »

&*&*&

Ludwig attendait depuis près d'un quart d'heure à la table d'un restaurent indien que Laura lui avait proposé dans la vieille ville d'Annecy. Il s'était mis sur son trente-et-un pour séduire la jeune femme et il commençait à regretter son choix vestimentaire. Vêtu d'un jean foncé dont les chaussures de villes étaient assorties, d'une chemise blanche et d'une veste de costume, son allure détonnait par rapport au look décontracté des autres clients. Ce sentiment de décalage s'accentua lors de l'arrivée de la belle. Grande, élancée, aux jambes longues et fines, Laura arborait un large sourire en le voyant et pressa le pas. Elle n'avait pas mis une tenue de soirée, mais un simple jean slim noir accordé à ses talons hauts et un tee-shirt de couleur crème, à longues manches, légèrement échancré qui lui allait à ravir. Ses cheveux remontés en un volumineux chignon laissaient apparaître deux gros anneaux dorés qui pendaient à ses oreilles.

Elle s'excusa de son retard et, en gentleman, Ludwig recula sa chaise en l'invitant à s'asseoir. Ils commandèrent l'apéritif et attendirent que le serveur se soit éloigné pour entamer la conversation.

« C'est rare la galanterie de nos jours, s'amusa Laura.

― Désolé si j'en fais trop, mais...

― Un peu, oui... mais c'est mignon.

― Ah...

― Eh ! Déstresse, ce n'est pas un rencard non plus ! Enfin pas pour moi...

― Pour moi non plus, s'offusqua le jeune homme.

― Vue ta tenue, j'en doute, mais bon ! En fait, je croyais que ton invitation était une excuse pour que je te donne des infos sur votre homme, je ne pensais pas à... »

Sa phrase resta en suspend le temps que le serveur prenne leur commende puis reparte avec leurs verres. Ludwig en profita.

« J'avoue, le dîner c'était pour que tu oses me parler, mais si je peux faire d'une pierre deux coups...

― Là, c'est beaucoup moins romantique ! Mais ça a le mérite d'être clair et j'aime bien ça. Et si tu veux savoir la vérité, toi aussi tu es mon genre... susurra-t-elle.

― D'accord... si on passait au sujet qui nous intéresse ? Proposa Ludwig, gêné.

― Ok, mais dans ce cas, c'est donnant-donnant... Je te dis ce que je sais, et tu fais de même en retour !

― Tu marchandes en plus ? souffla-t-il surpris. En fait, Christian à raison, tu es culottée !

― Ou pas, lança la jeune femme, se fendant d'un sourire espiègle. Ok ! La première chose que tu dois savoir sur moi, c'est que mon père s'appelait Nowack...

― Ton nom, ce n'est pas Veyrand ?

― C'était ma deuxième info... désolée de te décevoir, mais je suis mariée.

― Ok... Passons ! Concernant ta première information, des Nowack, il y en a beaucoup en France !

― Qui sont nés en Normandie, près de Caen ? Un peu moins commun...

― Ça reste un nom répandu ! Donc j'imagine qu'en Normandie, il y a plus d'une famille qui doit porter ce nom, répondit Ludwig sceptique.

― C'est bon, cette conversation m'a coupé l'appétit ! Si tu doutes de ce que je te dis, ce n'est pas la peine de continuer ! s'énerva Laura en se levant de table, son assiette à moitié vide.

― Ok, je te crois ! Et moi non plus, je n'ai plus faim... Donc si tu veux, on peut terminer la conversation ailleurs !

― Pourquoi pas... Tu as une idée ?

― Chez moi ?

― Je te suis. »

Ce revirement de situation arrangeait bien la jeune femme. En allant plus loin dans cette conversation, elle savait qu'elle finirait par tout lui révéler. C'était idiot puisqu'elle ne le connaissait que depuis la vieille, mais il lui inspirait confiance. Elle avait besoin de vider son sac, mais elle savait pertinemment que si son passé resurgissait, sa carrière serait mise en jeu.

Après une demi-heure d'autoroute, Laura gara sa voiture devant un immeuble de trois étages. Elle suivit le brigadier et s'installa sur le canapé en tissu noir le temps qu'il leur serve à boire.

« Alors, on en était où déjà ? Demanda Ludwig en s'asseyant face à son hôte.

― J'ai des bribes de souvenirs... souffla Laura à moitié dans ses pensées. Mon père qui lève la main sur une femme... Des pleurs dans un berceau... Le visage d'un nourrisson... Quelqu'un qui l'appelle John... Les derniers souvenirs qui me hantent encore c'est quand mon père a frappé si fort ma belle-mère, qu'elle en est morte ! Je me suis toujours demandé ce que signifiaient ces flashs, jusqu'à ce que j'entende votre conversation ...

― Sérieux, sèche tes larmes si tu ne veux pas me voir chialer !

― C'est encore plus mignon, murmura-t-elle en souriant timidement.

― Donc si je comprends bien, tu penses que c'est ton frère...

― J'en suis sûre ! Déclara la jeune femme en oubliant sa peine.

― Tu sais autre choses sur lui ?

― Comme tu as pu le comprendre, je n'ai que de vagues souvenirs de lui. Dès que l'occasion s'est présentée, sa mère l'a emmené avec elle... Ils se sont enfuis, me laissant avec ce taré ! S'écria-t-elle avant de fondre en larmes.

― Pourquoi ce taré ? Il t'a fait quoi ?

― Pas envie d'en parler !

― Je te ressers ?

― Tu n'as pas un truc plus fort ? Vodka ? Tequila ?

― Ok, mais si tu picoles, tu dors là !

― J'ai fouillé chez mon père alors qu'il était au bar... continua la jeune femme sans entendre l'injonction de Ludwig.

― Tu cherchais quoi ? Demanda le jeune homme en ramenant une bouteille de Vodka et deux shooter.

― Une photo... j'espérais qu'il ait gardé une photo de ma mère, je voulais savoir à quoi elle ressemblait ! Et je l'ai trouvé !

― Il y avait un nom ?

― Oui, et une date... le dix septembre quatre-vingt-cinq... L'année de mes trois ans.

― Et le nom ?

― Carole Duprés... Je me suis renseignée sur elle, j'avais même trouvé son adresse !

― Et tu es allé la voir ?

― J'ai essayé en 2010, lorsque je me suis barré de chez mon père. Je voulais voir à quoi ressemblait ma mère, si je pouvais m'entendre avec mon frère... Mais quand je suis passé devant leur immeuble, j'ai vu une pancarte « À Louer »...

― Et tu sais où ils sont partis ?

― Elle, au paradis suite à un cancer du pancréas ! Lui, je n'en n'ai aucune idée...

― Ça va ?

― Oui, mieux ! Si tu veux, je suis prête...

― À quoi ?

― Te raconter mon passé... À condition que tu me resserves !

― Ok »

À la déception de Ludwig qui pensait la réconforter en la prenant dans ses bras, Laura vida son sac à grand coup de shoot de vodka. Elle raconta son enfance peuplée de violence. Elle lui parla d'Annabelle, la femme de son père qu'elle aimait comme si c'était sa mère. De tous les coups portés par son bourreau de père, qu'elles avaient chacune endurés. Du coup fatal qui tua cette femme si bonne. De son adolescence qu'elle passa aux creux des reins des amis de son père ou ceux d'inconnus dans des hôtels miteux contre de l'argent qu'elle donnait à son Mac de père. Elle raconta l'inceste, les insultes. Puis la rébellion, la fois où elle lui a dit ses quatre vérités et tout ce qu'il lui a mis dessus en réponse.

Enfin, elle lui expliqua comment elle s'en est débarrassée, la poêle qu'elle tenait et qui s'est abattue sur sa tête à lui. Comment il a basculé, se cognant violemment contre le coin de la table basse. Mort sur le coup...

Vidée de son récit et emplie d'alcool, Laura s'allongea sur le canapé et s'endormit. Conscient de ce que cette jeune femme avait enduré et ce qu'elle avait dû faire pour être libre, Ludwig savait que s'il parlait à ce détective, c'est la vie et la carrière de Laura qu'il détruirait à jamais.

Sa décision était prise : Rien ne sortirait de sa bouche !

&*&*&

C'était le réveillon du nouvel an, mais Borly n'avait pas le cœur à la fête. Toujours en Haute-Savoie, il commençait à se demander s'il ne ferait pas mieux de rentrer à Caen et de reprendre son travail habituel. Et pour couronner le tout, comme s'il n'était pas assez stressé, sa petite sœur Lisa, le harcelait pour qu'il vienne à Honfleur s'amuser avec elle en fêtant la nouvelle année.

L'affaire piétinait, mais les questions se succédaient et il n'entendit pas son portable sonner. Il n'avait de cesse de se dire que ce ne pouvait pas être l'œuvre de “ l'Anti-Blondes ”, comme l'avaient surnommé les journaux. Deux questions en une le hantaient : Qui s'amusait à imiter son tueur en série ? Et surtout pourquoi et dans quel but ?

Le téléphone sonna à nouveau et le détective répondit sans prendre la peine de regarder le nom de son contact.

« Oui, c'est bien lui...

― ...

― Ok, je me connecte !

― ...

― Ah... Intéressant !

― ...

― Je te remercie, ça pourra me servir. »

Sa petite enquête sur la nouvelle recrue avait porté ses fruits, mais Borly se doutait que le jeune brigadier en avait appris davantage sur la jeune femme et il devait en avoir le cœur net. Son instinct le trompait rarement.

Il composa le numéro que Ludwig lui avait donné. Un soir de fête, à vingt et une heure, Borly s'attendait à tomber sur le répondeur.

À sa grande surprise, quelqu'un décrocha, mais il ne reconnut pas la voix.

« Bonjour, Antoine Borly... Détective, Se présenta-t-il.

― Si c'est au sujet de Laura Veyrand, on pourrait en parler mercredi... proposa une voix pas très sûre.

― Désolé Brigadier, je ne vous avais pas reconnu ! J'aimerais en parler au plus vite, aujourd'hui si possible.

― Aujourd'hui, je ne peux pas, car je suis en repos... donc je vous propose d'en reparler mercredi !

― Mercredi ? C'est dans trois jours, et je ne les ai pas ! Mais si vous préférez que j'avise votre supérieur des conversations concernant notre affaire que vous entretenez avec une inconnue en dehors du travail, ce pourrait être réglé dès lundi...

― Putain ! Vous y allez au chantage maintenant ? Souffla Loulou.

Bon, vous voulez savoir quoi au juste ? demanda-t-il après réflexion.

― Tout ce que cette femme a pu vous apprendre !

― Je suis désolé... Mais je n'ai rien appris auprès d'elle.

― Et les informations dont elle vous a parlé ?

― C'était du vent, un piège dans lequel je suis rentré à pied joint...

― Comment ça ?

― Lors du dîner, elle m'a avoué que je lui plaisais beaucoup, mais qu'elle ne savait pas comment m'aborder... Donc elle a eu l'idée de ce stratagème !

― Ah...

― Vous m'excuserez, mais je suis attendu... »

Borly n'eut pas le temps de répondre que le jeune brigadier avait déjà raccroché.

Un peu plus et il se croyait avec Mattéo... Son ancien équipier de Caen !

Il se fendit d'un sourire en se disant que ce petit con s'était bien foutu de lui. En tant qu'ancien flic et, à présent détective, il sentait que cette histoire de stratagème sonnait faux, mais il ne lui en voulait pas. Le jeune homme avait visiblement le béguin et semblait être un gars loyal. Borly se doutait que cette femme lui avait demandé de ne rien dire.

De toute façon, il n'avait pas besoin du brigadier. La fille serait obligée de collaborer avec lui, surtout lorsqu'il lui exposera toutes les informations qu'il a récolté sur elle, surtout celles qui pourraient remettre en cause sa carrière.

Loin des flics véreux qu'il avait pu connaître, il avait besoin de cette collaboration. Et si Laura ne lui laissait pas d'autres choix, il n'hésiterait pas à utiliser sa dernière carte.

&*&*&

Deux jours plus tard, Borly se rendit au commissariat et demanda à voir l'officier Veyrand. Une policière en uniforme lui informa que Laura était parti se changer et qu'elle allait sortir d'une minute à l'autre. Il s'excusa et sortit pour fumer une cigarette. Il n'attendit pas longtemps avant que la jeune femme fasse son apparition.

« Excusez-moi de vous déranger... l'interpella-t-il. Je m'appelle Borly, je suis détective et je cherche Mme Veyrand.

― Vous l'avez en face de vous. C'est pour quoi ?

― Je ne vais pas y aller par quatre chemins, je cherche John Nowack...

― Je ne connais pas, répondit la jeune femme en avançant vers sa voiture.

― Et moi, je crois le contraire !

― Vous vous trompez de personne, je ne connais pas ce monsieur !

― Je me suis renseigné sur vous, lança Antoine à quelques centimètres de la jeune femme, alors qu'elle allait entrer dans sa voiture. Si vous voulez en parler ici...

― Vous savez quoi sur moi ? Cria-t-elle en refermant violemment sa portière et s'approchant du mastodonte. Vous ne me connaissez pas !

― J'en sais assez pour changer votre vie... murmura-t-il a son oreille. Alors, on va chez vous ?

― Pourquoi chez moi ?

― Pour l'instant, je vis dans un hôtel et ce n'est pas le genre de lieu le plus discret !

― Ok, suivez-moi. »

Seul dans son Audi A3, Borly jubilait de voir qu'il avait l'ascendant sur la jeune femme qu'il suivait. Laura Veyrand paraissait très sûre d'elle malgré son jeune âge et son manque d'expérience. À ces yeux, ce n'était qu'une façade. Ce n'était qu'une gamine, indéniablement mignonne, qui pourrait lui servir dans sa quête. Mais tout simplement une gamine. En rencontrant cette fille au tempérament de feu, il comprenait mieux ce que le brigadier lui trouvait, en plus de la sensualité qu'elle dégageait.

Arrivé dans l'appartement de type deux pièces, Antoine n'attendit pas qu'on l'y invite pour s'asseoir dans le canapé d'angle en simili-cuir.

« Je vous en prie asseyez-vous ! Râla Laura qui faisait un effort surhumain pour ne pas insulter le malotru. Je vous sers quelque chose ?

― Juste de l'eau, je suis en service.

― Bien, maintenant, vous pouvez vider votre sac, lança Laura en ramenant deux shooter et une bouteille de vodka.

― Commençons par votre nom de famille... Mademoiselle Nowack !

― Comment ?... Demanda-t-elle paniquée. Putain, c'est ce brigadier ! L'enfoiré !

― Vous avez fait comment pour changer de nom ?

― Veyrand, c'est le nom de mon mari, un psychiatre de renom...

― Je sais aussi que votre père est violent ! Enfin, était...

― Vous ne savez rien ! Cria Laura. Alors c'est lui qui a bavé sur moi ? Ce putain de brigadier ? Je peux déjà vous dire qu'il ment !

― Il ne m'a rien dit. Et pourtant ce n'est pas faute d'avoir essayé de lui tirer les vers du nez !

― Quoi ? Mais...

― Il m'a juste parlé de votre rencard et m'a affirmé que vous avez essayé de l'embobiner pour sortir avec lui. Vous savez, je ne suis pas si con et je n'en crois pas un mot. Alors ?

― Mais, il a raison ! Affirma Laura. Il me plaît vraiment et je ne savais pas comment me rendre intéressante à ses yeux. Alors quand j'ai entendu ce nom Nowack, j'ai prétendu avoir des informations pour le revoir...

― Vous mentez ! Avec aplomb, mais vous mentez et je suis sûr que vous lui en avez parlé !

― Je vous dis que je ne lui ai pas parlé de moi !

― Ok, vous voulez vraiment savoir ce que je sais sur vous ?

― Oui !

― Vous vous appelez Nowack, comme mon suspect numéro un. Votre mère est partie, car votre père était alcoolique. Celui-ci a rencontré votre belle-mère qui vous protégeait et vous aimait beaucoup, d'après des voisins, mais elle a été victime d'un malheureux accident dans les escaliers. Personnellement, je pencherais pour le coup de trop ! Il vous a prostituée... ce sont mes conclusions puisque des voisins m'ont raconté avoir constaté des allers et venues d'hommes, plusieurs fois par jour, des années durant. Enfin, j'ai retrouvé votre déposition concernant le décès de votre père dans laquelle vous avez affirmé être en légitime défense puisqu'il avait un pied de biche dans la main...

― C'est vrai ! Hurla Laura excédée. J'étais en légitime défense !

― Je ne vous crois pas ! La poêle ne fait pas le poids face au pied de biche, donc s'il avait ce genre d'arme, vous n'auriez pas eu le temps de frapper ! À part si...

― Si quoi ?

― J'ai compris, il n'avait pas d'arme quand vous l'avez frappé. Il avait peut-être posé le pied de biche pour se servir un verre...

― Vous êtes un vrai connard !

― Peut-être, mais un connard qui peut flinguer votre carrière !

― Vous n'avez pas de preuves.

― Vous n'étiez pas en légitime défense !

― En fait, c'est quoi votre but ? Vous êtes ancien policier et vous vous vengez en cassant du flic ?

― Non. J'ai besoin de votre aide... avoua Antoine faussement penaud.

― Et vous ne pouviez pas demander votre service normalement ?

― Ça n'aurait servi à rien, vous auriez refusé en bloc !

― Avec un s'il vous plaît, j'aurais peut-être pu dire oui...

― Sans dec...

― Bon, en quoi puis-je vous aider ? demanda Laura.

― À coffrer “ l'Anti-Blondes ”...

― Je ne vois pas comment...

― Déjà en posant des questions à votre mari histoire de voir s'il a une idée de l'identité du tueur et de celui qui l'imite, ou tout du moins s'il voit le profil !

― Hors de question ! lança Laura. Mon mari n'a rien à voir avec vos histoires, je ne veux pas le mêler à ça !

― Je comprends. Je vous laisse quand même ma carte ! Râla Borly en la jetant sur la table basse. Ne vous dérangez pas, je trouverais la sortie. »

 

Quelques jours plus tard, Borly reçut un SMS de Laura.

J'ai questionné mon mari, mais il ne connaît pas de Nowack et n'a pas eu le temps de se pencher sur le profil de “ l'Anti-Blondes ”.

Quitte à espionner, soyons discret : répondez-moi par mail.

 

Aussitôt Antoine envoya un mail à son contact.

 

Á : l.veyrand@gmail.com

De : borlya@hotmail.fr

04/01/13

 

Compris, madame !

CDT

A. Borly

P.S : Un de mes indics a repéré un blog suspect sur le site overblog.com : l'auteur n'a pas souhaité donner son nom et le litre du blog en question est « Au cœur du crime ».

Il est dans le thème Thriller.

Pourriez-vous infiltrer furtivement le site en créant votre compte pour me donner votre avis, SVP ?

J'attends votre retour.

 

Cela faisait trois semaines qu'il regardait sans cesse ses mails dans l'attente d'une réponse de la jeune femme et il commençait à perdre patience. Durant toute sa carrière de flic, il s'était donné un malin plaisir à humilier les balances qu'il trouvait faible. Aujourd'hui, les enjeux étaient différents. Il ne s'agissait pas de zèle, mais de trouver coûte que coûte un assassin multi récidiviste.

Il était sur le point d'appeler Bellini pour lui raconter tout ce qu'il savait sur la jeune femme quand le bip caractéristique de sa messagerie retentit.

 

Á : borlya@hotmail.fr

De : l.veyrand@gmail.com

24/01/13

Objet : Overblog

 

Je m'excuse pour l'attente...

Dois-je vous rappeler que je ne suis pas sur votre affaire et que j'ai moi aussi des enquêtes qui ne peuvent pas attendre ?

Sinon, je me suis inscrite sur le site. J'ai créé un blog sur le thème de la Death-métal, sous le pseudonyme Choupette14.

Je n'ai pas encore eu le loisir de m'intéresser aux autres blogs.

CDT

Laura

 

Le détective sourit en se disant que ce pseudo était vraiment ridicule, à peine digne d'une adolescente. Ce dernier message le rassurait. Il savait que Laura était dans son camp et qu'il pouvait lui faire confiance. Ce n'est pas comme si elle avait eu le choix. Au pire, il pouvait toujours avoir recours au chantage si besoin.

&*&*&

Quelques jours passèrent durant lesquels Borly douta de son choix. Avait-il eu bien fait de demander à une novice d'infiltrer un blog ? Allait-elle échouer lamentablement ?

Mais la question qui ne cessait de le hanter à ce moment précis c'était de savoir si la jeune femme allait l'aider ou il elle allait le laisser tomber malgré ses menaces.

La réponse tomba trois jours plus tard lorsque Laura lui envoya par mail ses premières constatations. Elle lui annonça qu'elle était parvenue à lire l'intégralité du blog qui était régulièrement mis à jour.

Dans les premiers articles, l'auteur se contentait de se présenter en donnant ses goûts pour les polars, les romans noirs et les thrillers. Elle avait appris que cette personne aimait tout particulièrement les romans de Maxime Chattam, de Catherine Giebel et de Bernard Minier.

Très vite ses postes commencèrent à devenir l'apologie de “ l'Anti-Blondes ”, dont il aurait entendu parler par le biais de sa fille. Il n'en parlait jamais ouvertement, mais parlais souvent de femmes blondes, vêtues de rouge sur un lit avec des fleurs blanches les entourant. Laura donna toutes les hypothèses qui lui venaient à l'esprit dans son mail. Les journaux avaient beaucoup parlé du meurtrier qui sévissait en Normandie, puis dans les deux Savoie.

L'auteur de ce blog pouvait très bien être un romancier qui veut écrire un polar en s'appuyant sur un personnage réel comme un tueur en série. C'était une possibilité, mais elle n'y croyait pas trop. Et ses doutes confirmèrent lorsque, dans son avant-dernier post, l'auteur du blog parla de faire le meurtre parfait.

Après les articles, Laura s'était intéressée aux commentaires qui allaient de l'insulte, aux menaces d'appeler la police. Et il y avait un certain HaineJy qui sortait du lot. Dans ses commentaires, il semblait se moquer de l'auteur, mais plus troublant encore, il avait l'air de s'être bien renseigné sur “ l'Anti-Blondes ”. C'était comme s'il le connaissait personnellement.

L'officier confia ses hypothèses au détective qui, en retour, la gratifia et lui demanda de continuer ses recherches.

&*&*&

À la veille de la Saint-Valentin, Borly demanda à Bellini de réunir l'équipe du commissaire Thévenod en urgence. L'après-midi même, ils se retrouvaient tous les cinq, à l'étroit, dans le bureau du juge.

« Qu'est-ce qu'il se passe ? Demanda Carmen à l'attention du juge.

― Déjà, j'aimerais savoir où vous en êtes dans notre enquête, lança Borly en la regardant fixement.

― Toujours au même point, soupira Ludwig. On rame.

― Ok, moi j'ai du nouveau...

― Comme quoi, Demanda Christian sceptique. De l'ADN ? Une empreinte ? Non... Ne me dites pas que le cadavre vous a dit qui l'a tué ? Lança-t-il moqueur.

― J'ai trouvé l'adresse IP de l'ordinateur... annonça Borly sans relever la remarque du Lieutenant.

― Vous ? Demanda Bellini. Vous êtes incapable d'envoyer des photos par mail !

― Non, ce n'est pas moi qui pianotais ! Mais j'ai mes sources. »

Bellini regroupa quelques officiers du commissariat et s'empressa de demander du renfort auprès de la BAC. Une petite réunion improvisée se fit dans les locaux et dura presque deux heures. Le temps pour Borly de s'éclipser tandis que le juge et la commissaire débriefaient et donnaient leurs ordres.

Le détective envoya un mail à Laura de son smartphone afin de lui parler de leurs dernières découvertes. Lorsqu'il rejoignit l'équipe de policiers, la jeune femme n'avait toujours pas répondu.

Il était dix-huit heures trente et le soleil commençait à se coucher sur Saint-Julien-en-Genevois. L'équipe de Carmen était en route, suivie de Borly et de trois fourgons de la Brigade Anti-Criminalité.

Ils ne mirent pas plus de dix minutes pour arriver à l'adresse indiquée par le détective. Après avoir emprunté, un petit chemin, le GPS affirmant qu'ils étaient arrivés. Les véhicules se garèrent devant un petit portail en bois donnant accès à une maison qui semblait abandonnée.

Les hommes de la BAC se séparèrent, encerclant la maison à la façade blanche, sous les regards stressés de Borly et l'équipe de police.

L'attente leur parut interminable avant qu'on donne le feu vert aux enquêteurs pour entrer. L'endroit désert sentait le renfermé. Les habitants semblaient avoir déserté les lieux depuis longtemps. En passant la porte, ils entrèrent dans une pièce à vivre un peu étriquée. L'équipe de police se dirigea vers les chambres alors que Borly visitait à son rythme. Il essaya l'interrupteur, mais l'électricité était coupée. La lumière des réverbères, à l'extérieur, filtrait à peine dans la pièce.

La salle était dénuée de décoration. Les murs blancs tranchaient avec le mobilier en bois brun. Ouverte sur le séjour, se trouvait une petite cuisine décorée à la mode des années quatre-vingts avec ses volumineux meubles en bois et sa table en formica. Rien ne traînait, tout avait été soigneusement rangé et lavé avant le grand départ.

Soudain, une voix résonna, sortant l'ancien flic de sa rêverie. C'était Ludwig qui appelait ses collègues.

Le couloir desservait trois petites chambres ainsi que la salle de bains avec son WC. Antoine ne s'attarda pas dans les deux premières chambres qu'il croisa, intrigué par ce qu'avait pu découvrir le brigadier.

Dans la pièce qui faisait la taille d'une chambre de bonne, siégeait un bureau sur lequel on avait posé un ordinateur. L'écran était rabattu, mais les enquêteurs distinguèrent une petite lumière qui indiquait qu'il était en veille.

Antoine devança toute l'équipe en s'approchant en premier de l'engin, suivi de Carmen et de ses coéquipiers. Borly releva l'écran qui s'alluma sur le bureau de l'ordinateur portable. Il ne contenait qu'un seul dossier intitulé « Sabine Roland ».

Seule à s'être munie de gants, Carmen prit la relève. Elle double-cliqua sur le dossier, faisant apparaître une liste d'images. Elle agrandit la première image qui représentait une femme blonde et svelte d'une trentaine d'années. Il s'agissait de photographies prises avec un appareil photo puisqu'il y avait la date et l'heure inscrite sur chacun d'entre elles, en bas à gauche. Carmen fit défiler une vingtaine de clichés.

« Putain... souffla Christian, c'était la semaine dernière !

― Il l'a prise à son insu, affirma Carmen. Et sous tous les angles.

― Si on se fie aux dates et heures de prise de cliché, notre homme a espionnée cette jeune femme durant trois jours.

― Bien, il faut la retrouver au plus vite, annonça Bellini qui venait d'arriver. En espérant qu'il ne soit pas trop tard...

― Et comment on va s'y prendre ? Demanda Borly.

― Moi aussi, j'ai mes sources... répondit le juge d'un air qui se voulait mystérieux. »

De retour chez lui, Borly envoya un mail à Laura, lui relatant leur dernière découverte. Fatigué et courbaturé, l'ancien policier s'allongea sur le canapé, attendant que Morphée daigne l'emmener au pays des songes. Malheureusement, elle n'avait pas l'air décidé et il resta à regarder le plafond en trépignant d'impatience de recevoir les images que la commissaire lui avait promis d'envoyer sur sa boîte mail.

Un léger bruit le fit sursauter. Un mail venait d'arriver.

Il bondit du canapé et se rua sur la chaise de son bureau. C'était une réponse de Laura.

 

Á : borlya@hotmail.fr

De : l.veyrand@gmail.fr

13/02/13

Objet : Impossible

 

Il y a un truc qui ne correspond pas à notre copieur dans ce que vous me racontez !

Pour être clair : le type du blog n'a de cesse de parler de « ce gars qui déguise les femmes », comme il dit, mais lorsqu'il a parlé de meurtre parfait, il n'a jamais fait mention d'espionnage. En revanche, il a beaucoup parlé des bienfaits des sites de rencontre pour voir des gens.

Mon hypothèse : soit, on a affaire à 2 personnes différentes... Soit, notre homme nous envoie sur une fausse piste !

Un leurre pour gagner du temps ?

Je vous tiens au courant si j'ai du nouveau.

Laura

 

Dans le même temps, il reçut un dossier de la part de la commissaire. Les photographies trouvées sur l'ordinateur. L'inspection des clichés le tint éveillée toute la nuit.

Le lendemain à la première heure, Antoine se retrouva, un moment, seul avec la commissaire en attendant le reste de l'équipe.

« Vous devriez dormir la nuit... se moqua Carmen, vous ressemblez à un zombie !

― Je sais... grommela Antoine.

― Et ça pourrait vous rendre aimable !

― Bon ! Je sais que vous ne pouvez pas me blairer, mais ça ne vous donne pas le droit de m'insulter !

― Je ne vous ai pas insulté, je vous ai juste dit la vérité ! Avec une pointe de sarcasme, je vous l'accorde...

― Excusez-moi. Je n'ai pas dormi cette nuit à cause de ses foutues photos...

― Ce n'est rien ! Mais autant crever l'abcès tout de suite !

― Ok. Commencez par me dire pourquoi vous ne m'aimez pas, lança Antoine du tac au tac.

― Je ne vous connais pas assez pour dire que je ne vous aime pas. Non, c'est votre enquête que je ne sens pas ! Et, je dois admettre que votre entêtement ne m'inspire pas confiance.

― Pourquoi, vous parlez d'entêtement ? Au contraire, je pense avoir été neutre !

― Ce n'est pas moi qui le dis, ce sont vos collègues de Caen...

― Quoi ?

― Je me suis renseigné sur vous et pour cela, j'ai dû appeler votre ancien commissariat.

― Mais de quoi je me mêle ! s'énerva Antoine. Vous n'aviez pas à appeler mon ancienne équipe !

― Après ce que m'a expliqué le juge sur vous et vos visions de cette enquête, j'ai dû vérifier !

― Bellini ? Il vous a dit quoi ?

― Il ne faut pas lui en vouloir, il s'inquiète pour vous !

― Il vous a dit quoi, au juste ?

― En gros, il m'a parlé de vos enquêtes en Normandie, qui se sont toutes soldées par un échec. Idem pour celle de Savoie et Haute-Savoie. Et d'une victime qui n'était autre que votre belle-sœur...

― Ok, donc simplement des faits ! Et mon équipe ?

― Pour eux vous étiez un bon flic, jusqu'à ce que votre sœur vous demande de retrouver l'assassin de sa femme. À partir de là, ils m'ont avoué ne plus vous reconnaître...

― Et vous ? Vous en pensez quoi ?

― Moi ? j'en pense que ça ne me plaît pas de vous avoir dans mes pattes ! Je ne veux pas que vous embarquiez mon équipe dans votre chasse au fantôme !

― Quoi ? Un ancien flic qui pourchasse un tueur en série, ça ne vous plaît pas ? Vous le voyez comment notre métier alors ? Poser des PV et remplir la paperasse ?

― MON métier ! le reprit Carmen sans ménagement. Moi, je ne conçois pas ce métier comme une vengeance, contrairement à vous ! Et vous parlez de tueur en série, mais vous n'avez aucune preuves... Autant que votre suspect, ce Nowack, n'en est pas un puisqu'il n'y a aucun soupçon qui pèse sur lui ! Il faut que vous sachiez, que ce soit Bellini ou votre ancienne équipe, ils m'ont tous avoué qu'ils pensent que vous fuyez la réalité.

― La réalité ? J'y suis en plein dedans ! cria Borly. Elle est simple à comprendre : Il y a un tueur en série qui en est à six victimes. Maintenant, on a un taré qui s'amuse à l'imiter ! Vous en voyez d'autres, vous ?

― Oui, j'en vois une autre : j'ai une victime qui a été déguisée et son meurtrier n'a pas encore été trouvé. On m'a collé un détective, ancien flic, qui me parle d'autres victimes retrouvées dans deux autres régions, dont les mises en scènes sont semblables, mais aucune n'a été tuée de la même façon. On oublie donc le rituel ! Je me rends compte à présent, que mon collaborateur est ivre de vengeance et que mon brigadier semble obnubilé... »

Carmen se tut en entendant la porte qui s'ouvrait sur Christian qui les regarda d'un air interrogatif. La tension entre Antoine et Carmen était palpable et toute l'équipe semblait à cran.

Borly parla en premier et expliqua ce qu'il avait découvert en regardant de plus près les images. Il en montra trois, sur lesquelles la jeune femme était prise de profil. En arrière-plan, on pouvait remarquer un grand geyser. C'est le brigadier qui comprit le premier : les photos avaient été prises à Genève.

De son côté, Christian annonça une moins bonne nouvelle. La femme de la photo ne s'appelait pas Sophie Roland, mais Karen Moreau, une journaliste partie en reportage en Inde qui était parti trois semaines auparavant et ne rentrerais que le mois suivant. Ce n'était donc pas une victime potentielle.

À la vue des derniers résultats et de l'absence de preuves, le juge s'excusa auprès de Carmen et son équipe, ainsi que de Borly de leur avoir fait perdre leur temps et décida de clore l'enquête.

Essuyant un échec de plus, Borly rentra chez lui, le moral dans les chaussettes.

Il ne s'en sentait pas la force, mais s'imposa tout de même d'envoyer un mail à Laura pour lui donner la triste nouvelle. Il se rendait seulement compte qu'il y était allé un peu fort avec son chantage et tenait à s'excuser.

 

Á : l.veyrand@gmail.com

De : borlya@hotmail.fr

15/02/13

Objet : Fi de l'enquête

 

Laura,

Je voudrais tout d'abord m'excuser pour les menaces, je n'aurais pas dû !

Le juge vient de clore l'enquête, je n'ai donc plus rien à faire ici.

Je rentre chez moi en Normandie retrouver mes occupations.

Prenez soins de vous et faites-moi un signe si vous passez vos vacances dans le Nord de la France.

Borly

 

Bip, bip !

 

Á : borlya@hotmail.fr

De : l.veyrand@gmail.com

15/02/13

Objet : Pas tout seul

 

Borly,

Excuses acceptées.

Concernant l'enquête, je pense qu'on n'en a pas fini avec les cadavres et je pense que vous avez raison sur l'identité du tueur.

Je vous avouerais qu'au début j'étais sceptique quant à vos hypothèses, je ne voulais pas imaginer que mon frère, que je n'ai jamais connu, puisse être derrière tant de victimes.

En m'intéressant à ce blog, sous vos ordres, je pense vraiment que c'est un plagiat.

Autre chose : sous le pseudo « HaineJy », je pense qu'il s'agit de “ l'Anti-Blondes ”... je préférerais vous l'expliquer de vive voix !

Je ne vous laisse pas tomber ! Et je compte bien passer une prochaine fois en Normandie.

Laura

 

8

 

Traînant sa valise derrière elle, Laura se dirigea vers la sortie de l'aéroport de Carpiquet, près de Caen. Depuis près d'un an, elle n'avait pas eu de congés et la semaine qu'elle s'octroyait pour les fêtes de fin d'années, elle allait la passer à huit-cent kilomètres de son mari. Elle aimait beaucoup cette région. Cette fois-ci, elle ne venait pas en touriste, mais pour continuer l'investigation avec Borly.

La jeune femme n'avait parlé de son enquête à personne de peur de la compromettre, ni même à son mari qui la croyait avec une bande d'amies.

La jeune policière aperçut le détective qui la cherchait du regard. Dès qu'il la vit, un large sourire illumina son visage et Antoine vint à sa rencontre. Avant même de lui dire bonjour, il lui prit la valise des mains et se dirigea vers sa voiture pour la ranger dans le coffre.

Laura n'attendit pas que le détective lui propose de prendre place pour s'asseoir sur le siège passager et boucler sa ceinture. Antoine s'assit à son tour et alluma le contact. Il ouvrit la bouche pour parler, avant de la refermer.

« Comment vous saviez que je serais seule ? Demanda Laura.

― Je ne le savais pas, mais je l'espérais, avoua Antoine.

― Vous n'espérez pas que ?...

― Non ! Je ne touche pas les femmes mariées. En revanche, je me doute qu'on n'aurait pas pu se rencontrer à Caen si votre mari était avec vous.

― Exact. Déjà, parce qu'il est jaloux. Mais aussi, parce que je ne lui ai pas parlé de notre affaire.

― Juste par curiosité, votre mari n'a pas pu venir ou c'est vous qui avez refusé qu'il vienne ?

― Un peu des deux. Il travaille cette semaine, mais il ne sait pas que je suis seule en Normandie. Il me croit avec des amies. »

Antoine cessa son interrogatoire lorsqu'il se gara devant son immeuble à la façade beige clair et aux volets bleu ciel.

