Bloody Reaper - Chapitre 1 - Journée banale en forêt

kaminomonogatari

De l'ensemble ''Bloody Reaper - [Tome1] Un monde sans héros" Veuillez à jeter un œil au prologue avant de lire cette partie :)...


Année 455, forêt d'Austrélia.

L'Automne. Une saison agréable pour se prélasser au-dessus d'une souche d'arbre. Le soleil n'est pas trop fort, et l'ombre accordée par ces grands arbres inspirait un repos bien mérité au grand guerrier qu'il était sûr d'être. Un temps inestimable lui était offert, afin qu'il puisse se consacrer à ses pensées du jour, et laisser s'évader son regard dans l'infinité du ciel.

En cette fin de saison, nous nous retrouvons dans ce paysage idyllique que sont les dernières forêts du nord. Une végétation brunie suffisamment épaisse pour empêcher la progression des vents hivernaux parcourant les plaines en dehors du territoire des vivants. On y découvre alors entre les feuillages deux jeunes et frêles éclaireurs ; l'un en armure, sérieux, appliqué, mais surtout tendu. L'autre, avec une coiffure rousse particulièrement étrange cachant l'un de ses yeux, prenait plaisir à la pause prolongée depuis nombre d'heures. Il s'était trouvé un arbre tombé en raison de son vieil âge, à l'angle parfait pour s'y assoupir. Alors, de temps en temps, il élevait le bras en quête de quelques nuages, et disait d'un ton assoupi ;

-  Les étoiles sont superbes aujourd'hui…

La remarque était cependant suffisante pour rendre furieux son partenaire du jour, qui ne manqua pas malmener le tronc à coup de pied.

- MAIS IL EST MIDI ! DE QUOI TU PARLES ?! …Surtout qu'on ne voit rien du tout là, avec ces tas de feuilles. T'es vraiment bizarre.

La fatigue se lisait sur le visage du jeune homme passif, vêtu à moitié en tenue de plaque, à moitié en civil. Une sorte de lassitude s'était encrée en lui envers la fureur du partenaire, ce qui l'empêchait même d'être aimable… à moins que ce ne soit tout simplement dans son caractère.

-Ne veux-tu pas juste… te taire ? …Non, sérieusement, Laisse-moi glander. Pas besoin d'être deux aux aguets en même temps, non ?... T'as qu'à m'appeler si y'a du nouveau, et on en reste là...

- C'est un travail de binôme ! Si le sergent Rosvel savait comment tu te comportes avec tous tes partenaires de garde…

- Bah ! Tu n'auras qu'à le mettre en GROS et gras dans ton rapport, si ça te tient tant à cœur… 

Le tire-au-flanc décida tout de même de se relever, pendant que l'autre cherchait  désespérément à extérioriser sa haine quelque part, levant le poing. Après une réflexion rapide, et le regard de l'autre en guide d'avertissement, il décida de frapper un arbrisseau qui n'avait rien demandé au lieu du type au visage mauvais. Cela suffit cependant à faire fuir le calme, les oiseaux, et  le très peu de faune environnante.

- C'est pour ça que tu es encore ici, en simple sentinelle ! Tu ne fais rien, tu ne respectes rien, et tu laisses toujours tout le travail aux nouveaux ! C'est incroyable que tu n'aies pas encore été renvoyé à la rue… 

« Comment arrêter ce flot de paroles inutiles ? », pensait le soldat récalcitrant aux cheveux roux. Il prit alors une expression plus grave, connue pour être celle que l'on emprunte avant d'ôter la vie de son pire ennemi.

 - J'ai déjà tué pour moins que ça.                                                              

Il lui est malheureusement impossible de connaitre sa réaction sous le casque en ferraille, tout du moins insuffisante pour qu'il en reste là. Alors, toujours en position assise, il décida de reprendre son état initial d'avant conflit, de fermer les yeux et d'ignorer tout les propos qu'il le concernait.

- …Pff ! De toute façon, ce n'est pas comme si tu nous étais utile… Comment on te surnomme déjà, à la caserne ? Le ‘'Faucheur rouge'' ou quelque chose dans le genre ? C'est une sorte blague ironique en rapport à tes cheveux roux et ton air sinistre, ce nom ? Et aussi du fait que tu exhibesconstamment suffisamment de lames pour deux hommes ? Deux épées longues, c'est n'importe quoi... En deux semaines de service, je n'ai vu personne d'autre t'adresser la parole, ni même te regarder en face… J'ai vraiment eu de la ‘'chance'' dans le tirage des équipes... ! 

