Bastonnade de malades.

Hervé Lénervé

J’écris moins ces temps-ci, car j’essaie de voir si ce manque affecte la course de l’Univers.

Chambre 25, Didier 25 ans, un accident de moto, il a perdu l'usage de ses membres postérieurs. Son morale n'est pas trop mauvais, ce matin. Il se lève, enfile tant bien que mal un jogging et il se hisse à la force des bras sur son fauteuil. Les pensionnaires du centre peuvent prendre leur petit-déjeuner au réfectoire, enfin pour ceux qui réussissent à y aller.

-         Allez ! Un peu d'exercice ne me fera pas de mal.

Didier ouvre la porte de sa chambre et s'engage dans le couloir quand un bolide le percute sur la gauche. Rémy, paralysé, lui aussi, des jambes postérieures.

-         Connard, tu ne peux pas faire attention, bordel !

-         Je ne l'ai pas fait exprès !

-         Moi, non plus ! Le coup est parti tout seul, du con !

La gifle résonne dans le couloir de l'hôpital pas encore en mode diurne.

Rémy recule son fauteuil et en prenant son élan renverse celui de Didier qui s'étale comme une grosse merde sur le sol. Puis Rémy se dirige tranquille vers le réfectoire en chantonnant. « Tant que les hommes vivront d'amour… »

Didier est hors de lui en plus de l'être de son fauteuil. Il remet sur roues l'engin, se repositionne dessus et file à un train d'enfer vers la salle à manger.

Bertrand n'a pas de fauteuil, il marche avec des béquilles, deux béquilles, mais comme la roue gauche de Didier vient de lui en faucher une, l'équilibriste se casse la gueule à son tour.

-         Enculé ! j'ai relevé ta plaque ! Hurle-t-il au cul du fauteuil qui fuit.

Arrivé dans la grande salle où les patients prennent leurs repas, Didier repère, en une seconde, la place de Rémy et de toute la vitesse que lui permet la distance d'élan, il défonce le fauteuil qui écrase le handicapé contre la lourde table, pris en sandwich thon mayonnaise. Dans ce laps de temps, Bertrand en claudiquant s'est positionné derrière Didier, il lui assène un coup de béquille derrière les oreilles qui se mettent à bourdonner la minute de vitesse des patinoires.

Sylvie, la mignonne blondinette de la chambre 28 a le syndrome de Guillain-Barré, ses jambes sont flageolantes, dommage, car elle les a fort jolies et sa coordination laisse à désirer, bien qu'elle reste désirante.

Rémy, qui a réussi à s'extraire de son encastrement table-fauteuil, roule malencontreusement sur un pied de Sylvie qui ne le prend pas et crie de douleur.

A partir de cet instant, tout part en vrille dans le réfectoire. Les autres pensionnaires s'en mêlent, tous y allant à coup de chaises, de fourchettes, de tessons de bouteilles. Bref, c'est un véritable carnage, un massacre.

Le lendemain, la presse titre sur ce fâcheux règlement de compte:

«  Baston handisport à l'hosto ! »

« …On déplore quatre blessés graves dont un au pronostic vital mal engagé et une vingtaine de blessés plus légers. Quel vent de folie souffla sur le centre de rééducation musculaire de Bobigny, ne faudrait-il pas mieux transférer tous ses enragés dans une maison de redressement d'esprit ? »

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