Il invita son hôte à entrer dans un petit deux pièces à la décoration épurée, bien rangé et nettoyé avant de lui proposer de s'asseoir sur le canapé en simili-cuir et de lui proposer à boire. La fin d'après-midi approchait à grand pas et la journée avait été bien froide. Laura lui demanda un café.

Antoine apporta deux tasses fumantes et alla chercher son ordinateur avant de prendre place aux côtés de la jeune femme. Elle se connecta à son blog et rechercha celui qu'elle espionnait depuis près de dix mois.

Elle le retrouva en quelques minutes et Borly consulta le profil minutieusement. Il lut chaque article consciencieusement. Certains l'intriguèrent, de même que les commentaires correspondants. Un certain « HaineJy » attira son attention.

Le dernier article lui posa question. L'auteur disait vouloir rendre hommage à celui qu'il nommait comme « l'homme qui déguise les femmes ». Mais la grande question que se posait le détective, même si au fond il connaissait déjà la réponse qui lui donnait froid dans le dos, restait : Que voulait réellement dire leur imitateur en écrivant : « Je pourrais faire une œuvre aussi belle que les siennes » ? Comme Laura, auparavant, Antoine se demandait si c'était l'aveu d'un assassin qui tente de mettre la police sur sa piste ou s'il s'agissait simplement d'un fou de la pire espèce pour avoir des idées pareilles. Dubitatif et des questions plein la tête, l'enquêteur continua sa lecture jusqu'à ce qu'il devienne blanc comme un linge.

« Choupette14 ? C'est vous ?

― Oui... murmura Laura. Je sais, j'ai fait une bourde, mais...

― Mais là, il vous a grillée ! la coupa-t-il sèchement.

― Je trouve que je ne m'en suis pas trop mal sortie avec mon histoire de thrillers... minauda Lara.

― Pas sûr !

― Il ne m'a pas encore bloqué, c'est bon signe.

― Si vous le dites...

― À force de lire ce qu'il écrit, je commence à entrevoir comment il raisonne. Tout ce qu'il cherche c'est attirer l'attention.

― Je ne vois pas où vous voulez en venir.

― En gros, il y a une chance pour qu'il se méfie, mais ça pourrait être le contraire...

― Il pourrait chercher à vous prouver à vous et à « l'homme qui déguise les femmes » qu'il en est réellement capable, murmura Antoine dans un éclair de lucidité.

― C'est ce que je pense aussi. Dans ce cas, il pourrait être plus bavard !

― Bon, faites attention la prochaine fois... Et cet aspect de l'enquête reste entre nous parce que si le juge apprend l'existence de ce blog...

― On ne pourra plus y toucher, je sais ! approuva Laura alors que le détective répondait précipitamment au téléphone. »

La conversation ne dura qu'une dizaine de minutes. La mine déconfite d'Antoine n'était pas pour rassurer Laura qui, bien que peu expérimentée, comprenait qu'une nouvelle victime les attendait. Borly mit un maximum d'affaires dans une valise avant d'embarquer celle de Laura et de les jeter toutes les deux dans le coffre de sa voiture.

Sous le regard ébahi de sa coéquipière, l'enquêteur lui expliqua la situation.

« C'était Bellini... Je pense que tu as compris !

― Une nouvelle victime dont la mise en scène est similaire, j'imagine, approuva Laura. C'est où cette fois ?

― En Savoie. Bellini nous attend demain à la première heure au commissariat de Chambéry. »

Il était trop tard pour espérer trouver deux billets d'avion pour Lyon, aussi Antoine et Laura décidèrent-ils de faire le trajet de nuit en voiture.

La route fut longue et éprouvante pour arriver à Chambéry avec près de neuf heures de trajet. Antoine gara la voiture devant un hôtel première-classe. Lorsqu'ils se présentèrent, l'hôtesse d'accueil s'excusa, mais il ne restait plus qu'une chambre parentale. Exténués par le trajet, Antoine et Laura acceptèrent de partager un lit, c'était toujours mieux que de faire une nuit blanche.

&*&*&

Antoine n'avait pas réussi à dormir et s'était replongé dans le dossier de “ l'Anti-Blondes ” qu'il avait amené avec lui. De son côté, Laura était en plein cauchemar. Allongée sur un lit, vêtue d'une robe de soirée rouge, elle ne pouvait plus bouger, ni parler alors qu'une ombre tournoyait autour d'elle lui criant « Je vais te tuer ! ». Elle se réveilla en sursaut. Son cri sortit le détective de sa concentration, tandis que de la sueur perlait le long de sa nuque.

Borly regarda l'heure sur son téléphone et bondit de sa chaise pour se préparer.

« Putain, on est à la bourre !

― Comment ça ? Demanda Laura qui avait du mal à reprendre son souffle.

― J'ai envoyé un SMS à Bellini quand on est arrivés pour lui dire qu'on le retrouve au commissariat pour neuf heures ! Il est déjà neuf heures moins le quart.

― Ok, je vais prendre une douche !

― On n'a pas le temps là ! s'énerva Antoine qui ne supportait pas d'être en retard.

― Bon je me dépêche de m'habiller ! Râla Laura qui comprit que ça ne lui servirait à rien de s'obstiner. »

Le duo entra dans les locaux du commissariat au pas de course. Alors qu'ils se dirigeaient dans un couloir, la policière qui tenait l'accueil les interpella.

Borly prit la parole et fit un effort surhumain pour lui expliquer d'une voix calme et posée qu'ils étaient attendus par le juge et qu'ils étaient déjà en retard. La femme en uniforme fit une moue sceptique en prenant le combiné d'un téléphone. Elle leur fit un grand sourire en raccrochant et leur indiqua le bureau du commissaire en s'excusant.

Une voix fluette pourtant masculine donna l'ordre d'entrer lorsque Borly frappa à la porte. Il entra en premier et le juge se précipita vers le détective.

« Borly, je suis heureux que vous ayez pu venir aussi vite...

― Excusez-nous pour le retard, souffla Antoine en s'écartant afin que Laura puisse serrer la main du juge.

― Officier Veyrand ? Siffla Bellini toujours sur le pas de la porte.

― Désolée, on aurait dû vous avertir avant...

― C'est sûr, et surtout ça vous aurait évité de vous déplacer pour rien parce que je suis navré, mais vous ne pouvez pas assister à cette réunion, affirma le juge à Laura.

― Sauf votre respect, monsieur le juge, Laura... proclama Antoine. Enfin, l'officier Veyrand et moi sommes associés et...

― Je comprends, Borly, et ce n'est pas contre vous, mais elle n'assistera pas à ce débriefing.

― Mais... insista Borly.

― Officier, vous n'êtes pas sans savoir que si vos collègues de Saint-Julien viennent à savoir que vous enquêtez dans leur dos sur une enquête qui ne vous appartient pas, durant vos vacances de surcroît, vous êtes grillée...

― Vous lui faite du chantage ? S'offusqua Antoine.

― Je crois que vous ne comprenez pas, Bory, que moi aussi je risque gros en vous appelant à chaque fois, je vous rappelle que vous n'avez pas à enquêter sur les affaires en cours depuis que vous êtes devenu détective ! Si quelqu'un vient à en parler à tout-va, on peut dire adieux à cette enquête, vous et moi !

― C'est bon, laissez, capitula Laura, Monsieur le juge à raison. Je vous attends à l'entrée. »

Agacé, Antoine s'assit face à un jeune homme, visiblement Baba cool, avec ses dreadlocks et son pantalon extra-large. Le jeune homme se présenta comme le brigadier Burdet. Entre eux, un petit homme à la carrure de rugbyman le regardait d'un air suspicieux. C'était le lieutenant Mollier. Enfin, à l'écart de l'équipe, le commissaire Salaun s'était assis à côté du juge, ce qui décontenança quelques instants Borly. C'était un homme charismatique qui devait impressionner le commissariat avec sa voix de stentor et ses petits yeux durs. Son costume d'aristocrate ne l'adoucissait pas.

Celui-ci posa calmement la question que personne n'osait formuler.

« On peut savoir ce que cet homme fait ici ?

― Eh bien, il nous sera d'une aide précieuse en ce qui concerne notre nouvelle affaire.

― Vous avez sûrement déjà entendu parler de l'affaire de " l'Anti-Blonde ", enchaîna Antoine qui considérait avoir perdu assez de temps et qui comptait bien avancer.

― Vite fait... Répondit le lieutenant Mollier.

― J'étais le commissaire qui a enquêté sur ses premiers meurtres en Normandie...

― Depuis, je fais appel à ce jeune homme lorsque nous avons une affaire qui ressemble de près ou de loin à ce rituel, expliqua Bellini avec fierté.

― Pourquoi parler de votre métier au passé, demanda Salaun intrigué.

― Pour raisons personnelles, j'ai démissionné de la police pour devenir détective privé.

― Bon, qu'est-ce qu'on a sur la victime ? Demanda le juge visiblement pressé.

― Maryline Carron, dicta le brigadier qui lisait ses notes à haute voix. Trente-six ans, elle habite Vaulx-en-Velin, dans la banlieue lyonnaise. Elle a divorcé, il y a sept ans et de cette union a eu un garçon de douze ans, Théo. Depuis, elle vit seule mais entretient une relation libre avec un certain Luis Màrquez avec qui elle a une fille de trois ans, Léna.

― Ok ! On sait ce qu'elle faisait à Aiguebelette ? Demanda Borly.

― Elle était en vacances. C'est son compagnon qui a découvert le corps. Ils avaient convenu qu'ils prennent du bon temps avant qu'elle ne parte en Russie, elle avait réservé un avion pour demain en fin de matinée. D'après lui, elle était interprète russe, anglais et espagnol. Elle voyageait beaucoup.

― Et l'ex-mari, il devient quoi ? Demanda le juge.

― Il habite à Paris, expliqua le lieutenant. Je l'ai appelé avant que monsieur le détective arrive, il a pris le train de quinze heures.

― Est-ce que je peux voir les photos de la scène de crime ? Demanda Borly.

― Vous n'allez pas être déçu... lança le commissaire, grinçant. La mise en scène est originale et le rouge va très bien à cette femme !

― Comme vous pouvez le constater, la victime semble avoir été soigneusement lavée avant d'être habillée et ses ongles sont parfaitement vernis, commenta le juge alors que le détective détaillait les clichés.

― C'est ce que je vois ! Il y a des chances que ce soit notre homme.

― Je peux vous poser une question, Borly ? Demanda le commissaire.

― Allez-y...

― Est-ce que votre " Anti-Blonde " est un violeur ?

― Quoi ? Demanda le juge qui avait peur de comprendre.

― J'étais en train de relire les conclusions du légiste et les résultats d'analyses... hésita Mollier.

― Alors ? Que dit le rapport ? Demanda Antoine qui s'impatientait.

― Le légiste est formel. La victime est décédée d'asphyxie, mais elle a été violée avant...

― Les examens toxicologiques ont dit quoi ?

― Il y a des traces de GHB dans son sang...

― Ça ne colle pas, murmura Antoine sous les yeux effarés du juge.

― Et côté voisinage ? Demanda le juge, espérant détourner l'attention.

― On n'a pas encore eu le temps, mais nous avons le nom des voisins directs. Nous commencerons par eux, déclara le commissaire. »

Ils quittèrent les locaux du commissariat peu avant midi.

Constatant que son collègue et ami était sous le choc, Laura ne le brusqua pas et lui proposa de manger au KFC. Il aurait le temps de tout lui raconter plus tard.

Il déclina l'offre, lui expliquant qu'il préférait se reposer à l'hôtel.

&*&*&

La jeune policière avait insisté pour prendre le volant. Antoine ne se fit pas prier. Elle avait raison et il le savait. Il n'était pas en mesure de conduire, sa concentration et ses réflexes lui faisaient défaut. Il était en état de choc.

Durant tout le trajet il n'avait eu de cesse de regarder sa coéquipière. Treize ans les séparaient, mais Antoine ne pouvait nier son attirance pour cette belle jeune femme blonde, aux yeux verts dont le corps élancé et athlétique était digne des mannequins qui s'affichaient sur les magazines. Du haut de ses vingt-trois ans, Laura avait acquis une maturité qui la vieillissait. Afin de penser à autre chose et tenter d'éliminer ses pensées insidieuses, Antoine se focalisa sur la route qui défilait jusqu'à ce que la voiture s'arrête sur le parking du petit hôtel low-cost.

Laura ouvrit la porte et ôta son manteau tandis que l'ancien flic s'approchait d'elle. Elle se tourna pour lui parler, mais n'en eu pas le temps. Il l'embrassa avidement. Surprise, la jeune femme se laissa faire. Elle ne devait pas et elle le savait. Ce n'était pas son style d'homme, mais elle devait avouer qu'il avait beaucoup de charme avec ses cheveux en bataille et sa barbe de trois jours. Quand il mit fin à son baiser pour juger sa réaction, plus rien ne comptait. Plus d'enquête, plus de mari, plus de juge, et surtout, plus de tueur. Elle plongea ses yeux dans les iris verts de son amant et pour prolonger ce moment. Á son tour, elle mit sa langue dans la bouche chaude de ce bel inconnu.

Ce n'était pas un ébat romantique fait d'amour et de douceur. C'était une urgence vitale, un exutoire face à tant de crimes. Leur gestes secs et saccadés faisaient penser à une bagarre dans laquelle chacun prenait le dessus sur l'autre à tour de rôle. Les vêtements volaient, les mains s'empoignaient rageusement, les doigts griffaient. Les corps se poussaient, d'abord contre les murs cherchant à tout prix à s'imbriquer, puis sur le lit avant de jouer l'acte final. Se fondre dans l'autre, se cambrer de plaisir et de soulagement pour enfin jouir, à l'unisson, sans bruit. Juste en se regardant.

Après la rage et la fougue, le besoin de tendresse. Se sentir protégé et soutenu.

Ils restèrent un moment, lovés sur le lit à reprendre leur souffle et à apprécier le calme. Jusqu'à ce que la conscience revienne et que Laura saute du lit, paniquée.

« Putain, mais qu'est-ce qu'on a fait ! On n'aurait pas dû ! C'était une erreur...

― On n'aurait pas dû... répéta doucement Antoine.

― Excuse-moi, ce n'est pas contre toi. C'était très bien mais, je suis mariée et j'aime mon mari...

― Et moi j'aime les hommes...

― Quoi ?

― Depuis mon adolescence, je suis attiré par les mecs, avoua le détective. Jusqu'à maintenant, en tout cas.

― Tu es peut-être bi, finalement !

― Possible... Ou alors, c'est une façon de te remercier de me suivre dans cette enquête...

― Comme on remercie une pute avec un petit billet ? Grinça-t-elle en s'habillant.

― Non, pas du tout, s'excusa-t-il en enfilant son pantalon. Ce que je veux dire, c'est que notre attirance est peut-être due au stress accumulé et aux émotions qui ont jaillies durant cette périlleuse enquête...

― Tu as raison, c'est sûrement ça ! En tout cas, ça n'arrivera plus jamais. Je suis une femme fidèle ! »

La tension redescendit et Borly raconta ce qui s'était dit lors de la réunion qui s'était déroulée le matin même. Il lui expliqua la scène de crime similaire, la drogue retrouvée dans le sang et le viol. Laura comprit aussitôt que Borly avait nourri l'espoir fou de retrouver la trace de celui qu'il traquait depuis deux ans et, qu'en une matinée, cette illusion venait de s'envoler.

« Tu penses que l'imitateur est un complice de notre tueur ?

― Je ne sais pas trop, répondit Borly en réfléchissant. D'un côté, je te dirais oui. Parce que, comme par hasard, il se manifeste au moment où l'on perd la trace de “ l'Anti-Blondes ”. En même temps, si c'était un leurre, Nowack aurait donné des consignes...

― Histoire d'éviter des erreurs stupides, du genre un vernis qui dépasse ou un viol... compléta Laura. Je suis d'accord.

― En revanche, ce qui m'échappe, continua Borly, c'est que d'habitude, les tueurs en série ont un rituel et un cycle précis...

― Mais “ l'Anti-Blondes ” a un rituel, affirma Laura. La robe, le vernis, les escarpins... Sans oublier, les roses blanches autour des victimes.

― En ce qui concerne les scènes de crime oui, par contre dans la façon d'exécuter les victimes, c'est anarchique.

― Comment ça ?

― Le seul point commun c'est l'asphyxie... Mais pour les endormir, il nous a tout fait, les somnifères, les coups... Il a même couché avec une victime avant de la tuer !

― Donc ce n'est pas sur le mode opératoire qu'on doit se fier, comprit Laura. Au pire, on continue à se focaliser sur la mise en scène...

― Et si c'était les dates ! S'écria Borly sous le regard interrogateur de Laura.

― Tu m'expliques ?

― Durant deux ans, Nowack a fait six victimes. Soit une en mars, une en juin et une en septembre...

― Alors que cette année, les deux meurtres ont eu lieu au mois de septembre à une semaine d'intervalle.

― C'est ça la différence concrète qui prouve que ce n'est pas “ l'Anti-Blondes ” ! s'écria Borly.

― Ça parait évident. Et dans ce cas, une autre question s'impose...

― Qu'est devenu Nowack ? murmura le détective en réfléchissant. Je ne vois que deux possibilités. Soit il sévit ailleurs, dans une autre région ou à l'étranger...

― Soit il est guéri ! Proposa Laura.

― Ce genre d'homme ne guérit pas. C'est comme une maladie incurable, ses passages à l'acte sont un besoin vital pour lui.

― Mais, il peut se persuader qu'il a vaincu ses démons...

― Tu veux dire quoi ? demanda Antoine sceptique. Qu'il aurait pu, comme un fumeur, se dire « aujourd'hui j'arrête » ?

― Ou alors, il a tenté de changer sa manière de vivre pour devenir un homme meilleur... Avec une femme par exemple !

― Ton père a bien retrouvé quelqu'un et ce n'est pas pour autant qu'il a changé ! lança Antoine sans réfléchir.

― Connard, s'écria Laura en passant dans la salle de bains.

― Excuse-moi, je ne voulais pas dire ça, l'implora Antoine en la rejoignant.

― Peut-être mais tu l'as dit !

― Je suis désolé de t'avoir blessée !

― Non, tu as raison ! avoua Laura. C'était mal dit, mais vrai !

&*&*&

Deux jours étaient passés et toujours pas la moindre piste. Les résultats d'analyse n'étaient pas encore arrivés et l'investigation auprès des voisins leur avait appris qu'un homme grand et cagoulé rodait autour de l'hôtel le soir du meurtre.

Cet après-midi-là, Antoine reçut un appel du juge qui lui demandait de venir au commissariat au plus vite, seul. À l'intonation, le détective comprit qu'il y avait du nouveau sur leur enquête. Il s'excusa auprès de sa coéquipière de ne pas pouvoir l'emmener, ce qu'elle accepta facilement. Dix minutes plus tard, il se garait sur le parking du commissariat de Chambéry. L'accueil était toujours aussi froid à son égard. Si bien qu'il finit par penser que ce que l'on disait des savoyards concernant leur côté chauvin et froid envers les étrangers, était fondé.

Il frappa à la porte et entra lorsque le juge le lui demanda. L'équipe de la police de Chambéry le regardaient avec indifférence lorsque le détective referma la porte avant de s'adosser à un mur.

« On a peut-être quelque chose, lança Bellini sans tergiverser.

― Enfin, ce n'est sans doute pas grand-chose, minimisa le lieutenant. Mika a dû s'enflammer une fois encore !

― Ah, non Jérôme ! Je ne me suis pas enflammé comme tu le dis, s'énerva le brigadier.

― C'est exactement pour ça que je vous ai fait venir, Borly ! s'exclama le juge. Pour que vous jugiez de l'utilité de cette découverte. Brigadier, je vous laisse la parole.

― Bien, je tiens un blog depuis l'année dernière qui parle de différents genres littéraires dont le policier et le thriller. Avec la charge de travail que nous avons en ce moment...

― Pouvez-vous éviter de tourner autour du pot, s'impatienta Borly.

― Bien sûr ! En fait, je suis tombé sur un blog suspect, sur le site Overblog.

― Un blog ? Demanda Antoine qui se voulait surpris. En quoi cela peut-il avoir un lien avec notre affaire ?

― L'auteur ne jure que par « l'homme qui déguise les femmes ». Il a fait sous-entendre à plusieurs reprises son projet de reproduire les mêmes atrocités. Ce qui me fait penser qu'il pourrait s'agir de celui qui imite notre tueur en série...

― Qu'en pensez-vous Borly ? demanda le juge.

― Je ne sais pas trop, répondit le détective qui commençait à se sentir mal.

― Je peux vous montrer le blog, si vous voulez... proposa Mickaël fièrement.

― C'est une très bonne idée ! Nous avions fini de toute façon donc je vous laisse à vos occupations, annonça Bellini en incitant l'équipe à quitter les lieux. »

Aux côtés du brigadier, Borly revit le blog qu'il avait parcouru deux jours auparavant avec Laura. La possibilité de se voir enlever des mains le Graal qui pouvait le mener à Nowack le rendait malade. Mika se rendit compte que quelque chose n'allait pas, mais quand il posa LA question, Antoine lui expliqua qu'il ne se sentait pas bien, sûrement dû à ce qu'il avait mangé avant de venir.

Compatissant, le brigadier ne tint pas rigueur lorsqu'Antoine préféra retourner à son hôtel pour se reposer. Antoine s'apprêtait à partir lorsque Mickaël lui expliqua, dans son dos, qu'il avait demandé à un ami informaticien de trouver l'adresse d'où émettait l'auteur du blog. Au même moment, il reçut un texto de Laura qu'il dut relire avant d'en comprendre la signification.

Je suis sur le blog... C'est louche, sur les derniers post, il y a des commentaires d'un certain « Mika74 »

&*&*&

Antoine venait à peine d'arriver à l'hôtel qu'il commençait à s'énerver.

« Tu te rends compte de ce qu'il va se passer s'ils comprennent qu'on leur a caché l'existence de ce blog ?

― Comment veux-tu qu'ils le sachent ? À part si tu comptes tout leur avouer...

― Sûrement pas ! Mais, on n'est pas à l'abri qu'ils le comprennent tout seul !

― Tu n'es pas un peu parano ? Se moqua Laura.

― Je ne crois pas, non ! Surtout si tu montres encore ton côté flic dans les commentaires !

― C'est petit ce que tu insinues ! S'exclama la jeune flic d'un air faussement vexé.

― Désolé, je suis un peu sur les nerfs.

― Tu es tout excusé... susurra-t-elle en l'embrassant sur la joue. »

Ils passèrent un long moment à s'ébattre dans ce lit double qui n'était pas fait pour des célibataires ou des personnes mariées en manque d'affection.

Quand Laura et Antoine se réveillèrent, il était presque vingt heures.

Le juge appela Borly au même moment pour lui parler des résultats d'analyses qu'il venait de recevoir.

Celles-ci mettaient en évidence des traces de drogue dans le sang de la victime et confirmaient, également, l'hypothèse du viol ante-mortem.

Bellini s'excusa de ne pas avoir de réelle piste, mais le détective était rassuré. Il ne s'était pas trompé, il s'agissait bien d'un plagiat.

&*&*&

La semaine s'achevait et Laura avait réservé son vol pour Caen. L'avion devait décoller le dimanche après-midi pour la ramener chez elle. Il lui restait une journée entière pour profiter de la présence d'Antoine.

Malgré la promesse qu'ils s'étaient faite de ne plus avoir de relation intime, la chambre parentale qu'ils partageaient et leur intérêt commun pour cette enquête, les avaient rapprochés et ainsi fait replonger à plusieurs reprises. Bien qu'amoureuse de son mari, la jeune policière éprouvait un sentiment fort pour le détective qu'elle n'avait nullement envie de laisser.

Pour s'occuper l'esprit et penser à autre chose que son départ en attendant Borly qui était en réunion avec l'équipe de police de Chambéry, la jeune femme avait consulté le blog en espérant trouver un indice sur son auteur. En vain. Celui-ci avait cessé ses éloges sur le tueur en série pour parler essentiellement de ses romans préférés et philosopher sur les morales qu'il pensait y voir à la fin.

Lasse de ces absurdités, Laura ouvrit une page internet sans idée précise de recherche. L'idée lui vint comme une illumination divine, pourquoi ne l'avait-elle pas eue plus tôt ?

Elle tapa « Jonathan Nowack » dans la barre de recherche et tomba sur une dizaine de profils Facebook qu'elle examina, en particulier leurs photos, sans qu'aucun ne lui saute aux yeux. Par acquit de conscience, elle fouilla dans l'annuaire dématérialisé des pages blanches sans grande conviction. En premier, dans le Calvados, puis la Savoie, et pour finir, la Haute-Savoie, mais il n'y avait pas de John ou Jonathan Nowack répertorié.

Exaspérée, mais déterminée, Laura tapa seulement Nowack dans la barre de recherche. Un titre l'intrigua et l'effraya.

 

« Dimitri Nowack aurait-il un fils ? »

 

Le cœur battant à tout rompre, elle cliqua sur le lien qui s'ouvrit sur le site du journal local normand « La Manche Libre ».

L'article avait été écrit par un certain Matthieu Tonelli et datait du lendemain du décès de son père.

 

« Suite au meurtre perpétré la semaine dernière, la police a trouvé une nouvelle piste.

Au départ, la police pensait que l'auteur du crime n'était autre que sa fille. En effet, l'enquête de voisinage a démontré que la victime était proxénète et embauchait sa fille pour gagner de l'argent.

Dans le communiqué de presse d'hier, le commissaire de Caen nous a affirmé avoir une autre piste suite à la perquisition du domicile de Dimitri Nowack.

Une photographie a été trouvée. On y voit la victime, sa fille, une femme et un nourrisson.

« Si nous nous sommes focalisés sur Laura Nowack, c'est parce que c'est elle qui a trouvé le corps. Nous explique le commissaire. L'enquête est en cours et nous ne pouvons pas donner de précisions sur d'éventuelles preuve. En revanche, je peux vous assurer que nous ne négligeons aucune piste, dont une qui nous parait évidente, celle d'un fils caché qui pourrait, lui aussi, avoir le profil du tueur... »

Assurément, la police travaille jour et nuit pour retrouver cette femme et son nourrisson.

Le commissaire a assuré à nos confrères télévisés de donner le dénouement de cette histoire dès la fin de l'enquête.

Écrit par : M. Tonelli »

 

&*&*&

Laura ne lisait plus. Elle venait de faire un bond de cinq ans dans son passé. Elle revivait le jour où elle avait vu cette photo et qu'elle l'avait retournée. C'était grâce au prénom qu'il y avait écrit au dos, qu'elle avait retrouvé sa mère sans jamais oser l'aborder.

La seule question qui lui vint en tête c'était de savoir si la police l'avait réellement cherchée et s'ils l'avaient retrouvée ? Pour le savoir, elle devrait poser directement la question à Antoine.

Toujours dans sa rêverie, la jeune femme n'entendit pas la porte de la chambre s'ouvrir sur un détective frigorifié.

« Merci pour l'accueil ! lança Antoine vexé par l'indifférence de sa maîtresse.

― Est-ce que le nom Tonelli te dit quelque chose ?

― Je connais un Mathias Tonelli, un journaliste de Caen. Pourquoi ? Tu le connais ?

― Je ne le connais pas, mais je viens de le lire, expliqua Laura en tournant l'ordinateur portable afin que le détective prenne connaissance de l'article. »

Après avoir relu une seconde fois le texte, Antoine regarda sa coéquipière sans mot dire.

« C'est quoi ces conneries ? Lâcha-t-il, furieux.

― C'est ce que j'aimerais savoir ! lança Laura sur un ton suspicieux.

― Quoi ? Non ! Je n'en n'ai jamais entendu parler, je te le jure, sinon je te l'aurais dit !

― Pourtant, c'était toi le commissaire...

― Je suis entré au commissariat de Caen en 2000 en tant qu'officier et j'ai dû gravir les échelons pour être commissaire en septembre 2008. Donc oui, j'ai entendu parler de cette affaire, mais ce n'était sûrement pas moi qui la menait...

― Ok, admettons ! Donc, il faut trouver celui qui était aux commandes avant toi pour qu'il te donne la photo !

― Ce ne sera pas possible, murmura Antoine.

― Pourquoi ?

― Il est décédé l'année dernière ! Répondit-il du tac-au-tac, en pleine réflexion. Par contre, je pourrais appeler Sandra pour qu'elle regarde dans les archives...

― Et tu pourrais trouver le journaliste aussi ?

― Je vais voir si j'ai toujours son numéro...

― Et sinon, le débriefing ? s'empressa Laura pour changer de sujet.

― L'ex-mari vient d'être mis en garde-à-vue...

― Ils ont quoi contre lui ?

― Il n'a pas d'alibi concret, seulement sa parole qu'il était seul chez lui le soir du crime, détailla Borly. Visiblement, c'est la victime qui l'a quitté et il a avoué qu'il avait encore des sentiments forts pour elle. Le juge et l'équipe de Chambéry sont sur l'hypothèse d'un crime passionnel...

― C'est quand même rare une mise en scène pareille pour un crime passionnel... s'étonna la jeune policière.

― Je rêve ou tu es aussi peu convaincue que moi ? Questionna Antoine avec un petit sourire satisfait.

― Mais tu sais bien que je pense toujours comme toi, susurra-t-elle en l'entraînant sur le lit. »

&*&*&

L'heure du grand départ arriva pour Laura. Au volant, Antoine restait persuadé que la police de Chambéry se trompait de suspect et ses pensées restaient tournée vers ce pauvre homme mis en garde-à-vue pour le simple fait qu'il était seul chez lui le soir du crime. C'était sa parole contre celle des flics.

Sur le siège passager, Laura pensait à tout autre chose. Elle songeait à tous ces moments passés avec son coéquipier. Les bons comme les mauvais. Ses idées dévièrent rapidement sur l'article qu'elle avait lu dans le journal « La Manche Libre ». Antoine l'avait assuré qu'il se renseignerait et elle le croyait, mais au fond, elle avait peur de ce qu'il découvrirait.

Après une heure et demie de trajet silencieux, Borly gara la voiture sur le parking de l'aéroport de Lyon. Malgré les propositions à peine insistantes de son collègue pour l'accompagner à l'intérieur, Laura refusa en bloc. Constatant la frustration dans les yeux de l'homme pour qui ses sentiments étaient grandissants, elle lui expliqua qu'elle ne voulait pas de larmes et qu'à ces yeux les au revoir ressemblaient trop à des adieux bourrés de gros sanglots. Ce qu'elle ne supportait pas. Sa promesse de rester viril et parfait gentleman qui porterait seulement ses bagages ne la fit pas céder et la jeune femme ouvrit le coffre pour prendre sa valise. Elle profita qu'Antoine sorte pour lui rappeler qu'il ne devait plus lui envoyer de texto. Leur communication se ferait uniquement par mails. À peine eut-elle fini sa phrase, que Borly la plaqua contre la voiture et l'embrassa une dernière fois. Elle le repoussa gentiment, lui rappelant que les avions n'attendaient pas les passagers en retard, puis tourna les talons. Il éleva la voix pour lui demander de lui envoyer un message pour le rassurer lorsqu'elle serait arrivée à bon port, mais elle marchait vite et s'éloignait de plus en plus.

Durant trois heures, le détective fit les cents pas dans son appartement en attendant un message de Laura. Pas patient pour un sou et sachant que pour rentrer chez elle, le vol ne devait durer qu'une heure, le détective en vint à s'imaginer que Laura avait eu un accident. Il s'apprêtait à l'appeler lorsqu'il entendit le bip caractéristique d'un message électronique.

 

Á : borlya@hotmail.fr

De : l.veyrand@gmail.fr

26/02/14

Objet : Bien arrivée

 

Salut,

Désolée pour l'attente, mais mon mari m'a, pour ainsi dire, sauté dessus dès que je suis rentrée chez moi. J'ai eu le doit à un véritable interrogatoire sur mes vacances, qui s'est interrompu à cause d'un coup de fil...

Pour être franche, je me pose des questions sur lui. Je me demande s'il me trompe, parce qu'il s'est éloigné pour que je n'entende pas sa conversation (et c'est une première) et quand je lui ai demandé qui était au bout du fil, il m'a dit que c'est sa mère. Bizarrement, je ne le crois pas !

Excuse-moi si je te saoule avec mes histoires de couple, surtout que je me fais peut-être juste un film !

Bise. Laura

 

P.S : N'oublie pas ta promesse de te renseigner sur cet article et donne-moi des nouvelles...

 

&*&*&

La perquisition chez l'ex-mari de la victime ne donna rien de probant et le suspect fut relâché après trois jours de garde-à-vue.

La fin de la semaine suivante fut décevante pour le détective. Le juge Bellini l'avait convoqué pour lui avouer qu'ils n'avaient pas d'autre de piste. Celui-ci ne voulait pas clore l'enquête au bout de deux mois, mais il congédia gentiment Borly, lui expliquant qu'il n'avait plus rien à faire en Savoie et qu'il pouvait reprendre ses investigations en Normandie.

Sur ses mots, Antoine acquiesça poliment avant de se rendre à l'aéroport de Lyon pour prendre un billet. Il n'y avait pas de vol disponible avant le lendemain en début de soirée, ce qui lui laissait le temps de contacter Sandra pour lui donner rendez-vous le lendemain midi dans leur pub fétiche.

Il composa un autre numéro. Il tomba directement sur le répondeur et laissa un message.

 

« Borly à l'appareil, je suis détective... J'ai vu l'article que vous avez fait sur les suites de l'affaire Dimitri Nowack et j'aurais quelques questions à vous poser... »

 

Juste avant d'embarquer, il reçut un texto de la personne injoignable qui lui donnait rendez-vous le lendemain soir dans un bar de Caen.

Sandra ne pouvait pas l'aider. Quelques mois après son départ, elle s'était fait muter dans le Nord pour insubordination. Borly apprit que Papy avait pris sa place. Il gérait comme un chef « le Bleu » et avait engagé deux nouvelles recrues. Sandra lui intima d'appeler Gérard s'il voulait avoir des informations et les archives de cette enquête qui l'intéressait tant.

La fin du repas se termina sur un sujet que Borly appréciait particulièrement : Laura Veyrand. Son ancienne collègue ne put s'empêcher de le mettre en garde, mais le connaissant trop bien, elle finit par lui donner des conseils pour plaire aux femmes.

 

Plus de trois mois s'étaient écoulés lorsque le juge Bellini appela Borly pour lui annoncer qu'il suspendait l'affaire au profit d'investigations plus urgentes.

Essuyant un énième échec, Antoine noya son amertume lors d'une soirée bien arrosée dans une boîte gay de Caen.

 

9

 

Encore éméché de la veille à cause de la soirée organisée par sa sœur dans une discothèque de Caen, Borly fut réveillé en sursaut par la sonnerie de son téléphone. Au bout du fil, le juge Bellini semblait à la fois euphorique et paniqué par la découverte d'un corps dans un hôtel à Meylan, en Isère. Il lui expliqua brièvement qu'il avait eu l'information d'une vieille amie devenue commissaire de police à Grenoble. Borly ne chercha pas à en savoir d'avantage et remercia le juge haut-savoyard de l'avoir prévenu avant de raccrocher, à la fois exténué et dépité face à une potentielle nouvelle victime de “ l'Anti-Blondes ”.

Par réflexe, il consulta ses mails. Il n'avait reçu que des spams, à l'exception d'un message de Laura qui datait de la veille au soir.

Avant de le consulter, il ouvrit un ancien mail de Laura qui datait de la fin du mois de septembre et le relut goulûment. La jeune policière lui racontait ses doutes concernant la fidélité de son mari. D'après elle, le fait qu'il soit discret sur ce qu'il faisait de son temps libre et qu'il reçoive des appels jour et nuit, lui laissait penser qu'il la trompait. En son for intérieur, Antoine l'espérait.

C'était irrationnel. C'était complètement fou, mais cette fille le rendait dingue.

Il était redevenu adolescent, à ne penser qu'à elle, à se demander ce qu'elle faisait et à constamment l'imaginer dans ses bras. Ils avaient plus de dix ans d'écart, mais l'âge lui était égal.

Il le savait, cette semaine passée dans la même chambre d'hôtel avait laissé des marques et ces nuits passées l'un dans l'autre n'était pas de simples pulsions. En fermant le mail, Antoine se mit à pouffer. Le plus ironique dans cette histoire, c'est que le détective avait toujours été attiré par les hommes avant de rencontrer Laura.

Il décida d'ouvrir une nouvelle fois le mail que sa coéquipière haut-savoyarde lui avait envoyé au mois de novembre. Elle lui racontait les bourdes du brigadier de Chambéry, qui avait fait la même erreur qu'elle, affirmant dans un commentaire que la police pourrait retrouver l'auteur de ce blog. L'imitateur ne s'était pas démonté en demandant s'il était policier ou gendarme.