Et contre toute attente, le sommeil lui vint sans le moindre problème. Un assoupissement court, puisque le jeune homme est immédiatement réveillé, non pas par une personne, mais par une  lumière étrange. Il y vit l'espace d'un infime instant, dans un monde sans couleurs, des flammes sur un édifice englouti, signe d'un trauma ancré en lui. Cependant la vision disparait aussi vite qu'elle était venue. Très certainement en raison du fait qu'il se fait secouer tel un sac de pommes de terres.

-OH ! Bon sang, mais réveille-toi, Drek … ! Franchement…  On est tout près de la frontière, là ! C'est dangereux ! Comment peux-tu être aussi inconscient ? 

L'épuisement se transforma en tension. Un énervement suffisant pour qu'il se lève définitivement de son lieu de repos. Il ne lui arrivait pas souvent d'être en colère, mais il n'avait que peu dormi cette nuit.

-Regardes bien celui qui a le plus d'expérience ici, ferme ta GRANDE gueule et ouvre bien tes oreille une bonne fois pour toute. Et pour la dernière fois... On est en pleine forêt. Derrière nous, il y a la caserne, et devant nous, juste à quelques pas, il y a cette ‘'frontière'' imaginaire dont personne n'a décidé la limite. Et derrière cela, il n'y a PERSONNE. Là-bas, c'est le désert ! Le vide, les cadavres, la mort… En bref, jamais personne ne viendra ici ! Tu psychotes pour rien ! Les seuls pauvres marchands et trappeurs de l'extrême, persuadés qu'il y a encore un espoir d'aller dans le nord utilisent TOUS obligatoirement la route qui est plus à l'Est. Bandits y compris ! Ce n'est même pas non plus une question d'empêcher l'immigration, parce qu'il n'y a aucun potentiel migrant encore vivant ! Qu'est-ce qui te fait croire qu'il va se produire quelque chose dans ce bois si calme ? 

Il venait de vider son sac, et l'autre en lui triturant le bras allait faire de même.

-Ce poste est inutile, tu dis ? Alors explique moi pourquoi TOI, tu es ici ? Si ce boulot peut être remplis par des recrues, pourquoi quelqu'un ayant deux ans d'expérience de plus… 

L'insupportable, alors, se met à rire aux éclats avant de reprendre.

- …Oh, je vois ! En réalité, on t'a déjà exclu ! J'en étais sûr, tu es un irrécupérable, mais comme t'es le petit chouchou du sergent… 

Par réflexe, le dénommé Drek, en serrant les dents, venait de saisir l'une de ses épées. La lame pourtant jumelle était conçue pour être tenue à deux main, le fait qu'il la porte en permanence d'une seule était plutôt impressionnant pour quelqu'un d'aussi bas dans la hiérarchie.

- Oui ! Je fais mon ‘'travail'', et je suis révoqué des missions ! On me colle ce surnom à cause de rumeurs et maintenant ça dure depuis plus d'un an ! Et au final, je me retrouveavec des moins que rien dans une fonction où je ne peux rien faire ! Et tu me vois me plaindre ? Non !

Il poussa violement le soldat en armure et dégaina sa seconde épée. Son collègue, lui, enlevait son casque pour la première fois de la journée, uniquement dans le but d'exposer son rire moqueur. 

- Tu n'as été qu'un boulet pour les autres, et ton surnom de ‘'Faucheur rouge'' est juste insultant ! N'importe qui d'autre que toi en deux ans aurait parfaitement su évoluer au minimum d'un grade, ne serait-ce que pour devenir garde de ville !... 

Alors, ce n'est que dans un moment de lucidité que Drek compris la supercherie ; une farce prévue pour lui faire commettre une faute grave, capable de lui faire perdre son travail.  De ce fait, il se reposa de nouveau sur le tronc, repris son calme et enchaina sur une nouvelle réplique.

- Un boulot encore plus ennuyeux… Et puis je ne vois pas où est problème d'être toujours une ‘'recrue'' à dix-sept ans. Environ…

L'autre aussi se calma, soupirant.

- … Enfin j'imagine qu'il y a des exceptions à tout, sachant que tu n'es qu'un bon à rien… De toute façon, la relève va bientôt être là. J'espère… Elle met un de ces temps… 

Il se retourne, guettant l'autre bout de la clairière, une main au-dessus des yeux. Son casque au bout des doigts, il le reposa lentement et méticuleusement sur son vil crâne chevelu la pièce d'armure …

Subitement, le choc : Un projectile, vraisemblablement une flèche, lui transperce la nuque. Poussant un hurlement de douleur aussi brut que court, il s'écroule rapidement au sol. Des fourrés, sortent alors un premier homme encapuchonné de vert et de jaune, puis deux autres. Au total, cinq bandits se retrouvent à encercler le pauvre éclaireur, le soldat reste pourtant complètement hermétique face à cette attaque surprise.  Puis, bien que discrètement, il sourit. Tout comme le ferait quelqu'un renvoyant un bonjour chaleureux à un passant dans la rue, il était... Heureux.

