Anne-Lise est morte

pierreantoine

Fort belle, blonde,la peau très blanche, d'une blancheur presque lunaire, Anne-Lise Séguéla, l'égérie des enseignants de la région toulousaine, est morte d'une mort volontaire, loin de chez elle, dans le nord, près de Lille.


Elle possédait appétit sans borne pour la société de consommation, consacrait volontiers des jours entiers à faire du shopping.
Vue de près, elle semblait un dictionnaire de la mode, une véritable encyclopédie chinoise...


J'avais repris contact avec elle à l'occasion de la formation du second Gouvernement Jean-Marc Ayrault. François Hollande avait souhaité qu'on lui confiât le Secrétariat d'Etat à la Culture; je devais jouer les entremetteurs.


Pisanello est un artiste Italien du Quattrocento justement célèbre pour ses médailles, la plupart de ses toiles ayant été perdues. Ayant consacré une Thèse très pointue à ce génie de la Renaissance, Anne-Lise en était devenue, en France tout au moins, la spécialiste la plus crédible

Le doux voisinage de sa conversation continue de me hanter, comme l'ombre rôdante et caressante du plaisir bourgeois.

Quand elle avait un peu de temps, souvent le soir, elle s'amusait à faire des châteaux de cartes. Elle seule savait les faire, plus solides que les masures des pauvres.
Les enfants des pauvres sont sages et ridicules.Il n'en sortira jamais rien,ils sont trop sales, disait-elle. 
Elle tenait fermement aux deux enfances:les enfances à la poisse et les enfances aux cerises...et s'il suffisait de tuer les pauvres pour supprimer la pauvreté? 
Les mères des pauvres sont laborieuses, elles font des parents d'élèves particulièrement pesantes.

Anne-Lise ne se cachait pas d'aimer son métier, d'aimer l'enseignement secondaire, le milieu des Professeurs de Lycée.


Chez elle à présent.

Il y a un bocal d'olives sur la petite table de la cuisine.Des bouteilles de savon attendent patiemment depuis deux siècles dans un recoin du grand salon.
Une chocolatière en porcelaine de Saxe frappe l'attention des visiteurs. Un beau meuble de chêne verni, des salières rares,des écumoires d'un autre temps...Le panier de raisins, les gobelets d'argent assiettes en bleu de Chine, jarres pour conserver les aliments, urnes funéraires, boîtes à cigarettes, boîtes à noix de bétel en cuivre, et puis une collectionneur de curiosités,de porcelaines très pures, tout cela très remarquable naturellement, avec du goût.


La pitié fut absente presque toujours de son univers mental.

Une cervelle froide, tête de glaces et de brumes, semblable au climat du nord, avec des rappels, des échos continus de pure violence, de vrais chouers célestes et tragiques, que l'on entend au loin.

L'harmonie des cruautés se lève dans le lointain...

Anne-Lise est morte sans un bruit, comme un flocon de neige.

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