Brèves du Temps Perdu
Jean Pierre Martinez
Ce texte est offert gracieusement à la lecture.
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Pour toute autre information, contacter l'auteur : http://comediatheque.net
D'abord scénariste, Jean-Pierre Martinez est aujourd'hui auteur de théâtre.
Pour le petit écran, il a écrit une soixantaine d'épisodes de séries : Avocats & Associés, Équipe Médicale d'Urgence, Enquêtes Réservées, Sur Le Fil, Extrême Limite, Studio Sud,
Cap des Pins, La Vie Devant Nous, Indaba, La Dernière Réserve...
Pour la scène, il a écrit quinze comédies : Café des Sports, Come Back, Photo de Famille, Elle et Lui, Strip Poker, Brèves du Temps Perdu, Morts de Rire, Vendredi 13, Le Comptoir, Bed & Breakfast, Les Monoblogues, Sens Interdit, Happy Hour, Eurostar, Le Bocal...
Ses pièces ont déjà été montées par une centaine de compagnies amateurs ou professionnelles, tant en France que dans les pays francophones et hispanophones.
Il est sociétaire de la SACD et membre des Ecrivains Associés du Théâtre.
Toutes ses pièces sont librement téléchargeables sur son site : http://comediatheque.net
BRÈVES DU TEMPS PERDU
Une comédie à saynètes de Jean-Pierre Martinez
Cette comédie met en scène dans chaque sketch deux personnages
pouvant être interprétés par les mêmes comédiens
ou par des comédiens différents.
Sa distribution est donc très variable en nombre et sexe.
http://comediatheque.net
Réveil
1 - Travaux d'approche
2 - Amour toujours
3 - Autoroute
4 - Décalage horaire
5 - Partie de pêche
6 - Excès de lenteur
7 - Hors saison
8 - Temps perdu
Pause
9 - Perdu de vue
10 - Face à face
11 - 107 ans
12 - Leçon de choses
13 - Mémoire cash
14 - Souvenirs
15 - Projets d'avenir
16 - Premier amour
17 - Mortel
18 - Apesanteur
Rideau
Réveil
La lumière se fait peu à peu. Un couple dort sous un drap. Brusquement, on entend un martèlement suivi des trois coups (comme au théâtre). Il émerge, en sursaut et tombe du lit. Vêtu d'un pyjama rayé (évoquant une tenue de bagnard ou de prisonnier d'un camp), il écarquille les yeux et se frotte les côtes en grimaçant, avant de jeter un regard autour de lui, semblant ne rien reconnaître. Il regarde son pyjama, étonné. Il se lève et parcourt la pièce, à la recherche d'une issue, mais ne trouve rien. Il se fige en apercevant les spectateurs qui le regardent. Secouant la tête comme pour chasser un mauvais rêve, il revient vers le lit, et tombe nez à nez avec elle, également en pyjama rayé, qui a aussi commencé à se réveiller pendant qu'il avait le dos tourné. Ils poussent ensemble un cri de terreur en se découvrant l'un l'autre.
Elle et Lui - Ah !!!
Elle met ses mains contre sa poitrine dans un geste de pudeur.
Elle - Qu'est-ce que vous faites là ?
Lui - Et vous ?
Ne pouvant répondre, elle se lève à son tour et fait à peu près le même manège que lui précédemment, pendant qu'il l'observe.
Elle - Mais... on est où ?
Lui - Aucune idée...
Elle (se tournant vers lui) - Vous savez quand même bien comment vous vous appelez ?
Lui (mimique pour dire que non) - Et vous ?
Mimique pour dire qu'elle ne sait pas non plus.
Elle (comme pour le rassurer, maternelle) - Si on est en colo, il y a sûrement un nom, cousu sur une petite étiquette, à l'intérieur de votre pyjama.
Il a l'air surpris par cette idée.
Elle - Faites voir...
Elle s'approche de lui et veut regarder derrière son col de pyjama. Il a un mouvement de recul, mais finit par se laisser faire.
Elle (victorieuse) - Ah oui, il y a bien quelque chose d'écrit ! (Elle essaie de déchiffrer, sans succès) Je n'arrive pas à lire ! Retirez ça, pour voir...