C'est dans cet état d'esprit qu'il se fit engager à une vitesse fulgurante par le premier agresseur, la dague à la main. L'homme est rapide, et semble arriver au but, quand le jeune guerrier brandit l'une de ses lames, ne manquant pas d'entailler dans la longueur par même occasion le plus rapide des cinq, qui chuta irrémédiablement dans un bain de sang et de boue. L'abasourdissement général suffit au soldat pour sortir de son fourreau sa seconde lame ; désormais les armes aux poings, il impressionnait de plus belle avec cette démonstration de force en tenant ainsi des armes dites ‘'à deux mains''.

Deux autres bandits progressent alors vers Drek, qui charge de même, et fauche  les deux victimes dans un balayage à double lames des plus satisfaisant. Le jeune homme ne peut s'empêcher d'exposer sa joie, toute cette excitation qu'il renferme avec difficulté. Il parait tellement dans son élément, maintenant recouvert du sang de ses adversaires, qu'une capitulation ne suffirait pas pour l'arrêter. Dans un mouvement d'allonge, le quatrième bandit succombe, embroché alors qu'il tentait de l'atteindre, la différence de lame a eu raison de lui.

La dernière en hauteur, l'arc à la main, tenta de reproduire son premier coup de maître sur l'enragé, et sur un tremblement manqua sa cible de quelques centimètres. Alors que celle-ci armait son troisième tir dans la précipitation, elle eût le souffle coupé : une dague, vraisemblablement celle du premier agresseur s'était plantée dans sa gorge. Elle fini par tomber de son perchoir, l'œil retourné.

Drek n'était pas quelqu'un d'étrangement malade, ni une sorte psychopathe. Effectivement, c'est ce que l'on pourrait croire ; qui s'amuserait d'une situation désespérée ? N'allez pas croire qu'il était aussi fort qu'il le prétendait, la chance a aussi une part importante. Mais Drek aimait par-dessus tous les défis irréalisables, et celui-ci en était un pour nombre de personne. Plus pour lui.

C'était une sorte d'accomplissement personnel, et quelque chose d'irremplaçable. S'il n'avait pas ça, sa vie aurait déjà… pris subitement fin. Alors, quand il alla chercher son équipement dans les cadavres des deux derniers morts, tout haletant, il était à la fois satisfait de lui, et à la fois triste d'en rester là. N'y aurait-il pas d'autres embusqués, quelque part ?

- D'accord ! Tu avais raison, en effet. Il y a parfois des embuscades dénuées de sens. Vas-y, moque-toi ! En attendant, j'ai fait mon travail… Alors ne va pas dire que…

Le pied sur le corps encore chaud de l'archère, il interrompt son monologue. Pourquoi son collègue ne répondait-il pas ? Pendant un instant, il avait oublié ce qui s'était produit.

Alors, pendant qu'il essuyait négligemment sa lame sur le peu de tissu au sol encore relativement propre, il jeta un œil à l'arrière.

- Pendant deux ans, je n'ai peut-être pas monté en grade, mais au moins, je suis toujours en vie, moi. Enfin, je parle dans le vide, quoi… Où est-ce que j'ai planqué la pelle, déjà ?

Il retourna d'un léger coup de pied le corps, rendant évident la blessure mortelle causée par la flèche s'étant frayé un chemin direct vers les artères. Le code le lui obligeant, il ne pouvait pas le laisser ainsi. C'était quand même son partenaire… Le quatrième ?

Cela aussi faisait partie de son quotidien. Il lui arrivait de porter les corps à son épaule, mais celui-ci étant recouvert de boue, il le laissa trainer en ne le tirant que d'un seul bras, jusqu'au lieu parfait pour l'enterrer ; à coté des autres. Il lui arrivait aussi de retirer les parties métalliques  pour gagner quelques sous supplémentaires au marché, mais ce ne sera pas le cas aujourd'hui, à cause la boue.

 -Ceci est la vie que tu as décidé de vivre. Celle de soldat… Ne vas pas m'en vouloir, c'est le métier qui veut ça. Mon cher…

Alors qu'il ne restait que son visage de visible sous les monticules de terres, Drek esquissa une courte pause à son geste final. La terre étant pourtant sur l'outil, il suffisait d'un seul et effort...