Elle raconta également que l'auteur du blog avait laissé filtrer, inconsciemment peut-être, des choses le concernant comme son métier de pharmacien. Le brigadier savoyard avait demandé ouvertement dans quel département, mais l'auteur n'avait pas répondu.

Elle termina par expliquer que l'auteur pensait que « l'homme qui déguise les femmes », comme il l'appelait, tue ses victimes par amour du sexe féminin. Et dans l'un de ses derniers articles, il avouait même vouloir s'associer avec le tueur en série qu'il considère comme un artiste.

Enfin, Borly prit la peine de lire le dernier mail que Laura lui avait envoyé.

 

Á : borlya@hotmail.fr

De : l.veyrand@gmail.com

27/12/14

Objet : Dernier article

 

Bonsoir,

Désolée pour le dérangement, mais je viens de voir un dernier article que je trouve bizarre sur le blog.

Je te le joins à ce mail.

Au fait, aurais-tu une idée du département ?

À mon avis il est passé à l'acte...

 

L'après-midi même, Borly composa le numéro que Bellini lui avait donné pour joindre le commissaire Gruaux qui était en charge de l'affaire.

À sa grande surprise, la voix d'une femme se présenta comme Nora Gruaux, commissaire de la police de Grenoble.

Le détective expliqua posément sa demande, évoquant les victimes du Calvados, de la Savoie et celles de Haute-Savoie. La commissaire l'écoutait, sans lui couper la parole, ce qui eut pour effet de le dérouter quelques instants, lui qui n'avait plus l'habitude d'être entendu.

Lorsque le monologue se termina, un silence pesant mit en attente Borly qui se sentit soudain stressé. Il ne pouvait dire s'il avait convaincu son homologue ou non puisqu'il ne voyait pas son visage.

La commissaire leva le doute rapidement en l'invitant à rejoindre son équipe durant quelques jours, dès le lendemain.

Après avoir raccroché, Antoine répondit au mail de Laura.

 

Á : l.veyrand@gmail.com

De : borlya@hotmail.fr

28/12/14

Objet : Victime en Isère

 

Salut,

Je tiens à m'excuser de ne pas avoir pris le temps de répondre à tes mails, mais je dois avouer que je n'ai pas vraiment eu le temps.

Pour répondre à celui que tu m'as envoyé hier, je ne peux pas te donner le département, mais je peux t'assurer que tu as raison : il est passé à l'acte à Meylan. Bellini vient de m'appeler pour m'avertir et j'ai eu la commissaire en charge de l'enquête. Je suis attendu demain à Grenoble.

Je te recontacte dès que j'ai des nouvelles.

Je t'embrasse

A. Borly

 

&*&*&

Le détective arriva vers huit heures au commissariat de Grenoble. Il était parti de Caen après avoir dîné et avait roulé durant la nuit entière, s'accordant quelques pauses pour boire un café.

En arrivant dans les communes voisines, Antoine hésita une courte seconde avant d'opter pour trouver un hôtel où il pourrait poser ses affaires et se doucher. Dans une chaîne de fast-food, en croquant son hamburger, il chercha, sur son téléphone, l'adresse d'un hôtel. Il en trouva un à Meylan, proche de celui dans lequel a été retrouvée la victime. Il s'y rendit au plus vite et réserva la dernière chambre de libre pour une semaine.

Il était près de onze heures lorsque Borly se rendit en voiture sur son lieu de rendez-vous. Au volant, il essayait d'imaginer l'équipe qu'il allait rencontrer. Il avait bien compris que le commissaire était une femme. Il en connaissait quelques-unes et les divisaient en deux catégories. D'un côté, celles qui émasculaient leur équipe, majoritairement masculine, en les rabaissant et en les subordonnant de force. De l'autre, celles qui se montraient viriles par leur force de caractère et par leur endurance, et qui ne montraient jamais leur faiblesse. Au fond de lui, Borly espérait que celle-ci soit du deuxième groupe.

À l'accueil du commissariat, Antoine attendit son tour avant se présenter et demander à voir la commissaire.

La femme qui se tenait devant lui devait avoir la trentaine passée. C'était une femme ronde au visage poupon. Elle lui demanda de patienter le temps qu'elle passe un appel. Le détective n'attendit que quelques minutes avant que la femme ne se retourne vers lui pour le guider dans le dédale de couloirs.

Contre toute attente, une femme grande aux cheveux noirs et aux traits fins lui ouvrit la porte. Son corps sculpté et élancé ainsi que sa tenue légèrement échancrée lui donnaient des airs de mannequin. Elle l'invita à s'asseoir avant de fermer la porte et de reprendre sa place derrière le bureau.

Borly commença à lui raconter les similitudes des victimes et des mises en scènes auxquelles il avait dû faire face durant deux ans, mais la commissaire semblait ne pas l'entendre, absorbée par l'écran de son ordinateur.

Le détective ne releva pas l'irrespect de son hôte, préférant se taire et lui laisser le temps de terminer ce qui l'accaparait.

Après dix minutes d'attente, Antoine s'apprêtait à faire une réflexion quand quelqu'un frappa à la porte. La commissaire donna l'ordre d'entrer et l'officier de l'accueil se faufila doucement dans la pièce. Antoine pensa tout d'abord qu'elle venait donner une information, mais la jeune femme resta debout, immobile près de la porte ouverte. À sa suite, une seconde femme entra en toussant volontairement pour faire réagir sa supérieure. Elle semblait un peu plus vieille que sa collègue et beaucoup plus en chair.

La commissaire referma l'écran de son ordinateur et proposa à son équipe d'aller en salle de réunion. Sur ces mots, les deux policières sortirent suivies de leur commandant. Borly comprit rapidement que l'équipe de Grenoble était composée uniquement de femme. Il leur emboîta le pas, masquant son incrédulité du mieux qu'il le pouvait.

&*&*&

Un homme entouré de femmes.

Borly était mal à l'aise en leur expliquant les raisons de sa venue à Grenoble. Comme il l'avait déjà fait en Haute-Savoie et en Savoie, il raconta, pour la énième fois, son passé de commissaire à Caen ainsi que les premiers meurtres de “ l'Anti-Blondes ”. Il parla brièvement des circonstances de son départ enchaînant directement sur la seconde série du tueur entre Savoie et Haute-Savoie, omettant les deux plagiats volontairement.

Les questions et les remarques fusèrent.

« Excusez-moi, mais il y a une chose que je ne comprends pas, commença le lieutenant Faure. Pourquoi vous acharnez-vous à traquer ce tueur ?

― Je ne voulais pas me l'avouer à l'époque, mais j'en avais fait une affaire personnelle et c'est toujours le cas à présent, avoua le détective sans entrer dans les détails.

― Je m'en doutais, mais ma question c'est : Pourquoi ?

― Lieutenant ! Votre question est déplacée, gronda la commissaire. Je suis désolée, vous n'êtes pas obligé d'y répondre.

― Je vous remercie, mais je n'ai rien à cacher. Pour tout vous dire, la dernière victime qu'il ait faite en Normandie c'était ma belle-sœur. Nous avions des relations tendues, mais elle restait la compagne de ma sœur qui est tombé en dépression par la suite. Le soir fatidique, j'ai fait une promesse et je compte bien tenir ma promesse.

― Il y a autre chose qui me dérange dans votre histoire, le coupa le brigadier Blitz. À vous entendre, vous parlez d'un tueur en série qui aurait perpétué ses meurtres de 2011 à 2012. Sauf qu'on est en 2014, ce qui veut dire qu'il ne s'est pas manifesté l'année dernière donc, pour moi, votre théorie ne marche pas. Ce n'est qu'une succession de coïncidences !

― En plus, enchaîna le lieutenant, vous aviez parlé d'un cycle : mars, juin, septembre. Je rejoins donc Alexandra pour dire que l'hypothèse du tueur en série n'est pas crédible puisque nous sommes en décembre.

― Ah... J'avais oublié de vous dire que mon équipe est au top niveau ! Lança la commissaire avec un petit sourire. Vous devriez tout leur raconter !

― Ok, vous avez raison, je n'ai pas tout dit, avoua Borly à contre cœur. “ L'Anti-blonde ” a bien sévi de 2011 à 2012, mais l'année suivante, un corps a été retrouvé près de la frontière suisse. Même mise en scène, même robe rouge, des fleurs blanches... Je ne vous cache pas que sur le coup je pensais que c'était lui. Jusqu'à ce que je remarque des incohérences. Ce n'était plus des roses mais des lys, les ongles n'étaient pas soignés et surtout le meurtre avait été perpétré en décembre. On en a donc conclu que c'est soit un complice, soit un taré qui imite un pseudo-héro.

― Qui ça, « on » ?

― Moi et une jeune policière haute-savoyarde qui a tenu à m'aider dans mon enquête.

― Je vois, mais comment vous avez su pour notre victime, demanda le lieutenant.

― C'est moi qui l'ai appelé, affirma la commissaire en lançant un regard entendu au détective sous le regard interloqué de son équipe.

― Pourquoi ?

― Après la découverte du corps, j'en ai parlé à un ami lors d'une soirée et il s'avère qu'il est juge en Haute-Savoie : Luigi Bellini. Il m'a conseillé de contacter Borly, ce que j'ai fait aussitôt.

― Mais... balbutia le détective qui voulait rétablir la vérité.

― On peut en venir à notre affaire maintenant ? S'agaça la commissaire Gruaux.

― Bien, pour ma part, l'enquête de voisinage n'a pas donné grand-chose, expliqua le lieutenant Faure. L'hôtel se trouve dans une rue passante et face à un bar. Trop de monde, trop de bruit, donc rien d'exploitable.

― Des caméras de surveillance ? Demanda Borly.

― Aucune, c'est un petit hôtel. Le gérant m'a assuré que c'est en projet.

― De mon côté, les analyses ont révélé une dose élevée de GHB et des traces révélant un viol ante-mortem, annonça la commissaire. »

Borly entra dans sa chambre d'hôtel exténué. Il s'allongea sur son lit et n'eut pas le temps d'y penser qu'il ronflait déjà.

Il était dix-huit heures lorsqu'il se réveilla le ventre vide depuis la veille au soir. Sa première idée fut de manger, mais il se devait de tenir au courant Laura qui devait attendre son mail. Il s'empressa de prendre son ordinateur et de taper sur son clavier.

&*&*&

Antoine regardait par la vitre sans teint l'hôtesse d'accueil qui avait découvert le corps de leur victime. Petite, aux longs cheveux rouges et aux yeux verts, elle semblait encore sous le choc vingt-quatre heures plus tard.

Il était reconnaissant envers Carmen Gruaux d'avoir accepté qu'il mène l'interrogatoire. Pour avoir été, jadis, à sa place, il savait trop bien que cet accord était un test. S'il échouait, l'équipe se ferait un avis sur son compte et le détective qu'il était pourrait oublier toute collaboration.

Antoine se présenta et demanda au témoin de faire de même. La voix de la jeune femme était à peine audible.

« Tania... Weiss.

― Vous travaillez depuis longtemps dans cet hôtel ?

― Depuis près de cinq ans.

― Et vous avez déjà vu la victime ?

― Non... enfin, je ne crois pas.

― Avez-vous vu quelqu'un entrer ou sortir de la chambre ?

― Je ne sais pas... Je ne sais plus ! sanglota l'hôtesse.

― Ok... ça va aller ? Vous voulez un verre d'eau ?

― Non, c'est bon, on peut continuer, assura la jeune femme en tentant de se reprendre.

― Bon ! Est-ce que vous avez vu un homme avec un sac sur le dos entrer ou sortir de l'hôtel le vingt-six décembre dernier, au soir ?

― Ça oui, j'en suis sûr ! s'exclama la jeune femme un ton plus haut.

― Vous pouvez me le décrire ?

― Il est de taille moyenne. Il devait avoir la cinquantaine parce qu'il a les cheveux grisonnants et il est bedonnant.

― Vous avez vu son visage ?

― Oui, mais je ne sais pas comment le décrire, s'excusa-t-elle.

― Dans ce cas, je vous propose de voir un officier pour faire un portrait-robot à l'aide d'un logiciel... »

Borly remercia la femme de sa coopération avant de la diriger auprès d'un policier qui l'aida à faire mettre en forme le visage qu'elle avait vu.

Alors qu'il s'apprêtait à rejoindre le bureau de la commissaire, celle-ci croisa son chemin et l'invita à la suivre sans plus d'explications.

Borly comprit qu'elle avait prévu de réunir son équipe afin de parler de l'évolution de l'enquête. Il la suivit jusqu'à entrer dans une petite salle où les attendaient le brigadier et le lieutenant.

« J'espère que vous êtes galant, monsieur le détective, parce que je comptais commencer le tour de table par les femmes... lança la commissaire avec un petit sourire en coin.

― Bien sûr, allez-y.

― Emmanuelle, je t'en prie...

― Je préfère qu'on m'appelle Emma, mais bon ! Bougonna le lieutenant. L'audition de l'ex-mari ne m'a pas appris grand-chose, mis à part qu'il est nostalgique de son mariage et de sa femme. Il ne lui connaissait pas d'amant, ne voit pas qui pourrait lui en vouloir et ne la vois que très rarement depuis leur divorce. La victime lui aurait donné rendez-vous chez elle le soir du meurtre, mais il aurait refusé. Pour moi, il n'a pas de mobile.

― Ok, Alex ?

― La fille n'a pas dit grand-chose non plus, sinon qu'elle vit en couple depuis six mois. Ses parents ont divorcé il y a huit ans et, d'après elle, sa mère aimait le célibat. Par contre, elle m'a avoué qu'elle soupçonnait que son père soit encore amoureux de sa mère.

― Ce qui veut dire, qu'il aurait très bien pu lui faire des avances et péter un plomb si elle avait refusé, proposa le lieutenant.

― Pourquoi pas, mais il y a un truc qui me choque dans cette hypothèse... nuança Borly face aux regards interrogateurs. Lorsqu'il y a meurtre passionnel, c'est souvent le fruit d'une frustration qui crée une pulsion incontrôlable. En revanche, ce genre de meurtrier met rarement en scène son crime.

― Je vois ce que vous voulez dire et je vous rejoins, approuva la commissaire. Il y a peu de chance que ce soit un crime passionnel. Si c'était le cas, le tueur n'aurait pas pris la peine d'endormir sa victime avant de la tuer et ne l'aurait pas déguisé.

― Il aurait pu le faire après coup ? proposa le brigadier.

― Et pourquoi une chambre d'hôtel dans ce cas ? Surenchérit le lieutenant. C'est clair, ça ne tient pas.

― Sinon, on a peut-être une nouvelle piste à creuser ! Entonna la commissaire, coupant l'herbe sous le pied d'Antoine. Le témoin que le détective a interrogé ce matin a fait le portrait-robot d'un homme qui est entré dans l'hôtel avec un sac sur le dos le soir du meurtre, répéta-t-elle en donnant à chacun le dessin d'un visage aux yeux gris, enfoncés, des cheveux grisonnants et courts, d'épais sourcils, des joues pleines et une bouche très fine.

― De mon côté, le témoin m'a donné le nom de la personne qui a payé la chambre d'hôtel, annonça Borly, appréciant l'effet de surprise qu'il faisait sur les policières.

― Alors ?

― John Nowack... Ironique, non ?

― Alors c'est votre tueur en série ? Souffla Alexandra.

― Tu crois vraiment que le coupable va donner sa véritable identité à l'accueil d'un hôtel ? S'esclaffa Emma, se moquant ouvertement de sa jeune collègue.

― On est d'accord, surtout que je commence à le connaître et je sais qu'il n'est pas du genre à commettre une telle erreur, assura Antoine.

― Fausse piste, alors ? Demanda la commissaire déçue.

― Oui, mais on peut la porter à notre avantage...

― Comment ?

― Une fuite... murmura Borly. Les journaux s'emparent du scoop et on voit ce que ça donne !

― Trop risqué, désapprouva la commissaire. Il y a un risque de faire fuir le coupable !

― Sinon, je peux faire un communiqué de presse... proposa le détective.

― Non, surtout pas ! C'est bon pour la fuite ! »

Juste avant d'entrer dans sa voiture, Antoine consulta ses mails. Il y en avait un de Laura.

 

Á : borlya@hotmail.fr

De : l.veyrand@gmail.com

13/01/15

Objet : Coïncidence

 

Salut,

Je viens de surprendre une conversation téléphonique entre mon mari et un certain « John ». En plus, il avait l'air tendu en raccrochant.

C'est moi ou la coïncidence est juste énorme ?

Laura

 

Antoine s'empressa de répondre.

 

Á : l.veyrand@gmail.com

De : borlya@hotmail.fr

13/01/15

Objet : JT

 

Salut,

Essaye d'en savoir plus sur ton mari.

Je te raconterais plus en détail une autre fois, mais on a peut-être une piste.

Regarde les infos entre aujourd'hui et demain... Et surtout garde un œil sur le blog.

La suite devrait être intéressante !

Antoine

 

Face aux doutes quant à l'innocence de l'ex-mari de la victime, le juge Tollier, en charge de l'enquête, signa une commission rogatoire accordant la perquisition du domicile du suspect. Le lieutenant Faure et le détective furent envoyés dans un appartement de types trois pièces à Saint-Égrève. En repos, cet après-midi-là, l'ex-mari fut invité lourdement à assister impuissant à la fouille méticuleuse faite par les deux policiers.

Emmanuelle gérait l'opération d'une main de maître, indiquant à Borly les pièces qu'il devait fouiller, ce qui le dérouta, car il n'était pas habitué à être le sous-fifre d'une femme. Emmanuelle choisit de fouiller le couloir, la salle à manger et la cuisine, laissant à Antoine les deux chambres et les sanitaires.

La première pièce qui s'offrait à Borly fut la chambre à coucher, qui était sobre avec ses murs de couleur gris clair et son carrelage blanc crème. Les seuls meubles qui habillaient la pièce furent une armoire deux portes qui offrait six belles étagères ainsi qu'une petite penderie.

Ce qui perturba le détective fut le lit, plus précisément, la tête de lit qui montrait l'obsession de l'ex-mari. Sur un grand panneau au fond sombre qui prenait une grande partie du mur étaient épinglées une multitude de photos de la victime en couleur et en noir et blanc. Borly en fit une photo avec son téléphone avant de demander au suspect de décrocher le panneau et de le poser sur le lit.

L'homme s'exécuta puis suivit le détective qui entra dans la seconde chambre qui avait été aménagée en bureau. Borly ouvrit tous les tiroirs, fouilla la corbeille à papiers et l'ordinateur en quête de quelconque image ou film érotique, voire porno, mais ne trouva rien de suspect. Il inspecta les étagères qui faisaient face au bureau, mais elles ne contenaient que des livres policiers et de science-fiction.

Il tourna les talons pour sortir quand soudain, il décida de faire une dernière fois le tour de la pièce. C'est là qu'il le vit, le sac qui correspondait à la description du témoin. Entre la bibliothèque et le mur. Borly immortalisa la pièce à conviction numéro deux avant de la vider entièrement de son contenu qui n'était autre que des gants de ski. Le suspect se défendit aussitôt, expliquant tant bien que mal qu'il avait oublié dans son sac de sport les gants qui lui avaient servi à dévaler les pentes le week-end précédent.

Troublé par tant de coïncidences, Borly ne l'écoutait pas et se dirigea vers la cuisine pour implorer sa coéquipière de retourner de suite au commissariat. Il n'eut pas à se faire prier. Lorsqu'Emmanuelle le vit, elle lui expliqua qu'elle n'avait rien trouvé avant de lui demander ce qui le mettait dans un état pareil. Sans un mot, il dégaina son téléphone et le lieutenant décida que leur mission était accomplie.

Elle ordonna à Borly et au suspect, qui ne se firent pas prier, d'entrer dans le fourgon qui les mena au commissariat de Grenoble en un rien de temps.

L'homme grand, blond, aux yeux noisette et à la barbe de trois jours était assis, les coudes sur la table et la tête dans les mains. Alors que dans une salle adjacente, un plan d'action se mettait en place.

« Je vais mener l'interrogatoire et... commença Borly.

― C'est hors de question, s'interposa la commissaire. Je vous rappelle que vous êtes ici en tant qu'observateur et que l'avocat du prévenu comprendra vite que vous ne faites pas partie du commissariat ce qui amènera forcément à un vice de procédure... C'est ce que vous voulez ?

― Non, bougonna le détective.

― Bon ! Alors c'est moi qui vais interroger le suspect.

― Un conseil : commencez par le faire parler des photos de son ex qu'on a trouvé chez lui, puis des liens qu'il entretenait avec elle. Qui sait, on arrivera peut-être à lui faire avouer ses sentiments cachés ! Puis...

― Puis je finis par l'hypothèse du meurtre passionnel, enchaîna Nora Gruaux. Merci, je connais mon boulot. »

Une policière vint les prévenir qu'une avocate attendait à l'accueil. Le brigadier Blitz se proposa pour accompagner la femme d'une quarantaine d'année auprès de son client.

La commissaire entra, quelques minutes après, dans la salle d'interrogatoire munie d'une pochette en plastique beige qu'elle posa sur la table avant de s'asseoir face à l'avocate et son client.

Elle sortit des feuilles de la pochette tout en posant ses premières questions.

« Savez-vous pourquoi vous êtes en garde-à-vue, Monsieur Chambrier.

― À ce qu'il parait, je suis accusé d'avoir harcelé mon ex... répondit l'homme d'un air offusqué.

― En réalité, c'est beaucoup plus grave...

― Dites-nous alors qu'elles sont les réelles accusations qui sont retenues contre mon client, ordonna maître Mauricet.

― Je vais y venir, ne vous inquiétez pas, maître. Mais pour l'instant, je dois avouer que les photos trouvées dans votre chambre nous ont intriguées, monsieur Chambrier.

― Que je sache, ce n'est pas un crime d'avoir des photos de son ex chez soi, s'énerva le suspect.

― Une question me brûle les lèvres, enchaîna la commissaire ignorant volontairement la remarque qui venait d'être faite. Est-ce que vous aviez l'habitude de photographier votre ex à son insu ?

― De quoi parlez-vous ? Demanda l'avocate en prenant les feuilles que la commissaire lui tendait.

― Sur la première, vous pouvez voir le panneau sur lequel étaient accrochés une trentaine de clichés...

― Je ne vois que des photos de famille, s'indigna l'avocate.

― Sur la seconde, il y a trois photos que le suspect a caché dans un tiroir de sa cuisine... Et ne me dites pas que la victime posait volontairement !

― Ce n'est pas ce que vous croyez...

― Alors, je réitère ma question : Depuis quand preniez-vous des clichés de votre ex à son insu ?

― Ok, c'est bon je vais tout vous dire ! Capitula Monsieur Chambrier. De toute façon même ma fille l'avait compris !

― Compris quoi ?

― Que j'ai toujours aimé ma femme ! C'est elle qui est partie par ma faute ! Je l'ai trompée et elle ne m'a jamais pardonné, moi non plus je ne me pardonne pas de l'avoir perdu !

― Vu que vous semblez n'avoir plus de question, moi j'aimerais savoir quelle est la nature exacte de vos accusations, siffla l'avocate.

― Votre client est le suspect principal pour le meurtre de sa femme, Audrey Deroze-Chambrier.

― Mais c'est complètement ridicule ! S'énerva le prévenu.

― Alors, que faisaient ce sac noir et ces gants chez vous ? Demanda la commissaire en mettant sous son nez les clichés pris avec le portable de Borly.

― Je vous l'ai déjà dit, ce sont mes gants de ski que j'ai oubliés dans mon sac de sport le week-end dernier.

― Vous voulez savoir ce que je pense ?

― Ce n'est pas tant ce que vous pensez qui m'intéresse, lança maître Mauricet, mais les preuves que vous avez contre mon client.

― Je pense que vous aviez l'attention de déclarer votre flamme à la victime, ce soir-là... entonna la commissaire sans prendre garde à la remarque de l'avocate, donc vous la suivez, mais elle se rend dans un hôtel... Fou de jalousie à l'idée qu'elle ait un amant, vous entrez dans la chambre et lui demandez des comptes... Elle vous assure qu'elle n'a personne dans sa vie...

― Mais non, je ne savais même pas qu'elle était allée à l'hôtel !

― Soudain, vous avez une furieuse envie d'elle... Alors vous l'endormez pour ne pas qu'elle crie lorsque vous la violez, puis par honte ou par peur qu'elle vous dénonce, vous la tuez.

― Mais c'est ignoble ! s'indigna le suspect. C'est ce que son meurtrier lui a fait subir ?

― Malheureusement, oui.

― Mais je n'y suis pour rien, moi ! »

La commissaire s'éclipsa pour laisser l'avocate et son client seuls. Elle en profita pour rejoindre son équipe. Tous pensaient la même chose : l'ex-mari n'était pas le coupable. Surtout qu'après vérification, le suspect était bien allé au ski le week-end précédent et qu'il n'avait pas de GHB sur lui, ni dans son appartement.

&*&*&

Le mois d'avril 2015 commença par une semaine de pluie. Borly était rentré chez lui à la fin du mois de février. Depuis son départ, la commissaire grenobloise lui envoyait les avancées de l'enquête par mail, systématiquement en fin de semaine.

En cette fin de journée, le détective reçut un nouveau message de la commissaire lui expliquant qu'un homme avait appelé au commissariat annonçant qu'il avait vu l'homme du portrait-robot.

Suite à sa diffusion dans les journaux locaux, il était commun que des personnes mal intentionnées racontent qu'elles aient vu l'individu pour se faire mousser.

D'après la commissaire, le témoin aurait expliqué qu'il l'avait croisé en face de l'hôtel où avait été retrouvée la victime, quelques jours auparavant. Or, la police n'avait jamais fait allusion, ni mentionné l'hôtel aux journalistes.

Borly eut à peine le temps de finir de lire le mail qu'il en reçut un second, cette fois-ci de Laura.

 

Á : borlya@hotmail.fr

De : l.veyrand@gmail.com

10/04/15

Objet : JOHN

 

J'ai demandé à mon mari si le nom « John » lui disait quelque chose (suite à la conversation que j'avais surpris, il y a quelques mois) et il m'a assuré que non, mais je n'arrive pas à le croire !

Tu peux penser que je me fais des films, mais je sais qu'il y a un truc de pas net !

Bonne soirée

Laura

 

Borly resta scotché quelques instants devant cette annonce improbable sans savoir qu'en penser et n'eut pas l'idée de répondre à sa correspondante.

Deux jours passèrent lorsqu'il reçut un coup de fil de la commissaire de Grenoble qui lui annonçait que le juge venait de clore l'enquête faute de preuves suffisantes.

Le détective s'en doutait, mais la déception restait la même.

C'était un échec de plus qu'il devrait encaisser du mieux qu'il le pouvait.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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29/12/15 – 23h30

 

Énervé

 

Messieurs et mesdames, bonsoir.

J'espère que vous avez passé une meilleure journée que moi !

Pourtant, elle avait bien commencé ! J'ai déjeuné avec une bien jolie jeune femme avec qui j'ai beaucoup discuté sur e-Darling et qui a bien voulu me rencontrer à Villard-de-Lans.

Le courant est passé tout de suite et elle m'a proposé de la suivre jusque chez elle, dans la vallée, pour boire l'apéritif et plus si affinité !

Tout se déroulait à merveille jusqu'à ce que son téléphone fixe sonne et qu'elle me mette à la porte en m'expliquant que son futur ex-mari était en chemin et qu'elle ne voulait pas qu'il me voit avant que son divorce ne soit prononcé.

Vous comprenez maintenant pourquoi je suis agacé. Je m'en vais donc manger devant ma télé, en espérant oublier cet épisode au plus vite.

 

Commentaires

 

Loulou18 – 29/12/15 – 20h31

Une de perdue, dix de retrouvée comme on dit !

 

HaineJy – 29/12/15 – 23h56

Finalement qui a réellement fait l'erreur ? Elle parce qu'elle a fait cocu son mari ou toi parce que tu t'es fait surprendre par une situation inattendue ?

 

10

 

Le téléphone venait de sonner et Borly décrocha machinalement, trop absorbé par une affaire d'adultère. En reconnaissant la voix de Laura, son cerveau se mit en alerte et il écouta attentivement sans l'interrompre. La jeune femme avait l'air à la fois paniquée et excitée par la nouvelle qu'elle allait lui annoncer. À la fin du monologue, le détective jura et demanda à sa coéquipière de répéter afin de s'assurer qu'il avait bien compris.

« Notre imitateur vient de poster un article dans lequel il dit avoir rencontré une femme à Villard-de-Lans et que ça s'est mal passé !

― Sérieusement, tu crois que ?...

― Oui, l'interrompit-elle, il y a fort à parier qu'on trouve une autre victime entre ce soir et demain...

― Ok ! J'appelle le commissariat de Grenoble, je trouverais bien une explication à donner !

― Je te laisse, mon mari ne va pas tarder à rentrer ! tu m'envoies un mail si tu as du nouveau... »

Il resta sans bouger, le téléphone dans la main, alors que sa comparse avait raccroché depuis un moment. Cet état de rêverie se dissipa lorsqu'il se rendit compte qu'il pourrait enfin coincer ce meurtrier s'il agissait assez vite.

Malgré l'heure tardive, Antoine tapota le clavier de son portable. Une voix se fit entendre après la troisième sonnerie.

« Monsieur Borly ? S'étonna la commissaire Gruaux. Je suis désolée, mais je n'ai pas vraiment le temps là...

― Il a recommencé... commença Antoine, oubliant toute forme de politesse.

― Qui ça ? “ l'Anti-Blondes ” ?

― Mais, non ! Railla le détective. Notre imitateur ! Il a fait une nouvelle victime à Villard-de-Lans !

― Alors, oui ! On a un nouveau corps avec le même genre de mis en scène, robe rouge et fleurs blanches ! J'y suis en ce moment même. Par contre, la victime a été trouvée à Vinay...

― Vinay ?

― Écoutez, je vous attends au commissariat demain, parce que là, je n'ai vraiment pas le temps de vous expliquer ! »

Le détective s'allongea dans son lit espérant dormir au plus vite, mais les questions et les hypothèses tournaient dans son esprit. Il se demandait, s'ils ne faisaient pas fausse route en se focalisant sur l'imitateur. Avec beaucoup de malchance, “ l'Anti-Blondes ” était peut-être de retour, ce qui annonçait un allé simple pour l'enfer. En même temps, le poste dont lui avait parlé Laura était clair sur le lieu du drame. À moins, qu'il ait mal compris.

Borly ouvrit les yeux avant que son réveil ne sonne. Il aurait pu rester une demi-heure de plus dans son lit et attendre l'alarme, mais le sommeil l'avait lâché et il n'avait qu'une hâte, partir pour Grenoble au plus vite.

Encore groggy par sa petite nuit, le détective se glissa sous le jet brûlant de la douche, sans ressentir le coup de fouet auquel il s'attendait.

Il prit sa décision en regardant son reflet dans le miroir. Il ne pouvait pas prendre le volant, durant plus de dix heures, dans cet état de fatigue. Pour une fois, il ne voyait aucun inconvénient à payer plein pot pour se garer sur le parking de la gare de Caen.

Antoine demanda un aller simple pour Grenoble au guichetier. Par bonheur, il n'aurait qu'à attendre cinq petites minutes sous ce froid hivernal. Il en profita pour voir le trajet qu'il allait devoir faire. Sur une application, il vit qu'il allait mettre près de sept heures pour arriver à destination, le tout avec deux escales, dont une à Lyon qui durerait près d'une heure.

Quelques instants après que le train ait pris son élan, Borly rejoignit les méandres de ses rêves qui passèrent du souvenir de ce jeune homme qui se prénommait Jonathan Nowack, puis il imagina l'imitateur comme un homme grand et mince aux cheveux noirs et aux yeux bleus. Soudain, l'image de Laura allongée sur un lit, vêtue d'une robe rouge aux escarpins et vernis assortis, le réveillèrent en sursaut. Ses yeux écarquillés cherchèrent un repère spatio-temporel qu'ils trouvèrent sur les panneaux indiquant qu'il se trouvait en gare Saint-Exupéry. La journée s'annonçait longue et il avait besoin d'un grand café. Aussi, il s'installa dans le premier bar venu pour commander un café qu'il but goulûment.

Antoine passa le reste du trajet, les yeux rivés sur l'écran de son ordinateur, relisant les anciennes affaires des deux tueurs qui le maintenait éveillé.

&*&*&

Il n'était pas loin de quinze heures lorsque Borly passa les portes du commissariat de Grenoble. Il demanda à parler à la commissaire, qui se trouvait être derrière lui, ce qu'il comprit au regard de l'hôtesse.

« Vous avez une mine affreuse, lança la commissaire en passant à côté de lui pour le guider dans les couloirs.

― Je sais ! J'ai mal dormi...

― Ne me dites pas que vous avez pris la voiture ? À part si c'est votre amie qui a conduit...

― Non, je suis venu seul, en train »

Borly suivit la quadragénaire en admirant ses formes. À croire qu'elle avait le don de voyance, en entrant dans la salle de pause du personnel, elle susurra sur le ton de la plaisanterie.

« Je ne suis pas présentable ! Vous devriez voir quand je suis sur mon 31, c'est autre chose...

― Eh bien, déjà là... lança-t-il sans réfléchir.

― Bon, sourit-elle sans relever, J'adore les compliments, mais ce n'est pas ce qui fera avancer notre nouvelle affaire.

― Votre équipe ne se joint pas à nous ?

― À cette heure-ci, les filles doivent sur les enquêtes de voisinage et sur les visionnages des vidéos des rues adjacentes. On fait un débriefing en fin d'après-midi, si vous voulez nous y rejoindre...

― Bien sûr.

― En gros, voici ce que l'on a pour l'instant ! Lança la commissaire en donnant une liasse de photographies à Antoine.

― Ça a l'air d'être l'imitateur, souffla Borly, en regardant brièvement chaque photo.

― C'est ce que je me suis dit en constatant que le vernis débordait, comme la dernière fois.

― Il y a eu viol ?

― Non. Par contre, j'ai l'impression que notre homme a été interrompu...

― Qu'est-ce qui vous fait dire ça ?

― Bien, jusqu'à présent, l'imitateur ne s'est jamais montré à cheval sur le ménage...

― Mais ?

― Là c'est pire...

― Pire comment ?

― Regardez les photos prise de l'appartement. Il y a des vêtements au sol, qui appartiennent vraisemblablement à la victime. La vaisselle n'a pas été nettoyée. On a trouvé des empreintes sur deux verres et un cheveu sur la victime...

― Étrange, effectivement, murmura Antoine qui venait de repartir dans ses pensées.

― Il y a une autre chose qui me pose question, continua la commissaire.

― Quoi ? Demanda Antoine en sortant de sa torpeur.

― Comment avez-vous su qu'il y aurait un meurtre ? Et pourquoi vous m'avez parlé de Villard-de-Lans ? »

Borly resta muet un instant, réfléchissant sur la confiance qu'il était prêt à accorder à cette inconnue. Il la trouvait franche, ce qu'il appréciait beaucoup. C'était également un très bon enquêteur sur le terrain, qui menait son équipe d'une main de maître et qui savait aussi bien analyser les indices que les gens. Le détective était prêt à lui parler du blog, mais auparavant, il devait en parler à Laura.

« Pour le meurtre, je l'avoue, ce n'était que pure supposition, puisque le mois de décembre touche à sa fin... mentit Borly.

― Du bluff ?

― Un coup de poker sur lequel je n'avais aucune certitude, mais qui finalement s'est avéré être gagnant !

― Tout dépend pour qui, grogna la commissaire, pas pour la victime en tout cas ! Et pourquoi Villard-de-Lans ?

― Tout ce que je peux vous dire pour l'instant, c'est que j'ai mes sources et qu'elles sont sûres.

― Tellement fiables, que la victime a été trouvée à Vinay... ironisa-t-elle.

― Mais c'est évident ! S'écria Antoine, oubliant son interlocutrice. Il a parlé d'un hôtel, mais jamais de son appartement... »

&*&*&

Le lieutenant Faure avait demandé à faire un débriefing en salle de réunion avec l'équipe au complet, Borly y compris. Tous avaient pris place autour de la table ronde sauf le juge qui avait du retard.

La commissaire demanda à ce que le lieutenant commence sans le magistrat, qui, assura-t-elle, ne serait pas offensé.

« Bon, je récapitule pour monsieur le détective. La victime s'appelle Rose Martin, mariée à Étienne Gardin depuis deux ans, elle est en instance de divorce et ils n'ont pas d'enfants.