Il a une nouvelle réticence, mais accepte finalement de retirer sa veste de pyjama. Il est désormais torse nu et manifeste une certaine gêne. À moins qu'il n'ait simplement froid. Elle se penche sur l'étiquette et lit.
Elle - Adam...
Lui - Comme la brosse ?
Elle - Comme le prénom !
Il affiche une mine perplexe, en se frottant machinalement les côtes.
Elle (inquiète) - Vous êtes blessé ?
Lui - Ce n'est rien. J'ai dû me fêler une côte en tombant du lit. (Un temps) Et vous ?
Elle - Non, moi ça va...
Lui - Non, je veux dire, vous aussi, vous avez peut-être votre nom sur une étiquette cousue quelque part. Faites voir...
Il s'approche d'elle d'un pas décidé. Elle l'arrête d'un geste ferme.
Elle - On verra ça plus tard !
Il se résigne.
Lui (sceptique) - En colo, vous croyez...? Il n'y a personne...
Elle - On est peut-être les premiers...
Lui - Ou les derniers...
Ils font à nouveau le tour des lieux chacun de leur côté, et se retrouvent face à face.
Lui - On ne s'est pas déjà vu quelque part ?
Elle (ironique) - Dans vos rêves, peut-être... (Agressive) Alors vous ne voyez vraiment aucun moyen de nous sortir de là ?
Lui - Eh, oh, on n'est pas mariés, hein ? Pourquoi ce serait à moi de vous sortir de là ?
Elle (profil bas) - Excusez-moi...
Il soupire, ne sachant plus quoi faire.
Lui - Bon... Qu'est-ce qu'on fait ?
Elle (dubitative) - On est obligé de faire quelque chose...?
Lui (décidé) - Moi, j'ai horreur de rester inactif. (Joignant le geste à la parole) Je me recouche !
N'ayant rien d'autre à proposer, elle se rallie à son point de vue.
Elle - Bon...
Lui - C'est peut-être un cauchemar... Et quand on se réveillera, ça ira mieux...
Elle - Ou ce sera pire...
Ils s'apprêtent à se recoucher, un peu gênés malgré tout de partager le même lit.
Lui - Vous avez un côté préféré ?
Elle - Non...
Lui - Bon, ben je vais reprendre celui-là, alors.
Il s'allonge du même côté qu'auparavant.
Elle (ironique) - On prend vite ses petites habitudes, hein...?
Elle se couche de l'autre côté, mais n'a pas l'air d'avoir envie de dormir.
Lui - Je peux éteindre ?
Elle - J'aurais bien lu un peu, mais on n'a même pas le texte de la pièce...
Lui - J'éteins alors. (Il cherche comment éteindre) Je ne vois pas d'interrupteur...
La lumière baisse progressivement.
Lui - Ah ben voilà ! (Il se tourne vers elle) Bon ben... À un de ces jours, alors...
Elle - C'est ça... À un de ces jours...
Noir.
Elle - Je mets le réveil ?
Lui - Ce n'est pas dimanche, demain ?
Elle - Il n'y a pas de réveil, de toute façon...
1 - Travaux d'approche
Elle et lui sont assis côte à côte dans un avion. Elle dort contre son épaule, comme si c'était sa compagne. Elle se réveille peu à peu... et se rend compte qu'elle dormait sur l'épaule d'un inconnu.
Elle (gênée) - Pardon, je suis désolée... Mais vous auriez dû...
Lui - Je n'ai pas osé vous réveiller...
Elle - J'ai dormi longtemps.
Lui - On a commencé les travaux d'approche...
Elle - Pardon ?
Lui - Je veux dire, euh... Les manoeuvres d'approche... Pour l'atterrissage !
Elle - Ah, oui...
Elle remet un peu d'ordre dans ses cheveux d'un geste de la main.
Lui (engageant) - Vous êtes en vacances ?
Elle (sur la défensive) - Euh... Non... (Après une hésitation) Je vais rejoindre mon mari...
Lui (déçu) - Ah... Qu'est-ce qu'il fait ?
Elle - Il... Il est médecin... Il travaille pour une ONG...
Lui - Ah, oui, bien sûr... Dans un pays pareil... À part le tourisme et l'humanitaire... La prostitution, un peu... Et le trafic de drogue, bien sûr...
Elle a l'air un peu déstabilisé.