-…C'était quoi… Ton nom, déjà ?

L'homme se creusa la tête. Une fraction de seconde, avant de finaliser.

-Bah, ce n'est pas comme si c'était important. T'es mort, et moi j'dois faire un rapport.

Il rangea la pelle à l'endroit habituel, et repris la route sur le chemin de forêt.  Coïncidence ou non, il rencontra justement la relève suivante. Seul problème : Ces deux là ont des yeux vides, et sont recouverts d'entrailles, et même d'une flèche. Sans nul doute que les mêmes agresseurs qu'il avait précédemment affrontés auraient anticipé une potentielle arrivée de renfort, et s'en seraient chargés avant d'attaquer le plus gros morceau. Le jeune soldat, déjà fatigué de faire le fossoyeur, décida de faire mine de rien, et progressa vers la base. L'heure suivante, le voici dans une clairière, là où les tentes sont nombreuses, où les cibles poussent comme des champignons, où les mannequins de bois forment une armée d'entrainement, et surtout, où les militaires affluent.  Tous jeunes, pour beaucoup tout droit venus de villes, viennent ici pour tenter leurs chances dans cette dure entreprise qu'est la guerre, ou tout simplement pour acquérir la force de protéger leurs proches. Dans cette colonie, Drek est une certaine célébrité, alors quand il sortit seul des hautes herbes les mains dans les poches, du sang coagulé jusqu'au visage et avec un visage fougueux, tout le monde en déduisit ce qu'il venait de se produire par la faute du ‘'Faucheur rouge''. Tout le monde s'arrête, le dévisage, le méprise. Lui n'en a que faire, il progresse irrémédiablement vers le centre, au seul bâtiment de pierre dominant les autres. De cette manière, il entre, sans frapper, sans annoncer sa venue, puisque de toute façon, tout le monde est déjà au courant.

- … Vous n'allez quand même pas encore insinuer que tout ceci est de ma faute ? 

Deux chaises, un bureau miteux, des décorations prenant la poussière sur le coin d'une étagère, et tout ça dans une pièce de la taille des toilettes, à l'extérieur. Il n'y avait qu'une petite fenêtre, le seul endroit où le regard pouvait s'évader, dissimulée par la masse du vieux en face.

Drek ne supportait pas cette pièce, ni l'homme aigri qui y passe ses journées. Cheveux grisonnants, visage préservé consciencieusement malgré toutes les années de  service qu'il avait emmagasiné. Le sergent Rosvel était à ce qu'on dit un élément majeur dans sa jeunesse, s'occupant désormais des nouveaux dans ses vieilles années. Et celui qui lui avait donné un coup de vieux se tient devant lui, installé à moitié avachi, le coude posé sur le bureau à se tenir la tête. Malgré tout son sérieux et son autorité, il se retenait de le recadrer, tout simplement parce que ça n'avait aucun effet.

- Te connaissant, tu n'étais pas vraiment attentif au ‘'moment fatidique'', n'est-ce pas ? La recrue Lurcef est ainsi morte… Tu te souvenais de son nom, n'est-ce pas ? Combien de recrues sont mortes avant lui, en ta présence ?

Drek se mis alors à compter, négligemment, de sa main libre. Il lève quatre doigts.

-C'est ça ? J'ai un doute.

Le sergent se maîtrise encore, mais laisse par inadvertance son index tapoter le bureau.

-Je me répète sûrement, mais sache qu'à l'armée, on ne travaille jamais en solitaire. L'esprit d'équipe est essentiel pour progresser, et surtout pour survivre en territoire hostile. Tu ne pourras pas agir ainsi éternellement, ou ça finira par te retomber dessus. Et ça, peu importe le poste.

-Et donc, dites-moi ? J'aurais dû arrêter la flèche ? Utiliser mes instincts de prédateur pour repérer leur présence ?

- Là n'est pas le problème ! Mais l'inattention, c'est une généralité chez toi ! A cause de ça, je ne peux te mettre nulle part ! Pourquoi dois-tu toujours être ainsi ? Tu n'es pas seul au monde !

-Ce n'est pas grave ! Si vous ne trouvez rien qui me sied, vous n'avez qu'à m'envoyer dans notre chère capitale Ariesh ! Paraît-il qu'ils ont de gros problèmes avec des bandes organisées…

- Tu te surestime trop, et tu ne mérites rien de tel. Tu es un problème ambulant, Drek… Et si ce n'était qu'une question d'équipements hors-normes, ça irait encore, mais tu es juste invivable avec n'importe qui ! Ce n'est pas comme ça que l'on sert son pays !

