Aux confins de nos espérances (3/3)

leo

Je n’en revenais toujours pas. Lucienne avait fini par me transmettre le don d’ubiquité. Cette faculté de me soustraire à moi-même, le seul territoire maudit que l’on pense ne jamais quitter de son vivant. La vue de l’esprit et son incroyable dissonance. Je jetais des coups d’yeux furtifs à Lucienne, me demandant quelle perception, elle pouvait bien avoir à ce moment précis. Qu’évoquaient donc ses herbes hautes, sur sa mine enjouée ?

-          Je vous vois ! me dis t’elle goguenarde, tout en regardant Niels. Il se débattait avec son bâton,  pour coucher le maximum d’herbes, afin de rendre praticable notre chemin jusqu’à l’étang de tous mes regrets.

-          Allez, dites-moi tout ! me relança-t-elle, pour mettre un terme à mon embarras .

-          Rien. Rien du tout…. Je trouve juste étrange que vous sembliez amusée, alors que notre avancée est des plus pénibles. Et que pouvant voir au loin, je puis vous assuré, que nous ne sommes pas encore arrivés…

-          Nous y voilà ! Vous détestez que les choses puissent vous échapper, alors que selon vous, vous êtes le mieux positionné pour pouvoir aborder notre avenir immédiat… vous devez sûrement vous demander, quelle pensée m’anime en ce moment ?

-          Non, non, pas du tout, protestais-je en toute mauvaise foi, c’est juste que parfois vous m’intriguez. A croire qu’en plus vous pouvez lire dans mes pensées, c’est franchement désagréable…

-          Sachez très cher ami que votre position « privilégiée », vous la devez justement aux hautes herbes. Nos ancêtres voyez-vous, craignant ce qui pouvait se cacher derrière, ont finis par se hisser sur leur pattes arrières avant de s’y engager. Ces fichues hautes herbes ont fait de nous des bipèdes. Ils libérèrent par la même occasion l’usage de leurs mains, ce qui eût pour effet de stimuler leur intelligence. Très vite je pense, ils les ont mis à profit pour tenir une arme, se protégeant ainsi des nombreux prédateurs…

-          Très intéressant ! Et ? fis-je agacer de la voir me laisser mariner, qu’est-ce qui vous faisait donc sourire ?

-          Juste, je me disais, qu’une étape énorme dans l’évolution de l’Homme s’était passé dans ces conditions, et que vous, semblez bien plus paumé sur votre devenir, qu’eux à leur époque ! Ne faîtes pas la moue, on dirait votre fils. En toute amitié, je saurais juste vous conseiller de ne plus réfléchir en certains instants : soyez juste instinctif, ressentez et votre esprit fera le reste. Vous disposez de toute la beauté du monde en votre for intérieur. Je ne vous transmets rien, c’est juste vous qui avez décidé d’ouvrir les yeux sur ce qui n’existait pas. Ne vous appropriez pas la vue des autres, elle deviendrait alors banale, faites vivre la vôtre… comme avec les ragondins. Constituez avec vos semblables le plus beau bouquet de rêves que la Terre n’ai jamais su faire fleurir. Alors, tout le monde se sera retrouvé, fini la légion des âmes errantes…

Je fis le vide, avança comme il me l’avait été conseillé. Lorsque nous arrivâmes au bord de l’étang, je ne vis pas des cailloux, mais en imaginais les ricochets sur l’eau enchanteresse ;  je n’entendis pas des canards, mais la clameur de la nature qui célébrais la vie, aujourd’hui, et non pas celle révolue d’avec la maman de Niels. Les rives en ce jour, ne seraient pas celles des larmes, mais celle des rires enthousiasmés de Niels, lorsqu’il vit un ragondin plonger. Et de s’exclamer : « que celui-ci allait devenir sauveteur de sous-marins avec tous ses copains ». Lucienne quant à elle confectionnait l’un de ses innombrables rêves, qui se joignait  aux miens, bourgeonnants. Nous faisions voler en éclats de rire les parenthèses, qui avaient contenu jusque-là nos trop rares moments d’exaltations…

Nous reprîmes le chemin du retour dans une plénitude sans égale. Une légèreté d’âme peu commune, qui fut pourtant mise à mal par la découverte d’un jeune oiseau, gisant sur le bitume que nous avions réussi à regagner. Du goudron et des plumes, pour notre retour parmi les hommes. Niels nous regarda interdit. Nous ne sûmes quoi lui dire sur l’instant pour rectifier sa tristesse, si ce n’est que ces ailes fragiles n’avaient pas su le porter assez haut, loin des hommes et de leurs pare-brises ; même avec beaucoup d’imagination… nous ne connaissions pas de pare-mort.

Nous prîmes des rafraichissements sur la terrasse, harassés par cette journée riche en émotion. Un merle noir battit le rappel de son cri strident. Niels releva le bout de son nez, distrait par ce tapage de fin de journée.

-          Il invite les autres de son espèce à réintégrer le nid Niels. Ça façon de sonner la fin de la journée… lui expliqua Lucienne l’œil pétillant. Ensuite mon petit tu vas assister à quelque chose de merveilleux. Viens avec moi.

Niels s’installa sur les genoux de Lucienne puis ferma les yeux, comme elle le lui sussurait.

-          Maintenant écoutes attentivement… un nouveau chant ne devrait pas tarder à nous parvenir.

Je fermai les yeux également et effectivement, au bout de plusieurs minutes, un chant fluet nous parvint.

-          Tu entends Niels ?

 Niels sourit et ne put s’empêcher d’ouvrir les yeux, comme pour essayer de percer la supercherie de la magie qui s’opérait.

-          Il s’agit là de la grive musicienne, et le chant que tu entends est très probablement celui de notre pauvre oiseau que nous avons enterré tout à l’heure. La révélation de Lucienne eut pour effet d’écarquiller les yeux bien grands de Niels qui s’exclama :

-          Il n’est donc pas mort ?

-          En quelque sorte non mon ange, puisque son chant demeure dans le bec de notre grive qui lui prête vie. Rien ne saurait éteindre la joie qu’il procurait à tous ses auditeurs, le chant du cœur et de l’innocence est éternel. Il se transmettra et ne mourra jamais, tant qu’il y aura des êtres pour l’écouter et le reproduire. Il en sera de même pour l’homme, le jour où il saura, généreusement, tendre l’oreille à la bonté et qu’il se fera un devoir de la reporter à la perfection.

Nous avons contemplé les étoiles, les yeux rivés sur les deuils que nous avions endurés. Nous prêtâmes serment à tous nos disparus, de perpétuer à l’identique et mieux encore, la bonté qu’ils nous avaient légués de leur vivant. Sous cette voute céleste, nos âmes dérivaient en des lendemains plus supportables…

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