― Elle a été retrouvée dans son appartement par son futur ex-mari, enchaîna le brigadier Blitz. La victime était allongée dans son lit, vêtue d'une robe rouge avec le vernis et les escarpins assortis.

― Comme pour notre première affaire du genre, continua la commissaire, le vernis à ongle débordait et, cette fois-ci, le tueur a choisi des chrysanthèmes pour entourer les corps. Il est donc fort probable que ce soit l'œuvre du taré qui imite “ l'Anti-Blondes ”.

― J'imagine... murmura Antoine. Vous pouvez m'en dire plus sur la victime ?

― C'est une femme de trente et un ans, assez grande, s'empressa de répondre Emmanuelle. Elle mesure dans les un mètre quatre-vingts pour environ soixante kilos. Elle est blonde comme les autres victimes, les yeux bleus et, d'après sa garde-robe, elle aime porter des vêtements de marque. Ce qui contraste avec sa paye, puisqu'elle est serveuse dans un restaurant de Villard-de-Lans... »

Jusque-là en pleine réflexion, le détective s'ébroua pour rejoindre au plus vite la réalité en entendant le nom de la station de ski.

« Vous avez vérifié son emploi du temps ? demanda Antoine autoritaire.

― Oui, mais... râla le lieutenant qui n'appréciait pas de se faire devancer par un inconnu.

― Est-ce que vous savez à quelle heure elle terminait son service, hier soir ?

― À cause d'un imprévu personnel, son patron nous a expliqué qu'il lui avait accordé de finir juste avant le rush de dix-huit heures.

― Vous avez déjà interrogé les employés du restaurant ?

― Non, j'ai juste appelé pour avoir son emploi du temps et l'occasion de discuter quelques minutes avec son patron s'est présenté. On pensait y aller demain matin pour être tranquille...

― Qui y va ? Demanda la commissaire qui avait compris ce que le détective avait en tête, mais elle préférait l'intégrer elle-même.

― Alex, normalement...

― Ok, vous emmènerez Borly avec vous...

― D'accord, grommela le brigadier, au pied du mur.

― Je ne vous gênerais pas, je vous le promets. Vous mènerez la discussion comme bon vous semble, je serais là qu'en tant que spectateur.

― Sinon, Emma, qu'est-ce qu'il y a de si urgent ?

― On a regardé les vidéos des caméras qui surveillent la rue du restaurant... On a une image nette !

― Un visage ? Demanda Antoine sceptique.

― Exactement. Il n'a pas pris la peine de se cacher ! Et si vous voulez mon avis, vu l'état de l'appartement, je pense qu'il a été dérangé...

― Mais oui ! Par le mari, s'exclama Alexandra.

― Quoi ? Demanda en chœur le reste de l'équipe.

― Étienne Gardin a monté sa boîte en informatique et elle tourne plutôt bien. Il était en déplacement en Suisse cette semaine et ne devait rentrer que lundi prochain, sauf que son client a eu un souci, ce qui a écourté son voyage. D'après lui, il a appelé sa femme en sortant de la gare de Grenoble, vers vingt heures pour lui annoncer son retour dans la soirée, mais elle ne répondait ni sur son portable, ni sur son fixe et il a laissé un message sur la boîte vocale. Il a pensé qu'elle était sous la douche ou dans son lit...

― Donc, si comme vous le pensez, le meurtrier était encore dans l'appartement à ce moment-là, c'est sûrement lui qui a écouté le message laissé par Étienne Gardin... souffla Borly.

― Et il a très bien pu paniquer au point de laisser empreintes, ADN et oublier de cacher son visage... confirma la commissaire. »

&*&*&

Laura était fébrile à l'idée de revoir son cher détective. Le souvenir de leur enquête passé raviva des émotions qui s'étaient estompées au contact de son mari.

Lorsqu'elle avait lu le mail de Borly qui l'implorait de le rejoindre en Isère, elle en avait ressenti toute l'urgence même si le terme n'avait pas été mentionné. Le seul mot « victime » avait suffi à la décider.

Le soir même, elle s'était rendu chez son médecin de famille qui la connaissait suffisamment pour qu'elle n'ait pas à feindre une quelconque maladie. Après lui avoir brièvement parlé d'une affaire sur laquelle elle travaillait depuis quelques mois, sans autre détails, la jeune femme lui avait demandé de la mettre en arrêt maladie pour une semaine, sans condition de sortie. Comprenant l'urgence dans la voix de sa patiente, le généraliste accepta en lui faisant promettre que ce serait la seule et unique fois.

En rentrant, elle avait expliqué à son mari qu'elle devait se rendre en Savoie avec son équipe qui planchait sur une affaire délicate. Le mensonge était minime puisqu'elle était bien sur une enquête qui l'obligeait à aller dans les Alpes, mais c'était en parallèle de son travail au commissariat. Aussi espérait-elle que son mari ne cherche pas à en savoir davantage auprès de ses collègues.

Dans ce cas, elle savait qu'elle aurait des comptes à rendre, à son mari bien sûr, mais surtout à sa hiérarchie.

En avion, elle mit une heure avant d'arriver à l'aéroport de Lyon. Une heure durant laquelle la jeune femme n'avait de cesse de penser à ces deux criminels en liberté, si elle en croyait les théories d'Antoine. Dans le bus qui faisait le trajet Lyon-Part-Dieu à la gare de Grenoble, ses pensées dévièrent vers ses émotions. Elle avait beau se répéter que cet homme, pourtant si charmant, était gai, qu'il ne serait jamais attiré par les femmes et que leurs ébats durant l'année précédente n'étaient qu'un besoin primaire de décharger les tensions accumulées, elle nourrissait tout de même l'espoir de retomber dans ses bras.

Lorsqu'elle passa les portes de la gare, après avoir récupéré ses bagages, elle se fendit d'un large sourire presque malgré elle, en apercevant le détective.

Le duo d'enquêteur opta pour une chambre parentale dans un hôtel première-classe, moins chère et suffisante pour ce qu'ils comptaient en faire. Chacun était content de revoir l'autre, mais devenus plus intimes, aucun n'osa révéler ses doutes. Borly était de plus en plus dérouté par l'attirance qu'il éprouvait pour cette jeune femme qui était de dix ans sa cadette, ce qui révélait chez lui sa bisexualité, et non une homosexualité pure et dure comme il l'avait toujours ressenti. Laura, elle, oscillait entre l'euphorie du moment et la culpabilité de mettre à mal le contrat fait trois ans auparavant avec son mari.

Ils ne pouvaient pourtant pas se laisser envahir par leurs émotions si dérangeantes furent-elles. Ils avaient une enquête à résoudre et comptaient bien profiter des erreurs commises par le criminel pour le mettre hors d'état de nuire.

Laura était arrivée depuis deux heures à peine lorsque Borly lui exposa son intention de parler du blog à la commissaire. Il aurait tant voulu attendre encore un peu avant de lui en parler, mais le temps leur manquait.

Au départ sceptique, Laura se laissa convaincre en constatant la confiance que qu'accordait Borly à cette commissaire iséroise.

En guise de remerciement, il l'embrassa langoureusement sur la bouche avant de dévier vers son cou en laissant glisser sa main sur l'intimité de la jeune femme qui lui donna son accord en lui rendant son baiser et en déboutonnant sa chemise.

Le couple fut dérangé par la sonnerie du téléphone d'Antoine qui fit semblant de ne pas l'entendre. Avant qu'il ne soit trop tard, Laura décrocha.

« Je vous le passe... C'est la commissaire Gruaux, susurra-t-elle à Borly en cachant le micro de sa main.

― Fais voir ! demanda-t-il à Laura. Oui ?

― Je vous dérange ?

― À peine, grommela Antoine en regardant sa maîtresse se rhabiller.

― Désolée, c'était juste pour vous prévenir qu'on a reçu les résultats d'analyse et qu'on fait un débriefing dans une demi-heure...

― Bah, je ne sais pas trop, balbutia-t-il en cherchant le regard de Laura qui lui fit signe de partir.

― Sinon, je peux vous envoyer le résumé par mail... proposa la commissaire qui avait senti le doute de son interlocuteur.

― Non, non ! C'est bon, je serais au commissariat dans une demi-heure pétante. »

Borly raccrocha précipitamment et entreprit de s'habiller. Il évita un instant le regard de Laura. La frustration prenait le dessus. Il aurait voulu prolonger ce moment, mais ne sachant pas si c'était réciproque pour la jeune policière, il ne voulait pas lui montrer sa déception. La jeune femme s'empressa de briser ce silence pesant.

« En même temps, je ne suis pas là pour flirter... mais pour t'aider dans ton enquête.

― Et c'est ce que tu fais de mieux, susurra-t-il en se penchant pour l'embrasser. Autant pour l'enquête que dans ma vie.

― Je prends ça pour un aveu !

― Si tu savais à quel point je rage d'être un fardeau pour toi...

― Pourquoi un fardeau ? Demanda Laura d'un air étonné.

― Parce que tu es mariée, et que de ce fait, je dois bouleverser tes certitudes et peut-être aussi tes sentiments...

― Tu ne te donnes pas un peu trop d'importance ? Se moqua la jeune femme.

― Dans le cas contraire, tu m'aurais repoussé depuis longtemps !

― Eh ! M. Misogyne, les femmes aussi peuvent tromper leur mari sans vergogne ! Cela n'est pas réservé qu'aux hommes, lança-t-elle avec un sourire espiègle. Allez ! Vas-y sinon tu vas être en retard ! »

Laura était décidée à profiter d'un moment de solitude, sans Antoine, ni autre tentation quelconque, pour retourner sur le blog en espérant y trouver quelque chose d'utile.

&*&*&

Le débriefing dura un peu moins d'une demi-heure. La première à prendre la parole fut le lieutenant Faure qui fit un rapide récapitulatif sur leur victime et ce qu'elle faisait dans la vie. La jeune femme parla de son emploi du temps le soir du meurtre. Elle relata également les propos du mari, le fait qu'il devait être en déplacement une semaine durant et de son séjour écourté. Ainsi, la policière évoqua l'hypothèse que le tueur ait pu paniquer, ce qui expliquait les erreurs qu'il avait commises.

« Effectivement, il a fait pas mal d'erreur, enchaîna le brigadier Blitz. Tout d'abord, il a laissé des empreintes un peu partout, ce qui laisse à suggérer qu'il ne portait pas de gants ce soir-là. On en a trouvé sur les meubles, un verre, mais également sur les porte de l'armoire à pharmacie de la victime, ce qui me laisse penser qu'il devait chercher un médicament pour l'endormir. Il ne s'est pas embarrassé avec le ménage. Il y avait de la vaisselle sale, des vêtements qui jonchaient le sol. On a également trouvé des cheveux sur le lit et de la sueur sur le corps, mais les empreintes et l'ADN ne correspondent à aucun de nos fichiers.

― En ce qui concerne la victime, le légiste est formel, annonça la commissaire, il s'agit d'une asphyxie par strangulation. Il a relevé des hématomes autour du cou. Elle n'a pas été violée et ne porte aucune marque de défense, ce qui peut s'expliquer par la dose élevée de GHB trouvée dans son sang. Bien, on avait dit que ce matin, Blitz et Borly iraient au restaurant où travaillait la victime. Il me faut quelqu'un pour l'enquête de voisinage et un autre pour l'entourage proche...

― Je m'occupe du voisinage, proposa Emmanuelle.

― Ok. Je vais parler aux proches de la victime, alors ! »

Antoine attendit d'être seul avec la commissaire pour fermer la porte.

« Il y a une chose que je vous ai caché ! Lança Borly, sans préavis.

― À mon avis, pas qu'une... Mais je vous laisse la parole.

― Je vais vous donner celle qui importe pour notre affaire ! Notre tueur a créé un blog, il y a près de deux ans...

― Et vous n'en parlez que maintenant ? S'offusqua la commissaire.

― Quand nous l'avons découvert avec ma coéquipière, nous avons eu peur de se faire couper l'herbe sous le pied par la police...

― Et pourquoi maintenant ?

― Parce que c'est de par ce blog que j'en ai conclu que le meurtre allait être commis à Villard-de-Lans !

― C'est ça que vous appelez une source sûre ? railla la commissaire.

― C'est une erreur de compréhension de ma part, je l'avoue !

― Que voulez-vous dire ?

― Dans son dernier article, notre imitateur disait avoir rencontré une femme à Villard-de-Lans et que ça s'était mal passé...

― Et vous avez imaginé qu'il avait commis son crime dans la station de ski...

― C'est ça ! Mais quand vous m'avez dit que le corps avait été trouvé à Vinay, j'ai compris !

― Ce n'était pas le corps qui se trouvait dans la station, mais lui ! s'exclama la commissaire.

― Et je suis sûr qu'il y est encore...

― Comment pouvez-vous le savoir ?

― Intime conviction... Ou instinct, si vous préférez ! »

Après un regard entendu, les deux enquêteurs se séparèrent. Borly le savait, cette femme était rusée et comprenait vite les choses. Entre l'épisode de Laura qui répond à sa place au téléphone et ce moment gênant où cette femme charismatique lui avait fait comprendre qu'elle n'était pas dupe, il ne pouvait qu'espérer qu'elle garde le secret.

À son retour, lorsqu'il passa la porte de la chambre, Laura lâcha l'écran de son ordinateur pour lui montrer ses dents dans un large sourire. Ne sachant pas si c'était sa présence ou une possible découverte intéressante qui la mettait dans cet état, le détective se laissa choir sur le lit, près de sa jeune coéquipière.

Ses yeux, inconsciemment fixés sur l'écran, lurent l'impensable.

&*&*&

« J'ai fait une grosse connerie ! Il faut que je retourne chez elle pour me rattraper ! »

 

Ces deux phrases tournaient en boucle dans l'esprit d'Antoine. Il n'arrivait pas à comprendre si l'auteur du poste avait volontairement donné cette information, peut-être pour mettre la police sur une fausse piste, ou s'il était simplement sous l'emprise de la panique. Son téléphone vibra dans la poche de son jean et en le consultant, il eut un petit sourire. En lui donnant l'information une demi-heure avant, il se doutait bien que la commissaire allait prendre connaissance du blog, mais il ne s'attendait pas à ce qu'elle fut aussi rapide. Le message qu'elle venait de lui envoyer reflétait à merveille ce qu'il pensait : « Oh ! Putain... »

« Je n'ai pas rêvé ? on lit bien la même chose ? Demanda Laura qui n'osait pas y croire.

― Ouais... Et il y a fort à parier qu'il y aille ce soir !

― Tu as parlé du blog à ta commissaire ? Demanda la jeune femme avec un soupçon de jalousie dans la voix.

― Oui et vu le texto qu'elle vient de m'envoyer, il n'y a pas de doute, elle l'a consulté à l'instant...

― Et tu as vu le commentaire de « HaineJy » ? On dirait qu'il s'amuse de la situation...

― Attends ! La coupa-t-il brusquement. J'ai un coup de fil à passer, je reviens. »

Antoine s'éclipsa un court instant pour joindre la commissaire et revint une dizaine de minutes plus tard.

« On va essayer de le coincer chez la victime, et tu es conviée au spectacle ! Annonça-t-il avec un grand sourire. Ordre de la commissaire !

― Tu lui as parlé de moi ? Se renfrogna la jeune femme.

― Non ! C'est toi qui lui as parlé, je te rappelle...

― Ah, oui... C'est vrai !

― Au moins, si tu la rencontres, tu arrêteras peut-être de parler de MA commissaire !

― Désolé, mais c'est plus fort que moi, grogna-t-elle. Vous avez l'air de bien vous entendre...

― C'est clair, on est sur la même longueur d'onde. On traque le même meurtrier, de la même manière... Mais il n'y en n'a qu'une qui compte pour moi et je peux t'assurer que ce n'est pas elle.

― Serait-ce une déclaration ?

― Qui sais, susurra Antoine d'une voix suave.

― Sinon, ça marche comment pour ce soir ?

― On se rejoint tous au commissariat pour dix-sept heures trente, ce qui nous laissera le temps de préparer le matériel et de faire un petit débrief'. Grand maximum à dix-huit heures trente on se poste par équipe autour du bâtiment où logeait la victime, histoire de vérifier la tranquillité des lieux et de voir pour rentrer...

― La Brigade Anti-Criminalité sera là aussi ?

― Oui. Ce sont eux qui entreront en premier pour sécuriser le périmètre.

Un fourgon banalisé stationnait non loin du bâtiment dans lequel se trouvait l'appartement de Rose Gardin. De leur cachette, la vue était imprenable.

En contact constant avec les autres équipes et les officiers de la BAC, qui étaient postés à chaque recoin de l'immeuble, Laura et Antoine attendaient.

Le corps et leur visage crispés démontrait leur état de stress qui ne cessait d'augmenter à mesure que défilaient les minutes.

Le détective pria intérieurement de ne pas s'être trompé. Cette éventualité lui était inconcevable. Dans ce cas, ils perdaient un temps précieux, ce qu'il ne pouvait accepter. Le doute et l'angoisse monta encore d'un cran lorsque Borly parla dans son talkie-walkie.

« Un homme se dirige vers le bâtiment, taille moyenne, crâne rasé, vêtu d'un tee-shirt noir et d'un jean bleu clair...

― Je le vois, répondit la voix de la commissaire qui se trouvait avec Emmanuelle dans une Clio blanche à l'Est du bâtiment. C'est peut-être notre homme, alors tout le monde sur ses gardes ! »

Le souffle court, l'équipe de Grenoble ainsi que Laura et Antoine, subirent un suspense insoutenable. Moins de cinq minutes passèrent lorsque le talkie-walkie de Borly grésilla. C'était un officier de la BAC qui avait suivi le suspect.

« On l'a intercepté alors qu'il commençait à nettoyer l'appartement. Vous pouvez entrer, la voie est libre. »

Comme un seul homme, les policières grenobloises, ainsi que les deux amants entrèrent dans l'immeuble et montèrent les trois étages en vitesse.

Il émanait une odeur de javel lorsque le groupe entra dans l'appartement. Le suspect, assis dans la cuisine, était menotté à sa chaise.

La commissaire n'était pas venue les mains vides et posa une feuille A4 avec un stylo sur la petite table en verre tout en dictant ses droits, dont celui d'appeler un avocat, et lui rappela que tout ce qu'il dirait pourrait être retenu contre lui. Elle lui détacha une main afin qu'il puisse signer la feuille de déclaration, affirmant que la police lui avait mentionné ses droits. Il s'exécuta et la femme lui remit la menotte en lui signalant sa mise en garde-à-vue.

En voyant cet homme qui n'affichait ni un air contrit, ni désolé, mais au contraire, son sourire de satisfaction s'élargit en regardant Laura. La jeune femme eut une violente envie de lui mettre sa main dans la figure. Geste qu'elle refoula en s'éclipsant dans le fourgon, sans oublier de claquer la portière derrière elle. Constatant que la rage avait envahi sa partenaire, Antoine était sur le point de la suivre lorsque la commissaire mit une main sur son épaule en lui conseillant de la laisser un peu seule. Le détective suivit ce conseil et attendit quelques instants avant de prendre le volant pour retourner à leur hôtel. Le trajet se fit dans un silence de mort.

À peine eurent-ils fermé la porte de la chambre que leurs vêtements volèrent et bientôt leur corps chaud fusionnèrent.

Apaisé par cet ébat enflammé, Laura fut plus sereine pour parler de ses émotions passées.

« Tu te rends compte que je me suis mise dans cet état pour un inconnu ? Râla-t-elle.

― C'est normal ! Répondit Antoine sur un ton rassurant. Tu lui en veux pour ce qu'il aurait pu faire à d'autres femmes... Et moi je lui en veux, parce qu'il aurait très bien pu s'en prendre à toi !

― Ouais... murmura-t-elle sans réellement l'écouter. Vu l'état dans lequel j'étais pour un type que je ne connais pas, je n'imagine même pas la réaction que j'aurais lorsqu'on coincera mon frère...

― Tu parles de Jonathan Nowack ?

― Oui ! Soit le fils de mon père et d'une mère que je n'ai jamais connue, donc mon frère !

― Un frère que tu n'as jamais vu...

― Peut-être mais...

― Tu es tout le contraire, lui susurra Antoine en la prenant dans ses bras. Tu es une femme attentionnée, serviable, qui se bat pour les autres ! Tu n'es pas comme lui... »

À ces mots, Laura fondit en larme avant de s'écrouler de fatigue.

Alors que sa maîtresse dormait dans ses bras, Antoine resta un moment, les yeux grands ouverts, bien loin d'être fatigué, en se demandant où pouvait bien se trouver l'homme qui l'obsédait tant.

&*&*&

Dans le petit bureau de la commissaire, les policières et Antoine établissaient leur plan d'attaque avant que ne commence la garde-à-vue. Le lieutenant Faure fit un bref résumé de l'identification du suspect, qu'elle venait d'achever.

« Cyprien Bourgeois, cinquante-cinq ans est né à Paris. Alors qu'il n'a que neuf ans, il déménage avec ses parents à Bonne en Haute-Savoie où il reste jusqu'en 2012. Cette année-là, il déménage en Savoie, à Saint-Hélène-sur-Isère. Il a deux enfants, une fille de vingt-six ans et un garçon de vingt-trois ans.

― On peut leur parler ? Demanda Borly.

― Le suspect a refusé de me donner leur nom. Il s'est muré dans le silence dès que j'ai abordé la question et je n'ai pas encore eu le temps de faire des recherches.

― Je m'en occupe, assura le détective.

― Bon ! Lança la commissaire. On a quarante-huit heures pour faire parler le prévenu et pour regrouper toutes les preuves, alors au boulot ! Je commence l'interrogatoire. »

Tandis que la commissaire Gruaux fermait le porte derrière elle, Antoine passa devant l'accueil pour sortir des locaux de la police. Une femme grande, aux cheveux noirs et au regard incisif, passa devant lui sans daigner lui dire bonjour. Perchée sur des talons aiguilles, cette femme chic ressemblait à une statue grecque, toute en muscle. Le détective comprit qu'il s'agissait de l'avocate de leur suspect lorsqu'elle demanda froidement à parler à son client, Monsieur Bourgeois.

Il n'avait nullement envie de lui parler, il en aurait l'occasion plus tard, et préféra rejoindre sa voiture pour retrouver Laura et voir avec elle s'il y avait du nouveau sur le blog.

La journée touchait à sa fin. Le lieutenant et le brigadier étaient retournées à leurs anciennes affaires de vol en attendant le retour de la commissaire. Celle-ci les rejoignit à la machine à café quelques minutes plus tard. Elle avait sa tête des mauvais jours et toutes comprirent ce que cela impliquait.

Alexandra ne put s'empêcher de poser la question qui lui brûlait les lèvres.

« Il n'a rien lâché ?

― Muet comme une tombe ! Grogna la commissaire. »

&*&*&

Ce second jour d'audition débuta sur les chapeaux de roues. C'était le lieutenant Faure qui allait mener l'interrogatoire, ce qu'elle fit dès sept heures du matin, sans même attendre l'arrivée de l'avocate austère.

Durant près de trois heures, le suspect laissa la policière parler sans dire un mot. Un petit rictus retroussait ses lèvres fines.

Maître Gamblin arriva sur les coups de dix heures, alors que l'équipe de police s'octroyait une pause bien méritée. Elle demanda à parler à son client et Emmanuelle lui servit de guide. Antoine en profita pour entrer dans le bureau de la commissaire. Il insista lourdement pour assister le lieutenant dans son interrogatoire, jurant qu'il n'interviendrait pas, qu'il resterait à l'écart en observateur. La commissaire refusa catégoriquement, lui rappelant son implication non officielle dans cette affaire. Il sortit du bureau, la mine renfrognée, et tous comprirent qu'il ne valait mieux pas ajouter un mot sous peine de voir éclater la rage qui bouillonnait en lui.

Alexandra le regarda passer les portes coulissantes avec un air désolé pour lui avant de prendre la suite de l'interrogatoire.

C'était sa première fois.

Elle avait déjà mené des auditions auprès de petits délinquants, mais cette fois-ci c'était différent. Il s'agissait d'un criminel multirécidiviste qui avait, en plus, un très bon avocat. L'idée même que cette femme austère et froide ne laisserait passer aucun doute fit monter la pression d'un coup. L'angoisse envahit la jeune policière lorsqu'elle se trouva devant la porte de la salle exiguë.

Elle souffla lentement plusieurs fois et se sécha les mains sur son uniforme avant d'abaisser la clenche.

Assise devant le suspect et son avocate, elle leur rappela la peine encourue pour un crime. La jeune femme avait envi de sortir et retourner à son bureau pour prendre la capture d'écran qu'ils avaient fait sur une des vidéos des caméras de surveillance pour la coller sous le nez du suspect. La seule chose qui la retenait c'était le plan élaboré par la commissaire, qui avait expliqué qu'il valait mieux que le prévenu pense qu'ils n'avaient rien pour poser toutes leurs cartes en même temps. Cette théorie avait fait l'unanimité dans l'équipe. Enfin, presque, mais Alexandra n'avait pas osé parler de ses doutes.

Maître Gamblin, experte en la matière, avait senti le malaise de la policière et en profita pour lui rappeler que, sans preuve, elle n'avait pas le droit de retenir son client.

La jeune femme vit rouge et rétorqua du tac-au-tac, que la raison pour laquelle le suspect se retrouvait dans cette salle n'était autre que parce qu'il avait été retrouvé par ses collègues, en train de nettoyer une scène de crime qui était sous scellés. À peine eut-elle fini sa phrase qu'on frappa doucement à la porte. Un petit sourire se forma sur ses lèvres lorsqu'elle tourna le dos aux deux individus. Elle n'était pas peu fière d'avoir coupé la chique à cette femme qui semblait trop sûre d'elle.

La porte s'ouvrit sur Borly qui tenait entre ses mains une pochette verte. La policière s'excusa avant de laisser seuls le suspect et son avocate. Dans le couloir, les deux enquêteurs chuchotèrent.

« C'est notre homme, murmura Antoine.

― Tu as quoi dans ta pochette ? Demanda le brigadier sans relever l'euphorie du détective.

― Les résultats d'analyse, ADN, prise de sang, relevé d'empreintes, ainsi que les conclusions du légiste et, bien sûr, les images prises des caméras de surveillance. »

Alexandra vérifia qu'elle détenait toutes les preuves avant de retourner dans la petite salle.

« Vous voulez des preuves ? Je vais vous en donner !

― Je n'ai pas que ça à faire, alors venez-en au fait ! Ordonna l'avocate excédée. »

Alexandra posa bien en évidence les photographies des trois derniers meurtres.

« Reconnaissez-vous ces femmes, Monsieur Bourgeois ? »

D'un signe de tête, l'homme fit non.

« Alors, pouvez-vous m'expliquer pourquoi nous avons retrouvé votre ADN sur le corps de cette femme ? Demanda le brigadier rapprochant du suspect la photo de la dernière victime.

― Est-ce que je peux voir le rapport d'analyse ? Demanda l'avocate, visiblement sceptique.

― Bien sûr, tenez, répondit la policière en tendant une liasse de feuilles. Les empreintes relevées dans l'appartement de la victime appartiennent à votre client. Ainsi que les traces de sueur trouvé sur la victime. Nous avons également visionné les caméras de surveillance de la rue où se trouve l'appartement, et voici ce que l'on a trouvé, lança Alexandra en jetant une image sur la table. Alors ?

― Ok ! Souffla Cyprien. J'avoue, c'est moi !

― Pourquoi ?

― Je n'en sais rien ! Un coup de sang, sans doute...

― Expliquez-moi comment ça s'est passé.

― Vous n'êtes pas obligé de répondre, rappela son avocate.

― Au point où j'en suis, murmura le suspect. J'ai discuté avec cette fille sur un site internet. On a sympathisé quelque temps avant de se rencontrer. Elle me plaisait beaucoup. Un soir on a bu un verre dans un bar, puis elle m'a invité chez elle. La suite est floue, je suis devenu complètement fou ! Je me souviens avoir mis mes mains autour de son cou sans réellement savoir pourquoi et, soudain, elle ne respirait plus... J'ai paniqué et je me suis enfui !

― Ce qui voudrait dire que vous n'avez pas prémédité sa mort...

― Sûrement pas ! S'offusqua Cyprien.

― Alors comment expliquez-vous qu'on ait retrouvé du GHB dans son sang ?

― Je voudrais faire une contre-expertise, intervint l'avocate.

― Mais faites donc. J'aurais une dernière question...

― Laquelle ?

― Avez-vous déjà entendu parler de “ l'Anti-Blondes ” ?

― Ce nom ne me dit rien... C'est un logiciel ou un jeu, peut-être ? »

Alexandra rejoignit son équipe dans une pièce jouxtant la salle d'interrogatoire, laissant volontairement le suspect et son avocate seuls.

« Il a avoué pour le meurtre de Rose Gardin. Par contre, il se fout ouvertement de ma gueule. Je ne sais pas si je vais me contenir assez longtemps !

― Je vous en prie, pas de débordement... Sinon, je viens d'appeler le juge... annonça la commissaire. Je lui ai parlé des preuves que l'on a contre lui et du temps qui nous manque pour faire les regroupements pour les autres meurtres...

― Alors ? demanda le lieutenant, pour qui le suspense était insoutenable.

― Il prolonge de vingt-quatre heure la garde-à-vue ! »

Pour fêter leur petit succès, la commissaire proposa à son équipe d'aller boire un verre, payé par le contribuable. Antoine refusa poliment, il avait un truc à régler avant.

&*&*&

La dernière journée de garde-à-vue commença tôt pour le détective qui avait une annonce à faire.

La veille, durant l'après-midi, il avait envoyé un mail à Farges, le commissaire d'Annecy, avec en pièce jointe, la photo de la fille de leur suspect.

L'homme avait vécu une bonne partie de sa vie en Haute-Savoie et Borly espérait que son comparse accepte de faire un appel à témoin dans son département. Celui-ci l'appela moins d'une heure plus tard pour lui annoncer qu'il connaissait assez bien cette jeune femme.

Borly avait fait le chemin du retour tard dans la soirée. Arrivant vers vingt et une heures à l'hôtel, Laura ne lui posa aucune question, se contentant de lire la feuille que le détective avait posé nonchalamment sur le lit avant d'aller se doucher. Les yeux de la jeune femme s'agrandirent à mesure qu'elle comprenait l'importance de la nouvelle.

Entouré de l'équipe de policière iséroises, Borly prit une voix de circonstance.

« Je sais qui est la fille de Monsieur Bourgeois... Je lui ai, d'ailleurs, parlé hier soir !

― On n'a pas que ça à faire ! râla la commissaire.

― C'est une nouvelle recrue du commissariat d'Annecy, déclara-t-il en posant une pochette sur la table. Lors de notre entretien, hier, elle m'a avoué avoir parlé à son père de “ l'Anti-Blondes ”, mais elle affirme ne pas avoir eu connaissance des agissements de son père et je la crois.

― On peut lui parler ? Demanda le lieutenant.

― Elle doit prendre un train en début d'après-midi, mais elle a déjà signé sa déclaration. »

Chacune leur tour relut la déposition de la fille et restèrent ébahies quelques instants face à ce nouvel élément qui expliquait tant de choses.

Suite à ce retournement de situation, la commissaire demanda à Borly de l'assister dans son interrogatoire.

« Hier, vous avez bien dit à ma collègue que vous n'avez jamais entendu parlé du tueur en série que les journaux ont surnommés “ l'Anti-Blondes ” ?

― Je ne vois pas le rapport... maugréa l'avocate.

― Ne vous inquiétez pas, vous allez vite comprendre. Alors, Monsieur Bourgeois ?

― Parce qu'il s'agit d'un tueur en série ? lança le suspect d'un ton surpris. Désolé, mais je n'ai jamais entendu ce nom.

― Pourtant votre fille affirme vous avoir parlé de ce tueur et d'être même entrée dans les détails concernant son mode opératoire !

― Ah, d'accord... murmura Cyprien. C'est de ça qu'elle me parlait la dernière fois !

― Vous voyez, mon client ne sait pas de quoi vous lui parlez ! Intervint l'avocate sur la défensive.

― C'est marrant, parce que l'on a trouvé un blog censé parler de thriller, mais qui fait également référence à ce tueur ! s'esclaffa Borly.

― Je n'ai pas de blog ! Assura Cyprien qui semblait pris de panique. »

Quelqu'un frappa à la porte, coupant la chique à la commissaire qui s'apprêtait à ouvrir la bouche. Borly ouvrit la porte et s'éclipsa quelques secondes avant de rentrer, une pochette violette à la main. Il la posa sur la table puis reprit sa place dans le coin de la pièce. La commissaire lut en vitesse ce que contenait le pli avant d'enchaîner.

« J'adore l'évolution de l'informatique ! Aujourd'hui, grâce à des génies, on peut savoir à qui appartiennent les profils et les commentaires des adhérents à overblog... D'ailleurs, les nôtres ont trouvé le profil dont je vous parlais et il s'avère que c'est le vôtre !

― C'est impossible ! s'écria le suspect.

― En tout cas, il a été créé de votre ordinateur !

― D'autres personnes ont accès à l'ordinateur de mon client ! Grinça l'avocate. Ne serait-ce que sa fille.

― Je sais que vous avez voulu faire comme “ l'Anti-Blondes ”, lança la commissaire sans relever la remarque de l'avocate. Ma première question serait, pourquoi ?

― Il ne répondra plus à vos questions, affirma l'avocate.

― Je sais, mais il répondra de ses actes !

― C'était mon mentor ! Lâcha Cyprien sous les yeux interloqués de la commissaire et de son avocate. »

 

L'enquête venait de se terminer. Un meurtrier de plus allait finir sa vie derrière les barreaux. Laura devait rentrer chez elle, mais le cœur n'y était pas.

Elle ne voulait pas quitter son amant tout de suite et, pour se faire, appela son médecin de famille qui accepta de prolonger son arrêt de deux semaines. Elle appela ensuite son mari qui, l'espérait-elle, la comprendrait.

Elle avait donné la même version aux deux, son enquête se prolongeait et elle ne pouvait pas rentrer avant de l'avoir bouclée.

&*&*&

À une semaine près, le mois de janvier toucherait à sa fin. Le lendemain matin, Laura devait prendre le premier train pour rentrer chez elle et Borly ferait de même quelques jours plus tard. Pour ce dernier jour ensoleillé à passer ensemble, les deux amants s'accordèrent pour visiter Grenoble. Passant de la Bastille à la tour Perret, ils terminèrent la soirée dans un bar à bière au cœur de la vieille ville. Borly eut tout juste le temps de commander que son téléphone sonna. C'était sa sœur qu'il n'avait pas vu depuis des mois. Il s'excusa auprès de Laura avant de sortir pour répondre au calme.

Assise au bar, la jeune policière regarda nonchalamment autour d'elle en attendant qu'on la serve.

Soudain, elle sentit un malaise. L'homme qui se trouvait en face d'elle ressemblait étrangement à son père. Grand, le crâne rasé et un visage carré, leur regard se croisa et un frisson glaça Laura jusque sur sa nuque.

Le détective entra au même moment.

« Qu'est-ce qu'il se passe ? Tu as vu un fantôme ? Demanda Antoine d'un air à la fois moqueur et inquiet.

― Non, ça va ! C'est juste que j'ai hyper faim ! Expliqua Laura.

― Bien, on va commander...

― Pas ici, j'ai regardé la carte et c'est trop cher pour moi !

― Ok, on va voir ailleurs alors. »

Borly paya les consommations et le couple sortit bras dessus, bras dessous.

 

11

 

Une femme blonde était allongée sur un lit. Elle portait une belle robe rouge et des escarpins de la même couleur. Alors qu'il s'approchait, la tête de la femme se tourna et lança un regard de braise vers lui. Les poils de sa nuque se dressèrent et un vent de panique l'envahit soudain, puis le paysage changea. Il se retrouva dans une cellule, entouré de dix femmes qui le montraient du doigt et hurlaient en chœur : « C'est lui ! »

Il ouvrit la bouche pour crier, mais aucun son n'en sortit. La terreur montait et il s'apprêtait à s'enfuir quand une musique lointaine retint son attention.

Il connaissait cet air sans vraiment savoir d'où.

Soudain, l'ombre l'envahit et il se retrouva dans le noir total.

 

Il faisait encore nuit, lorsque Antoine se réveilla en sursaut, une sueur froide coulant sur sa nuque et dans son dos. Son cerveau encore embrumé analysa rapidement l'origine de la musique qui venait de son téléphone. Celui-ci sonnait depuis quelques secondes, peut-être même quelques minutes et le détective décrocha au dernier moment.

« Borly, désolée... Vous dormiez, peut-être ? lança la voix de la commissaire Gruaux sur un ton moqueur.

― Plus maintenant, assura Borly d'une voix rocailleuse en souriant amèrement en regardant l'heure sur son réveil.

― Il a recommencé !