Alors, à l'entente du mot déclencheur, le jeune homme change de posture pour quelque chose de plus sérieux, et réplique dans un timbre de voix plus monocorde, plus studieux.

-Un ‘'pays'', n'est ce pas... Parlons un peu politique, voulez-vous ? Notre première source de richesse avant le commerce maritime et l'agriculture est de loin l'esclavage, le pillage, et la guerre. Vous trouvez ça normal, pour une monarchie saine ? On vend des elfes, et on appelle ça une économie ? Quel genre de roi s'obstinerait là-dessus, je vous le demande. Et ce n'est pas le seul problème, même si c'est le plus gros, alors quand vous me demandez de servir mon pays… Je vous réponds que je ne sers que mes propres intérêts, dans l'attente d'un vrai dirigeant. En attendant, je ferais ce qu'il me chante, outre les ordres sensés que vous déblatérez.

L'homme extrêmement patriotique, après avoir écouté assidûment le discourt, se lève sur le point de renverser tous les meubles sur son subordonné. Le sergent Rosvel, connu comme une personnalité calme et réfléchie, est très difficilement irritable. C'est pourquoi Drek ressent une joie immense mais dissimulée à chaque fois qu'il arrive à le faire sortir de ses gonds par des arguments solides, sans la moindre insubordination, ou presque. Ces rites font aussi parties des défis que se donne le jeune soldat ; gagner aussi bien le combat physique que psychique, c'est une des clés de la réussite dans sa profession. Dommage que ces exercices ne soit pas appliqués correctement, et pas sur les bonnes personnes. La colère était donc bien présente, cependant, et cette fois seulement, le gradé récupéra son calme pratiquement aussitôt.

- Tu dois comprendre que cet ‘'incident'' est celui de trop… Je ne peux plus te garder, cela m'est impossible désormais.

Le bluff est aussi une des techniques utilisable pour gagner un entretient, Drek le savait.

- Je sais, je sais... Je n'ai toujours pas assez de doigts pour compter le nombre de fois où vous me l'avez dit…

Seulement, le sac que le Sergent extirpe de derrière son bureau, qui plus est remplis de ses affaires personnelles, sembla cette fois prouver le contraire. Il était on ne peut plus sérieux, de quoi troubler le jeune imbécile.

- Je n'ai plus besoin d'un membre dissident sous mon commandement. J'ai beau essayer, et ce n'est pas faute de m'être obstiné, tu ne retourneras jamais dans le bon chemin. Alors autant t'en détourner maintenant. J'imagine que tu souhaites ta derrière paye. 

La bourse s'ajoute à la sacoche. Quelques pièces de monnaie, rien de plus. Et c'est tout. Drek était toujours assis, quand il commença à réaliser la gaffe qu'il venait de faire.

- Vous n'êtes pas sérieux …?

- Rassure-toi, j'ai trouvé le travail idéal pour un solitaire comme toi. Il y a une expédition qui part pour le grand Nord, avec une forte rémunération à la clé. Le départ est proche de la porte frontalière d'Austrélia, demain matin. Tu n'auras qu'à leur donner ça… Le danger, tu aime ça, non ? Tu seras servi. 

Il tend maintenant une lettre froissée, sertie du sceau de l'armée régulière. Ses yeux sont maintenant rivés sur sa plume. Rosvel reprend immédiatement sa paperasse  comme si de rien n'était. Ni adieu, ni honneur, ni même de reproche. L'ex-soldat en colère était invisible.

- C'est donc comme ça qu'on en finit…

Finalement, il récupéra les deux contenants sans broncher.

-Je ne rendrais pas l'armure, vu que c'est moi qui l'ai payée.

-Fais ce que tu veux.

Il arrache la lettre et la fourre dans l'une de ses poches. Au moment de fermer la porte, une petite pointe au cœur. Pas pour le poste, mais bien à cause de l'homme qui l'avait formé. Drek était reconnaissant, mais se savait pas l'exprimer, alors il se contenta de partir, sans causer de problème. Il ne céda pas aux provocations de ses anciens camarades, qui les uns après les autres l'insultaient de tous les noms. A vrai dire, il n'écoutait même pas ; il pensait déjà à sa nouvelle vie, à toutes ces choses qu'il pourrait faire maintenant qu'il était libre. Pour Drek, il était temps de changer de route et de partir pour la ville, non pas en soldat, mais en tant de mercenaire.