Elle - Et vous ? Vous êtes en vacances ?
Lui - Euh, non... Je fais... dans le trafic d'armes.
Elle (surprise) - Vous voulez dire, euh...
Lui - Kalachnikov, lance-roquettes, mines anti-personnelles... Je viens de toucher un lot de chars d'assaut presque neufs. Si ça vous intéresse...?
Elle - Merci... Mon mari a déjà un quatre-quatre...
Lui - Il a raison, c'est beaucoup plus pratique. Et plus écologique ! Un tank, c'est très difficile à garer, surtout en ville, et ça consomme presque autant qu'un Airbus...
Silence embarrassé, suivi d'une secousse que les comédiens peuvent marquer par un léger sursaut.
Lui - Ah, ça y est... On vient d'atterrir... (Ils se lèvent pour partir) Bon, et bien... Enchanté d'avoir fait votre connaissance...
Elle (après un moment d'hésitation) - Vous... Vous êtes vraiment trafiquant d'armes...?
Lui - Non... C'était seulement pour que vous me détestiez... Pour ne pas avoir de regret... Une femme mariée... avec un French Doctor, c'est difficile de lutter... Regardez Kouchner... Et pourtant les gens l'adorent. Et vous ?
Elle - Moi ?
Lui - Vous êtes vraiment mariée ?
Elle - Euh... En fait, non... Pas vraiment...
Lui - Alors vous êtes célibataire, et en vacances, comme moi...
Elle - Oui... Je vais au Club... Ne me dites pas que vous aussi...?
Lui - On y va tous... C'est un charter...
Elle (innocemment) - Ah, oui...?
Ils commencent à s'éloigner ensemble...
Lui - Vous dormiez vraiment...?
Elle - Non... Heureusement... Je ronfle...
Ils se sourient.
Lui - Je vous offre un verre au bar, ce soir ?
Elle - J'ai pris la formule tout compris, avec boisson à volonté. Pas vous ?
Lui - Si... (Ils se sourient à nouveau, bêtement). Je crois qu'il est temps de descendre, sinon, l'avion va redécoller. Il fait deux rotations par jour... Après vous, je vous en prie... (Ils se dirigent vers la sortie) Vous n'étiez pas déjà venue, l'année dernière ?
Elle - Si...
Lui - Il me semblait bien aussi...
Noir.
2 - Amour toujours
Elle et lui, côte à côte, amoureusement.
Elle - On est bien, comme ça, non ?
Lui- Oui...
Elle - Tu m'aimes ?
Lui - Oui.
Elle - Tu m'aimeras toujours ?
Lui - Toujours ?
Elle - Je ne sais pas, moi... Est-ce que tu m'aimeras pendant 50 ans ?
Lui (effaré) - 50 ans...?
Elle - 40...? (Il a l'air dubitatif) 20...? 10...?
Il a toujours l'air dubitatif.
Elle - Est-ce que tu m'aimeras pendant un an ?
Lui - Un an ? (Convaincu) Ah, oui ! Et toi ?
Elle (sceptique) - Un an ?
Lui - Six mois ? (Elle a l'air dubitative) Quinze jours ? Une semaine ?
Elle a toujours l'air dubitative.
Lui - Est-ce que tu m'aimeras jusqu'à demain ?
Elle - Demain matin ? À quelle heure ?
Lui - Je ne sais pas, moi. Disons 9 heures ?
Elle sourit en signe d'acquiescement. Ils s'embrassent.
Elle - Je mets le réveil ?
Noir
3 - Autoroute
Il se présente devant elle.
Lui - Combien ?
Elle - 30 euros...
Lui - Super ou ordinaire ?
Elle - Ça existe encore, l'ordinaire ? Je pensais qu'il n'y avait plus que du super ? (Il ne dit rien) Bon, ben mettez-moi de l'ordinaire. Pour changer un peu...
Lui - L'ordinaire, c'est plus cher.
Elle - Ah, bon ?
Lui - C'est devenu très rare, l'ordinaire. Il n'y en pas partout...
Elle - Bon, ben mettez-moi du super, alors.
Lui - Super normal ou super plus ?
Elle - C'est quoi la différence ?
Lui - Super plus, c'est plus cher, mais ça consomme moins.
Elle - Qu'est-ce que vous me conseillez ?