― Impossible ! On l'a arrêté il y a deux mois, je vous rappelle !

― Non ! railla la commissaire. Je parle de “ l'Anti-Blondes ” !

― Qu'est-ce que ?...

― Bon, vous bougez ou vous attendez le prochain meurtre ? Demanda la commissaire sur un ton sarcastique.

― Je prends un café et je pars...

― Je préfère ça !

― Ne m'attendez pas avant quatre heures et demie voir cinq heures de l'après-midi, j'ai pas loin de dix heures de route tout de même ! »

 

Antoine arriva dans l'enceinte du commissariat de Grenoble à dix-sept heures. Parti à six heures du matin, Antoine avait fait plusieurs pauses café, histoire de se réveiller un peu. Il n'avait pas pris le temps de se doucher et ressenti un furieux besoin de se laver pour chasser le cauchemar qui avait martyrisé son cerveau et son cœur durant la nuit. Le détective trouva un hôtel pas cher à Gières où poser son sac de vêtement et se rendre présentable.

Lorsqu'il passa les portes coulissantes, il fut étonné de voir la commissaire qui faisait le pied de grue à l'accueil en discutant avec un officier.

Elle se fendit d'un sourire sincère en le voyant et congédia poliment son subordonné pour aller à la rencontre de son invité.

« Vous n'êtes pas en avance, Borly ! Lança-t-elle sur un ton taquin.

― En croisant un accident, puis les bouchons de Paris et Grenoble, je trouve que onze heures c'est déjà bien ! Répondit Borly froidement.

― Vous n'avez pas besoin de vous justifier, je vous faisais marcher !

― Ah ! Bon, on pourrait faire un débriefing, histoire que je sache où vous en êtes ?

― C'est prévu ! lança la commissaire en dépassant le détective. Les filles nous attendent en salle de réunion. »

Autour de la table ronde, l'équipe de policières était assise, ainsi que le juge Bellini qui lui fit un petit signe de tête. Alors que le lieutenant parlait de la victime, elle s'interrompit, attendant que les deux opportuns s'assoient avant de reprendre son monologue.

« Bon, je résume en vitesse ce que je viens de dire pour monsieur Borly et madame la commissaire ! La victime s'appelle Lucie-Marie Moureaux, trente ans. Elle a été découverte hier matin à six heures quarante-cinq par Monsieur Thomas Legrand, un de ses collègues. D'après les premières constatations du légiste, elle serait décédée vers minuit et devait connaître son agresseur puisqu'il n'y avait pas de marques défensives sur son corps.

― Côté familial, c'est calme, continua le brigadier. Elle n'avait ni mari, ni enfants. Elle a une sœur jumelle que je viens d'avertir. Elle ne pourra venir répondre à nos questions que demain en début d'après-midi, dès son retour en France.

― Elle fait quoi cette sœur ? demanda Borly.

― Elle est hôtesse de l'air. Aujourd'hui, elle est à New York.

― Et la victime ?

― Elle était administratrice réseau et informatique dans une boîte d'Innovallée.

― Elle habite en maison ?

― Non, dans un appartement. Pourquoi ?

― Par curiosité. Et j'imagine que le lieu du crime était trop bien rangé et aseptisé ?

― Exactement, c'est pour ça que la commissaire vous a appelé ! Cette mise en scène ressemble de très près à celle de votre tueur.

― Bon, est-ce que quelqu'un a pu parler aux voisins ? Demanda la commissaire qui voulait avancer.

― Oui ! S'exclama Alexandra Blitz. Tous sont unanimes pour parler d'une femme gentille, serviable, un brin exubérante et fêtarde. D'après eux, elle n'était quasiment jamais chez elle.

― Je confirme, affirma Emmanuelle. En entrant sur nos bases de données à la recherche de notre victime, j'ai relevé plusieurs plaintes à son encontre pour tapage nocturne.

― Des voisins mécontents à cause de la musique un peu trop forte, c'est classique ! Réfléchit la commissaire à voix haute.

― Toutes ont été faites par la même personne, un certain Monsieur Poliano.

― À quelle fréquence, les plaintes ? Demanda Borly pour qui l'instinct s'emballait.

― Presque tous les deux jours.

― Et cette semaine ?

― En gros, monsieur le détective te demande s'il y a eu plante le soir du meurtre ! Traduisit Alexandra qui avait compris où voulait en venir Borly.

― Non, pas ce soir-là ! Ni même le soir précédent.

― Si j'ai bien compris, elle restait rarement chez elle et les soirs où elle était à son domicile, elle faisait la fête ce qui agaçait au moins un de ses voisins !

― Donc les soirs où elle en rentrait pas, elle pouvait très bien aller voir un amant, proposa le lieutenant.

― Ou faire la fête ailleurs... Murmura le brigadier qui venait d'avoir une idée. Pourquoi, je n'y avais pas pensé avant ! Je suis sûr qu'elle était sur OVS !

― C'est quoi, ça ? Un site porno ? Se moqua Emmanuelle.

― Non ! On Va Sortir, un site de rencontre amicales par activité et affinité...

― Un genre de Meetic, quoi !

― Non ! OVS est fait, à la base, pour les célibataires qui s'ennuient chez eux et qui ne veulent pas faire d'activités seuls. Ça marche aussi pour ceux qui viennent d'emménager dans une ville. En gros, vous vous inscrivez à l'activité qui vous intéresse, ce qui vous permet de sortir et de rencontrer du monde.

― Si je comprends bien, ton site est fait uniquement pour les célibataires et pour faire des activités... Du genre, culturelles ?

― En activité, il y a du choix ! Tout ce que tu veux en fait ! Balades, voyages, sorties apéro ou resto, concerts, karaoké, etc. Et depuis peu, ils ont ouvert une rubrique de sorties entre couples donc ce n'est pas que pour les célibataires !

― Ok ! Et les amis qu'elle pouvait avoir sur ce site, on peut les retrouver comment ? Demanda la commissaire qui commençait à être agacée par les explications de sa collègue.

― J'ai un compte OVS ! Annonça Alexandra. Il faudrait juste que je connaisse ses centres d'intérêts pour m'inscrire à une sortie qui aurait pu l'intéresser...

― Dans la mesure où son voisin a déposé plusieurs plaintes pour tapage, c'est qu'il y avait de la musique, expliqua le lieutenant, il y a donc fort à parier qu'elle préférait aller en discothèque ou dans un bar !

― Pas bête ! Je vais voir s'il y a quelque chose qui correspond pour ce soir ou demain !

― Très bien, brigadier, je vous laisse vous en occuper, ordonna la commissaire. Et emmenez Borly avec vous ! Moi, je dois rendre des comptes au juge... »

&*&*&

Ce soir-là Antoine et le brigadier Alexandra blitz s'étaient retrouvé dans un bar branché de Meylan. Le détective déplora la vue sur le croisement de deux boulevards et avait du mal à s'imaginer que des clients, même habitués, pouvaient avoir envie de s'installer en terrasse. En entrant, Borly fut agréablement surpris. Cette brasserie promettait de bonnes soirées, dans un cadre chaleureux, sur deux étages. Dès l'entrée, on accédait directement au bar, auprès duquel les clients sirotaient leur apéritif au comptoir ou assis autour de tables hautes. Dans le fond, un peu à l'écart, des tables étaient prêtes à accueillir les personnes qui voulaient se restaurer.

Visiblement à son aise, Alexandra interpella un serveur pour lui demander où se trouvait la table de son groupe. Celui-ci lui indiqua l'étage qui semblait plus spacieux et s'apparentait plus à une salle de restaurant.

Près des escaliers, une dizaine de personnes de tout âge étaient attablées. Deux chaises étaient libres, attendant les retardataires. Mal à l'aise, Borly avait envie de rebrousser chemin, le brigadier s'avançait déjà vers ces inconnus et se présenta sous le pseudo qu'elle utilisait sur le site. Lorsqu'elle lui fit un signe pour lui faire comprendre qu'ils étaient à la bonne table, le détective s'avança et fit un signe de la main en guise de bonjour avant de prendre place sur la première chaise qui s'offrait à lui. La moyenne d'âge allait de vingt à cinquante ans, soit dans sa génération, pourtant il ne savait pas quels sujets aborder avec ces gens pour qui les seules discussions intéressantes tournaient autour de la téléréalité et du temps qu'il fait, plutôt que sur les livres ou le sport.

Il commençait à s'ennuyer ferme et doutait de pouvoir tenir encore jusqu'à la fin du repas, quand près de la moitié des convives se leva pour sortir avant d'être servis. Ses doutes se dissipèrent en entrevoyant une possibilité de questionner ce petit monde en fumant sa cigarette. Il se leva et mit sa veste, vérifiant qu'il avait bien sur lui la photo de la victime que le lieutenant leur avait donné le matin même.

Le repas terminé, chacun se retrouva à la caisse pour payer sa part. Exténué de sa journée, Borly oublia un instant ses bonnes manières et joua des coudes pour payer le premier, en espérant partir au plus vite. Sans que personne ne l'ait demandé, le gérant de l'établissement offrit à chaque client un verre de Myrte, une liqueur Corse. Borly accepta le verre qu'il emmena dehors et alluma une cigarette. Alexandra le rejoignit quelques minutes plus tard, elle aussi, un verre à la main.

« Pendant que vous fumiez votre clope, j'ai discuté avec des personnes qui ne sont pas intoxiquées ! Lança-t-elle avec un grand sourire.

― Je n'ai pas fait que fumer, j'ai également travaillé ! râla le détective qui n'était pas d'humeur à la plaisanterie.

― Ne le prenez pas mal, c'était pour rire ! Assura-t-elle. De mon côté, personne n'a reconnu notre victime.

― Du côté des fumeurs, se radoucit Antoine, il y en a deux qui l'ont reconnue. D'après eux c'était un membre actif qui organisait beaucoup de soirée, surtout des karaokés et... »

L'organisateur coupa la parole à Borly, demandant le silence avant de proposer de terminer la soirée en discothèque. Le détective déclina poliment l'offre, expliquant qu'il était fatigué, ce qui était le cas. Alexandra le rejoignit alors que les autres membres regagnaient leur voiture.

« Je vais aller en boîte avec eux, peut-être que l'alcool déliera les langues ! »

&*&*&

Exceptionnellement, le débriefing se passa le matin à la première heure. Sans le dire ouvertement, la commissaire et le brigadier bouillonnaient de connaître les nouveaux indices que Borly et le lieutenant avaient pu glaner lors de leur soirée OVS. Pressé d'en finir, Antoine en oublia sa galanterie et prit la parole en premier.

« Durant la soirée, j'ai parlé avec trois personnes qui ont reconnus la victime. Ils étaient d'accord pour dire que c'était un membre important de leur réseau d'activités et l'un de ceux qui proposaient le plus de sorties en tout genre, le plus souvent des karaokés et des sorties en discothèque.

― Pouvez-vous me donner leur nom que je puisse les convoquer pour une audition ?

― Messieurs Juan Vasquez, Jérémy Mollard et Damien Vougier ne devrait pas tarder. Je me suis permis de leur demander de venir au plus vite au commissariat. »

À peine eut-il terminé sa phrase qu'un officier en uniforme frappa à la porte et annonça que trois jeunes hommes attendaient à l'accueil pour signer leur déposition. La commissaire afficha un petit sourire en congédiant son subordonné, laissant la parole au lieutenant.

« La soirée s'est terminée dans une boîte de nuit à Grenoble, mais notre cher détective était trop fatigué donc j'y suis allée seule, lança Emmanuelle sur un ton de reproche. Aucun habitué n'a reconnu la femme sur notre victime, mais beaucoup m'ont parlé d'un homme, portant un sac à dos noir, qui traînerait souvent vers la discothèque...

― Est-ce qu'il y a des caméras près de la discothèque ?

― Une seule.

― Ok, je vous laisse la visionner avec Borly, ordonna la commissaire. Brigadier, je vous laisse le soin de fouiller le passé de la victime. Et rappelez-vous, malgré les concordances avec “ l'Anti-Blondes ”, on ne doit négliger aucune piste ! »

&*&*&

L'après-midi se résuma, pour Antoine et Emma, à regarder une vidéo en noir et blanc, sans le son, qui durait vingt-quatre heures. La caméra était orientée sur la rue parallèle à la discothèque, ce qui fait que les enquêteurs ne voyaient pas l'établissement, mais seulement la rue qui passait devant. Après une heure à regarder les images défiler en accéléré, ils crurent apercevoir un sac à dos. Borly fit un arrêt sur image, trop tard. Emma, plus habituée, prit les commandes et fit un retour en arrière de quelques minutes avant de laisser la vidéo tourner normalement. En arrière-plan, ils aperçurent un homme de petite taille, un sac noir pendant à ses épaules, qui marchait tranquillement sur le trottoir d'en face. Il semblait sur ses gardes et regardait constamment autour de lui, ce qui intrigua Emma.

La taille de l'homme ne correspondait pas à l'idée que Borly s'était fait de son tueur. Au fond de lui, le détective était sûr que ce type n'était pas leur homme, mais il se tut. S'il avouait ses convictions profondes, Antoine savait pertinemment que la policière en parlerait à sa supérieure, soulignant à quel point Borly était obsédé par “ l'Anti-Blondes ”. Dans ce cas, Le risque était que la commissaire ne fasse plus confiance à son bon jugement ou pire, qu'elle le congédie et ne lui donne plus aucune information sur l'enquête.

Tandis que le détective succombait à ses réflexions, le lieutenant avait fait une capture d'écran, essayant d'agrandir l'image au mieux. Celle-ci restait floue et inexploitable. Emmanuelle ne voulait pas laisser tomber cette piste qui, pensait-elle, pouvait les mener à l'auteur du crime. En accord avec Antoine, elle envoya un mail à sa supérieure pour lui donner les détails de ce qu'ils avaient pu visionner et proposa de planquer devant la boîte durant quelques heures.

Borly retourna à son hôtel vers dix-huit heures et envoya un mail à Laura pour lui l'informer du meurtre et sa scène de crime, détaillant les indices qu'ils avaient récoltés.

De son côté, Emmanuelle avait eu le feu vert de la commissaire pour se mettre en planque devant la discothèque. Ce qu'elle fit le soir-même.

Les questions fusaient dans le cerveau de Broly, mais il n'avait pas encore trouvé les réponses. Le sommeil ne viendrait pas encore cette nuit.

Loin de lui l'envie de ruminer seul dans sa chambre d'hôtel, Antoine préférait autant s'alcooliser dans un bar au centre de Grenoble.

&*&*&

Deux semaines étaient passées lorsque la commissaire grenobloise avait reçu par mail les résultats d'analyses des experts de la criminelle, ainsi que les conclusions du médecin légiste. Elle venait d'achever sa lecture lorsque quelqu'un frappa à la porte de son bureau. Lorsqu'un « Oui » peu avenant sortit de sa bouche, Antoine entra et resta un moment planté devant elle. En constatant l'extrême fatigue sur le visage pâle du détective, la commissaire se sentait encore plus démoralisée.

Elle se reprit en une fraction de seconde, se redressant sur son fauteuil pour se redonner de l'assurance. Elle avait toujours mis un point d'honneur à ne jamais flancher devant un homme et ne comptais pas y déroger ce jour.

« Borly ? Je pensais que vous étiez rentré chez vous... À Caen !

― Je n'ai pas pour habitude d'abandonner une enquête en cours, même si ce n'est pas moi qui la dirige.

― C'est tout à votre honneur, assura la commissaire. Je vous laisse donc vous asseoir et me dire ce que vous me voulez, alors.

― Vous avez du nouveau ? demanda Antoine en prenant place sur la chaise qui faisait face à cette femme qui paraissait austère.

― Non... répondit-elle d'une voix lasse.

― Mais encore ?

― L'autopsie et les analyses n'ont rien donné ! S'énerva la femme. En tout cas rien de plus que ce que nous savions déjà.

― Vous êtes sûre ? Demanda le détective presque implorant. Pas même une minime différence ?

― Regardez par vous-même, proposa la commissaire en lui tendant une pochette plastifiée. »

Le détective survola rapidement les feuilles une à une. Les experts n'avaient relevé aucune empreinte ADN sur la scène de crime et les quelques empreintes digitales étaient inconnues. Il n'y avait pas de trace de sang, ce qui corroborait avec l'hypothèse de la mort par asphyxie. Pas de trace de pas, ni de terre, ce qui paraissait logique puisque l'appartement et les vêtements de la victime avaient été nettoyés à blanc. Seule une fibre avait été trouvé sur le corps. Celle-ci ne donnait aucun aspect nouveau à leur enquête. D'après les experts, il s'agissait d'une fibre de coton appartenant à un tee-shirt blanc bas de gamme que l'on trouvait facilement sur internet ou dans des magasins de prêt-à-porter.

Le médecin légiste ne leur en apprenait pas davantage. Comme pour les autres meurtres, il mettait en évidence l'asphyxie, sûrement due à un coussin plaqué fortement sur le visage. Le corps ne portait aucune trace de défense et les analyses sanguines étaient vierges de toute substance illicite.

Aux yeux d'Antoine, il n'y avait aucun doute, c'était bel et bien l'œuvre de Nowack. La commissaire parut lire dans ses pensées.

« Je pense comme vous, il y a de fortes chances que ce soit l'œuvre de votre assassin, mais on ne peut pas se focaliser uniquement sur une seule et même personne avant d'avoir écarté toutes les possibilités... Vous êtes d'accord avec moi, Borly ? »

Antoine hocha la tête pour toute approbation avant de prendre congé, l'esprit ailleurs.

&*&*&

Cette semaine avait été éreintante pour Borly et l'équipe de police grenobloise. Les visages étaient fermés lors du débriefing de cette fin de semaine. Pourtant l'un d'entre eux avait de nouveaux éléments à ajouter à cette enquête qui les tenait éveillés jusque tard dans la nuit.

Ce fut donc à cette personne de prendre la parole en premier.

« J'ai fouillé le passé des témoins que monsieur le détective avait interrogés lors de la soirée OVS, annonça le lieutenant Faure, et l'un d'entre eux sort du lot...

― C'est bon Emma, oublie le suspense ! Râla le brigadier Blitz.

― Lequel ? demanda la commissaire.

― Monsieur Damien Vougier... Arrêté deux fois pour violence aggravée alors qu'il avait à peine vingt ans. Il a récemment été suspecté de violences et agression sexuelle sur sa compagne...

― Il y a combien de temps ?

― L'année dernière.

― Ok ! Vous me l'interpellez illico, ordonna la commissaire. De mon côté, je vois avec le juge pour sa mise en garde-à-vue immédiate. »

Le lendemain matin, le suspect présumé se trouvait debout devant l'accueil entouré de deux officier en uniforme. Les poignets entravés par des menottes, on pouvait l'entendre crier et clamer son innocence dans tout le commissariat. Antoine entra au même moment et l'homme à la carrure de rugbyman le toisa d'un regard chargé de haine. Loin d'être impressionné, le détective se demandait si cet homme, si sanguin fut-il, pouvait réellement être un assassin de sang-froid. Et dans ce cas, s'il aurait eu l'idée de maquiller son crime de la sorte.

Pour être honnête, il en doutait fortement, mais se dirigea tout de même vers la salle adjacente à celle dans laquelle leur suspect allait être interrogé.

L'audition, menée de main de maître par la commissaire, dura plus de quatre heures. Durant la totalité de son interrogatoire, le prévenu ne montra aucun signe de stress, se contentant de répondre aux questions posées et, parfois, expliquant calmement qu'il était désolé pour la jeune victime, mais qu'il n'avait rien à se reprocher.

Lorsque la commissaire aborda le sujet de violence et de viol présumé à l'encontre de sa compagne, l'homme resta tout aussi came, donnant simplement sa version des faits et rappela à la policière que son innocence avait été prouvé lors de son jugement. À ces mots, le lieutenant Faure avait vérifié auprès de son avocate qui lui avait envoyé les conclusions du jugement et les preuves de l'innocence de son client.

Lorsque le suspect fut relâché faute de preuves tangibles, la déception se lisait dans les regards. Considérant qu'il n'avait plus rien à apporter à l'équipe de Grenoble, le détective prit la décision de rentrer chez lui, en Normandie, où l'attendaient des enquêtes pour vol à l'arraché, des affaires d'adultères et des guerres de voisinage.

Il aura finalement fallu moins d'un mois d'enquête infructueuse avant que le juge contacte Borly pour lui annoncer qu'il était préférable de clôturer l'enquête, ce qui laisserait à la police iséroise tout le loisir de retourner aux enquêtes qu'elle avait délaissées. Bellini lui assura, néanmoins, qu'il lui serait possible de rouvrir l'enquête si des preuves matérielles lui étaient fournies.

 

Mon cher William,

 

Toi qui as toujours été là dans les moments où j'en avais le plus besoin et qui n'as jamais douté de moi, ni de ma guérison, je voudrais m'excuser de ne pas t'avoir donné de nouvelles durant une année entière.

Par respect et par amour pour toi, mais aussi parce que je te considère comme mon père spirituel, je me dois de t'avouer ce que je te cache depuis tant d'années.

Tout d'abord de par mon éternelle fraternité, mais également parce que c'en est trop, je ne supporterais pas de te faire du mal.

Ce qu'il faut que tu comprennes c'est que j'ai, au fond de mon âme, un monstre qui me consume depuis le décès de ma mère. Il est né de ce drame et depuis, il ne cesse de grandir comme un enfant. Il a toujours faim et n'est jamais rassasié.

Je ne te cacherais pas qu'aujourd'hui, je suis prisonnier de ce besoin qui est devenu au fil du temps, vital pour mon bien-être.

Cette année de silence, je l'ai passée à veiller sur ma femme et mon fils qui a, maintenant, huit mois. Je l'ai appelé Nicolas, en l'honneur de ton deuxième prénom. Je me doute que d'apprendre mon mariage et la naissance de mon enfant aussi tard doit te faire souffrir, mais je ne pouvais pas faire autrement. Si cela t'intéresse, j'ai rencontré ma femme, Lisa, en Savoie. Par miracle, elle a accepté de me suivre sans poser de questions. Elle ne sait rien de mon passé et ne connaît pas mon âme sombre. C'est mieux ainsi.

J'ai imaginé, j'ai même espéré qu'en construisant cette nouvelle famille, je deviendrais un homme meilleur et un bon père.

Aujourd'hui, je me rends compte que je me suis trompé. Je peux oublier un temps ce que je suis, le refouler, mais, chasse le naturel et il revient au galop, comme on dit.

Mon leurre n'aura tenu que deux ans. J'ai compris que la résistance s'achèverait quand j'ai croisé son regard.

Toutes avaient un petit quelque chose qui me faisait penser à maman.

Mise à part la blondeur de leur chevelure, il y avait toujours un truc dans leur regard ou dans leurs manies qui me ramenaient constamment à la seule femme de ma vie, sans forcément lui ressembler.

Quand j'ai croisé cette femme avec ses longs cheveux blonds, ce regard océan et même son visage et son corps, je te jure que, pendant un moment, j'ai cru voir l'apparition de ma mère dix ans plus tôt. On pourrait presque croire que c'est sa fille tant la ressemblance est frappante.

Toi qui me connais mieux que personne, je peux donc en conclure que tu as tout de suite compris. J'imagine que tu as été le premier à savoir, consciemment ou non, quelles étaient mes œuvres et celles de mon ami copieur.

À croire que tes conseils sur comment parler aux femmes et m'intégrer à la société étaient ta façon de m'aider.

Je t'en remercie sincèrement.

J'espère qu'on se reverra prochainement, que tu viendras me voir dans ma vie de montagnard. À cette occasion, si tu le veux, je te ferais goûter à la Chartreuse.

Je t'embrasse.

 

Bien à toi,

Ton patient et ami, John

 

12

 

Assise sur son canapé, Laura regardait d'un seul œil l'émission qui passait à la télé. Son ordinateur sur ses genoux, la jeune femme n'avait de cesse de consulter ses mails. Attendre le verdict de Broly devenait insoutenable, d'autant que son mari n'allait pas tarder à rentrer.

Dans l'après-midi, en relevant le courrier, Laura avait trouvé une lettre dont le cachet de la poste indiquait qu'elle venait du département de l'Isère. Intriguée, elle avait lu son contenu qui la laissa perplexe. Son mari était rentré peu de temps après et la jeune femme était sur le point de lui demander des comptes lorsque l'idée qu'il puisse nier, voire pire, qu'il détruise la preuve de sa culpabilité, lui sauta aux yeux. Elle décida finalement de se taire et de cacher sa découverte le temps qu'elle lui trouve une explication crédible. Laura avait simplement demandé à son mari s'il connaissait quelqu'un en Isère. Celui-ci lui affirma que non, lui rappelant qu'elle connaissait les seuls amis et connaissances qu'il avait. Agacé, William avait grommelé qu'il ne rentrerait pas pour manger, laissant la jeune femme seule. Elle profita de son absence pour scanner et envoyer la lettre à Antoine afin qu'il lui donne un avis extérieur.

Le mail du détective comportait une seule question à laquelle Laura répondit directement. Soudain, le téléphone sonna.

« Tu as trouvé ça où ?

― Dans ma boîte aux lettres, l'enveloppe était adressée à William.

― Tu lui en as parlé ?

― Non, pas encore. Je voulais avoir ton avis d'abord, murmura Laura. En fait, j'ai eu peur qu'il cherche à la détruire, même si, au fond, je suis persuadée qu'il aurait tout nié en bloc en parlant d'un probable canular !

― Ne parle pas trop vite de preuve, on n'en est pas encore là ! Rappela Antoine.

― Pourtant, cette lettre ressemble étrangement à un aveu !

― Peut-être, mais on ne peut pas exclure que ce soit une farce !

― Une farce ? Tu es sérieux ? demanda Laura sur un ton cynique.

― C'est possible...

― C'est surtout grotesque ! s'énerva la jeune femme.

― Comment ça ?

― Réfléchis un peu ! Si c'était un canular, voir même une diversion, l'auteur de ce message n'aurait pas pris le risque du manuscrit pour éviter la comparaison des écritures ! En plus, pourquoi l'envoyer directement à William plutôt qu'au commissariat ?

― Est-ce que ton mari à des ennemis connus ?

― Je ne crois pas, non... Mais je ne vois pas le rapport !

― Un de ses ennemis ou client mécontent pourrait vouloir lui faire porter le chapeau ! Ce qui expliquerait que ce soit lui le destinataire...

― Tu crois vraiment que pour faire porter le chapeau à William, un potentiel patient mécontent ou un ennemi, irait parler de lui comme d'un père spirituel ?

― Tu as raison, ce n'est pas logique, concéda Borly. Si je comprends bien, tu es sûre que l'auteur est notre homme ?

― Tu vois une autre explication ?

― Je n'en sais rien, mais je te fais confiance, assura le détective. Pour l'instant on garde cet élément pour nous. Je connais un graphologue à qui j'aimerais bien montrer ce message... Donc en attendant, tu n'en parles ni à tes collègues, ni à tes amis et encore moins à ton mari !

― Bien chef ! »

À moitié rassurée, la jeune policière retrouva sa concentration pour suivre la fin de l'émission. Son répit fut de courte durée.

Un texto court de Borly la ramene à son enquête.

 

Il a recommencé...

Peux-tu venir me chercher à l'aéroport de Lyon d'ici une heure ?

 

&*&*&

Laura terminait de préparer ses bagages lorsque son mari entra dans la chambre.

« Pourquoi tu fais la valise ? Je t'avais dit que je voulais la faire moi demain matin, le temps que tu te prépares !

― Je suis désolée mon chéri, mais je ne peux pas partir avec toi...

― Ah non, ça suffit ! S'écria-t-il. Cette fois-ci j'appelle ton commissaire ! Ils n'ont pas à te demander à tout bout de champs de faire des heures supplémentaires et de t'envoyer je ne sais où...

― Arrête ! Le supplia-t-elle. Ce n'est pas pour le boulot, c'est personnel !

― Quoi ? Qu'est-ce qu'il se passe ? Demanda l'homme inquiet.

― Lynda vient de m'appeler en pleur...

― Ah d'accord, je vois... Siffla-t-il. Elle est retournée avec son mec qui l'a encore fait cocu ! C'est ça ?

― En quelques sortes ! Tout ça pour dire qu'elle a besoin de moi, tu peux le comprendre, non ?

― Pas vraiment, non ! J'ai du mal à accepter qu'elle se foute de ta gueule !

― Mais tu n'y es pas du tout...

― Au contraire, je pense que je suis en plein dedans ! Elle te siffle et tu accours ! Mais, bizarrement, quand tout va bien, elle ne te donne jamais de nouvelles. Et le pire, c'est que ça ne semble pas te déranger !

― Ce n'est pas parce qu'on ne s'appelle pas tous les jours qu'elle n'en reste pas moins ma meilleure amie ! S'énerva la jeune femme.

― De toute façon, quoi que je puisse dire, tu ne m'écouteras pas et tu iras quand-même la voir donc la discussion est close ! »

William tourna les talons et Laura rangea encore quelques habits avant de se diriger vers la porte d'entrée.

Sans un mot ni un regard, le couple se sépara pour une semaine.

Comme convenu, Laura se gara sur le parking de l'aéroport Saint-Exupéry. Son attente fut de courte durée. Antoine posa rapidement sa valise dans le coffre avant de s'engouffrer côté passager.

N'y tenant plus, le quarantenaire brisa la glace.

« J'imagine que tu lui as dit la vérité sur notre escapade... Ou alors, ton bobard n'a pas eu l'effet escompté !

― Je suis trop conne ! J'ai prétendu aller voir ma meilleure amie alors que je savais pertinemment qu'il allait me le reprocher puisqu'il n'a jamais pu la blairer !

― Laisse couler, il oubliera vite !

― Ouais, peut-être... N'empêche, j'aurais pu trouver autre chose ! »

Antoine la regarda du coin de l'œil et son cœur s'emballa. Sans se l'expliquer, il trouvait sa maîtresse encore plus belle lorsqu'elle était énervée. Une idée lubrique lui vint à l'esprit, mais il la chassa en se concentrant sur la route.

&*&*&

Leur voyage se déroula dans le silence le plus total. Chacun repensait aux affaires passées qui les avaient réunies et se demandait ce qu'ils allaient découvrir dans celle pour laquelle ils se rendaient à Grenoble.

Leur corps était endolori à rester assis si longtemps, surtout qu'ils n'avaient fait qu'une seule pause durant tout le trajet. La douleur s'estompa lorsqu'ils entrèrent dans le commissariat où régnait un silence de mort.

Tous s'étaient tu à l'arrivée des deux enquêteurs qui se sentirent mal à l'aise face aux regards inquiets que lançaient les officiers isérois dans leur direction.

La tension s'intensifia d'un cran lorsque la voix caractéristique du juge se firent entendre. Il avait le visage fermé et la mâchoire serrée, et c'est à peine s'il leur murmura un « bonjour » avant de râler un « vous êtes en retard » en tournant les talons pour les guider vers la salle de réunion.

Ici régnait l'opposé même du silence. Le brouhaha cessa lorsque le juge émit un sifflement strident avant d'engager le débriefing.

« Messieurs-dames, comme vous l'avez compris, nous n'avons pas le droit à l'erreur... lança-t-il d'un ton solennel. Par un événement que je ne m'explique pas, les médias se sont emparés de l'affaire, émettant des hypothèses sur “ l'Anti-Blondes ” dans les journaux locaux et sur les réseaux sociaux... »

Borly n'écoutait plus. Il regardait Bellini sortir d'un pas assuré en se demandant comment un corps trouvé la veille pouvait s'être trouvé aussi vite dans les journaux locaux. Le détective prit sur lui pour écouter la suite de la réunion.

Comme à leur habitude, les policières grenobloises prirent la parole à tour de rôle, commençant par le lieutenant, puis le brigadier, laissant la commissaire donner les dernières informations. La seule différence, ce matin-là, fut la présence directe des experts de la criminelle et du médecin légiste.

Aux yeux de Laura, tout était clair. Après ce qu'elle venait d'entendre, la jeune femme avait compris que leur affaire serait aussi complexe que les autres, à la nuance près, qu'elle risquait à tout moment de devenir ingérable avec les médias aux aguets.

Le couple d'enquêteur se regarda et, comme une seule et même pensée, sortirent de la salle avant tout le monde. En quête d'un hôtel où ils pourraient se poser, ils décidèrent en même temps que Laura ferait ses recherches de son côté alors qu'Antoine ferait le travail sur le terrain avec l'équipe de policières.

Ils trouvèrent rapidement un hôtel pas cher près du commissariat et y passèrent une nuit torride.

Le lendemain matin, Borly voulait voir la commissaire, mais l'officier de l'accueil lui expliqua qu'elle était actuellement en réunion.

Le détective décida de l'attendre sur une chaise qui faisait face au comptoir de l'accueil et entrepris d'envoyer un SMS à Laura quand le lieutenant Faure vint lui parler.

« J'imagine que vous avez besoin d'un petit récapitulatif sur la situation ?

― Euh... oui.

― Venez, mon bureau, si petit soit-il, sera plus tranquille. »

Ce que la policière appelait un bureau était, en réalité, un petit coin intimiste d'un open space. Cela dit, l'endroit était pour le peu, beaucoup plus calme qu'à l'accoutumée. À croire que les officiers de ce commissariat évitaient ce lieu.

« En résumé, la victime s'appelle Vanina Malbrec, expliqua Emmanuelle. Elle a trente-trois ans et habite Pont-de-Claix. Il y a huit ans, elle a divorcé et elle a un enfant de onze ans. Cela fait trois mois qu'elle vit avec un gars. D'ailleurs, je l'ai convoqué pour dix heures, si vous voulez participer à l'audition...

― Volontiers ! Assura Borly. Donc si j'ai bien compris, la victime est décédée il y a deux jours ?

― Plus exactement, le vingt-quatre juin vers dix-sept heures trente, si l'on en croit le légiste. Encore une asphyxie...

― Elle faisait quoi comme métier déjà ?

― Vendeuse en prêt-à-porter, pourquoi ?

― Simple question. En fait, j'essaye de me mettre à la place de l'assassin et de comprendre ce qui le pousse à choisir ses victimes.

― Déjà, le blond de leurs cheveux, lança le lieutenant comme une évidence.

― On est bien d'accord, mais j'ai le sentiment qu'il y a un autre critère qui nous échappe !

― J'aurais bien une théorie... Mais j'ai peur que vous me preniez pour une folle ! Déjà que je trouve cette hypothèse tirée par les cheveux...

― Dites toujours...

― Bien, en reprenant uniquement les meurtres de “ l'Anti-Blondes ” et en oubliant celui qui l'a imité, je me suis rendu compte que toutes ses victimes avaient la trentaine, plus précisément entre vingt-huit et trente-six ans.

― C'est vrai ça... murmura Antoine qui réfléchissait à cent à l'heure.

― Je ne sais pas si ça peut avoir un rapport avec notre tueur, mais cela reste une drôle de coïncidence.

― Vous êtes sûr qu'il s'agit de “ l'Anti-Blondes ” ? Demanda Antoine qui revint soudain à la réalité.

― Il y a de fortes chances... regardez par vous-même ! »

Le lieutenant lui tendit une liasse de clichés que le détective détailla un à un. La mise en scène était toujours la même. Tout avait été rangé et nettoyé à blanc et le lieutenant répondit spontanément à la question qui brûlait les lèvres du détective. Les experts n'avaient trouvé ni traces ADN, ni empreintes quelconques.

La seule différence marquante résidait sur le lieu. La victime habitait un petit appartement meublé à Pont-de-Claix, Pourtant son corps avait été trouvé ailleurs.

« C'est une maison... Souffla Borly stupéfait.

― Plus exactement, une maison d'hôte.

― Les propriétaires ?

― M. et Mme Mercier, Alex doit les voir dans la journée.

― On a des témoins ?

― Aucuns, les lieux étaient vides.

― Mais...

― La maison d'hôte est isolée de toutes commodités, donc autant vous dire qu'il n'y a pas grand monde ! D'autant plus qu'on est en période creuse. C'était la seule cliente.

― Les propriétaires y habitent ?

― Non...

― Et pour les petits déjeuners, ils font comment alors ?

― Ils ont un employé... C'est lui qui a trouvé le corps de la jeune femme.

― Ah... Ok, donc retour à la case départ ! Sinon, est-ce qu'elle a des amis ou de la famille dans le coin ?

― Elle est fille unique et orpheline depuis ses cinq ans donc non elle n'a plus de famille. Pour ce qui est des amis, d'après ses collègues au magasin, c'était une fille introvertie presque sauvage. J'ai réussi à avoir un psychologue qu'elle consultait lorsqu'elle était ado, il m'a expliqué que pendant quelques années, la victime a souffert de troubles de l'alimentation dont la boulimie et qu'elle était complexée par ses rondeurs, mais également qu'elle n'avait aucunement confiance en elle.