Encore une bonne heure s'écoule parmi les arbres avant qu'il rencontre les premières traces de civilisation. Cela débute par une scierie sauvage, qui découpe sans scrupule toute la végétation, rendant l'air sec et froid dans toute la zone à la ronde. Vint ensuite les premières cabanes, faites du même bois,  disposant d'un confort des plus précaires. Peu à peu, les bâtisses de resserrent, forment des routes, des rues boueuses. La misère était visible à chaque recoin, dans ce lieu comparable à une tumeur, dont le nombre de vies y séjournant n'a fait qu'appauvrir ses terres … Nous sommes ici hors des frontières ; la seule et unique ville n'appartenant pas au royaume, tout simplement parce que le royaume n'en veut pas.

La raison de cette folie : tous ses habitants sont des immigrants. D'honnêtes citoyens, autrefois en bonne situation, qui ont tout perdu. Cette histoire date d'une vingtaine d'années ; Autrefois, ce nord désertique que tout le monde surnomme ‘'le royaume des morts'' était tout ce qu'il y avait de plus normal. Un pays de montagnards endurcis, avec une culture et des cultes bien à eux, ainsi qu'une véritable économie. Mais, un jour, une tempête s'est levée. ‘'Le cauchemar'', un nuage noire immense, enveloppa toute vie et chaleur à des lieux à la ronde.

Aujourd'hui, il ne reste que ces fils et filles de survivants. Ainsi est née cette sinistre ville qui a vu grandir notre héros. Seuls ceux qui s'engagent dans l'armée obtiennent la citoyenneté, et Drek l'a obtenue, malgré tout… 

Entre l'odeur sortant des forges et la charogne des tanneries, des  ordures et excréments, et sans parler des cadavres en pleine rue, l'air est saturé, irrespirable. C'est pourquoi jamais un noble ne viendrait poser pied ici sans avoir le cœur sur la main, et encore…

Vint ensuite le moment d'entrer dans le centre-ville ; le seul endroit où le sol était pavé, et où de la pierre recouvre les murs des habitations, les seuls vestiges d'un village autrefois florissant. Ainsi, le jeune mercenaire repéra un coin plutôt calme, sans crasse ni mendiant, et y installa ses affaires. Ce soir, il allait dormir à la belle étoile.

C'est ainsi que sans grand problème, il retourna de nouveau dans le monde des rêves, devant cette maison recouverte de flammes.

Sombre jour dans sa courte vie, qui le marquera à jamais. Le jeune Drek était là, impuissant devant cette masse de flammes. Il était entouré des passants de cette sinistre soirée, tous témoins de l'apparition du spectre infernal. Cette chose, même pour un connaisseur de magie, n'était en rien normale, et possédait les quatre murs comme le gardien enflammé de ces lieux. Après avoir tout réduit en cendre, la créature vêtue de mauve disparut, rendant ses couleurs habituelles au feu ambiant qui dévorait les bâtiments jumelés.

Drek n'y est pas resté plus  d'une minute, mais détruisit tout ce qu'il possédait en tant qu'enfant sorti de la mendicité. Il en est persuadé, la créature finira par revenir.

C'est alors que l'homme devant lui, le visage carbonisé, le sortit de sa torpeur en le prenant par les épaules.

-… Tout est de ta faute.

Il sursaute, revenu à lui, dans le présent. C'est cette tête qu'il le hante le plus. Depuis ce jour, Drek n'arrive plus à rêver, privé d'un sommeil apaisant. Malgré tout, il en avait pris l'habitude et cela ne lui faisait presque plus rien, si ce n'est un sentiment de lassitude.

La cloche sonne, sans prévenir. Comme quoi il y a des églises même aux portes de l'enfer. Le tintement se répète huit fois, comme l'heure annoncée sur le tract. L'heure du départ.

-Merde…

Dans la hâte, il prit bagage, et entama une course déchaînée dans la boue. Par chance, il connaissait la moindre rue, le moindre raccourci dissimulé entre les détritus. Il croisa des visages familiers, des mécréants à qui il avait déjà volé autrefois, mais il n'avait ni le temps, ni l'emploi pour les arrêter ni leur cracher au visage, alors il se contenta d'un croche patte. Il avait une raison de plus pour courir, maintenant.

Traversant la ville, il venait de rejoindre, seul, la place indiqué. Un peu en retard, mais l'expédition semblait aussi avoir des problèmes dans son emploi du temps, à la bonne heure.

-Hé ! Toi, là ! Tu ne vois pas que la place est privatisée ? A moins que tu sois un résident ?

 L'homme en armure tenait à lui seul l'accès menant à la place, elle-même devant la porte Nord, la seule fortifié.

-Je viens postuler. Dois encore y avoir de la place, non ?

-Quoi ? T'es pas un peu jeune pour partir au casse pipe ? Ils vont au Nord ces gens, tu sais ?... Mon supérieur m'a demandé de ne pas faire entrer n'importe qui, alors…

Dans la précipitation, Drek cherche dans chacune de ses poches.

