Art plastique

Hervé Lénervé

Quand on ne se plait pas, il est rare qu’on plaise aux autres.

Dans la clinique privée du bois dorée, une patiente alitée, attend, agitée, fébrilement la venue de son chirurgien préféré.  

Il entre en trombe suivie de son staff d'étudiants dans la chambre number 13.

- Bonjour madame Pichon ! Alors, prête pour le grand jour ???

- Oh, oui, docteur, je suis toute excitée comme une jouvencelle à son premier bal. Quoiqu'un peu anxieuse, quand même, la pucelle.

- Moi aussi, chère petite madame. Car nous, les chirurgiens de l'art, nous ne savons jamais, jusqu'à l'ultime coup de scalpel, si nous avons créé un Michel Ange ou un Picasso ?

- Vous me faites peur, Docteur.

- Ne vous inquiétez pas, petite madame. Je ne suis pas fan du cubisme et je vous ai travaillée avec beaucoup d'application, comme le sculpteur, qui de la boue fangeuse de la soue, fait émerger la grâce de l'âme pure du cristal. J'ai toute confiance dans mon résultat. Bien infirmière, déballez-moi ce chef d'œuvre, s'il vous plait.

Suspens !

Une page de Pub.

Madame Pichon essaie de voir sa nouvelle tête dans les yeux écarquillés de l'aréopage qui l'entoure.

- Voyez, jeunes gens, les tissus n'ont pas encore retrouvé toute leur élasticité.

- Ni leurs places non plus, Docteur.

- C'est normal, ce n'est pas encore sec, ça va revenir dans un laps de temps.

- Combien de temps ?

- Quelques laps.

- Regardez, en inclinant la tête de trois quart, comme ça, non ? Ah non, pas mieux !

 - Puis, Docteur, il faut la voir avec la lumière du jour.

- Vous avez raison, diminuez-moi l'intensité de ces spots, on est ébloui, ici. On n'est pas à un vernissage.

Suspens insoutenable !

Une autre page de Pub.

- Pourrais-je avoir un miroir, s'il vous plait ? Tout de suite, maintenant ! ! !

- Bien sûr, petite madame, je comprends votre fébrilité. Allez me chercher un miroir, jeunes gens !

- Le dernier a été cassé par votre dernière patiente, Docteur.

- C'est vrai, je me souviens. Il a fallu que je lui recousisse tous les poings par trente points de suture. Petite madame, on va vous aider à aller jusqu'à la salle de bain.

Suspens insoutenable !

Interlude, y'a plus de Pub.

- Alors, Madame Pichon, heureuse ?

- C'est qui la dame, là ?

- Votre réaction est tout à fait normale. Quand on change d'apparence, il faut un temps pour s'y faire, se reconnaître et s'accepter. C'est un processus tout à fait normal ! Déconstruction, reconstruction.

- De combien de temps, le processus ?

- Ha, ha, vous avez le sens de l'humour, petite madame. C'est bien, il en faut ! Vous devez faire le deuil de votre ancienne apparence pour pouvoir accepter de la regretter. Maintenant, dites-vous, qu'il faut aussi vous voir chez vous, dans vos meubles, cela change tout.

- Vous croyez ?

- Evidemment ! En attendant, vous pouvez toujours changer de mobilier. Moi je vous verrais bien avec de l'art déco rococo et beaucoup de clair-obscur. Je connais un très bon décorateur d'intérieur, si vous voulez ?

- Honnêtement, je ne sais pas trop si j'ai envie de faire entrer la dame chez moi. Elle a un air méchant, fourbe et sadique. Elle va surement me voler mes bijoux.

- Pas du tout. Bien sûr, là, vous ne pouvez pas encore sourire à cause des vis, mais dans une petite semaine, vous verrez, vous serez les meilleures copines du monde.

- Mais les vis, vous allez les enlever ?

- Non, elles vont rouiller et tomber toutes seules.

- Bien, je vais me reposer un petit instant, à présent, Docteur. Vous pouvez éteindre la lumière en sortant, s'il vous plait.

Bien sûr ! N'oubliez pas de voir avec le secrétariat pour mes honoraires.

Pub de fin, j'en avais gardé une pour la soif.

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