Aux confins de nos espérances (2/3)

leo

Nous avancions en file indienne. Niels en tête d’expédition sous mes indications. Azimut précis, dicté par la haute autorité de mes souvenirs écorchés. J’imagine sa maman me remémorer nos instants magiques que nous avions passés lors de cette balade, alors qu’elle était enceinte de Niels. Je m’imagine douter de la véracité de ses souvenirs, juste pour la voir me convaincre, que cet amour ne saurait tomber dans le gouffre de l’oubli. Mes larmes s’agrippent, premières de cornée, pour ne pas entrainer dans leurs chute la bonne humeur de cette magnifique journée. J’aperçois au loin la raide déclinaison qu’il va nous falloir braver : accéder au fameux étang dans lequel patauge mes souvenirs tourmentés.

Olaf, tout en souplesse, atteint son sommet et nous jappe ses encouragements. Niels s’élance à son tour, essayant de reproduire l’exploit de son chien... avant de glisser jusqu’en bas. Il marmonne son orgueil mis à mal et s’élance de nouveau. Toute la fougue de sa jeunesse à l’assaut de son nouveau défi, en vain. Il se saisit alors d’une pierre, qu’il jette au visage de cette terre lâche, qui se défile sous ses chaussures, sans même lui offrir un regard compatissant.

-          Méchante, tu es méchante ! Lui hurle-t-il en pleurs avant que je ne m’interpose.

-          Niels voyons... il ne suffit pas de jeter la pierre au problème pour trouver la solution !

Il croise les bras, nouant ainsi par le geste, toute ouverture d’esprit. Le boudeur de Rodin venait de prendre forme, prêt à traverser les siècles sous nos regards circonspects. Lucienne trotta un instant et s’exclama satisfaite :

-          C’est ici qu’est le passage secret !

Lorsque Lucienne prend la parole, ce sont toutes les perceptions du monde qui peuvent s’en trouver chamboulées. Niels accourra dans les jupons de sa vieille amie qui lui confia tendrement sa découverte.

-          L’arbre est de ton avis Niels, jamais pente ne devrait avoir raison de nos souhaits les plus chers. Si l’on y regarde bien il nous montre un autre chemin, bien loin de l’inutile colère et des gestes qui rendent tristes. Vois-tu ses racines ? L’arbre à grandit et s’est fixé sur cette pente grâce à elles. Elles constituent nos premières marches. C’est à force de patience et de douceur que ses racines ont apprivoisée le sol. La méchanceté ne se vainc que par l’amour Niels. Son tronc, fier d’avoir trouvé en cette terre une alliée de confiance, constituera une rampe bien utile. Enfin, ses premières branches nous permettront de nous hisser au-dessus du problème. Vois-tu, quelle reconnaissance il a, en  protégeant son amie de tout son feuillage ? Je vais avoir besoin à mon tour de toi pour m’aider à grimper. Et je n’y serai jamais parvenue si tu y étais arrivé du premier coup tout à l’heure…

C’est un Niels métamorphosé qui reprit les rênes de son ascension. Nous parvinrent en une poignée de minutes à être tous en haut, pour le dernier tronçon du parcours. Cela devait faire bien longtemps qu’aucun homme n’avait utilisé la route. Son herbe haute constituait le dernier rideau. Elle voilait le dernier tableau d’une mise en scène, que nous avait concocté dame nature. Olaf rompit notre silence : il aboya dans un premier temps puis se mis à geindre. Nous nous regroupèrent autour d’une cage qu’il avait découverte, renfermant un ronflant locataire, stressé par notre attroupement.

-          Papa qu’est-ce que c’est ? T’as vu ses dents oranges ? Il a peur, il faut le libérer…

-          Non Niels, surtout pas ! s’exclama Lucienne. C’est un ragondin ! Ces bêtes-là détruisent toutes les berges, elles creusent de nombreuses galeries. Ils se reproduisent vite et n’ont  aucun prédateur…à part l’homme.

-          Ça veut dire qu’il va mourir Lucienne ? demanda Niels, se chargeant des larmes qui ne tarderaient pas à se rendre diluviennes.

Le début d’explication de Lucienne était pris au piège avec le ragondin ; voué à être exterminée par la sensibilité de notre ange sacré. Il était temps à mon tour, d’imaginer la situation sous un autre aspect, de pouvoir trouver une autre issue à ce nouveau drame naissant.

-          Et bien ce n’est pas tout à fait exact Niels ! Dis-je avec assurance. Il semblerait même que ce soit tout le contraire. Le ragondin est destiné à sauver des vies, de très nombreuses même…

Lucienne, opina du chef, inquiète. Elle se demandait qu’elle explication plausible je pouvais bien amener sur la table des injustices, pour balayer si cruel destin. Si personne n’avait introduit ces animaux en Europe, il était évident qu’ils ne seraient pas condamnés à mort, si ce n’est par leur milieu naturel. A la connerie de l’Homme, il me fallait y ajouter mon mensonge pour réguler le flux de nos inconséquences sociétales. Je savais que je ne faisais que repousser les échéances : Niels, tôt ou tard, devrait faire face à toutes ces aberrations que l’Homme commettait. Il n’en demeurait pas moins selon nous, qu’imaginer l’espoir et le beau, était bien plus utile que la pathétique réalité. Que ce que l’on nommait mensonge, pouvait aux cœurs purs, se prénommer poésie. La définition n’a de juste, que l’interprétation que nous nous en faisons.

-          Figures toi qu’en chaque défaut, il peut s’y trouver une énorme qualité. Il suffit juste pour cela, d’adapter celui-ci à une cause qui est utile et noble. Ces pros des galeries apportent tous leurs savoir-faire lors des tremblements de terre. Ils n’ont pas leur pareil pour s’engouffrer dans les décombres. Ils sont équipés d’une balise, de barres vitaminées et de fioles d’eau permettant ainsi aux victimes de pouvoir être secourues, dès que nos héros remontent jusqu’à elles. Leurs dents orange, permettent d’être vues dans le noir, comme les brassards naturels de la sécurité civile…

C’est Lucienne qui semblait avoir été soufflée par ma détonation imaginaire, avant d’être ensevelie  dans les décombres de mon incroyable culot. La fierté qu’eût Niels dans les flatteries qu’il adressait à l’animal captif avant de repartir enjoué, valida ma tentative. Aucune ombre ne saurait altérer, l’étincelante beauté que nous avions décidé seuls de faire vivre. C’est en cela que nous nous sentions libérés, de la laideur d’un monde qui conspire inlassablement…

A SUIVRE

 

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