― J'aimerais bien parler avec ce psy...

― Je vous donnerais son numéro plus tard, assura Emma en regardant sa montre. L'ex-mari doit être dans nos locaux et l'actuel ne devrait pas tarder... Vous voulez voir lequel ?

― Peu m'importe !

― Ok, je prends l'ex ! s'écria le lieutenant en se levant d'un bond. »

&*&*&

Borly entra dans une petite salle dans laquelle trônait en son centre une table carrée et deux chaises de part et d'autre. Un homme de taille moyenne, à la barbe de trois jours et aux cheveux hirsutes se tenait assis, les mains sur les genoux. Ses yeux rougis par les larmes regardaient le néant quand Antoine s'assit face à lui.

Chacun se jaugeait en silence. L'homme n'avait pas l'air stressé et Borly ne savait pas quoi en penser. Le suspect n'avait pas cette attitude désolée de celui qui a conscience d'avoir commis une faute, ni même l'arrogance des voyous de cité. Le détective était persuadé que ce grand sec était réellement amoureux de la victime et qu'il n'aurait pas pu lui faire de mal. Restait à prouver son innocence et à comprendre pourquoi elle l'avait quitté avant de mourir.

« Bonjour, commença Borly, J'enquête sur le meurtre de votre petite-amie, Vanina Malbrec...

― Ex... murmura l'homme, toujours dans ses pensées.

― Je sais... Vous pouvez m'expliquer pourquoi elle vous a quitté ?

― Quelle importance puisqu'elle n'est plus là !

― Ok, passons ! Lança le détective qui préférait changer de sujet pour amener le suspect à lui faire des aveux. Que faites-vous dans la vie ?

― Paysagiste...

― Vous avez des enfants ?

― Non !

― Vous vous entendez bien avec le fils de la victime ?

― Elle s'appelle Vanina, s'exclama l'homme. Et oui, j'adore ce gamin, il est chouette, vous savez...

― Vous l'avez donc éduqué comme votre fils ?

― Pas vraiment... répondit le suspect avec un petit rictus ironique. Vanina ne voulait pas que je me mêle de son éducation. Elle considérait que cette tâche incombait à son père biologique, ce que je conçois. Sauf qu'il ne le voyait presque jamais...

― Connaissez-vous l'ex de la victime ? Enfin... de Vanina ?

― En trois ans de vie commune, je ne l'ai jamais vu et ça m'a posé question. Vanina m'a expliqué que le père de Noah à un travail qui l'amène à beaucoup voyager. D'après elle, c'est pour cette raison qu'il voit peu son fils.

― Mais vous n'y croyez pas, je me trompe ?

― Non, j'ai plus l'impression qu'il s'en fout royalement de son gamin !

― Vous savez pourquoi elle l'a quitté ?

― Pour moi...

― Comment ça ? Demanda Borly un peu perdu.

― Il y a quatre ans, j'étais au chômage et je m'étais inscrit sur des sites de garde d'enfant à domicile en attendant de suivre ma formation de paysagiste. C'est de cette manière que j'ai rencontré Vanina, en gardant Noah chez elle. À l'époque, elle venait d'être embauchée en CDI et elle avait du mal à concilier vie de famille et vie professionnelle. Très vite des liens se sont construits avec Noah qui est un petit gars formidable et attachant et encore plus facilement, une attirance s'est installée entre Vanina et moi. Nous sommes rapidement devenus amants et près de huit mois plus tard, nous n'arrivions plus à nous détacher l'un de l'autre. Il aura fallu une année complète avant qu'elle avoue notre idylle à son mari et qu'elle demande le divorce pour enfin, venir habiter chez moi.

― Ah... souffla Antoine pensif. Et j'imagine qu'à la place de son ex, si elle vous avait fait la même chose, vous seriez fou de rage... C'est humain !

― Je vois où vous voulez en venir, mais je vous assure que Vanina ne m'a jamais trompé !

― Comment pouvez-vous en être aussi sûr ?

― Parce que j'y avais pensé avant... répondit l'homme avait aplomb. Sachant qu'elle avait quitté son ex pour moi, je me suis dit qu'elle pourrait un jour me faire la même chose et je comptais bien la devancer, alors j'ai embauché un détective qui l'a filé pendant six mois...

― Il y a combien de temps ?

― Six mois environ...

― Et pourquoi demander à quelqu'un une filature, si vous êtes si sûr qu'elle vous était fidèle ?

― À ce moment-là, je n'étais sûr de rien. Depuis près d'un an, elle était devenue distante avec moi et j'ai tout de suite pensé à un amant, mais les filatures du détective n'ont rien donné, à part quelques sorties qu'elle consacrait à aller voir ses amies.

― Alors, je réitère ma question initiale, pourquoi vous a-t-elle quitté, à votre avis ?

― Il y a trois jours, elle m'a envoyé un étrange texto qui disait que je suis trop bien pour elle et que pour ne pas me faire de mal, elle préférait me quitter...

― Vous avez réagi comment ?

― Je voulais qu'elle me donne la véritable explication, si horrible fut-elle, j'ai donc essayé de l'appeler sur son portable sans succès. Sans conviction, je suis allé voir sa meilleure amie, Lauren...

― Le matin même du meurtre... je sais, je vous ai vu sur les caméras de la rue...

― Alors, vous savez que je ne suis pour rien dans la mort de Vanina !

― Ce n'est pas si simple ! Ce qui est sûr c'est que vous n'avez pas fait le travail de vos propres mains, mais vous pouvez très bien avoir un complice qui se sera chargé de la sale besogne pendant que vous vous forgiez un alibi...

― Vous savez, quand j'ai appris que la femme que j'aime le plus au monde est décédée, j'étais à deux doigts de me tailler les veines. Dommage, quelqu'un a frappé à la porte juste avant.

― Vous savez, il y a beaucoup d'homme qui sont dingues de leur femme, et encore plus qui sont capables de la tuer par jalousie !

― J'avoue, si elle avait eu un amant ça m'aurait rendu dingue... Au point de sauter dans le vide ou de me plomber le crâne, mais sûrement pas en la tuant elle !

― Ok, je vous crois ! Je vous laisse donc signer votre déposition et vous êtes libre. »

En raccompagnant le suspect jusqu'à la sortie, Borly croisa le brigadier qui venait de s'entretenir avec les propriétaires de la maison d'hôte. Près du bureau de l'entrée, les deux enquêteurs prirent quelques instants pour échanger.

« Alors ?

― Il est blanc comme neige... et un brin suicidaire, répondit Antoine. Et toi ?

― Rien non plus ! Ils étaient à cinquante kilomètres de là, le matin du meurtre et ils n'avaient jamais vu leur cliente. Réservation en ligne oblige !

― Bon, je vais essayer d'en savoir plus avec les psychologues que la victime a pu voir...

― Et moi avec le témoin principal ! »

&*&*&

Le tonnerre éclata lorsque Borly arriva devant le Centre Médico-psychologique de Grenoble et une pluie battante cingla la rue lorsqu'il passa la porte. Content d'avoir évité de justesse la radée qui s'abattait au-dehors, le détective s'avança d'un pas décidé vers l'accueil, demandant à parler avec le docteur Mercier avec qui il avait rendez-vous. Une brunette aux lunettes rondes le fit patienter le temps de passer un coup de fil.

L'attente ne dura que quelques minutes avant qu'un petit homme brun, à la brosse et aux joues pleines vienne se présenter à lui comme psychologue. Antoine fit un effort surhumain pour ne pas montrer son scepticisme. Sans se l'expliquer, cet homme ne lui inspirait aucunement confiance.

Le psychologue invita son hôte à le suivre dans un dédale de couloirs jusqu'à son bureau qui pouvait s'apparenter à la suite luxueuse d'un hôtel étoilé.

Un volumineux bureau en acajou trônait au centre de la pièce cossue. De part et d'autre, des bibliothèques abritaient des livres de science et des bibelots en tout genre. Plusieurs diplômes, dont un en science du comportement et son principal moyen de revenu la psychologie, avaient été soigneusement encadrés et accrochés aux endroits les plus visibles.

Pour Antoine, cette pièce fleurait le m'as-tu-vu, ce qu'il trouvait exaspérant, pourtant si récurrent chez les professeurs et docteurs en tout genre.

« Alors, que me vaut la visite d'un détective privé ?

― Comment vous avez su ? Demanda Borly désarçonné.

― Vous ne m'avez montré aucune plaque et vous ne vous êtes pas présenté comme agent de police... ce qui m'a amené à deux hypothèses. Soit le policier que vous êtes ne s'assume pas, soit vous êtes un intervenant extérieur donc détective ou sociologue. Sachant qu'un sociologue ne viendrait pas demander mon aide, la conclusion est simple et vous me l'avez doucement avoué... Vous êtes donc détective !

― Bien vu... Et vous, vous me paraissez très bon dans votre domaine et c'est pour cette raison que j'ai besoin de vos services !

― C'est à propos de Vanina Malbrec, si ma secrétaire a bien compris...

― Exact ! J'ai su que Vanina est venue vous voir lorsqu'elle était adolescente et j'aurais besoin d'en savoir plus...

― Effectivement, je l'ai vu pendant quelques mois... approuva le psychologue en fouillant ses dossiers. C'était une jeune fille réservée.

― J'imagine qu'il ne suffit pas d'être réservé pour voir un psy ?...

― Heureusement non, pouffa le psychologue. Mais vous savez que Vanina s'est retrouvé orpheline à l'âge de cinq ans ?

― Je le sais, oui. J'imagine que vous l'avez suivie depuis le début...

― Non, lors de notre première rencontre elle avait presque dix-neuf ans.

― Comment ça presque ?

― À quelques mois près ! Vanina m'avait expliqué qu'elle habitait Pont-de-Claix depuis un an, à cette époque, et que jusque-là, elle s'était cru guérie

― Et qu'est-ce qui l'a fait changer d'avis ?

― Ce que vous devez comprendre, monsieur le détective, c'est que Mademoiselle Malbrec avait tendance à être maniaco-dépressive.

― Je pense comprendre les termes « maniaque et dépressive », mais je ne vois pas comment les associer...

― Dans les phases dépressives, elle avait tendance à s'isoler et à se complaire dans son malheur, si je puis dire. Et en une seconde, elle se sentait euphorique et pouvait se mettre en danger en se croyant immortelle lors des phases maniaques.

― Toujours à l'extrême, qu'elle se sente bien ou mal... murmura Antoine en pleine réflexion.

― À peu de choses près, c'est exact !

― Est-ce que vous connaissez d'autres psychologues qu'elle aurait pu voir ?

― Oui, je vous ferais volontiers la liste. J'imagine qu'ils lui ont tous dit la même chose que moi et qu'elle aurait pu en faire autant de son vivant sans avoir un seul avis différent !

― Et vous lui avez dit quoi ?

― Je lui ai conseillé de faire un séjour en hôpital psychiatrique, ce qui lui aurait fait du bien, j'en suis sûr, surtout depuis qu'elle avait un enfant qui avait besoin d'elle.

― Est-ce que vous pensez qu'elle aurait pu manipuler son enfant pour qu'il refuse de voir son père ? Dans ce cas, est-ce qu'elle aurait pu manipuler son ex pour qu'il ne voit pas son fils ?

― C'est difficile à savoir, mais j'imagine que lorsqu'elle allait au plus mal, elle aurait facilement pu faire en sorte que l'enfant ne voit pas son père... Et dans les meilleurs moments, elle pouvait éloigner le père pour montrer qu'elle savait s'occuper de son fils même si elle était seule...

― En gros, dans tous les cas, elle aurait pu essayer d'évincer le père ?

― Effectivement, c'est une possibilité. »

&*&*&

Il était plus de vingt heures lorsque le débriefing des enquêteurs se termina. Pour la première fois c'était Antoine qui avait pris la parole en premier. Le détective relata son entretien infructueux qu'il avait eu avec le conjoint de la victime avant d'enchaîner sur ce qu'il venait d'apprendre des psychologues que Vanina Malbrec avait vus.

« Le premier qui s'est occupé de la victime, lorsque celle-ci a perdu ses parents, s'appelle Nicolas Lang, c'est un pédopsychiatre. Il l'a suivi jusqu'à ses dix-huit ans, affirmant qu'ils travaillaient essentiellement sur l'acceptation et le deuil. Du jour au lendemain, la victime a cessé d'honorer ses rendez-vous et notre docteur en psychologie n'a pas cherché à en savoir davantage...

― Mais c'est une faute grave ! s'indigna Alex.

― Non, et c'est avec cet argument plus que probant qu'il s'est dédouané face à moi ! expliqua Borly. En effet, la victime était majeure, et de fait, elle n'avait plus d'obligation vis-à-vis du psy !

― J'en conclue qu'elle est ensuite partie sur Grenoble ? Demanda la commissaire.

― Oui. J'imagine qu'elle se croyait guérie...

― Sauf qu'elle ne l'était pas, puisqu'elle a dû voir un autre psy dans la région, souligna Emmanuelle.

― Le docteur Mercier... Il est psychiatre au CMP de Grenoble...

― Et lui non plus ne vous a rien appris ! Conclut hâtivement le lieutenant.

― Au contraire, son témoignage m'a beaucoup éclairé sur la façon de penser de la victime ! D'après lui, elle serait venue le voir pour la première fois à cause de pensées suicidaires. Consciente d'avoir un souci psychologique, elle lui aurait expliqué la mort de ses parents comme si elle l'avait pas réellement vécu. Après une dizaine de rendez-vous, il a analysé notre victime comme une personne à la personnalité maniaco-dépressive...

― Et dans un langage commun, ça se traduit comment ? Demanda la commissaire.

― En gros, elle subissait deux phases, plus ou moins rapprochées. Dans la première, la phase maniaque, elle se sentait si bien qu'elle pouvait éduquer seule son enfant...

― Ok, on a compris ! Et la seconde phase ? Demanda Alex qui imaginait le pire.

― C'est la phase dépressive et comme son nom l'indique, dans ces moments-là, la victime était au plus mal avec des idées suicidaires...

― Je ne sais pas pourquoi, je sens qu'il y a autre chose et que ça ne va pas me plaire, souffla la commissaire.

― De ce que j'ai pu retenir de cet entretien, cette jeune femme avait un sérieux souci psychologique qui aurait pu l'amener, dans une phase comme dans l'autre à évincer le père biologique de son enfant...

― Elle a vu d'autres psy ? Le coupa Emma.

― Oui, trois autres. Ils m'ont tous dit la même chose que le docteur Mercier. Le dernier qu'elle a vu, le docteur Thévenet, m'a donné une autre information qui peut être intéressante. D'après lui, la victime n'assumait pas ses rondeurs et semblait ressentir un besoin constant de plaire aux hommes...

― Ce qui pourrait expliquer qu'elle ait quitté son compagnon !

― Merci Borly, lança la commissaire. Sinon est-ce qu'on a quelque chose du côté du témoin principal et des propriétaires de la maison d'hôte ?

― Rien d'intéressant ! Souffla le brigadier. Les propriétaires n'étaient pas sur place et notre témoin n'a rien vu ni entendu de suspect en arrivant sur le lieu du crime.

― Et l'ex ?

― Il est très intéressant ! s'exclama le lieutenant. J'ai trouvé plusieurs plaintes de la victime pour coups et blessures, mais à chaque fois, celle-ci s'est rétracté quelques jours plus tard. Par ailleurs, il y a une injonction d'éloignement le concernant...

― Pour quel motif et par rapport à qui ? Demanda Antoine.

― Concernant une ex-copine, Lætitia Henry, qu'il a agressé physiquement dans la rue devant plusieurs personnes qui ont témoignées contre lui.

― Convoquez-les tous les deux ! ordonna la commissaire.

― C'est déjà fait pour demain dix heures. »

&*&*&

Le lendemain matin, le brigadier avait auditionné la victime d'agression qui lui avait raconté exactement la même version que la déposition qu'elle avait signé deux ans auparavant.

De leurs côtés, le lieutenant, assisté par Borly, interrogeaient leur principal suspect. Emmanuelle considérait ne pas avoir le temps pour la patience et décida de dire ses droits au suspect sans attendre son avocat avant de commencer à le questionner. Durant les premières heures, seul face aux policiers, le suspect n'avait de cesse de clamer son innocence en répétant qu'il y avait eu un malentendu entre sa copine de l'époque et lui.

Deux heures plus tard, l'avocate du gardé-à-vue entra comme une furie dans la pièce et ordonna à son client de se taire et de se lever sur-le-champ pour partir.

Ce soir-là, le moral des troupes était au plus bas après s'être fait remonter les bretelles par le juge qui leur annonça que par leur faute, l'avocate avait demandé la suspension de leur affaire pour vice de procédure.

Une fois de plus, la séparation fut douloureuse pour les deux amants.

Si Laura gardait espoir, Borly n'y croyait plus. Ils passèrent leur dernière nuit à parler de tout et de rien avant que le détective ne rejoigne sa région.

 

 

13

 

Exténuée de sa journée, Laura posa son sac sur le meuble de l'entrée et ôta sa veste avant de se diriger vers le salon dans l'idée de se vautrer dans le canapé en cuir, de préférence devant une émission ringarde qui ne demandait pas de réflexion particulière. Ce programme alléchant, destiné à la relaxer fut interrompu par son mari qui l'appelait. La jeune femme sentit l'urgence et l'agacement dans sa voix. À contrecœur, elle pivota pour se diriger à l'opposé du salon, vers le lieu d'où provenait la voix.

William était assis devant leur unique ordinateur portable qui était allumé.

Sans même pouvoir lire, Laura comprit quelle était la fenêtre que son mari avait ouverte.

« Tu m'expliques ? Assena-t-il en se retenant tant bien que mal de ne pas exploser trop rapidement.

― C'est plutôt toi qui me dois des explications ! Répondit sèchement Laura. Depuis quand tu fouilles dans mes mails ?

― Depuis que tu sors presque tous les soirs pour voir un, soi-disant, collègue qui est bien plus que ça vu les mails enflammés que vous vous envoyez !

― Je te l'ai déjà dit, je suis sur une affaire sensible en ce moment, mais je ne peux pas t'en dire plus !

― Ouais, je sais ! Une enquête très compliquée... mais, surtout, non officielle ! Rétorqua William, rouge de colère.

― Comment ça ?

― Je ne suis pas aussi con que tu peux le penser, Laura ! Tous tes déplacements pour le boulot ou pour voir une amie de longue date m'ont mis la puce à l'oreille et je me suis renseigné !

― Tu es allé au commissariat pour leur parler de mon enquête ? Demanda la jeune femme abasourdie.

― Affaire sensible, mon cul, ouais ! S'écria William, hors de lui. J'ai aussi parlé avec la pauvre Lynda, qui bizarrement, n'a pas eu de nouvelle de toi depuis plus d'un an... Elle te passe le bonjour, d'ailleurs !

― Tu es mal placé pour me faire une crise, toi qui te fous de ma gueule depuis près de quatre ans ! Lança calmement Laura, un sourire ironique aux lèvres.

― N'essaye pas de retourner la situation à...

― Non ! Je ne retourne rien du tout, moi ! C'est toi qui noies le poisson et c'est écœurant ! Railla Laura en posant violemment une feuille sur le bureau.

― C'est quoi ? Demanda William sceptique.

― Lis-le, c'est très enrichissant ! En tout cas, ça m'a beaucoup intéressé ! »

William prit le temps de lire la lettre qui lui était destinée. Il lui fallut quelques secondes supplémentaires avant de lever un regard confus vers sa femme.

« Je ne comprends pas...

― Moi si ! Je ne te cache pas que j'ai mis du temps à comprendre, mais aujourd'hui, c'est clair comme de l'eau de roche !

― Non, mais sérieux ! Tu ne vas pas me dire que tu crois à ces conneries, s'emporta William. C'est un coup monté, ça se voit !

― Qui pourrait t'en vouloir à ce point-là, alors ?

― La plupart de mes patients... et si on ajoute tous les détraqués qui sont allés en taule à cause de mon témoignage, ça fait pas mal de monde !

― Il y a autre chose... Quelqu'un d'autre m'a beaucoup appris, un journaliste...

― Un fouille-merde ! Murmura William.

― Exactement ! Et lui a décidé de fouiller du côté de ma vie... Enfin du côté de la vie de Dimitri Nowack !

― Tu es sérieuse ? demanda William mi-figue, mi-raisin. Je te rappelle que ce genre de type peut te foutre en taule quand bon lui chante !

― Tout ça n'a plus d'importance puisque le simple nom, Nowack va nuire à ma carrière, lança Laura fataliste. Le plus intéressant reste ce qu'il m'a appris sur ma mère, Carole Duprès et surtout sur mon frère, Jonathan Nowack !

― Que des mensonges pour mieux te planter par-derrière !

― Ma mère est morte d'un cancer du pancréas alors que j'avais vingt et un ans, John devait en avoir dix-neuf...

― Possible...

― Le plus étrange, c'est que ce journaliste affirme que Jonathan Nowack est venu consulter chez toi juste après la mort de sa mère...

― Tu sais, je ne me souviens pas des noms de tous mes patients !

― Je te rappelle qu'avant d'être Madame Veyrand, j'étais mademoiselle Nowack... Tu vas me faire croire que tu n'avais pas fait le lien ?

― Pas du tout, non ! Le nom Nowack est très rependu en France donc je ne vois pas comment j'aurais fait le rapprochement et je ne vois toujours pas où tu veux en venir !

― Je veux tout simplement te faire comprendre qu'en niant l'évidence, tu te rends complice d'un meurtrier ! Lança Laura sur un ton étrangement calme malgré la rage qui bouillonnait en elle.

― Je ne suis complice de rien et je ne vois pas ce qui te fait dire le contraire !

― Tout d'abord, il y a une conversation téléphonique entre toi et un certain John que j'ai surpris, il y a quelques mois. Ensuite, ce que m'a révélé ce journaliste m'a intrigué et maintenant cette lettre... Avoue que ce sont de drôles de coïncidences !

― Je te rappelle que je ne suis pas garant de tout ce que font mes patients, et heureusement ! Lança William sur un ton sarcastique.

― En fait, je suis persuadée que l'auteur de cette lettre n'est autre que “ l'Anti-Blondes ” et que tu le sais aussi bien que moi !

― Je ne sais pas qui a pu m'envoyer ce torchon ! Affirma William une dernière fois.

― Et par ailleurs, je pense qu'il a raison quand il dit que tu as compris qui il est... malheureusement tu n'as rien dit !

― Tu crois vraiment que c'est lui ? Demanda William soudain emplis de doutes.

― J'en suis presque sûre ! Et c'est ça l'enquête sensible et officieuse que je suis avec le détective Borly !

― Tu me trompes avec lui ou pas ?

― Va au commissariat et montre à mes collègues la lettre ! Ce serait la meilleure preuve d'amour que tu puisses me faire, implora Laura en éludant la question initiale. »

&*&*&

William venait de passer la porte d'entrée quand le téléphone de Laura entonna une musique entraînante. En voyant le nom inscrit sur l'écran, son cœur se mit à battre la chamade alors qu'elle faisait glisser horizontalement son doigt.

« J'ai parlé à William de la lettre...

― On verra ça plus tard... s'empressa Borly. Je prends l'avion dans dix minutes... Tu me retrouves à Saint-Exupéry ? »

Sur ces mots, le détective raccrocha, laissant Laura déconcertée. Il lui fallut une bonne seconde pour comprendre pourquoi son amant était si pressé de la retrouver jusqu'à ce que l'illumination vienne à elle.

“ L'Anti-blonde ” avait encore frappé en Isère.

Dans l'urgence, la jeune policière fourra quelques affaires dans un sac de voyage sans prendre le temps de bien les ranger.

Au moment de fermer la porte à clé, Laura sentait qu'elle oubliait quelque chose. Elle ne pouvait décemment pas partir sans donner une explication à William. Sur un bout de papier qu'elle laissa bien en vue sur le meuble du couloir, elle avait rapidement écrit les réelles raisons de son départ.

Durant l'heure de trajet, la jeune femme n'avait de cesse de repenser à l'explication qu'elle avait couché sur papier. Elle ne voulait plus mentir à son mari, mais une expression qu'elle rebutait se rappela à son esprit. Toute vérité n'est pas bonne à dire. C'était tellement vrai. D'autant plus dans ce cas précis.

En expliquant à son mari que son enquête sur “ l'Anti-Blondes ” n'était pas encore terminée et qu'il avait, a priori, recommencé sur Grenoble, Laura prenait le risque que William avertisse son ancien patient. Si l'affaire venait à tomber à l'eau par sa faute, la jeune femme ne s'en remettrait pas.

Garée sur le parking de l'aéroport, Laura était encore dans ses pensées lorsque le détective frappa doucement sur la fenêtre de la voiture. La jeune femme revint à la réalité en sursaut et mit un instant à comprendre que les portières étaient verrouillées.

Borly accrocha sa ceinture en regardant sa maîtresse qui semblait ailleurs.

« Quelque chose ne va pas ?

― J'ai dit ses quatre vérités à William, ce matin... la lettre, ce que m'a raconté le journaliste et la conversation téléphonique que j'ai surpris il y a plus d'un an...

― Il a nié, je présume ?

― Au début, oui. Mais à la fin, il m'a semblé prendre conscience du danger que représente mon frère et il n'a pas rechigné à aller au commissariat avec la lettre...

― Et tu penses qu'il n'y est finalement pas allé, c'est ça ?

― Qu'il y soit allé ou pas, pour l'instant, je m'en fiche !

― Alors quoi ?

― Je crois que j'ai fait une connerie...

― Du genre ?

― J'ai laissé un mot à William avant de partir...

― Et ? Pressa le détective qui sentait que la révélation de sa maîtresse n'allait pas lui plaire.

― Et... je lui ai dit cash que John vient de sévir une fois de plus sur Grenoble...

― Tu es sérieuse ? s'écria Borly.

― Je n'ai pas réfléchi sur le coup ! s'excusa Laura.

― Et il ne t'est pas venu à l'esprit que si ton mari est complice, il ira le prévenir de notre arrivée ?

― Tu veux qu'on refasse une heure de trajet pour récupérer le mot, en espérant que William ne l'ait pas déjà lu ? Demanda Laura sarcastique.

― De toute façon, le mal est fait. J'espère juste qu'on arrivera à temps.

Les deux enquêteurs eurent la chance de trouver un hôtel première-classe libre et à proximité de Grenoble à plus de vingt et une heure.

Leur ébat torride les rinça, agissant comme un puissant somnifère.

&*&*&

Le lendemain matin, le duo d'enquêteurs se rendit au commissariat où les attendaient la commissaire Gruaux et son équipe. Avant de parler de leur affaire, le lieutenant insista pour leur montrer les clichés de la scène de crime qui avaient étés pris par les experts scientifiques.

Borly avait l'habitude d'analyser plus d'une centaine de photos pour une affaire et celle-ci ne fit pas exception.

Sur les premiers clichés, on pouvait voir une maison prise sous tous les angles. À première vue, la bâtisse était sobre comportant un étage et un jardinet mal entretenu. Á juger au nombre de fenêtre Antoine s'imagina qu'il s'agissait d'une maison de type quatre pièces. Les vues de l'intérieur contredirent l'hypothèse du détective. La porte-fenêtre du rez-de-chaussée, qu'il avait remarqué sur les premières images, menait sur une cuisine ouverte sur une grande pièce à vivre, qui faisait salon et salle à manger. Sur les clichés pris de l'extérieur, Borly avait remarqué trois fenêtres à l'étage, ce qui l'avait amené à penser qu'il devait y avoir trois chambres. Ce qui était le cas. La première était grande, sobrement décoré d'une armoire et d'une commode grise adossée à un mur blanc. La seconde pièce était une chambre d'enfant aux murs verts décorés de papillons. Au sol, trônait un lit de bébé et des jouets éparpillés. La dernière chambre de l'étage avait été aménagée en bureau.

La photo suivante intrigua davantage Laura et son partenaire. Une trappe au plafond avait été agrandie. Malgré le peu de lumière dans ce petit local, on pouvait voir les formes d'un lit ainsi que les pentes du toit qui démontrait que les combles avaient été réaménagées en chambre.

Les dernières images étaient plus lumineuses. Sur le lit se trouvait une femme blonde, drapée d'une robe rouge et d'escarpins assortis. Le contraste du rouge sur le blanc immaculé des draps était flagrant. En se penchant de plus près sur le dernier cliché, un détail intrigua Borly qui ne put s'empêcher de le souligner.

La réaction des policières le déconcerta. Emmanuelle et Alexandra se mirent à pouffer tandis que la commissaire semblait garder son sérieux.

« Je vous l'avais dit que Borly le verrais de suite... Vous me devez cinq euros ! »

De son côté, Laura était hypnotisée par sa première vision d'un cadavre. Son expérience encore neuve ne lui avait pas encore donné l'occasion de voir un corps inerte et dépourvu de vie pour de vrai. En suivant le détective dans sa chasse à l'homme, la jeune policière avait beaucoup entendu parlé de la méthode de “ l'Anti-Blondes ”, ne pouvant qu'imaginer ce qui lui avait été raconté.

La vue de cette jeune femme endormie déroutait la jeune policière qui ne put s'empêcher de poser la question qui tournait en boucle dans sa tête.

« Elle est... Morte ?

― Non... Enfin, pas pour l'instant. Maintenant, j'espère que les secours vont arriver vite.

Sur ces mots, les gyrophares des pompiers illuminèrent la maison. Après s'être renseignés sur l'identité de leur patiente, les hommes au costume rouge transportèrent le corps sur un brancard avant de rouler en direction de l'hôpital le plus proche, suivis par deux officier.

Alexandra attendit d'être sortie de la maison avant de montrer son sarcasme à Borly.

― Depuis quand vous êtes médecin pour vous donner le droit d'affirmer que la victime est vivante ?

― Ce n'est pas tant une question de diplôme, mais plutôt de l'observation, expliqua Antoine. Il n'y a rien qui vous a interpellé en voyant cette femme allongée ?

― Non, pourquoi ? J'aurais dû voir quelque chose de spécial ?

― Peut-être que ses yeux fermés auraient pu poser question...

― Je ne vois pas le rapport !

― Moi si... Jusqu'à maintenant, toutes les victimes de “ l'Anti-Blondes ” fixaient le plafond, alors que celle-ci semblait dormir. Dans ce cas, vous en concluez quoi ?

― Que l'agresseur n'est pas celui que vous cherchez...

― Ou tout simplement que notre homme à fait une erreur, s'interposa Emmanuelle.

― Quoi ? Tu es de son côté, maintenant ?

― Dans cette enquête, je ne crois pas qu'il y ait réellement deux côtés distincts...

― Peut-être... Mais il m'agace avec ses airs supérieurs ! Je tenais quelque chose pour le discréditer et toi tu viens de tout faire foirer ! Râla le brigadier. En plus, maintenant, il fait le boulot du légiste.

― Légiste qui n'est toujours pas là ! Lança le lieutenant en cherchant du regard l'intéressé qui ne se manifestait toujours pas.

― On aurait dû l'attendre !

― Pour qu'il déclare l'heure du décès ? Tu es sérieuse là ?

― Elle aurait peut-être pu survivre...

― Ou pas, personne ne le saura.

― En tout cas ce que l'on sait, c'est que Borly a réagit vite, c'est tout ce qui compte, lança la commissaire.

― Vous vous rendez compte que ce mec a outrepassé ses fonctions, là ?

― Oui, mais contrairement à nous, il aura évité un décès supplémentaire qui pourra changer la donne...

― Donc, vous lui donnez raison.

― S'il n'avait pas appelé les secours aussi vite, cette femme serait dans la chambre froide à l'heure qu'il est, vous en êtes consciente brigadier ?

― Oui, mais...

― Ce n'est peut-être pas très orthodoxe, mais la réaction de Borly pourrait bien faire tourner la roue en notre faveur. Ce détective a acquis une expérience que notre équipe n'a pas encore et nous devrions prendre exemple sur lui plutôt que chercher à l'enfoncer, surenchérit la commissaire en guidant son équipe auprès des deux intervenants. Bien, comme l'a affirmé Borly, et vous avez vu juste, les pompiers m'ont expliqué que la victime est seulement sous anesthésie, donc bien vivante. Sinon, concernant son identité, nous n'avons pas grand-chose. Elle s'appelle Jessica Ribiera, jeune femme de trente-cinq ans.

― La victime a été découverte par Thomas Noiret, le propriétaire de la maison, annonça Emma. Il s'agissait de sa maison secondaire qu'il louait. Il n'avait plus de locataire depuis près de trois mois.

― Il y venait souvent ?

― Apparemment non...

― Alors pourquoi était-il ici ce soir-là ?

― Il avait l'air complètement choqué lorsque je l'ai interrogé à chaud et ses réponses n'étaient pas satisfaisantes...

― Tu l'as convoqué pour quelle heure ? Demanda la commissaire.

― Dix-sept heures.

― J'aimerais bien assister à l'interrogatoire... proposa Borly.

― Aucun problème ! Accepta le lieutenant. »

&*&*&

Borly et l'équipe de policières s'étaient réunis dans une salle sombre accolée à la salle d'interrogatoire. La petite pièce comportait une table sur laquelle reposait un ordinateur allumé et un enregistreur audio.

À travers la vitre sans teint, le détective tentait d'analyser le comportement de leur témoin principal. Celui-ci n'avait pas l'air stressé, à peine semblait-il pressé de rentrer chez lui. Emmanuelle était également en pleine réflexion, les yeux rivés sur le même objectif. Quelques minutes passèrent dans un silence total lorsque le lieutenant fit signe à son invité qu'ils allaient changer de pièce.

Le duo d'enquêteur sortit par une porte pour ouvrir celle qui se tenait juste à côté. Chacun se plaça à un endroit stratégique. Antoine, qui venait en tant qu'observateur, se plaça debout dans un angle faisant face au témoin, alors que la policière s'assit devant l'homme brun et à la barbe de trois jours. Elle ouvrit son ordinateur et se présenta en attendant que celui-ci daigne s'allumer. Borly s'était muni d'un bon vieux calepin et son stylo pour prendre des notes.

Quelques secondes suffirent à la machine et l'interrogatoire commença.

« Donnez-moi vos nom et prénom, s'il vous plaît.

― Thomas Noiret... Dites, l'homme dans l'angle, c'est un policier aussi ?

― Il a toutes les raisons d'assister à notre entretien puisqu'il collabore à l'enquête... répondit simplement le lieutenant, cherchant ouvertement à éviter la réponse franche.

― Donc, c'est une personne extérieure ?

― Exact. Répondit la jeune femme à contre-cœur.

― Dans ce cas, il n'a rien à faire ici ! Affirma l'homme. Je ne parlerais pas en sa présence. »

D'un regard entendu, Antoine quitta la pièce la rage au ventre.

Tandis que le lieutenant reprenait l'identité du témoin comme le demandait la procédure, le détective rejoignit Alexandra dans la salle adjacente. La jeune brigadier ne pipa mot lorsque Borly se planta à côté d'elle, l'air enragé. Sa seule consolation étant qu'il pouvait tout de même suivre l'interrogatoire dans cette petite pièce, grâce à la vidéosurveillance et à l'enregistreur audio.

« C'est bien vous qui avez découvert la victime le premier octobre au matin ?

― Effectivement.

― Lorsque ma collègue vous a interrogé, vous avez affirmé ne pas habiter cette maison, vous confirmez ?

― Je confirme ce que j'ai dit à votre collègue. J'ai hérité de cette maison à la mort de mon père l'année dernière. Depuis, j'en suis l'heureux propriétaire, à parts égales avec ma sœur, depuis près d'un mois.

― Où habitez-vous ?

― Je vis avec ma femme et ma fille à Voiron.

― Vous avez également dit à ma collègue que vous avez mis votre maison en location, est-ce exact ?

― Effectivement. Dès que nous avons signés, ma sœur et moi, l'acte qui nous nommaient propriétaires, nous nous étions mis d'accord pour mettre en location la maison...

― Vous avez donc entamé les démarches, je présume ?

― Entamé, oui ! Mais une semaine plus tard, ma sœur a changé d'avis en m'expliquant que son mari avait eu une idée de génie. Personnellement, j'étais sceptique.

― Quelle était cette idée ?

― Il voulait en faire notre maison secondaire dans laquelle nous pourrions nous réunir lors des vacances scolaires et, dans le principe, j'étais assez pour...

― Vous venez de me dire à l'instant que vous étiez sceptique... releva la policière interloquée.

― Mon beauf' est très gentil, mais surtout égoïste et près de ses sous ! Expliqua le témoin. Vous savez, pour garder une maison en état, il faut mettre la main au porte-monnaie pour l'entretenir et je n'avais pas envie d'être le seul à utiliser mon argent !