-Je sais, je sais… Bon sang, où est-ce que je l'ai mis…

Le document, recommandation et dernier mot du Sergent, semble introuvable. Puis finalement il réapparait, tendu par une fine main venant de derrière, tenant l'enveloppe entre ses doigts dorés.

-Serait-ce ceci que vous recherchez ? Je l'ai trouvé par terre.

Une jeune femme à la longue chevelure soyeuse ambrée était apparue à ses cotés, sans qu'il n'en perçoive la présence. Elle avait le teint clair, les yeux aurore, une peau blanche digne de la plus haute noblesse, et pourtant, était seule. L'armure qu'elle portait ne semblait guère usée, et n'avait point d'utilité ci-ce n'est d'apparat, puisqu'elle ne recouvrait pas l'ensemble de son frêle corps. A la place des plaques, il y avait parfois de longues toiles de soie lui recouvrant partiellement une épaule. En outre, le garde s'était immédiatement mis au garde-à-vous en l'apercevant. Drek saisis alors la lettre, décrochant ainsi un immense sourire de l'aristocrate.

-Merci…

Mot qu'il prononçait pour la première fois de sa vie. Il en fallait beaucoup pour lui aspirer la sympathie.

-Mais de rien. Faites attention, la prochaine fois. Pouvons-nous passer, mon cher ?

Elle s'adressait au garde, qui se déporta immédiatement.

-Evidement, Inquisitrice. Faites-donc…

-Ce fut un plaisir.

Elle s'inclina, humble et pleine de bonté devant le jeune mercenaire, et pris de l'avance sur lui. Il semblait qu'on l'attendait avec impatience, sans doute pour des affaires de premier ordre. La fille avait certainement l'âge de Drek, et avait déjà une place importante dans cette société, et bien qu'elle eût la chance de naître dans une famille de bien-nés, elle n'inspirait à Drek que de l'admiration, lui qui en dix-sept années n'avait encore rien fait.

 Ceci fait, il avait pu pénétrer dans l'enceinte de l'expédition, elle-même en plein préparatif pour ce qui semblerait être le voyage de l'année. Dans l'empressement, il ne fit pas très attention à ce qu'il se passait autour de lui, et se hâta à rejoindre les trois personnes ne faisant strictement aucun effort, le tout au centre de l'agitation.

-Vous êtes recruteurs ? J'aimerais être embarqué avec vous.

Surpris de sa présence, les trois hommes autour de leur table et une choppe encore à la main, se regardent les uns les autres.

-Il manque encore quelqu'un, c'est ça ? L'abandon, ou je ne sais plus quoi…

-Ouais, mais on ne prend quand même pas les gamins !

Drek s'imposa, jetant la lettre sur table. L'un des hommes, intrigué, s'applique immédiatement à lire.

-Ancien soldat, s'il vous plait. Vous ne trouverez pas meilleur en si peu de temps.

-Ancien… quoi ? Tu lis quoi, sur son machin ? J'ai toujours pas appris à lire.

-…C'est une ‘'recommandation'', d'un certain sergent ‘'Rosvel''… Hé ! C'est pas rien ça, non ? Enfin, c'est haut comme grade, sergent ?

-Bah, ça va, quoi… il dirige des gens.

Le troisième homme, Celui bien plus grand et costaud que les deux autres, sorti de son silence et frappa lourdement sur la table.

-BON ! De toute façon, ce n'est pas comme si on avait eu d'autres candidatures, et ce n'est pas faute d'avoir attendu ! Gamin, tu sais tenir une arme ? Tu sais suivre un ordre ? Tu sais marcher ? Alors, on t'engage. Ta mission ; Tu marches, tu ne poses pas de question, et à la fin, on te paye.

-Je pense pouvoir tenir l'engagement.

Le lourdaud s'approche, et tend sa main. Le mercenaire tout juste recruté fit de même, concluant l'accord d'une une poignée de main. Cependant le colosse ne s'arrêta pas là. De son autre main, il approcha furtivement un objet, un brassard qui s'agrippa à l'avant-bras de Drek.

Peu surpris, le jeune homme se contente de scruter le nouvel objet, dont le seul point intriguant était le symbole décorant la protection, représentant un soleil. Il ne pouvait l'enlever, mais cela ne le gênait point.

-Ceci prouve que tu as été engagé par ‘'L'Eglise''. Il a été enchanté de sorte à ce qu'il n'y ait pas de déserteur… Tu vois ce que je veux dire ?

