Attirée dans les fonds, moi, morte noyée.

chachalou

" Quand la Poisse t'enlace, ne te débats pas, elle sévit davantage. "

 

Vous parlez tous de vos mères et de vos pères comme s'ils étaient Dieu. Moi, ça me fait rire. Vous allez dire que je ne me plains que parce que chez moi, j'ai du revenir. Mais justement : lorsque l'on revient et que l'on est adulte depuis trois ou quatre ans, que l'on a fait sa vie seule dans une région, eût son appartement et fais son ménage comme ses courses...

La chute est rude à l'arrivée. On revient et l'on se souvient. On se rappelle et se remémore, comment c'était la vie avant. On se rappelle aussi des raisons pour lesquelles nous étions partie si précipitamment. Tout nous parait bien plus évident... 

A l'époque, on ne voulait pas observer, remarquer, comprendre : l'age pure de la jeunesse qui fait que l'on quitte le bercail en bon terme pour découvrir un ailleurs et que portée dans cet élan, jamais l'on ne revient normalement, chez ses parents. 

Aujourd'hui, je ne connais plus trop les raisons de mon retour tant je suis crevée mais je vois en revanche bien les raisons de mon départ, affichées au-dessus de la tête de mes deux parents, comme des flèches invisibles qui les étiquetteraient à tout jamais. Ces écriteaux les suivent où qu'ils aillent, quoiqu'ils fassent :

- une mère blessante et emmerdeuse. Panneau rouge. 

- un père con et empli d'orgueil. Panneau Noir. 

Les mois suivant mon retour chez eux, j'ai donc fais face à deux parents très mécontents. Et d'ailleurs, c'était dur de reconnaître leurs visages après deux ans. C'était complexe de renouveler l'amour dans mon coeur. Impossible, presque. Ce n'était pourtant pas un mirage, ils étaient là. Devant moi.

Autoritaires, méchants, médisants presque, ils reprenaient constamment le moindre des mes faits et gestes... Comme si au final, je n'étais jamais partie. Comme si au final, je n'avais pas grandie. Comme si, en vérité, je n'étais pas adulte, tout simplement. 

J'ai donc redécouverts avec violence ce père autoritaire et finalement on ne peut plus con, ficelé dans les ordres et les interdits. J'ai donc revue cette mère qui rabaisse encore, restant relativement trop culpabilisante chaque jour. Puis j'ai revisité de près une routine oubliée : un quotidien articulé autour de tâches ménagères, autour de repas heures piles et bien pétantes. Parce qu'il n'y a pas de deuxième service, pour le cas où par exemple, je serai occupée. Parce qu'il n'y a pas de relais dans les tâches imposées. Mon jeune frère fait ceci, je fais cela. Et tout les jours depuis des lustres, c'est comme cela.

Quant à ma liberté à moi, je ne l'a trouve pas. L'endroit ne me plaît pas. La vie ne me satisfait plus. Je cherche mes vingt-deux ans et bientôt vingt-trois et les appelle parfois. Vous êtes où ? J'ai régressé ? Et toi, ma vie d'adulte, Putain... Où tu es passée ? C'est toujours mon visage, c'est toujours Moi. Mes rêves n'ont pas changé mais ils me paraissent tous si loin déjà. Comment ai-je pût ne pas réussir ? Je n'avais qu'une seule Chance, c'était celle-là. Mais aujourd'hui, j'ai compris... Que pour les nanas comme moi, la Poisse s'invite toujours au moment pile poile, où l'on ne s'y attend pas. Une blessure, une opération, une convalescence de nombreux mois décuplée en année et en réorientation... Retrouve-toi y, tiens. Cherche. Tente. Bon Courage. 

Et c'est ainsi qu'après un accident d'escalade, ta vie s'effondre et toi, tu restes en larmes, fracassée chez des gens que tu n'aimes pas. Tu fais le tour du problème et tentes toutes les stratégies pour ouvrir ton esprit à la vie. Mets de la couleur dans tes yeux. Sur tes murs. Achètes des meubles. Décores ta chambre. Rends-là accueillante et offres-toi des oiseaux : ils amèneront la joie lorsque la solitude te pèsera. 