― Pourquoi ne pas l'avoir vendue alors ?

― Parce que je connais assez bien ma sœur pour m'être rendu compte que l'idée lui plaisait beaucoup. Donc par amour pour elle, j'ai oublié la location et me suis fait à cette idée.

― Donc si j'ai bien compris, depuis que vous avez hérité, votre maison est vide...

― Pas exactement, la coupa-t-il. Récemment, mon beau-frère s'est pris de passion pour la photographie et d'après ma sœur, il se rend régulièrement dans la maison pour prendre des clichés en tout genre.

― Dans ce cas, c'est lui qui aurait dû découvrir la victime... réfléchit Emmanuelle à voix haute.

― En fait, je n'étais pas sensé passer dans le coin ce matin-là, mais il m'a appelé pour me dire qu'il y avait un souci dans la maison...

― Il était sur place avant vous ?

― Oui. Il devait prendre des photos du jardin ou de je ne sais quoi avant de m'appeler et de me demander de le rejoindre en urgence.

― Au téléphone, il ne vous a rien dit d'autre ?

― Non... C'est ce qui m'a inquiété, en fait.

― Très bien, je n'ai plus de questions pour le moment. J'aurais toutefois besoin du nom de votre beau-frère... »

Le téléphone d'Antoine sonna, indiquant un SMS. Intrigué par la réponse qu'allait donner le suspect, il décida de faire fi du message, mais la sonnerie retentit une fois de plus sous le regard agacé du lieutenant. Le détective jeta un œil au texto qu'il venait de recevoir. Ses yeux restèrent, un moment, figés sur les mots qui avaient du mal à intégrer son cerveau fatigué. Il n'entendait et ne voyait plus rien autour de lui. Seule la sensation de ses jambes flageolantes et prêtes à se dérober sous son poids lui indiquaient qu'il était encore dans l'instant présent. Son malaise ne dura que quelques secondes avant qu'il ne revienne à lui, entendant le brigadier lui demander ce qu'il n'allait pas. Borly regarda la policière avec des yeux écarquillés avant de sortir en trombe de la salle. Alexandra le suivit sans un mot jusqu'à sa voiture et s'engouffra sur le siège passager.

Les deux portières de la voiture à peine fermées, le détective démarra comme s'il était pourchassé.

&*&*&

« Tu lui en as parlé ?

― Parlé de quoi ? Demanda Alexandra, d'autant plus intrigué que le détective était resté mutique sur tout le trajet les menant à son hôtel.

― Fais voir ! ordonna sèchement Antoine. »

Sans un mot, Laura posa son ordinateur sur le lit et releva l'écran qui s'alluma sur une page internet qui parlait du mariage de Sarah Noiret et de Jonathan Nowack, qui eut lieu le 16 juin 2012.

« Donc notre témoin a dit la vérité... Souffla Alexandra.

― Quoi ? Demanda Laura.

― Emma vient d'interroger le frère de Sarah Noiret... expliqua le brigadier.

― Ce n'est pas tout, lança Laura en ouvrant une autre page internet.

― Vous avez trouvé son Facebook ? S'étonna Alex.

― Ce n'était pas trop compliqué, surtout qu'elle n'a sécurisé aucune de ses données...

― Vous avez regardé ses photos ?

― Oui... Aucune photo d'homme ! Seulement elle avec ses amies ou avec son fils...

― On peut voir les lieux qu'elle a fréquenté ?

― Bien sûr ! Et j'ai vérifié... Uniquement la Savoie et l'Isère !

― Vous avez trouvé autre chose ?

― Oui. Elle a posté les photos de son bébé en 2013...

― Sa page Facebook ne nous sera d'aucune utilité ! s'exclama Antoine qui semblait seulement se réveiller.

― Mais ça pourrait être une preuve indirecte ! S'indigna Alexandra.

― Il n'y a aucune preuve directe ou indirecte, s'emporta Borly. Je vous rappelle, mesdames, que les gens peuvent mettre ce qu'ils veulent sur leur profil ! En plus, il n'y a aucune photo de John Nowack... Maintenant, Alex, est-ce que tu peux nous laisser ?

― Et je rentre comment, s'énerva le brigadier. En tram ? »

Le regard noir du détective était sans appel, elle devrait rentrer chez elle par ses propres moyens.

Antoine avait besoin de se défouler, il avait envie de tout casser. À croire que sa maîtresse avait ressenti sa rage, d'un geste empli de douceur, elle l'enlaça le forçant lentement à s'allonger sur le lit. Lové dans les bras de la jeune policière, le détective trouva rapidement le sommeil. Trop au goût de la jeune femme qui aurait préféré un instant suave.

&*&*&

Lors du débriefing de la veille au soir, Borly avait suggéré d'interroger le mari et la femme en même temps dans des salles séparées. Il s'était proposé pour assister celle qui se chargerait de l'interrogatoire de Sarah Noiret. La commissaire assigna la tâche à Alexandra, se gardant le soin et le plaisir d'interroger seule le suspect numéro un.

Convoqué pour neuf heures le matin, le couple fut accueilli par deux femmes. La plus grande semblait avoir passé la cinquantaine depuis quelques années déjà. L'homme admira néanmoins le corps svelte et musclé de la femme avant de plonger dans ses yeux bleus clairs. À côté d'elle, sa collègue paraissait plus chétive, plus frêle. Son visage pâle et ses longs cheveux acajou lui donnait des airs de femme du monde.

À peine passé les portes coulissantes du commissariat, le couple fut séparé. Alors qu'elle suivait la policière, Sarah Noiret lança un regard implorant que son mari ne remarqua pas. Elle suivit la rouquine qui s'était présentée comme le brigadier Blitz.

Borly avait l'air stressé. Dans la petite salle d'interrogatoire, il faisait les cents pas, redoutant le moment où il ferait face à la femme de l'homme qu'il pourchassait depuis tant d'années. L'attente lui était interminable et le détective ne put retenir un long soupir quand les deux femmes passèrent la porte, prenant place l'une face à l'autre. Antoine posa une chaise dans un angle et s'assit de façon à voir le visage de leur témoin, son carnet de notes et son stylo sur les genoux, prêt à écrire.

Alexandra prit son temps pour ouvrir le dossier qu'elle avait fait du couple, qui était déjà bien fourni. Avant de les convoquer, la commissaire avait demandé un compte rendu détaillé du passé de chacun, ainsi qu'une analyse des comptes en banque et des appels téléphoniques.

Borly observait de loin la jeune femme qui lui paraissait anxieuse. Il n'arrivait pas à cerner si elle était complice, témoin inconscient comme dans le déni ou si elle n'était au courant de rien.

« J'aurais besoin que vous me donniez vos nom, prénom et date de naissance... Commença Alexandra.

― Sarah Noiret, mariée Nowack, née le trois juin quatre-vingt-dix. Maintenant, pouvez-vous me dire pourquoi vous m'avez convoquée ? S'impatienta la jeune femme.

― J'y arrive dans un instant, lança sèchement le brigadier. Vous avez un frère qui s'appelle Thomas Noiret, c'est exact ?

― Oui...

― Bien, je suis le brigadier Blitz et je vous présente le détective Antoine Borly, annonça la policière en le montrant. Nous enquêtons sur l'agression d'une femme qui a eu lieu dans votre maison à Fontanil-Cornillon.

― Je ne vois pas en quoi cela me concerne puisque je ne vis pas dedans...

― Vous reconnaissez être la propriétaire de cette maison ? Demanda lentement Alexandra qui cherchait à se calmer avant que la colère ne l'emporte.

― Oui... Enfin, à moitié ! Mon frère en est également propriétaire à cinquante pour-cent.

― D'après lui, vous avez refusé de la mettre en location...

― Effectivement, avoua la femme, avec mon mari nous avions eu l'idée d'en faire notre maison de vacances...

― Pas très dépaysant ! ironisa la policière.

― En fait, l'idée c'était juste qu'on puisse se retrouver tous en famille, mon frère, moi et les enfants réunis !

― Mais si j'ai bien compris, vous n'y avez jamais mis les pieds ?

― Pas encore... Cet été nous sommes partis en vacances à Bordeaux, mais nous avions prévus d'y aller pour Noël. Cependant, je n'ai pas encore eu le temps de le proposer à mon frère.

― Est-ce que votre mari y est déjà allé ?

― Je ne crois pas...

― Pourtant d'après votre frère, votre mari se rendait régulièrement dans la maison pour faire des photos...

― En effet, il est passionné de photographie ! Par contre, je ne sais pas où il va quand il sort avec son appareil photo... Et surtout je ne comprends pas comment Thomas peut affirmer que John va régulièrement dans la maison puisqu'ils ne se parlent pas plus que ça !

― Jonathan Nowack, c'est quel genre de mari ?

― Je vous avouerais qu'il est loin d'être galant, mais il est charmant, attentionné, drôle et il fait la cuisine comme un dieu !

― Votre frère nous en a fait le portrait d'un homme près de ses sous, presque avare...

― C'est bien Thomas, souffla la femme avec un petit sourire. Il a tellement le cœur sur la main qu'il ne comprend pas que l'on puisse être économe et peu démonstratif émotionnellement.

― D'après votre frère, votre mari l'aurait appelé le matin de l'agression, est-ce que cela vous semble probable ?

― C'est possible oui !

― Pouvez-vous nous dire ce que votre mari faisait dans la nuit du trente septembre au premier octobre ?

― Je suis vraiment désolée, mais je ne sais plus... c'était quel jour déjà ?

― Dans la nuit du vendredi au samedi, si vous préférez !

― Je ne pourrais réellement pas vous donner de réponse exacte ! John retrouve chaque vendredi soir ses amis et, en général, il rentre quand je dors.

― Vous les avez déjà rencontrés ?

― Certains oui, mais j'imagine qu'il ne me les a pas tous présentés !

― Pouvez-vous me noter les noms des personnes que vous avez déjà vu et qui se sont présentées comme étant les amis de John, s'il vous plaît. »

Antoine prit note des noms que Sarah Noiret donna, puis Alexandra la raccompagna à l'accueil du commissariat.

Borly était déjà sorti prendre sa voiture pour rentrer à son hôtel, duquel, il comptait bien appeler les personnes qu'il avait sur sa liste.

&*&*&

Le débriefing fut rapide et jeta un blanc sur l'assemblée.

John Nowack n'avait rien lâché lors de son entrevue avec la commissaire. Il avait nié avoir appelé son beau-frère, affirmant avoir passé sa soirée dans un bar avec des amis. La commissaire avait pris leurs noms et les avait appelés un par un pour vérifier son alibi. Tous lui avaient dit la même chose. John avait passé la soirée, qui avait commencée à dix-neuf heures, dans un bar, puis ils étaient allés en boîte et chacun était rentré à quatre heures du matin. Ils faisaient tous partie de la communauté « On Va Sortir » et, d'après les personnes interrogées, le pseudonyme de John serait « HaineJy », ce qui ne manqua pas d'intriguer le détective.

De son côté, Borly n'avait pas appris grand-chose en discutant avec les personnes dont lui avait parlé la femme de son suspect. D'après eux, c'était un gars serviable, qui pouvait se montrer très drôle.

En rentrant à son hôtel, une fois de plus, à vingt heures passées, Antoine parla à Laura de leurs interrogatoires et de la découverte du site OVS, sur lequel Nowack était un membre actif.

Exténué, le détective ne mit pas longtemps à s'endormir. La jeune policière en profita pour naviguer sur internet.

&*&*&

La sonnerie d'un téléphone retentit et Borly se réveilla en sursaut. Il répondit d'une voix rocailleuse, puis écouta attentivement son interlocutrice qui paraissait surexcitée. Incapable de parler, il raccrocha instinctivement au nez de la femme avant de sauter dans ses vêtements. Le bruit réveilla Laura qui ouvrit les yeux et vit son amant enfiler son jean à la va-vite. Le détective vit l'interrogation dans les yeux de sa partenaire, mais ne se donna pas la peine de lui donner une explication et partit sans un mot.

Après une dizaine de minutes de trajet et une poignée de plus pour trouver une place de parking, il entra dans le hall de l'hôpital de Grenoble. En premier lieu, il chercha la machine à café, dans laquelle il inséra une pièce avant d'appuyer sur le bouton café long.

Le ventre vide et le cerveau encore embrouillé, Antoine espérait se réveiller plus vite avec de la caféine en attendant le lieutenant qui ne paraissait pas pressée de le rejoindre.

Le détective en était à son troisième café, lorsqu'Emmanuelle s'assit sur une chaise à côté de lui.

« Vous ne vous êtes pas pressée, à ce que je vois ! râla-t-il.

― Vous non plus, répondit la jeune femme, visiblement agacée par cette remarque cinglante. Je vous ai appelé à huit heures et demie, je suis descendue une heure plus tard et vous n'étiez toujours pas là ! Et là, il est presque dix heures...

― Ok, je suis désolé ! capitula Antoine. Sinon, vous avez appris quelque chose de la victime ?

― Malheureusement, non ! Elle ne se souvient pas de son agression. En fait, sa mémoire s'arrête à la soirée OVS.

― Elle n'a pas vu son agresseur ? Entendu une voix ou un accent caractéristique ?

― Je viens de vous dire qu'elle ne se souvient pas de ce qu'il s'est passé après la soirée ! Railla la jeune policière. Par contre, elle se souvient des pseudos « HaineJy » et « Guizmo ».

― Ça ne nous avance pas à grand-chose, mais on va devoir faire avec ! Souffla Borly, déçu. Sinon, vous avez pu parler avec son médecin ?

― D'après lui, la victime est tirée d'affaire et devrait pouvoir rentrer chez elle demain. Il m'a expliqué qu'elle souffre d'amnésie post-traumatique et qu'elle devrait retrouver la mémoire plus ou moins rapidement...

― Ce qui veut dire dans combien de temps environ ?

― Impossible à évaluer exactement, d'après le médecin...

― Il vous a bien donné une fourchette ?

― Ouais, mais ça ne va pas vous plaire !

― Dites toujours...

― Ça peut être demain comme dans un mois, voire dans quelques années !

― Génial, ironisa le détective. Vous avez des informations sur sa famille et ses amis ?

― Elle a deux enfants de deux pères différents. Une fille de douze ans et un garçon de dix ans. Elle a quitté son dernier conjoint deux jours avant son agression... J'ai pris l'initiative de convoquer le premier mari pour quatorze heures et je convoquerais le second par la suite.

― Il faudrait que quelqu'un interroge ses gamins au cas où...

― Alex s'en charge, annonça le lieutenant. Si vous voulez, vous pouvez interroger Léna Jeannot et Pierre Noux, les deux meilleurs amis de la victime et, au passage, des témoins de la soirée à laquelle elle a participé le soir de son agression. »

Borly et la policière sortirent de l'hôpital ensemble. Il alluma une cigarette alors qu'elle se dirigeait vers sa voiture. En la regardant marcher, il s'en voulut de lui avoir parlé si sèchement. Son attitude avait été incorrecte et il le savait, mais le rêve qu'il venait de quitter l'avait perturbé.

Tout au long de leur échange, il avait gardé en mémoire le visage et le corps de Laura, inanimé, allongée sur un lit et entourée de fleurs blanches. Cette vision l'avait terrifié. Pourtant ce n'était pas une excuse valable et il en était conscient.

Antoine s'apprêta à interpeller la policière avant qu'elle n'entre dans sa voiture, mais il se ravisa. Il était persuadé que cette jeune femme était comme lui, qu'elle n'avait pas besoin d'entendre quelqu'un s'excuser pour comprendre et pardonner une maladresse.

&*&*&

Le téléphone de Laura émit le Bip caractéristique de l'arrivé d'un SMS alors qu'elle s'apprêtait pour aller en soirée. Elle fit comme si de rien était et prit le temps de se lisser correctement les cheveux. La jeune policière n'avait pas le choix, elle devait être au top si elle ne voulait pas risquer de se faire remarquer.

La jeune femme attrapa son sac et son téléphone portable qui étaient sur son lit et lut en vitesse le message qu'elle venait de recevoir. C'était Borly qui lui demandait de ne pas l'attendre, car il pensait rentrer tard. Il était en planque devant l'appartement de la victime qui venait de rentrer chez elle.

L'idée du détective sauta aux yeux de la policière pourtant peu expérimentée. À vrai dire, elle se rendit compte qu'à la place de Borly, elle aurait pensé à la même chose.

Elle sourit en marmonnant.

Cette fois ton intuition n'est pas la bonne ! Tu perds ton temps...

Laura ne se sentait pas conduire dans les rues de Grenoble. Elle opta donc pour prendre un bus de ville qui l'amena à la gare, puis elle prit le tram jusqu'à l'arrêt des halles. Elle termina par quelques minutes de marche en jupe trop longue qui menaçait de se coincer sous ses talons aiguilles qui n'aimaient pas les pavés de la vieille ville. Le souffle court par le manque de sport, la jeune femme arriva enfin au point de rendez-vous.

À peine eut-elle passé la porte du bar qu'elle fut happée par la foule. À côté de ces jeunes vêtus simplement de jean et tee-shirt, Laura semblait prête pour aller au bal ou pour un rendez-vous professionnel. Mal à l'aise, la jeune femme fit volte-face pour échapper au ridicule quand quelqu'un l'interpella dans son dos. Laura se retourna et eut le souffle coupé face au sosie de son père. Elle ravala sa salive pour se ressaisir avant de parler d'un ton peu confiant.

« Vous êtes membre d'OVS ? Sinon ça veut dire que je me suis trompée de bar...

― Vous êtes au bon endroit, répondit l'homme à la voix de baryton. Mon pseudo sur le site est HaineJy, mais vous pouvez m'appeler John...

― Moi, mon pseudo sur le site c'est Lola38, mais vous pouvez m'appeler Lola, répondit Laura en prenant la main tendue.

― Bon, je vois que vous n'avez toujours pas de verre à la main... Je vous laisse passer commande et on aura bien l'occasion de parler durant la soirée... »

Un frisson lui parcourut l'échine lorsque le jeune homme tourna les talons. Tout chez ce type lui faisait penser à son père, de son physique, en passant par son regard et aussi sa voix grave et suave. Elle en avait la chair de poule.

En attendant sa pinte au comptoir, Laura n'avait de cesse de repenser à cette rencontre imprévue avec son frère. En s'inscrivant sur le site, et durant tout le trajet, la jeune policière s'était imaginée abordant son frère de manière détournée. Le fait qu'il ait fait le premier pas lui posait question. Cela voulait-il dire qu'il l'avait démasquée ? Ou alors, était-il en train de la draguer ?

Laura rageait de son imprudence et de ne pas en avoir parlé au préalable avec son amant. D'un autre côté, elle savait pertinemment que Borly n'aurait pas été d'accord qu'elle joue avec son enquête par pur esprit de vengeance et lui aurait formellement interdit d'aller sur le site internet. Une autre idée aussi loufoque germa en elle. Et si Nowack l'avait vu comme une proie potentielle ?

Dans le doute, elle devait le tenter. Au pire, elle pourrait peut-être glaner des informations.

Boostée à bloc, la jeune femme s'engouffra dans la foule et rejoignit l'homme qui l'avait gentiment accueillie.

La soirée se prolongea dans une grande chaîne de restaurant. La moitié des participants avait refusé l'invitation, préférant rentrer pour les plus anciens, ou faire la tournée des bars, pour les plus jeunes.

Une table de dix personnes avait été réservée par l'organisateur de la soirée. Laura s'assit consciemment en face de celui qui se faisait appeler HaineJy. Ils discutèrent de tout et de rien durant près de deux heures.

À son grand malheur, entourés comme ils l'étaient, Laura ne put pas poser les questions sensibles qui lui brûlaient les lèvres. La seule qu'elle s'autorisa à formuler fut de savoir s'il avait toujours vécu en Isère. La jeune policière crut voir une lueur étrange dans les yeux de son interlocuteur lorsque celui-ci lui expliqua avoir passé toute sa jeunesse près de Caen. Leur conversation dévia ensuite sur des sujets plus légers.

Lorsque tous ses convives eurent réglés leur note, l'organisateur proposa de terminer la soirée en discothèque. Laura déclina gentiment l'invitation, prétextant commencer tôt le lendemain. L'homme avec qui elle avait discuté durant toute la soirée lui proposa de la raccompagner chez elle. Laura n'avait pas d'autre choix que d'accepter, sauf si elle comptait faire du stop.

Sur le trajet, elle envoya un texto à Borly sous le regard interrogateur de son chauffeur. Elle lui mentit avec un aplomb qu'elle ne se connaissait pas, affirmant que sa meilleure amie venait de lui donner rendez-vous à l'hôtel première-classe de Meylan. Afin d'être plus convaincante, Laura expliqua que cette amie venait de Bourgogne pour le travail et qu'elle avait dû se payer un hôtel pour quelques jours.

La voiture se gara et les deux jeunes gens se firent la bise en guise d'au revoir.

&*&*&

« Tu rentres tard, dis-moi !

― Désolée... souffla Laura en ôtant sa veste.

― Ce n'est pas grave, tu n'as pas de compte à me rendre !

― On est d'accord ! Mais ce n'est pas pour l'heure à laquelle je rentre que je suis désolée...

― Quoi ? S'alarma Borly. Qu'est-ce que tu as fait ?

― J'étais à une soirée organisée par le site OVS... murmura la jeune femme en faisant la grimace.

― Putain ! S'énerva le détective. Je savais que je n'aurais pas dû t'en parler !

― J'avais besoin de savoir, s'écria Laura. Je voulais être sûre que ce HaineJy était bien mon frère ! Tu peux le comprendre ?

― Ok ! On va baisser d'un ton avant d'ameuter tout l'hôtel et se faire mettre dehors ! Proposa Antoine qui fit un effort surhumain pour recouvrer son calme.

― D'accord, souffla la jeune femme.

― Donc, oui je te comprends, assura Borly, mais c'était risqué et tu l'as peut-être même fait fuir, s'il t'a reconnue !

― Je ne pense pas qu'il sache qui je suis, si ça peut te rassurer !

― En tout cas, si tu ne lui as pas parlé et que tu as gardé tes distances...

― Loupé, lança Laura en lui coupant la parole. Mais c'est lui qui m'a accosté quand je suis entrée dans le bar...

― Putain... jura Antoine entre ses dents. Ça veut dire qu'il a compris qui tu es !

― Pas forcément ! J'avais plutôt l'impression qu'il me draguait comme s'il me prenait pour une proie potentielle !

― Sa prochaine victime ? Proposa Borly. Peu probable ! Si on y réfléchit bien, nous ne sommes que début octobre et, jusqu'à maintenant, “ l'Anti-Blondes ” a toujours rencontré ses victimes la veille ou l'avant-veille...

― Et s'il tentait de se forger un alibi ? Proposa Laura.

― Comment ça ?

― Tu m'as bien dit que sa femme t'avait assuré que John sortait avec des amis tous les vendredis soirs ?

― Ouais... Mais je ne vois toujours pas où tu veux en venir !

― Ce soir, j'ai vu clair dans son jeu ! Il discutait avec tout le monde sans exception en se présentant sous son vrai nom...

― Si les adhérents du site le voient et discutent avec celui qui dit s'appeler « John », ils ne peuvent qu'approuver lorsque la police leur demande s'ils ont vu un certain « John »... Continua Antoine qui venait de comprendre.

― Et avec une photo ça marche aussi bien... »

Laura se tut lorsque son amant répondit au téléphone. La seule raison pour qu'on l'appelle aussi tôt dans la matinée ne pouvait être que cruciale.

En regardant l'heure avancée, la jeune femme se rendit compte de sa fatigue. Ils avaient parlé durant toute la nuit, se tenant mutuellement éveillés par l'adrénaline que leur avait procuré cet événement, puis leur nouvelle hypothèse les avait galvanisés.

Les yeux papillonnants, Laura n'entendait plus rien, mais son inconscient avait enregistré que les résultats étaient arrivés.

&*&*&

Dans la salle de réunion c'était l'effervescence. En passant la porte, Borly fut assaillit par un brouhaha qui lui vrilla le cerveau. Le manque de sommeil le rendait irritable et impatient, si bien qu'il dut se faire violence pour ne pas claquer la porte et retourner à son hôtel.

Dans un premier temps, le détective pensa que les policières et les experts attendaient après lui. En l'absence de la commissaire Gruaux, il comprit rapidement qu'il y avait un hic.

L'assemblée discutait de tout et de rien par groupes d'affinité. Le brigadier et le lieutenant se chamaillaient comme un vieux couple, ce qui ne manqua pas de faire sourire discrètement Antoine.

Il s'approcha des deux femmes qui tournèrent la tête vers lui avec un regard accusateur. Vexé et agacé de ne pas comprendre ce qui lui était reproché, le détective se braqua.

« Quoi ?

― Tu aurais pu nous le dire ! S'exclama Emmanuelle.

― Ouais, surenchérit Alexandra. Nous on t'a fait confiance et on n'a pas bronché quand tu nous as parlé de “ l'Anti-Blondes ” et de ta chasse à l'homme !

― Ok au début on a douté, avoua le lieutenant, mais ce que veut dire Alex, c'est qu'on a fini par te croire et qu'on t'a soutenu dans tes enquêtes !

― Donc tu aurais pu nous rendre la pareille ! Râla le brigadier. Tu sais, on pouvait parfaitement comprendre la gravité de cette nouvelle et la fermer !

― Putain, mais de quoi vous parlez ? Explosa Antoine.

― De ta « collègue » Haute-savoyarde ! Ta petite protégée ! Siffla Alexandra.

― Si tu préfères, Laura Veyrand... Ou devrais-je dire Nowack ! Railla Emmanuelle sur un ton amer.

― Et merde, souffla le détective. Comment ?...

― Comme tu le dis ! Et elle va l'être complètement, dans la merde ! Susurra Emmanuelle.

― Comment ? Tout simplement grâce aux résultats d'analyse... se moqua Alexandra.

― Lors de son interrogatoire, la commissaire lui avait pris ses empreintes et son ADN ? Demanda Antoine surpris. Mais, ce n'était qu'un témoin !

― Ouais, mais on apprend de ses erreurs, mais encore plus de celles des autres... En l'occurrence des tiennes !

― Je vous rappelle que ce n'était pas une erreur de ma part, si vous pensez à son premier meurtre ! s'indigna Borly. Il s'était présenté de lui-même et je n'avais rien à lui reprocher !

― D'accord, mais aujourd'hui c'est différent ! On avait besoin de ses empreintes et ce n'est pas toi qui vas nous dire le contraire ! S'écria Emmanuelle.

― Mais ce n'est en aucun cas un reproche ! Se justifia Antoine.

― Mais nous on te reproche de ne pas nous avoir informé des liens familiaux qu'entretient cette femme et l'homme le plus recherché de France !

― D'abord, elle n'entretient aucun lien quelconque avec cet assassin, s'emporta Antoine. Et je lui avais promis de ne jamais dire qu'ils sont frère et sœur.

― Donc tu le savais depuis le début... murmura Emmanuelle qui semblait déçue.

― Qui d'autre est au courant ? S'alarma le détective. Nous deux et la commissaire, répondit d'une voix monotone Alexandra.

― Ah ?... Je pense que maintenant Bellini connaît la vérité ! Annonça Emmanuelle sur un ton faussement enjoué. En voyant sa chef et le juge entrer en imposant le silence. »

Borly n'était que colère et amertume, contre lui, mais également contre la jeune policière qui lui avait fait promettre de se taire.

Il le savait et l'avait toujours su, dès le début, il aurait dû parler du lien de parenté présumé de la jeune femme.

À la fin du débriefing, Bellini lui passerait un savon et il aurait largement raison. En tant qu'ancien commissaire, Antoine savait que le juge ne pouvait pas laisser passer ce genre d'omission. Même s'il était, à présent, à son compte, le détective se sentait tout de même coupable, sachant qu'il aurait dû prévenir la hiérarchie de la jeune policière.

Bellini lui lança un regard noir alors que la commissaire commençait à énoncer les faits. Norah Gruaux rappela la découverte des empreintes et de l'ADN sur le corps de la victime avant d'annoncer que les experts avaient trouvé une concordance avec un suspect potentiel, nommé Jonathan Nowack.

Alexandra annonça, à son tour sur un ton désolé, que les enfants de la victime ne lui avaient rien appris. Ils étaient à leur domicile, gardé par une baby-sitter ce soir-là. Le brigadier avait également interrogé la baby-sitter qui ne semblait pas être habituée des lieux et qui ne connaissait pas la victime.

De son côté, Emmanuelle paraissait enjouée en affirmant que les amis de la victime avaient affirmés avoir vu plus d'une fois, lors de la soirée OVS, l'homme qu'elle leur avait montré en photo.

Le débriefing ne dura pas une heure et tous les policiers et experts quittèrent la pièce, soulagée d'avoir enfin un suspect. Borly allait partir lorsque le juge l'interpella et lui demanda de rester un moment, il avait quelque chose à lui dire en privé. La commissaire quitta la salle en dernier, sans un regard pour le détective, à croire qu'elle lui en tenait réellement rigueur.

Debout, à chaque extrémité de la table ovale, les deux hommes se faisaient face. C'est avec le visage tendu par la colère que le juge commença à parler.

« Vous auriez dû m'en parler !

― Bien sûr, pour que vous en parliez, à votre tour, à sa hiérarchie ? Demanda Antoine sur un ton amer.

― Certes, dans ce cas, je pouvais la dénoncer, mais je pouvais également être conciliant avec de bons arguments !

― Je n'avais pas le temps pour le doute, et je suis un homme de parole ! Donc j'ai préféré me taire !

― Je me pose juste une question, à ce propos...

― Demandez toujours !

― C'est vous qui êtes venu la chercher, ou est-ce elle qui a fait le premier pas ? Dites-moi comment ça s'est passé, ça m'intéresse !

― Ça fait deux questions, railla sèchement Borly.

― Maintenant, vous pouvez répondre...

― Si vous voulez tout savoir, c'est elle qui est venue me voir en me disant qu'elle pourrait m'aider dans mon enquête ! Je me suis renseigné sur cette jeune policière avant d'accepter son aide !

― Donc, vous le saviez depuis le début... souffla le juge.

― Oui...

― La priorité pour l'instant, c'est de mettre ce meurtrier derrière les barreaux !

― On est d'accord...

― Ensuite, je m'occupe de votre cas !

― Pour Laura, ne vous inquiétez pas, sa hiérarchie s'en chargera !

― J'en suis sûr puisque je vais tout faire pour ruiner sa carrière !

― Je ne vous le conseille pas...

― C'est une menace ?

― Plutôt un avertissement !

― Je m'occuperais aussi de la vôtre, ne soyez pas jaloux !

― Attention, Monsieur le juge, susurra Antoine, il n'est pas bon de se mettre un détective privé à dos !

― Je n'ai rien à cacher !

― Tout le monde à quelque chose à cacher... Et je vous garantis que si vous vous en prenez à moi ou à mademoiselle Veyrand, je trouverais les casseroles que vous traînez ! »

&*&*&

Le téléphone sonna dans sa poche de pantalon alors que le détective s'apprêtait à entrer dans sa voiture. Il décrocha sans prendre le temps de regarder le nom qui s'affichait sur l'écran.

« Passez par mon bureau avant de partir... »

Elle entonna cette simple phrase avant de lui raccrocher au nez.

Borly ne savait plus s'il devait être rassuré ou, au contraire, s'il devait se méfier. La voix de la commissaire ne lui avait pas semblé amère, mais de son expérience à faire équipe avec des femmes, Antoine avait fini par comprendre qu'une voix qui semblait douce, presque mielleuse pouvait cacher la pire des haines.

Loin d'être lâche, le détective verrouilla sa voiture et se rendit dans le bureau de Norah Gruaux. Celle-ci ne leva pas les yeux de son ordinateur lorsque la porte s'ouvrit et Antoine resta debout, attendant qu'on l'autorise à s'asseoir.

« Vous savez qu'Alexandra et Emmanuelle vous en veulent de leur avoir menti, annonça la commissaire sans prendre la peine de lui proposer un siège.

― Oui, elles m'en ont vaguement parlé.

― Et savoir comment, moi, je le prends, ça ne vous inquiète pas à ce que je vois !

― Je vous connais terriblement franche, donc j'ose espérer que vous m'auriez dit ce que vous avez sur le cœur rapidement...

― Alors, je vous le dis maintenant, Monsieur le détective ! Lança la femme plus haut. Je suis vexée que vous ne m'aillez rien dit avant.

― Apparemment pas assez pour ne plus vouloir travailler avec moi, répondit Borly, visiblement rassuré.

― Vous comprenez que si nous avons gagné votre confiance, nous pensions que c'était réciproque, lança la commissaire. Et c'est de se rendre compte que ce n'est pas le cas qui nous a vexé, Alexandra, Emmanuelle et moi !

― Mais vous pouvez comprendre que je ne pouvais rien dire à personne ! S'insurgea Antoine.

― Bien sûr que je le comprends, surtout vis-à-vis de votre amie ! Mais n'allez pas imaginer que j'accepte une telle attitude !

― Que l'on soit bien d'accord, Laura n'est pas mon amie ! C'est...

― La femme que vous aimez ! Je l'avais compris, susurra la commissaire.

― Non plus ! Râla le détective. C'est ma partenaire dans mon enquête, rien de plus !

― On va dire ça, si vous le voulez...

― Mais...

― Nous n'avons plus le temps pour jouer à qui dit vrai et qui ment, que je sache ! l'interrompit Norah Gruaux. Le plus important, maintenant, c'est de coincer Nowack, s'il ne s'est pas déjà fait la malle.

― Je ne pense pas qu'il se soit enfuit ! En fait, je crois qu'il est encore chez lui à s'occuper de sa femme et de son fils !

― Peut-être, mais s'il n'est pas parti, il va finir par le faire, insista la commissaire sûre d'elle. Vu les traces qu'il a laissé derrière lui, il aurait tout intérêt à se casser au plus vite !

― Ce sont justement les indices, qu'il a laissés derrière lui, qui me laissent croire qu'il attend notre venue...

― Comment ça ?

― Je ne veux pas me faire passer pour un psy, mais j'ai une théorie...

― Dites toujours.

― Imaginez, durant ces deux dernières années, il s'est cru guéri, expliqua Antoine. Il a trouvé une femme avec qu'il a fondé une famille, puis un jour, quelque chose ou quelqu'un le fait replonger...

― Raison de plus pour fuir !

― Ou alors d'attendre qu'on le cueille pour que tout cela se termine...

― Vous croyez vraiment à sa rédemption ?

― Je vois surtout que pendant deux années entières on n'a pas entendu parlé de lui...

― Moi, je ne suis pas de votre avis. Je pense que son imitateur l'arrangeait bien pour se faire oublier. Je suis sûr qu'il a caché d'autres cadavre quand on a arrêté de lui courir après.

― Il faudra donc le lui demander !

― Si toutefois, vous avez raison et surtout s'il nous dit la vérité... »

En sortant du bureau de la commissaire, Antoine envoya un texto à sa maîtresse pour l'alerter sur les découvertes des policières de Grenoble à son sujet.

&*&*&

Ce matin-là, le réveil n'eut pas le temps de sonner que Borly l'éteignit d'une main experte avant de se lever d'un bond. Laura avait déjà quitté leur grand lit et le détective s'apprêtait à prendre une douche brûlante avant de la rejoindre dans le réfectoire de l'hôtel.

Dans la salle de bains, le quarantenaire trouva une feuille pliée en deux, posée bien en évidence sur le lavabo.

Antoine n'avait pas envie de découvrir la mauvaise nouvelle qu'il avait inconsciemment compris et ce fut avec appréhension qu'il déplia la feuille pour lire les mots de la jeune policière.

 

Mon cher détective,

J'aimerais que tu me pardonnes de t'abandonner alors que tu es si près du but, mais je ne me sentais pas la force de supporter cet au revoir.

Certes, pour me dédouaner, je pourrais te raconter que William m'attend et que je dois le rejoindre, mais ce serait te mentir.

La raison de mon départ précipité est beaucoup plus pragmatique et sérieuse, mais elle ne va pas te plaire. C'est pour cette raison que je ne t'en ai pas parlé.

Comme tu me l'as dit par SMS, à présent, tout le monde connaît les liens qui m'unissent à John et, pour cela, je dois répondre de mes actes.

Tu le sais aussi bien que moi, en te suivant dans ta quête, j'ai porté préjudice à l'enquête de mes collègues qu'ils soient de Caen, Annecy ou Grenoble.

En tout cas, c'est ce que pensera le juge et ma hiérarchie.

De mon côté, je préfère les devancer et tout avouer avant que quiconque vienne te reprocher d'avoir omis une nouvelle aussi importante et cruciale pour leur affaire.

J'espère que tu pourras me pardonner.

Sache tout de même que je t'aime de tout mon cœur !