L'Eglise, une organisation religieuse présente dans le monde humain. Son but principal était la protection contre le Mal. Cependant Drek ne les avait jamais vu à l'œuvre dans ses contrés. N'ayant presque jamais entendu parler d'eux, il ne se doutait absolument pas de l'ampleur du travail qui venait de lui être confié. S'intéressant de nouveau au brassard, il se rend compte qu'effectivement, tout le monde le porte ici, le grand homme y compris.

-Ouais, je vois.

-L'expédition durera un mois, et prendra fin lorsque nous auront refranchi ces portes. Il n'y a rien d'autre d'indispensable à savoir, alors contente toi de ça. Maintenant, si tu as tout compris, tu peux aller aider les autres !

-Compris…

La pression enfin retombée, il était maintenant libre de faire le tour du matériel, le tour de la place. De ci et de là était transporté d'énormes caisses, parfois à la force des bras, parfois même par la force du bâton et de la lévitation ; Drek n'avait jamais vu autant de mages en un endroit, ils étaient partout ; Habillés tous d'une cape sombre ayant l'emblème du soleil, certains d'entre eux aidaient à porter les charges lourdes, tandis que d'autres récitaient des incantations énigmatiques sur des parchemins, armes, et mêmes les cinq véhicules particuliers présents ici. Des sortes de roulottes, bien plus grandes et solides que la moyenne, recouvertes non pas de tissu mais entièrement de bois, possédant six roues et un attelage suffisant pour quatre chevaux. L'une de ces roulottes était encore plus grande, et portait à l'avant des chevaux un énorme cadre en fer retirable,  sur lequel était fixé un étrange objet lui-aussi en fer à la fonction inconnue. Seules les lettres gravées ‘'E.F'' étaient encore lisibles.

Drek rencontra ensuite les fiers chevaux de trait, d'origine montagneuse, à la musculature puissante et ayant une fourrure suffisante pour survivre aisément à une tempête. Après avoir vu tout ça, une chose est maintenant certaine, c'est que l'on ne manque pas de moyen dans cette entreprise. Alors, faisant un dernier tour du propriétaire, le jeune Drek, qui n'avait tout de même pas oublié la rencontre charmante qu'il avait fait, se mis en quête de retrouver celle qui lui avait sauvé la journée, et ce fut vite le cas. Elle était là, parlant avec le malabar qui l'avait recruté précédemment, et un vieux prêtre du coin venu donner assistance. Pour ne pas attirer l'attention, il se cacha discrètement derrière le premier ballot de paille à vue, et continua de scruter la jeune femme, en attendant une ouverture pour s'approcher.

Elle lui avait tapé dans l'œil, non pas pour sa  beauté naturelle, mais bien pour un détail qui l'avait chiffonné tout à l'heure… Elle porte aussi le fameux soleil, et en grand sur son armure. Serait-elle donc une sorte de cadre de cette organisation ? Le garde tout à l'heure l'avait appelé ‘'Inquisitrice'', en se prosternant… Lui poser la question ferait un bon sujet de conversation.

 

-OH ! Toi, là !...

La voix rauque d'un des travailleurs venait de sa droite et s'adressait effectivement à lui, mais il fit semblant une première fois de ne rien entendre.

- … Oui toi ! Le rouquin pervers ! Sors de là et viens nous aider ! 

Là, il dût faire face. Vexé, il fit attention à la réaction de la fille, qui avait tourné la tête dans sa direction. Elle bloqua son regard sur Drek, une certaine interrogation dans la pupille jusqu'à ce que Drek abandonne. Ne se voyant plus l'aborder dans ces conditions, il alla porter son aide aux autres hommes, jusqu'à la fin probante de travail.

Plus tard, entre deux sessions de transport, la fille avait disparu. Elle ne participerait donc pas à l'évènement, et il avait perdu l'occasion de lui parler. Il dut faire une croix sur l'espoir de la revoir, mais peu importe… c'était l'heure d'ouvrir les portes.

Tout était en place. Seules quelques marchandises restaient sur les carreaux, celles n'ayant pas trouvé place à l'embarcation. Les mages, ayant terminé leur part, avaient quitté la place, ainsi que les quelques artisans, forgerons et tanneur étant restés pour les derniers préparatifs. Le colosse à la première place, il posa le regard sur son expédition, puis leva les bras.

-OUVREZ LES PORTES !

Et les grilles s'ouvrirent, les mécanismes s'enclenchant les uns après les autres. Soudain, la porte s'affaissa, une rafale de vent froid s'engouffra dans la place, un air sec à l'odeur de sable…

Devant eux, il n'y avait rien d'autres que du sable, des os et des arbres morts.

 

 

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