Aveugle

J'avais comme perdu la vue. J'errais en aveugle dans l'existence, privé de ce sens désormais interdit... Seuls quelques bruits, quelques odeurs me guidaient, ainsi que les souvenirs de mes trajectoires passées. Piètres repères que ces derniers.
En effet, les parcours sont changeants, les obstacles ne sont jamais les mêmes et prennent d'autres formes. Et c'est parfois pervers... Ce qui vous sécurisait auparavant peut devenir votre principale source d'angoisse. Un son, une voix, par exemple, à un instant T peut être votre pire cauchemar tandis que quelques minutes auparavant, ou dans vos souvenirs, cette même sonorité vous paraissait fort agréable à entendre... Ce sont les aléas de la vie, tout bouge, change de place. Il n'y a que dans la mort que tout est figé, et encore, je n'en suis point sûr...
J'ai donc avancé, me cassant parfois la figure, subissant de temps en temps les quolibets des passants rieurs, ou suscitant quelques fois une miséricorde que je n'attendais guère et ne désirais pas... Ce cheminement, souvent solitaire, était une volonté de ma part. Je voulais retrouver l'envie de voir ce monde de nouveau. Dite envie qui s'était envolée à cause d'un souvenir fâcheux de fâcherie. Vacherie ! 
Dans ma course sans sens, j'ai rencontré des personnes. Des bonnes. Des mauvaises. Des neutres. J'ai essayé de comprendre comment retrouver mes yeux grand ouverts... Mais je ne me rendais pas compte que ma "cécité" était un atout, une autre façon de percevoir ce vaste monde. Je ne le comprends que maintenant.