Au pays de la vieillesse heureuse

Connaissez-vous la Corrèze du nord ? Derrière les images idylliques diffusées par l'un de ses organes de propagande, l'office du tourisme, il existe une tout autre réalité. Il est temps de la dévoiler pour se battre aux côtés des habitants qui n'en ont pas la possibilité et de le faire savoir au monde extérieur. Bienvenue en enfer gérontocratique.

Pour les quelques touristes qui s'y rendent, ils ne retiennent en général que les landes couvertes de genêts et de bruyères ou Ussel avec son château de la Mothe, son église Saint-Martin ou son hôtel Ventadour. La nature et les bourgs y sont beaux et préservés. Pourtant, pour l'œil un peu aguerri, certains indices peuvent dévoiler un pays exsangue : l'inexistence d'enseignes nationales et la subsistance d'herboristeries, de merceries et de quincailleries. Seule exception qui échappe souvent aux voyageurs : 25 boutiques de matériel médical y sont recensées. En vous baladant, vous croiserez d'antédiluviennes 504, 4L et camionnettes Citroën type H. Quant aux moyens de communiquer avec l'extérieur, n'y comptez pas ! Le Wi-Fi est un technologie inconnue et les informations sont strictement contrôlées par la feuille de chou locale. Télé Millevaches, son plus puissant vecteur, est amplifié par les potins ou le qu'en-dira-t-on. Vous n'y trouverez que les traces d'une vie heureuse, entre l'amicale bouliste ou le club de Scrabble.

Une caractéristique en est la pyramide des âges. Vous vous souvenez sans doute de la série L'Âge de cristal et de sa population condamnée à mourir à 30 ans. Ici, c'est totalement l'opposé. C'est à croire qu'un Docteur Mabuse a créé à rebours des générations victimes d'ostéoporose, de perte d'audition ou de cataracte. Ce n'est pas sans conséquences sur la vie locale. Après 19 heures, toute activité est inexistante. De retour à l'auberge, vous dormirez sur vos deux oreilles. Au pire, vous serez réveillé au milieu de la nuit par les cris des agonisants.

Pour vous distraire, vous pourrez vous rendre le dimanche, entre 14 et 16 heures, à la salle des fêtes. Au son d'un antique gramophone, vous danserez sur des 78 tours de Tino Rossi ou d'Aimable. Il y a une dizaine d'années, un scandale a fait surface. Un réseau de gérontophiles s'était implanté avec un trafic tout aussi illicite que lucratif pour satisfaire une clientèle déviante : les ventes de couches d'incontinence usagées, de dentiers et de perruques peroxydées ont permis d'enrichir la mafia limousine et d'assurer ses vieux jours.

Il existe un lieu privilégié. Un endroit où le chauffage existe et fonctionne parfaitement même au cœur de l'hiver, où tous les néons seraient efficients s'ils n'étaient pas maculés de chiures de mouches. Absent des cartes de la ville, d'ailleurs volontairement inexactes pour cacher la densité des Ehpad, c'est le club des anciens. Le bâtiment est strictement interdit aux étrangers. Il est ceinturé par des tonnes à lisier et protégé avec vigilance par une milice cachée dans les habitations voisines qui surveille tout risque d'intrusion derrière les voilages, équipée de miroirs de courtoisie.

Il n'y a pas que chez les Amish ou à Pyongyang que l'on impose l'uniforme. Depuis des lustres, Daxon et l'Homme moderne sont les fournisseurs quasi-officiels et uniques de la population. On peut toutefois noter que les différentes sociales se traduisent d'un point de vue vestimentaire avec les bleus de chauffe et les costumes pied-de-poule ou les blouses à fleurs et les jupes écossaises agrémentées de serre-têtes.

Mais, me direz-vous, il n'existe aucune geôle, police politique, pas plus que l'ombre d'un mirador. Essayez donc de vous enfuir à 500 mètre à l'heure en déambulateur et de franchir les clôtures et les prés où les bouses sont tout aussi redoutables que des mines antipersonnel. Ajoutez-y les troubles liés à Parkinson et à Alzheimer, et vous saisirez que toute évasion est de l'ordre de l'impossible.

J'en appelle officiellement aux défenseurs des droits de l'Homme, aux pourfendeurs des dictatures. Monsieur Raphaël Glucksmann, réagissez et aidez-nous ! Arrêtez de chinoiser avec les Ouïghours pour dérider ces habitants pris en otage.