Laura

 

Borly rageait intérieurement et l'idée de tout casser lui effleura l'esprit.

Il était en colère contre sa maîtresse de ne pas lui avoir parlé avant de son projet, même s'il savait pertinemment qu'il n'aurait jamais pu l'en dissuader.

Il était en colère contre la commissaire de l'avoir démasqué et contre le juge pour ses menaces qu'il allait mettre à exécution. Enfin, le pensait-il.

Il était en colère contre lui d'avoir envoyé ce texto alarmiste, mais nécessaire pour protéger la femme qu'il aime le plus au monde. Surtout, il s'en voulait à mort de ne rien avoir vu venir et se surprit à imaginer le pire pour Laura.

Après s'être habillé en vitesse, il regarda l'heure et la panique l'envahit en constatant qu'il était sur le point d'être en retard. Il était habitué aux remontrances de ses collègues ou des juges pour son manque de ponctualité, mais ce jour-là, il ne pouvait pas se permettre d'avoir une minute de retard.

La commissaire lui avait envoyé un message la veille alors que le détective faisait, sans le savoir, l'amour pour la dernière fois avec la jeune policière normande. Norah Gruaux lui proposait de rejoindre officieusement l'intervention chez le suspect. Avec un temps de retard, il lui avait répondu un simple « J'y serais » qui ne montrait en rien l'euphorie du moment, donnant simplement une réponse à la proposition.

Malgré la lenteur des transports en commun, Antoine arriva par miracle à l'heure convenue au commissariat. Chacun était concentré sur ce qu'il avait à faire, ainsi personne ne parut l'avoir remarqué, sauf deux policières.

Alexandra et Emmanuelle lancèrent un regard plein de sous-entendus et de rancœur au détective qui prit sur lui pour ne pas exploser. Faisant mine de ne rien avoir remarqué, Antoine pivota et se retrouva nez-à-nez avec la commissaire.

« Je ne m'attendais plus à vous ! Râla la femme en lui tendant un gilet pare-balle.

― J'ai reçu une mauvaise nouvelle, s'excusa le détective.

― Le départ de votre protégée... Je sais !

― Comment ?

― Au fait, je vous rappelle que vous venez en tant qu'observateur, alors vous restez dans la voiture ! C'est clair ?

― Ouais... »

La commissaire fit un large sourire au détective avant de tourner les talons pour rappeler à son équipe la marche à suivre.

Borly n'écoutait pas tant il se sentait incrédule. Comment avait-elle pu savoir pour le départ de Laura ? Surtout, avait-elle été mise au courant avant lui ? Mais par qui ? Ces questions lui brouillaient l'esprit et Emmanuelle dut lui tapoter une épaule pour le ramener à la réalité.

Deux fourgons de CRS et une voiture banalisée de la police nationale se suivaient sur la route les menant jusqu'au domicile du suspect. À l'époque où il était encore fonctionnaire, Antoine aurait proposé d'envoyer une convocation avant de passer à l'interpellation. Il sourit en imaginant la scène où Papy lui hurlerait que ce choix n'était qu'une connerie et qu'il était plus judicieux d'aller directement le cueillir chez lui avant qu'il ne se fasse la malle.

Borly le savait, il aurait eu raison et, en soi, la commissaire avait fait le bon choix.

Les véhicules se garèrent sans bruit à quelques mètres de la maison ciblée. Une ribambelle d'hommes et de femmes en sortirent, sauf Antoine qui se sentait puni comme un enfant pas sage.

De la voiture, le détective vit la porte s'ouvrir, mais il ne put apercevoir aucune silhouette qui se retrouvait caché par l'attroupement aux couleurs sombres.

Soudain, une lumière attira l'œil aiguisé du détective. Celle-ci devait provenir de la chambre de l'enfant du suspect. Le bambin avait dû se réveiller à cause du bruit. Borly s'attendait à voir un enfant, la tête contre la vitre, curieux de voir ce qu'il se passait. Le rideau bougea, mais c'était un homme qui se montra avec un enfant dans ses bras. Grand et voûté, l'homme ne paraissait pas effrayé de voir une armée de CRS à sa porte comme s'il les avait attendu.

En une fraction de seconde, la lumière s'éteignit et le cœur de Borly se mit à battre la chamade. Il avait beau se convaincre que John avait décidé de se rendre, ce qui expliquait qu'il n'ait pas pris la fuite, le détective ne pouvait s'empêcher de redouter un drame.

L'attroupement au complet était entré dans la maison et, durant cette attente insoutenable, Antoine sentit la sueur couler le long de sa colonne vertébrale.

Un soupir de soulagement sortit de la bouche de Borly lorsqu'il aperçut une silhouette masculine, le dos voûté et les poignets entravés, se diriger vers lui, encerclé par des molosses.

 

14

 

Laura n'avait de cesse de se triturer l'oreille en entrant dans la salle d'interrogatoire. La commissaire avait insisté pour que la jeune femme porte une oreillette afin que ses collègues puissent la guider si besoin. Les tests effectués quelques minutes avant avaient quelque peu dérouté la policière qui commençait seulement à se faire à ce bourdonnement constant.

Assis sur une chaise, menottes aux poignets, John la fixait avait un petit sourire en coin. Laura évitait son regard de peur d'être intimidée et de perdre son sang froid.

« Tu ressembles à maman, souffla John. Tu veux que je te parle d'elle ?

― Non, merci ! Je n'ai jamais connu ma mère, donc pour moi, elle est morte depuis longtemps !

― J'aimerai bien savoir comment est mon père...

― Taré, comme toi, mais dans un genre différent !

― Ça veut dire quoi ?

― Qu'il était loin d'être un ange !

― Pourquoi « était » ?

― Parce qu'il est mort depuis quelques années ! Bon, on arrête de jouer maintenant ? s'énerva Laura.

― Je ne joue pas, je veux juste faire connaissance...

― Eh bien pas moi !

― Ok, j'ai juste une dernière question...

― Vas-y...

― Qu'est-ce qu'ils te disent à l'oreille ? demanda John avec un sourire jubilatoire.

― Quoi ?

― Ton oreillette...

― Comment ?...

― Tu n'arrêtes pas de te toucher l'oreille depuis que tu es là... j'en conclue qu'il y a quelque chose qui te gêne...

― Ok ! Lança Laura en retirant l'oreillette qui ne lui servait à rien. On passe aux choses sérieuses maintenant ?

― Si tu veux... pose tes questions ! »

Laura ouvrit un dossier contenant, entre autre, les clichés des nombreuses victimes de " l'Anti-blondes " et les disposa sur la table.

« Donne-moi le nom de tes victimes !

― Je n'ai pas la mémoire des noms, répondit Nowack en baissant les yeux sur les photos, mais je peux te dire quel parfum elles portaient, chacune d'entre elles...

― C'est glauque... murmura la policière. Où est ton album photo ? Ton trophée, si tu préfères ?

― Le premier, j'imagine ?

― Oui...

― Je l'ai brûlé quand j'ai rencontré ma femme ! Tu ne me croiras peut-être pas, mais j'ai réellement cru que j'étais guéri...

― Qu'est-ce qui t'as fait replonger, alors ?

― Toi !

― Comment ça ?

― Parce que je t'ai vu !

― Impossible...

― Avec William... »

Faisant mine de regarder son téléphone, Laura s'excusa et sortit de la pièce. La tête lui tournait et elle se réfugia dans celle où se trouvait le reste de l'équipe.

Les deux policières grenobloises et la commissaire se regardèrent médusées. Seul Borly ne semblait pas étonné de la réaction de sa protégée.

Face aux regards interrogateurs, Laura expliqua brièvement que son mari s'appelait William et qu'ils étaient venus en vacances sur Grenoble, un mois avant que “ l'Anti-Blondes ” ne sévisse dans la région.

Elle se souvenait avoir eu l'impression d'avoir aperçu son père ce jour-là, mais garda cette remarque pour elle.

Après avoir repris de l'assurance, la jeune femme reprit sa place devant l'accusé.

« William ?

― Oui, William Veyrand...

― Qui est-ce ?

― C'était mon psy. Je suis allé le voir quand maman est décédée, puis il a quitté la Normandie pour s'installer en Haute-Savoie. Ce n'est pas plus la distance que la peur de le mettre en danger qui m'a empêché de le voir. Par contre, on a gardé le contact, au moins téléphonique.

― Putain ! Jura Laura entre ses dents.

― Tu le connais ?

― Oui, je le connais !

― C'est aussi ton psy ?

― Ça l'a été, mais plus aujourd'hui...

― Ah, oui... Susurra John, un sourire malsain sur les lèvres. C'est ton mari, maintenant !

― Ok ! On va arrêter les devinettes ! s'écria Laura hors d'elle. Est-ce que tu as quelque chose qui m'intéresse ? Sinon, tu me fais perdre mon temps !

― J'ai un journal intime qui est enterré dans mon jardin...

― Rien que ça ! Pouffa la jeune femme. J'imagine qu'on pourra lire en détail ta manière de tuer ces femmes ! Qu'on pourra voir toute ta folie !

― Ouais ! j'ai inscrit noir sur blanc, en détail les étapes clés de mes chefs-d'œuvres...

― Des chefs-d'œuvres ? Releva Laura écœurée par cette expression.

― Outre le fait qu'il n'y ait plus de vie, tu ne les as pas trouvé belles ces femmes avec leur robes rouges, leur vernis et leur collier ?

― Pourquoi cette mise en scène, d'ailleurs ?

― Si tu veux tout savoir, quand maman est décédée, j'étais dévasté. Dans la chambre funéraire, allongée dans son cercueil, elle portait sa robe rouge préférée et son collier de nacres, expliqua l'accusé avec les larmes aux yeux. Il manquait quand même quelque chose pour qu'elle soit encore plus belle, donc je lui ai vernis les ongles et je l'ai entouré de sept fleurs de lys, ses préférées...

― Tu ne vas pas me dire que c'est à cause du décès de ta mère que tu t'amuses à tuer des femmes sans raison ? S'indigna Laura.

― Si... Enfin, je ne l'explique pas autrement ! Elle me manque tellement que, depuis qu'elle n'est plus là, toutes les femmes blondes qui ont la trentaine lui ressemble pour moi...

― Pourquoi les mois de mars, juin et septembre ? Demanda la policière en écrasant une larme de rage.

― Ce sont des anniversaires... Les seuls mois, où je n'arrivais pas à me contrôler ! Maman est née en mars, je suis du mois de juin et elle est morte en septembre...

― Pourquoi tu as tué des femmes en Savoie et en Isère ? Le Calvados, ce n'était pas assez pour ton ego ?

― Quand maman est morte, mon oncle a accepté de me garder chez lui jusqu'à ce que je trouve du travail. Après mon BAC, j'ai fais des études en informatique. La seule école de prépa qui m'intéressait, pour le boulot que je voulais faire, se trouvait à Annecy. Ensuite, pour mon alternance, j'ai trouvé une seule boîte qui voulait bien d'un étudiant et elle se trouvait à Albertville, en Savoie. C'est là-bas que j'ai rencontré ma femme et, pour fonder une famille et changer de vie, je devais changer de département... Je ne voulais pas quitter les montagnes que j'adore et j'ai trouvé le Nord-Isère !

― J'ai une dernière question...

― Vas-y, je n'ai plus rien à perdre !

― Pourquoi tu ne t'es pas enfuis quand tu as su qu'on enquêtait sur ta dernière victime ?

― Tu es sérieuse, là ?

― Oui...

― J'ai tué cette fille dans la maison de famille de ma femme... Si ce n'est pas pour que les flics me trouvent, c'est une drôle de coïncidence !

― Ok, c'est bon ! Je te laisse ! 

― J'aimerais que tu prennes soin de ma femme Sarah et de mon fils Jordan ! cria John alors que Laura refermait la porte derrière elle. »

La jeune policière était dévastée et ne se sentait pas de rentrer à Annecy sur-le-champ. Elle se laissa la journée pour se reposer à l'hôtel avant de prendre le train.

Antoine l'avait rassuré en affirmant que vues les déclarations de John, son mari ne s'en sortirait pas à si bon compte. Laura était beaucoup moins optimiste que lui.

Avant de la laisser se reposer à l'hôtel, la commissaire tenait à parler avec la jeune femme. Elle la remercia et lui assura qu'elle allait envoyer au plus vite les aveux récoltés au commissariat de Saint-Julien-en-Genevois pour que les collègues de la jeune femme puissent convoquer William au plus vite.

 

15

 

Derrière son volant, la route passait sans que Laura ne s'en rende compte, trop absorbée par ses pensées. Elle appréhendait de retrouver ou non William chez elle. Il n'y avait que deux possibilités. Soit son mari était absent, ce qui voudrait dire que ses collègues l'auraient inculpé pour un motif quelconque. Cette première option paraissait à la jeune femme être la plus logique, puisqu'elle restait persuadée que William connaissait l'identité de “ l'Anti-Blondes ” et ce depuis longtemps. Pour autant, la jeune policière ne pouvait négliger la seconde option. Si son mari l'attendait dans leur appartement, cela voudrait dire que la police l'avait relâché faute de preuves. Cette option lui glaça le sang. À cette idée, Laura vint à douter de l'honnêteté de William et à se demander s'il s'était réellement rendu au commissariat pour leur faire part de la lettre qu'il avait reçu.

Même cette option ne la rassurait pas. La jeune femme en venait à se dire que si William était allé voir ses collègues avec le pli, il ne se serait sûrement pas gêné pour leur raconter des choses sur elle.

Arrivée dans sa commune, la jeune femme fit un détour par la boulangerie du centre-ville, tant elle était affamée.

L'idée même de retrouver la solitude, ou pire, son mari, l'incitait à ne pas se précipiter, surtout que son ventre lui rappelait que l'heure du repas de midi avait sonné.

La jeune femme prit le temps de se délecter d'un sandwich sur le pouce avant de reprendre le volant pour se garer quelques minutes plus tard sur le parking de son immeuble.

Son cœur se mit à battre vite, trop vite, si bien qu'elle eut peur de s'évanouir sans avoir le temps d'ouvrir la lourde porte du bâtiment. Une feuille était scotchée sur les portes de l'ascenseur annonçant qu'il était hors-service. L'idée de monter les quatre étages par les escaliers, sa valise à la main, la déprimait déjà. Le seul bénéfice qu'elle trouva à ce sport obligatoire fut de ne pas penser à ses craintes durant quelques minutes.

Sur le pallier, Laura reprit son souffle en cherchant les clefs dans son sac à main.

Ce moment de répit venait de s'achever et la jeune policière redoutait de plus en plus de passer la porte. Elle inséra sa clef dans la serrure, mais celle-ci refusa de tourner, ce qui prouvait que la porte n'était pas fermée à clef. L'espace d'un instant, Laura eu l'idée de faire demi-tour, mais elle ne se sentait pas la force de redescendre les escaliers, sa valise à la main. Sans oublier que sa tentative de déverrouiller la porte avait sûrement dû alerter William de son retour.

Laura n'eut pas le temps de réfléchir plus, que la porte s'ouvrit sur l'homme qu'elle avait jadis aimé.

« Je ne m'attendais pas à te voir si tôt !

― Je ne m'attendais pas à te voir, tout court ! Répliqua froidement Laura.

― Pourquoi dis-tu ça ?

― Je t'avais dit d'aller au commissariat avec la lettre... commença-t-elle sur un ton de reproche.

― C'est ce que j'ai fait !

― Et j'imagine que tu as volontairement omis de leur dire que tu connais l'émetteur de ce courrier !

― Si tu m'avais laissé parler avant de partir à Grenoble, tu saurais que je n'ai pas la moindre idée de l'identité de celui qui m'a envoyé cette lettre ! Râla William.

― Pourtant, il a signé : « Ton patient et ami, John » !

― Sais-tu seulement combien de patients passent la porte de mon cabinet en une journée ?

― Aucune idée !

― Une dizaine... Donc fais le calcul sur une semaine, puis sur un mois... Et parmi mes patients, un bon quart s'appelle Johnny, Jonas ou Jonathan ! S'énerva l'homme.

― Ok, admettons ! Sinon, j'imagine que tu vas me jurer que mes collègues ne t'ont posé aucune question !

― Si, ils m'ont demandé si je savais qui m'a envoyé cette lettre et je leur ai donné la même réponse que ce que je n'arrête pas de te dire... Je n'en sais rien !

― Tu ne leur as rien dit d'autre ? S'alarma la jeune femme.

― Si, je leur ai dit ce que je pensais de tes voyages professionnels... susurra William, mais bizarrement, il semblerait qu'ils n'aient pas compris de quoi je leur parlais ! Je leur ai aussi dit que tu étais sur les traces de “ l'Anti-Blondes ”...

― Espèce d'enfoiré ! S'écria Laura.

― Bien quoi ? Je pensais qu'ils étaient au courant et qu'ils approuvaient ton sens de l'initiative...

― Tu...

― Je crois qu'on s'en fout, finalement, de savoir si je connais l'auteur de cette lettre... Tu n'es pas d'accord ?

― Va te faire foutre ! Murmura la jeune policière.

― Tu as raison, on en a rien à foutre de ce que je sais ou pas puisque tu vas avoir d'autres chats à fouetter... »

Laura lâcha sa valise à ses pieds et tourna les talons. Alors que les larmes coulaient contre sa volonté sur ses joues, la jeune femme se rua dans les escaliers, avide de prendre un bon bol d'air frais, destiné à lui rafraîchir les idées.

Une pluie battante s'abattit sur elle alors qu'elle posait un pied sur le trottoir.

Laura en était venue à détester le seul homme qui l'ait réellement aidée, mais ce jour-là, il venait de lui planter un couteau dans le dos.

Sa tristesse était due, en grande partie, par cette trahison qu'elle ne pourrait pas oublier et difficilement pardonner.

&*&*&

Mouillée jusqu'à l'os, Laura tremblait de tout son long en passant les portes du commissariat. Ce n'était pas tant le froid et ses vêtements trempés qui forçaient les secousses de son corps, mais bien la peur de ce qui allait advenir de sa carrière.

Les regards désolés de ses collègues la gênaient, mais la jeune femme fit un effort pour y faire abstraction en attendant dans le hall. Elle connaissait par cœur l'emploi du temps du commissaire et, de ce fait, savait pertinemment qu'à cette heure-ci elle pourrait la trouver à la machine à café. Lorsque leurs regards se croisèrent, la jeune policière comprit qu'elle n'aurait pas l'opportunité de s'expliquer. Laura eut moins de dix minutes, le temps que la commissaire termine son café, pour imaginer les questions qu'elle pourrait lui poser et les réponses qu'elle allait lui donner.

Malgré sa bonne foi, la jeune femme était consciente d'avoir commis une faute professionnelle en omettant une certaine partie de sa vie et en enquêtant en parallèle d'une affaire en cours. Ces actes lui seraient reprochés et, sans aucun doute, deviendrait-elle l'exemple à ne surtout pas suivre.

La commissaire lui fit signe de la suivre, ce que fit Laura avec une boule au ventre. Elle entra en premier dans une pièce qui ressemblait plus à une salle de réunion qu'à un bureau personnel et lui demanda de fermer la porte avant de lui montrer un siège sur lequel la jeune femme prit place. Sa supérieure, qui avait passé la cinquantaine, la dévisagea avant d'entamer la discussion.

« Mademoiselle Veyrand...

― Madame !

― Madame Veyrand, reprit la commissaire. J'aimerais revenir sur votre parcours !

― Bien sûr.

― Tout d'abord rappelez-moi votre date et lieu de naissance.

― Le dix septembre 1990, à Caen.

― Vous avez donc vingt-six ans. J'imagine que vous avez eu votre baccalauréat à dix-huit ans...

― C'est exact, en 2008.

― Ensuite, vous avez passé un concours pour entrer dans la police...

― Effectivement, j'ai passé le concours de gardien de la paix à Annecy, l'année suivante.

― Très bien ! Si je ne me trompe pas, par la suite, vous êtes entré dans notre commissariat en tant qu'officier judiciaire.

― Je suis restée six mois sur Annecy durant lesquels j'ai passé le concours d'officier, puis j'ai été mutée ici.

― Je vais être indiscrète, mais j'aimerais savoir pourquoi vous ne donnez jamais votre nom de jeune fille ?

― C'est ce que fait toute femme mariée qui se respecte, non ?

― Oui... Et puis-je savoir comment s'appelle votre mari ?

― Il s'agit du Docteur Veyrand, psychiatre et psychanalyste de renom.

― Rappelez-moi depuis combien de temps vous êtes chez nous...

― Depuis la fin de l'année 2012.

― Si je calcule bien, vous aviez donc vingt-deux ans en arrivant chez nous en tant que bleue...

― C'est exact.

― Je vais vous avouer quelque chose, j'ai du mal à vous cerner, mademoiselle.

― Que voulez-vous dire ?

― Tout simplement qu'on ne vous a pas beaucoup vu en quatre ans de service entre les congés que vous avez posé et vos absences justifiées ou non...

― Si vous avez un doute concernant mes arrêts, parlez-en directement à l'assurance maladie qui fera une enquête...

― Ne vous foutez pas de ma gueule, Mademoiselle Nowack ! s'écria la commissaire hors d'elle.

― Vous vous trompez, moi c'est Veyrand ! Rectifia Laura en tentant de garder son calme.

― C'est votre nom d'épouse... mais votre nom de jeune fille, c'est bien Nowack ?

― Effectivement... mais ce nom de famille est très répandu en France ! Lança la jeune policière.

― Mais des Nowack, nés à Caen et qui ont une mère qui s'appelle Carole Duprés, il n'y en a que deux !

― Comment vous le savez ?

― Et vous ? depuis quand savez-vous que Jonathan Nowack est votre frère ? Demanda Carmen qui devenait rouge.

― Mon père...

― D'ailleurs, quand comptiez-vous me raconter ce qui est arrivé à votre père ?

― De quoi parlez-vous ?

― Je parle d'un coup de poêle sur la tempe, ce qui lui a été fatal !

― L'enflure, il a mis ses menaces à exécution !

― Bon, maintenant, j'aimerais savoir quand et comment vous avez rencontré Borly !

― Un jour, j'ai surpris une conversation entre Christian et Ludwig qui concernait un certain John Nowack... je savais de qui il s'agissait ou en tout cas, j'en avais l'intime conviction donc j'ai cherché à en savoir plus sur leur affaire. Par la suite, Antoine... enfin, le détective privé est venue me voir pour me demander de l'aider.

― J'imagine que vous n'aviez pas réellement le choix...

― Il ne m'a pas mis de couteau sous la gorge !

― Je le connais assez... »

La sonnerie du téléphone coupa la parole de la commissaire qui s'excusa auprès de son officier avant de répondre. Quelqu'un cherchait à la joindre et Carmen accepta de lui parler. La personne au bout du fil fit un transfert d'appel et la femme prit le portable pour s'éclipser à l'extérieur du bureau.

― Bonjour Commissaire...

― Borly ? Si c'est pour implorer ma clémence concernant l'avenir de votre petite protégée c'est trop tard... Elle est déjà dans mon bureau.

― Je voulais juste vous rappeler que grâce à cette jeune policière haute-savoyarde, nous avons pu coincer notre tueur en série...

― Promis, je vais voir ce que je peux faire... Mais je ne garantis rien.

La commissaire raccrocha et rejoignit Laura avec un sourire aux lèvres.

― La déontologie voudrait que je vous mette à pied...

― Je m'y attendais... Je n'aurais jamais dû tenter de faire vengeance moi-même...

― J'ai dit que je devrais, non pas que je compte le faire...

― Comment ?...

― Certes, vous nous avez caché beaucoup de choses concernant votre passé et même sur vos fréquentations. Il n'empêche que si vous m'aviez mise au courant, j'aurais été forcée de vous licencier pour faute grave et vous n'auriez pas pu aider Borly...

― Mais, c'est une faute grave que j'ai commise, doublé d'un assassinat concernant mon père...

― Vous avez un casier ?

― Non...

― Donc, ce n'est pas vous qui avez assassiné Dimitri Nowack... D'après la police de Caen, le tueur est toujours en cavale. Pour ce qui est de l'enquête, c'est moi qui décide si votre contribution peut être vue comme une faute...

― Ne faites pas durer le suspens, je vous en prie.

― Je ne vous licencierais pas, au contraire, j'aimerais que vous passiez le concours de brigadier...

&*&*&

Laura avait sauté dans sa voiture sans prendre le temps de récupérer sa valise chez elle. Elle arriva en fin d'après-midi devant l'hôtel où logeait le détective. Borly avait reçu un SMS de la jeune femme lorsqu'elle fut sortie du commissariat. Lorsqu'elle se gara, le détective faisait les cents pas au pied de l'hôtel.

« Merci d'être venue aussi vite, lui dit-il en l'embrassant fougueusement.

― Ce n'est pas comme si j'avais eus le choix, râla la jeune femme.

― Dis tout de suite que tu ne comptais pas me revoir...

― Ce n'est pas ce que j'ai dit. S'excusa-t-elle. C'est juste que la commissaire ne m'a pas expliqué pourquoi je devais venir aussi vite.

― On va en parler, mais d'abord, dis-moi si ton mari leur a donné la lettre.

― Ouais, mais il a affirmé qu'il ne sait pas de qui elle provient, alors que je suis sûre du contraire.

― Je te rassure, je ne le crois pas non plus. Donc, si tu es là, c'est pour parler avec John...

― Non !

― Quoi ?

― Je ne veux pas avoir à faire à ce type !

― Mais c'est ton frère...

― C'est lui qui te l'a demandé ?

― Oui et...

― Et quoi ?

― En fait, je n'ai pas été franc avec Norah...

― Norah ? se moqua-t-elle.

― Je veux dire la commissaire Gruaux... Je lui ai juré que “ l'Anti-Blondes ” n'a rien voulu dire avant de te parler...

― Mais ?...

― En fait, il a déjà avoué pour les meurtres qu'il a commis en Isère...

― Donc tu lui as menti pour me forcer à venir ? S'énerva Laura.

― En quelque sorte... Avoua le détective.

― Ne me dis pas que tu as aussi inventé la soi-disant demande de John !

― Non, ça c'est vrai ! Il veut bien avouer les autres meurtres, mais il veut te parler avant !

― En même temps avec l'ADN et ses empreintes que les experts ont trouvés, il ne pouvait pas nier. J'en conclue donc que tu n'as pas besoin de moi.

― Justement, si ! Le labo est surchargé de demandes et nous aurons les résultats dans une semaine, si ce n'est pas plus ! Expliqua Borly. Pour ce qui est de la perquisition au domicile de John, les experts ont également trouvé un album photo et un journal intime qui était enterré au fond du jardin !

― Des photos de ses crimes ? Et des aveux écrits ?

― Le journal, je ne l'ai pas lu encore. Mais j'ai vu son trophée et il manque beaucoup de photos.

― Comment ça ?

― En fait, je peur rappeler les aveux du tueur et sa demande qui allait être exhaussée.

Un petit quart d'heure était passé lorsque la réunion se termina et que sa petite salle se vidnse qu'il avait un premier album qu'il a dû jeter quand il a décidé d'arrêter ses crimes. Il a dû en recommencer un lorsqu'il a replongé...

― Pourquoi tu veux que je lui parle, si tu as déjà assez pour l'inculper ?

― Il nous faudrait des aveux écrit si on ne veut pas attendre plus de deux semaines que les résultats arrivent...

― Ok...

― Par contre, évite de lui parler du journal intime...

― Pourquoi ?

― S'il en parle de lui-même, ce serait le début d'un aveu ! »

Les deux amants s'enlacèrent un moment, puis leur regard convergea vers le petit réveil qui indiquait huit heures du matin. Ils se levèrent d'un bond. Laura passa vite sous la douche tandis que le détective se rhabillait.

Une heure plus tard, l'équipe de policières grenobloises, la commissaire Gruaux, Borly et Laura étaient en plein débriefing. Cette fois-ci, il n'y eut que la commissaire qui prit la parole poa.

Norah Gruaux demanda à la jeune policière extérieure de rester. Après avoir pris brièvement de ses nouvelles, la commissaire donna ses instructions et recommandations pour que l'interrogatoire se passe au mieux.

 

 L'Anti-blonde  sous les barreaux !

Déclaré fou !

 

L'assassin qui a tué de sang-froid près de 12 femmes du Calvados, en passant par les deux Savoie et l'Isère entre 2011 et 2016, a enfin été jugé pour ses crimes.

Diagnostiqué comme atteint de névrose obsessionnelle envahissante, le tueur en série échappe à la prison pour rejoindre l'Établissement public de Santé mentale de Caen.

Le Dr François Burdet psychanalyste et criminologue du tribunal de Grenoble nous explique : « Durant nos entretiens, l'accusé a, lui-même, expliqué que le décès avancé de sa mère l'a beaucoup affecté et que depuis son enterrement, il n'a cessé de repenser à elle [...] D'après ses dires, toute jeune femme blonde de trente ans, pour lui, ressemble à sa mère. »

Nous avons également rencontré la commissaire Norah Gruaux qui a réussi à confondre l'assassin. « Lorsque j'arrête un malfaiteur, qu'il s'agisse d'un délinquant, d'un escroc ou d'un dealer, ce n'est pas forcément pour le voir aller en prison [...] Pour ce qui est d'un tueur en série tel que celui qu'on appelle aujourd'hui " l'Anti-blonde ", je garde l'espoir de ne jamais plus le retrouver dans les rues de ma ville. »

Enfin, nous avons pu demander au juge Augusto Bellini, qui était en charge de cette enquête, de nous dire quelles sont les personnes à féliciter pour avoir mis sous les verrous un tel danger pour notre société. « En tout premier, nous pouvons remercier les enquêteurs des commissariats de Caen, Annecy, Saint-Julien-en-Genveois, Chambéry et Grenoble qui se sont beaucoup impliqués sur cette enquête [...] mais, c'est surtout Antoine Borly, l'ancien commissaire de Caen, devenu détective privé, à qui l'on doit l'exploit d'avoir arrêté cet homme. »

 

Julien Perron

Le dauphiné38

Édition de février 2017

 

Épilogue

 

La cérémonie venait de s'achever et le cortège de voitures défila dans la ville, faisant plusieurs détours pour alerter, de leurs klaxons, les habitants de l'heureux événement de ce jour.

À sa tête, la Clio grise du détective était décorée de nœuds de toutes les couleurs.

La voiture se gara sur le parking de la salle des fêtes. Antoine en sortit et contourna le véhicule pour ouvrir la portière du côté passager. Élégamment habillé avec son costume trois pièces, il vit sa femme sortir avec difficultés de la voiture, sous les regards attendris des convives.

Vêtue d'une longue robe de mariée blanche, qui dévoilait son ventre rond, Laura resplendissait de bonheur. Les jeunes mariés entrèrent dans la salle sous les applaudissements et les confettis.

À la table principale, Antoine attendit que tout le monde fut servi en Champagne avant de demander le silence. Le détective se leva et scruta tous les visages présents. Une vingtaine de personnes étaient pendues à ses lèvres, flûtes en main, prêtes à porter le toast tant attendu. Après avoir chaleureusement remercié amis et famille d'être présents, il leva son verre, imité par ses invités et tous burent une gorgée.

Alors que le marié venait de s'asseoir, quelqu'un fit tinter son verre pour demander le silence une fois encore. Tous les regards se tournèrent vers la femme brune aux yeux verts qui se tenait debout à sa table. Sarah Noiret était vêtue d'une simple tunique beige aux multiples motifs floraux. Elle toussota avant de prendre la parole.

« J'aimerais remercier le couple du jour, Antoine et Laura, de m'avoir invitée à leur mariage... Notre rencontre s'est faite sur de mauvaises bases et, je ne vous cache pas que je vous en ai voulu à mort durant quelques mois. Jamais je n'aurais pensé pouvoir vous considérer comme mes amis... Mais aujourd'hui vous êtes beaucoup plus que ça, vous êtes ma famille ! Tout ça pour vous dire que je vous aime et que je vous souhaite tout le bonheur du monde ! »

L'aveu de la jeune femme émut l'assemblée jusqu'aux larmes. Sarah écrasa, elle aussi, une traînée d'eau salée qui coulait sur sa joue. Sa voisine se leva. Elle avait les larmes aux yeux et sa voix en était chevrotante. En voyant sa petite sœur prête à lui dire ce qu'elle avait sur le cœur, Antoine sentit l'émotion l'envahir.

« Je suis désolée, c'est l'émotion, expliqua la jeune femme en pleur sous les regards attendris des convives. C'est l'émotion de voir mon frère se marier ! C'est l'émotion de me dire qu'on n'a pas arrêté de se disputer pour des conneries, mais que je lui dois tout de même d'avoir coincé l'assassin de ma femme, qu'il ne pouvait pas supporter... Mais en fait je suis triste, Toinou ! Parce qu'en t'installant à Voiron, tu mets huit-cent bornes entre nous ! Et pourtant... »

Lisa fit durer le suspense pendant que le reste des invités semblaient partager sa tristesse.

« Pourtant, je suis super heureuse... Parce que j'ai trouvé du travail sur Grenoble ! »

Tous se mirent à rire tandis qu'Antoine se levait pour étreindre sa petite sœur.

Laura regarda la scène d'un air touché par l'amour d'un frère pour sa sœur.

D'un côté, elle regrettait de ne jamais avoir connu son frère, mais les souvenirs de leur enquête lui rappelèrent rapidement que ce n'étais pas une personne fréquentable.

L'ancienne équipe de Borly, ainsi que les nouveaux arrivés au commissariat de Caen firent la surprise à la jeune mariée de la retrouver à sa table en lui tendant un paquet cadeau.

« Félicitation, Laura ! Lança Gérard Gros.

― Papy, je te rappelle que dans pareille circonstance, on dit « félicitation à vous deux » ! S'écria Borly derrière son dos.

― Tu as raison ! Félicitation à vous deux... Et à nous tous, pour avoir coincé cette enflure !

― C'est clair ! Par contre, excuse-moi, mais je trouve que tu es devenu vieux jeu depuis que tu as le grade de commissaire... lança Sandra Tucker avec un large sourire.

― Comment ça ? demanda Gérard qui fit semblant d'être outré.

― Tu peux la tutoyer ! Assura Antoine.

― Je pourrais être son père... Et, je ne vous connais pas encore assez, mademoiselle, s'excusa Gérard auprès de la mariée.

― Ça ne te dérange pas qu'Antoine et ton équipe te tutoie, pourtant... souligna Mattéo.

― C'est différent, lança Papy avec une grimace moqueuse.

― Là aussi, c'est différent ! Ajouta Sandra. Laura fait maintenant partie de notre famille... Car le commissariat de Caen est une très grande famille, tout le monde le sait !

― Tuc, tu recommences à dire des conneries, là ! râla Antoine.

― Au fait, Laura, tu étais au courant que Veyrand est sorti de taule ? demanda Mattéo.

― Matt ! On s'en fout ! Railla Sandra. Aujourd'hui c'est jour de fête et de picole !

― Ça tombe bien vos verres sont vides, il faut les remplir... Surenchérit Antoine en embrassant fougueusement sa femme avant de récupérer les verres.

Borly fut suivi par le commissaire Gros et Mattéo alors que Laura les attendait à sa table. Le marié et ses amis réapparurent quelques minutes plus tard, des verres remplis à la main. Tous avaient demandé du vin rouge, sauf Laura qui préférait boire un jus de raisin.

― Tu aurais pu nous suivre ! Râla Mattéo.

― Je te rappelle que dans trois mois, une petite puce va sortir de mon ventre, susurra Laura en caressant doucement son ventre bombé.

― Et vous allez l'appeler comment ? demanda Sandra.

― Gertrude... C'est sympa ! se moqua Antoine.

― Non ! Sérieusement ?

― On hésite encore...

― Moi j'aime bien Lisa ! S'écria Mattéo.

― Comme ma sœur ? Mais bien sûr !

― J'aimerais bien l'appeler Alice, mais Antoine n'a pas l'air très chaud... »

Borly n'eut pas le temps de répondre et la mariée n'eut pas le temps de comprendre, lorsque qu'un petit garçon de trois ans, aux cheveux blonds et aux yeux verts, courut vers Laura, renversant au passage le verre qu'elle avait en main sur sa belle robe.

« Jordan ! tu as vu ce que tu as fait ? S'écria Sarah.

― Ce n'est rien ! Assura Laura en câlinant son neveu. Il était trop content de voir sa « Tata » !

― Moi, personnellement, je te remercie bonhomme ! Sourit Antoine en tapant dans la main du petit.

― D'avoir bousillé une si belle robe ? Demanda la belle-sœur étonnée de cette réaction nonchalante.

― Non, de me donner une bonne raison pour m'éclipser avec ma femme ! »

Les amis rirent de bon cœur, tandis que les mariés s'enfuirent de la salle.

 

Fin

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