Lui - Vous consommez beaucoup ?
Elle - Je ne sais pas. J'en prends toujours pour 30 euros...
Lui - Prenez du super plus.
Elle - Bon, ben... Le plein, alors... Je ne voudrais pas retomber en panne sèche...
Lui - Je vous fais les niveaux et la pression ?
Elle - C'est gratuit...?
Lui - C'est à la discrétion du client.
Elle - Mais... combien, sans indiscrétion.
Lui - Un euro, en moyenne. Deux pour les plus généreux. Cinq pour les bienfaiteurs de l'humanité. Je vous fais une carte de fidélité ?
Elle - Qu'est-ce qu'on gagne ?
Lui - Avec cinq pleins, vous avez droit à un lavage gratuit.
Elle - D'habitude, je la lave moi-même...
Lui (s'appochant) - C'est quoi, ça ? Une crotte de pigeon...
Elle - Vous croyez...?
Lui - Il ne faut pas laisser ça comme ça. C'est très corrosif.
Elle - Qu'est-ce que je peux faire ?
Lui - Prenez une carte de fidélité.
Elle - Je ne viens pas souvent par là. Je suis en vacances...
Lui - C'est valable partout.
Elle - La prochaine fois, peut-être...
Lui - Voilà, ça fait 95 euros.
Elle - Tenez, gardez le tout.
Lui - Merci.
Elle (s'en allant, puis se ravisant) - Excusez-moi, vous savez où on est ?
Lui - Vous allez où ?
Elle - Je ne sais pas encore.
Lui - De toute façon, vous ne pouvez pas faire demi-tour, alors...
Elle - Et la prochaine sortie, c'est loin ?
Lui - Ouh, là...! C'est pas tout de suite, hein...!
Elle - Bon, ben je vais continuer, alors.
Lui - Bonne route.
Elle - Merci.
Elle s'éloigne.
Lui - Ah, les femmes...
Noir.
4 - Décalage horaire
Un homme arrive un peu essoufflé devant une femme, genre hôtesse.
Lui - Bonjour mademoiselle, je suis Monsieur Dumortier...
Elle (vérifiant sur une liste) - Monsieur Dumortier, oui, parfaitement.
Lui - Désolé, je suis un peu en retard...
Elle (aimablement) - Vous êtes le dernier, en effet. Nous n'attendions plus que vous pour décoller... Vous avez des bagages ?
Lui - Euh, non... (Montrant le sac en plastique qu'il tient à la main) Juste ça... Je peux le prendre en cabine...?
Elle - Bien sûr... Classe tourisme, c'est bien cela...?
Lui (acquiesçant) - Le vol dure combien de temps ?
Elle (vérifiant) - Attendez, que je ne vous dise pas de bêtises... 37 ans exactement... Vous arrivez le 16 avril 3022 à midi, heure locale...
Lui - Je me suis dit qu'en avril, il y aurait moins de monde...
Elle - En dehors des vacances scolaires, c'est quand même moins cher. Et puis là-bas, avril, c'est la belle saison. Les jours rallongent. En hiver, on a à peine le temps de se lever qu'il fait déjà nuit : les journées ne durent que cinq heures !
Lui - Vous y êtes déjà allée ?
Elle - Oui ! Plusieurs fois. En tant qu'hôtesse, on a des tarifs... Vous avez prévu un vêtement chaud pour la décongélation ?
Lui - Bien sûr.
Elle - Heureusement qu'on a des avantages, vous savez... Parce qu'hôtesse... C'est une vie de fou... Vous partez sur le moindre vol d'une soixantaine d'années, vous revenez, il faut vous refaire des amis. Les vôtres sont déjà tous morts et enterrés... Ou alors complètement décatis... Vous avez des amis ?
Lui - Non.
Elle - Vous avez bien raison. C'est beaucoup plus simple. (Son téléphone sonne et elle répond). Oui...? Parfait, merci. (Elle raccroche et s'adresse à nouveau à son passager) Cette fois, c'est l'heure. On m'annonce que votre fusée va décoller d'un instant à l'autre. Je ne vous dis pas au revoir. Quand vous reviendrez, je serai sans doute plus de ce monde. Je fais le système solaire, en ce moment. Il n'y a presque pas de décalage annuel. C'est quand même moins fatiguant.
