Avant qu'il ne me quitte

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Nous allons au salon de thé, toujours le même. Celui où le serveur nous reconnait, et nous apporte notre commande sans que l'on ne s'échange deux mots, à peine un sourire. Et c'est toujours agréable, se recevoir nos deux milk-shake à la noix de coco quand dehors le soleil s'étend et s'étale sur la ville.

Mais aujourd'hui porte un goût amer.

Je sais qu'il va me quitter.

 

C'est étrange, mais pas si étonnant, tout de même.

Je le sais, c'est tout. A cause des lettres que j'ai trouvées dans sa commode, à cause des messages sur son téléphone. A cause de cette distance que j'ai sentie bien avant s'imposer entre lui et moi tel un long et interminable serpent vert d'eau.

 

Depuis des années, je recevais tant d'amour de sa part.

Depuis des années et sans me lasser, des bulles pétillantes dans les yeux, je ne voulais que continuer de vivre pour rester à ses côtés. Et puis vivre - surtout - parce que je sentais cet amour plus puissant que la vie même. Un soir d'automne et de pluie, nous en avions parlé. De mourir ensemble dans un avenir lointain : jamais l'un sans l'autre. Cette idée ne m'est pas apparue macabre, non, mais terriblement romantique. Tel Roméo, telle Juliette.

J'ai toujours cette boule de papillons entremêlés dans mon ventre. Mais depuis quelques jours ils ne volent plus, non, ils se sont amassés, englués, en une douleur opaque et ronde.

 

Oui, je me penche toujours depuis ma terrasse en écarquillant les yeux pour essayer de compter les mètres qui me séparent du sol. Je se penche encore, le plus loin possible, pour ressentir dans mes tripes cet appel du vide, comme si le bitume réclamait de mon sang, comme si je cherchais la limite, cette limite à franchir pour abreuver ce sol asséché.

 

Oui, tout cela, je le fais encore, sans vraiment m'en rendre compte. Même ma cicatrice au poignet, cette grosse cicatrice qu'il a pansée, je n'ai plus vraiment envie de la rouvrir. Tirer sur le lacet pour qu'une seconde fois, ça gicle contre le mur…

               

Après le milk-shake, nous sommes allés au cinéma. Une dernière fois, ai-je pensé.

Il faisait si chaud, en ce caniculaire mois de juillet, et je me sentais si grosse, et si ridicule, toute nue sous ma petite robe rose. Nous sommes allés s'asseoir dans la grande salle, comme nous le faisons chaque dimanche.

 

Cet après-midi là, j'ai cru le voir sur l'écran, lui. Sa tendresse, sa candeur, ses grands yeux rêveurs qui cependant deviennent de plus en plus durs. J'admirais son profil, cachée derrière mes cheveux, un long frisson parcourant mon échine malgré les trente-cinq degrés de la salle non climatisée.

 

Je me suis penchée contre son épaule, recroquevillée contre son genou, posé le nez contre son épaule pour mieux m'imprégner de sa présence, pour ne jamais oublier son odeur.

Et là, comme si, comme ça, je me suis arrêtée de vivre pour l'aimer pleinement. Et pour la dernière fois. Elle a exigé qu'il me quitte cette semaine. Alors je compte les jours, sans les compter. Je profite, sans profiter. C'est difficile a expliquer, cette façon que j'aie de le dévorer avant qu'il ne disparaisse complètement.

 

Le film a commencé.

C'était dur.

Mais je m'y suis faite : j'avais quand même ma main dans la sienne...


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