Au pin maritime

Guillaume Van Der Schueren

Ô, pin maritime. Son message de tout en haut, pour nous tous en bas.

Au pin, maritime. Comme on eût pu dire : au bain, bel enfant. On irait chercher l'ombrage d'un arbre, mieux que celui du toile tendue. Là-haut la canopée s'épaissit : une grande buse y scrute l'ondée, un écureuil s'en échappe. Quelques étages plus bas de ce haut immeuble en partage, où même le lierre est invité, le pigeon pousse son rond couplet. Au pieds d'un pin, nous humains de chair et d'os, grattons l'écorce, caressons la cuirasse ou faisons nôtre les pignons au mieux, mais nul n'y grimpera car il est droit le tronc du pin. Et nous torses, rudes, tortueux, malicieux et singes, n'aimons pas la pleine verticalité. Il nous faut des passages, des talus des ascenseurs, des tréteaux ou des accroches, il nous faut nous aider de toute anfractuosité, mais le tronc lisse et linéaire, lui qui jaillit, n'est pas notre allié. Alors laissés sur le carreau, enracinés par une plante, philosophons.

Ô, pin maritime. Par une nuit endiablée un contingent d'étoiles, mit sur ta tête un esprit. Et que fis-tu alors, toi qui désormais comptais la vie ? tu te fis gîte et réconfort, à qui voudrait en dessous au dessus, prendre du bon temps ou faire son nid. Tu grandis, grandis, jusqu'aux strates du ciel où là enfin, tu pus remercier les étoiles de leur don pur, portant plus haut ton message pour qu'il parvienne au firmament, de ta belle voix de vert sombre et brossé, encore intact et primesautier. On eût misé que dans ta course, tu laisserais trois choses : la vigueur, la grâce et la vie. Voyons ce que tu fis.

Tu sus conserver la vigueur en te faisant toujours plus fort, compact et droit. Audace d'un seul, bond solitaire, tu t'élèves désormais colonne de vie drue, qui semble saillir, piton rocheux depuis les magmas souterrains, en une seule poussée verticale, mû par la puissance de feux insoupçonnés, qui du dedans t'abreuvent, et jamais on ne vit plus serein tracé. Depuis le tapis d'épines à tes bases jusqu'aux premières branches de ta couronne, tu portes haut et fier, irrésistible pinceau dessinant la jonction entre la terre et le ciel. L'azote et l'ozone coulent, le long de ton pont végétal.

Et pourtant tu ne perdis en grâce et en harmonie, pas un soupçon ni une larme. Je ne sais pas si, m'imaginant un sceptre royal, une parure précieuse ou bien un mât d'appart, je ne m'y figurerais pas mieux la rondeur, l'abondance, la volupté de la courbe, les recoins les rigoles, les rivières, les reliefs. Celui qui sut faire un joyau, d'un simple trait et d'un chapeau, comprit fort bien les équilibres, qui s'associant font les chefs-d'oeuvres. On peut penser pour nos bijoux, toutes les complications du monde. Et pendant que nous torsadons, des boiseries du laiton, le pin maritime lui, est un tronc droit, au brun profond, son écorce sèche s'obscurcit de sillons, son parasol s'épaissit d'épines fines. Fusant en l'air ébouriffées, elles font un fût gracieux au sire. Aux pommes acrobates, il offre d'allègres fanons fous. Étendard de la simplicité, il nous coiffe et en silence.

La vie, maintenant : l'as-tu laissé t'étreindre ? occupé de croissance, as-tu laissé en partage, les rayons qui t'abreuvent ? as-tu répandu tant ton ombre, tant et trop aveuglé de lumière, que les maigres complices, à tes pieds apeurés par ton galbe, auront dépéri de pénombre ? les rayons de celui vers qui tout tend, les auras-tu laissés enfin filtrer pour qu'à d'autres profitent les bienfaits ? le seul juge est l'harmonie : la bruyère en pluie dense, les champignons parfois surgis, les bosquets de chardons et les fougères filandreuses, voilà grossièrement ton royaume. Même si cela est peu, c'est que tout passe en ton siège. Il se suffit à lui-même. Nul conquérant comme toi ne saurait souffrir à ses pieds la cohue. Parfois un chêne ou l'autre intrépide, rejoint tes rangs. Le laissant là grandir, tu fais à un arbre une fleur, et pour un peintre un sujet.

Ainsi, pin maritime, tu dis trois choses à l'homme : prends comme elles te font, les fantaisies de la vie. Si elle t'étire ici d'étonnantes cannes, fais-en des échasses et va par-delà les canaux. Si elle te plante immobile et rigide, fais-toi encore plus droit et même perchoir exemplaire. Si elle te fit unique en somme, montre-lui qu'elle fit bien.

Tu dis aussi : sache te dresser vers le ciel. Sans nuit d'étoiles il n'y a pas d'âme ici-bas.

Tu dis encore : laisse-toi croquer par un peintre. Car ce n'est pas l'image instantanée de toi qui compte, et sois utile à la postérité : compte de toi le dessin que l'on fait quitte à t'y transformer. La poésie voyage et le lyrisme aussi ; c'est d'un flou artistique, qu'on embellit la vie.


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