Puis tu mets des projets en place. Travail, reprises d'études, achats multiples pour passer le temps et oublier l'horreur d'un quotidien : fringues, maquillages, tenues de sport,  un abonnement dans une salle d'escalade, une deuxième paire de roller neuve, du matériel à dessin.

Mais rien ne suffit et là encore, les remarques sévissent.  Tu gardes ta paix trente secondes seulement, le temps qu'il lui faut pour réfléchir et rabaisser. 

" Un abonnement à la salle, pourquoi, tu n'iras pas"..

" Des rollers, mais tu en as déjà"...

" Des crayons, super, mais tu ne vas pas passer ta vie à dessiner"

" T'es pas la Princesse, ici"

Alors, d'efforts en efforts, d'essais en essais, de propos méchants en manques d'intérêt, on finit par céder. Oui, un soir ou un matin, allez savoir, j'ai cédé. J'ai donné raison à ma mère :

"Puisque tu penses que je n'irai pas, je n'irai pas."

"Puisque tu crois que ça ne sert à rien, je ne m'en sers pas."

"Puisque dessiner est mon Loisir préféré, j'arrête le dessin. "

Non, n'y voyez là guère de soumission mais une forme de ras-le-bol, où l'on reste sans envies à regarder le Monde tourner et là, tout près toutes nos inutilités. C'est inutile, tu te le répètes. On te le répète. Et tu finis par le déduire. En faite, c'est toi qui n'est absolument rien !

Et comme t'es forte et comme t'es fière, que tu sais qui tu es et que tu t'en rappelles, tu entames des dialogues de sourds avec tes deux parents. Tu tentes d'améliorer les choses. Et tu finis par comprendre que t'en aller serait la meilleure des décisions.

Ta mère prétend savoir mieux que toi qui tu es.  Ton père lui donne raison, faut dire qu'il est pas futé non plus. Et t'es toujours seule avec tes demandes infantiles. Tu veux partir, tu veux vivre et profiter ! Mais ils te font comprendre qu'eux aussi, ils veulent la même chose : te mettre à la porte et le plus rapidement possible !

T'es pas aidée, t'es seule avec tes mots. Tu as du talent mais tu ne peux même pas leur montrer. T'appelles ton frère aîné et observe ton petit frère devenir surfait. Tu vois le Monde changer et tu te demandes ce que tu y fais. A quoi tu sers, ici ? Qui tu es ? Où est ta joie ? Tes amies ? Ton bonheur

Tu tournes la tête à droite, puis à gauche. Les horizons sont morts. En haut et en bas, c'est le même constat. Tu ne vois pas d'issue, pas d'échappatoire. T'es dans une impasse, celle qui te fera office de tombe, lorsque la vie se retirera à ton corps et te laissera seule, cette fois, reposée, apaisée, sans jugements ni torpeurs. 

Parce qu'au final, la Mort ne t'effraye pas et tu l'attends. De toutes évidences, tu es déjà Morte et tu le constates chaque jour davantage. Les gens ne t'aiment plus comme avant. Les autres te délaissent. Ta vie est partie en fumée et plus personne ne daigne s'approcher. Pourtant t'es belle. Pourtant t'es forte. Pourtant tu ne montres rien et ta peine, tu l'as supporte. Tu l'endosses et la porte comme un fardeau, lorsque dans les soirs tard, tu pleures et que tu n'as plus les mots. 

Entre trois sanglots, ton téléphone sonne mais ce n'est pas un appel. C'est la SNCF et ses grèves, plus présente dans ta vie que ta propre famille. Tu chouines encore et tu finis par accepter. Parce que le pire serait d'expliquer à ceux qui se demanderaient pourquoi, que nous même, on ne le sait pas. 


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