Après-coup

caiheme

Pendant l'endormissement, après la conscience, entre le sommeil.

Du noir profond émerge une répétition sonore. Le tapotement du coeur frappe la tempe.

Tap tap,
tap tap,
tap tap.

Le tam-tam s'étire dans le crâne.

S'ajoute la respiration. Un appel d'air entre les oreilles. Face posée. La joue de chair sur le tissu sec de l'oreiller et la peau s'écrase sur le matelas rapiécé. La température corporelle forme une bulle de chaleur au milieu des végétaux cousus. 

Le voile sur la tête accentue l'obscurité du regard, renforce le toucher. Le sommeil se cherche; où est il tapi ? Tapi dans un coin sombre de la chambre calcinée. Charbon mural et désastre non-chaland.
La colonne vertébrale pointe vers le ciel, les côtes percent dans le sol. Le propre poids du dormeur en attente pèse sur lui-même. La gravité écrase les ailes de sa respiration.

Sa main glisse sous l'oreiller. Dans le sac s'entremêle des déchirures et des fils solitaires. Boule informe de tissus déstructurés sur laquelle la chair sommeille.

La tête sur la besace des enroulés. Le corps enfermé dans les draps, la chaleur est là. Le momifié a chaud. Les bandelettes de tissus l'entourent. La chaleur l'encercle.

Peu à peu, des pointes naissent dans les bras et les jambes. Des extrémités d'aiguilles émergent de la peau. Elles prennent la forme de mandibules. Se ressentent des piqûres. Ce sont les fourmis cul-de-jatte des cauchemars étirés. 

Les fourmis parcourent l'immense territoire de leur naissance. Elles se déplacent sur la chair fatiguée au rythme du coeur-tambour. Une armée d'infirmes sur les plaines de l'épiderme. Le coeur est dans l'oreille.

Tata,
tata,
tata.


L'armée descend les sentiers ridées, elle trace une ligne frémissante autour des bras désarticulés du dormeur en attente. Le trait s'épaissit. Crash anémique. Violence surprise d'une sortie d'autoroute. Le trait longe le corps. Contour aplati du chuteur décidé. 

Les fourmis poursuivent leur avancée. Elles sont désormais des milliers à tourner autour du dormeur. D'autres insectes sortent des trous poreux. Ils envahissent le corps. La seconde peau fourmille sur celui qui attend. La vague des têtes d'épingles glisse sur ses épaules, ses avants-bras, ses mains, ses doigts. Lime les ongles en dents de scie, les petites canines s'enfoncent et rentrent dans les cercles digitalisés.

Pointes de sensation. De légères brûlures éclosent puis se referment. Un aller-retour de fulgurances sensitives. Les fourmis gagnent le cou du voyeur de l'opaque, le corps s'alourdit. Les éclairs corrosifs des journées terribles se mettent à clignoter.

La bouche posée contre le tissu, le souffle respiratoire imprègne l'oreiller. Un sentier gluant glisse  le long de la commissure. Le coeur pompe et recrache. Envoie le sang dans les milliers de tuyaux internes. Le liquide se déplace à l'intérieur de la carcasse. Le coeur toujours tapote tandis que les mandibules mordent les nerfs. Le poison acerbe des insectes cul-de-jatte. Les miniatures envoient un courant électrique dans les jambes du dormeur. Les spasmes agitent le corps en sur-veille. Les convulsions du départ brisent les derniers fils de tension. Bientôt la conscience s'évanouira.

Le coeur tapote, trop, le bruit dérange, empêche le repos. Retournement. Passage sur le dos. Les insectes fuient. La colonie se déstructure, s'éparpille. Le corps des insectes se fragmente et dormeur bascule.

Ses yeux ronds et noirs s'ouvrent et se referment. Ils respirent. Halètements mécaniques. Le froid est dur. Partout. Le dormeur avance dans la glace. L'air est terrible. L'air est matière. Une matière gelée dans laquelle il respire. Les cris joueurs des orphelins castrés. Sonorités stériles. Un être rachitique convulse aux côtés du dormeur. Il ne fait pas peur, c'est une présence.
Une présence blême à la peau pendante comme une couverture mouillée. Une transpiration de cauchemar. La chair est flasque. Drap de peau ridée tremblotant. La couverture pâle remue par saccade. Une saccade stressante de rythme d'usine. 

Le malingre cocaïné est nu. Sa tête chauve et sa bouche trouée. L'orifice est remplie de petites dents de lait pointues. Aiguisées. Sa langue est un rasoir. Faite pour trancher. La mâchoire s'ouvre. 

Craquements internes.

Le sourire devient terreur. Râle maladif. Le cou s'étire. Les dents claquent sèchement, elles mordent la peau qui pend. La sueur glisse sur le sol. L'homme marche dans le noir. L'amaigri l'accompagne, ses spasmes le déplacent. 

L'homme avance dans sa nuit. Un cercle jaunâtre apparait sur le sol. Disque de spectacle. Le projecteur est invisible. Un squelette métallique de lit de prison en son centre. L'homme dévisse l'un des pieds. Il est froid et lourd. L'homme doit creuser. Il frappe le sol.

Détonation d'arme à feu.

BAM !

Il faut qu'il creuse.

BA BAM,
BA BAM,
BA BAM!

Le manche du sommeil cogne, cogne contre la matière. 

Mais les bras sont faibles. La force s'est échappé des pores qui jonchent ses veines. Il martelle. Le sol tremble.

Toujours les coups de feu.

BAM!
BAM! 

La surface éclate, la première couche se brise. Ses poumons chauffent. Trop de cendres. Ça tabasse dans sa poitrine. 

Tata, tata, tata.

La tempe bastonne contre sa tête. À deux mains l'homme empoigne la tige de fer. Frappe la matière. Les éclats de pierre étincellent. Poussières et gravats. Le trou est fait. À l'intérieur, un vieux court en rond. La barbe grisée par la solitude. Ses cheveux barbelés grincent. Il n'y a plus rien dans ce vieillard. L'homme le regarde. Le vieux saute et s'agrippe à l'homme pour le faire basculer. Ils chutent sur un trottoir. Le vieux est sur le ventre de l'homme. L'agresseur attend la peur. Elle ne vient pas. Le vieux grogne et se retire. Il fond sur le goudron.

Asséchés et fendus par les vents urbains, des monticules bruns parsèment le bitume. Ornent le parquet grisâtre de la ville. D'acides rivières ambrées ont laissés une trainée noire. C'est le matin, les pigeons déjeunent. Ils piquent les résidus jaunes et verts des fêtards qui ont malmenés leurs entrailles. La douceur de l'instant se désagrège. Le soleil de l'aurore transpire à travers la vitre usée de la chambre. Le dormeur n'est plus.

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