Lui - Surtout quand on a des enfants...
Elle - Vous les laissez à la crèche, et quand vous revenez du travail, ils ont fini médecine... Alors bon voyage !
Il part en oubliant son sac en plastique.
Lui - Merci.
Elle - Ah, vous oubliez votre bagage à main...
Lui - Oh, pour ce qu'il y a dedans...
Elle - Vous avez raison... Ce n'est pas la peine de se charger... Quand on arrive, la mode a complètement changé... Autant acheter des vêtements sur place...
Lui - Ah, je ne vous ai pas demandé, pour le retour. C'est quand ?
Elle - Le retour ? Ah, ça, c'est une question qu'on me pose rarement... Je peux vous donner une évaluation, mais vous savez... Ça dépendra de l'évolution de l'aéronautique entre temps...
Lui - Ne vous dérangez pas. Je verrai ça là-bas. Bonne journée...
Elle - Bonne journée à vous... Enfin, je veux dire... Bonne hibernation...
Lui - Eh, oui... 37 ans, quand même...
Elle - Oh, vous verrez, on ne sent pas le temps passer... Et on se réveille frais comme une rose...
Lui - Excusez-moi de vous demander ça, mais c'est vraiment une compagnie sûre...? Vous n'avez jamais eu de rupture dans la chaîne du froid...?
Elle - Pensez-vous ! Tout ça est très contrôlé. Le dernier incident qu'on a eu, c'est un passager qui s'est trompé de vol. Il devait retrouver sa fiancée sur Venus pour leur voyage de noces, et il a embarqué par mégarde pour une planète située à une quarantaine d'années lumière... Évidemment, quand il est revenu, elle...
Lui - Elle n'était plus vraiment fraîche comme une rose...
Ils rient.
Elle - Allez, maintenant filez, sinon vous allez le rater. Et le prochain vol n'est que dans soixante-dix ans...
Lui - J'y vais...
Noir.
5 - Partie de pêche
Un personnage est en train de pêcher. Un deuxième arrive et le regarde un moment en silence avant de parler.
Deux - Ça mord ?
Un - Je viens d'arriver...
Deux - Vous appâtez à quoi ?
Un - Mie de pain...
Deux - Ah, oui...
Un temps.
Deux - Vous avez essayé le... Ah, merde, comment ça s'appelle, déjà...? La... Ce qu'on trouve dans le camembert ! Les... Voyez ce que je veux dire...?
Un - Non...
Deux - C'est pas grave, ça me reviendra tout à l'heure...
Un - Vous êtes pêcheur ?
Deux - Non ! J'aurais jamais la patience... Rester des heures immobile à rien faire, comme ça, en attendant que ça morde... Si ça mord !
Un - Mmmm...
Deux - Vous ne vous ennuyez jamais ?
Un - C'est une façon d'être un peu tranquille...
Deux - Non, je préfère encore la chasse...
Un - Vous êtes chasseur ?
Deux - Non plus... Mais si je devais choisir... Je crois que je préférerais la chasse... Il y a plus d'action, non ? Et puis au moins, on fait un peu d'exercice... Parce que rester assis comme ça toute la journée... Franchement, je ne sais pas comment vous faites...
Un - C'est reposant... On écoute le bruit de l'eau qui coule...
Deux (hurlant) - Les asticots ! Dans le camembert ! Pour appâter ! Les asticots, c'est le mot que je cherchais ! Vous avez essayé, les asticots ?
Un - Non.
Deux - Vous devriez.
Un - Une autre fois, peut-être...
Deux - Un safari... Ça ça me dirait bien... Au Kenya, par exemple... Vous connaissez, le Kenya ?
Un - Non.
Deux - La chasse au gros. Une dizaine d'éléphants qui vous foncent dessus... Pan ! Entre les deux yeux ! Mais après, y'a intérêt à se garer... Pour pas être aplati par le reste du troupeau...
Un - C'est interdit, maintenant, la chasse à l'éléphant...
Deux - Ouais... J'ai vu un reportage là dessus à la télé... Il paraît même qu'ils se remettent à proliférer... Et ils deviennent agressifs, en plus ! Ils s'attaquent aux hommes... Sans raison, comme ça... Ils foncent sur tout ce qui bouge... Il y a eu des morts, hein ! À ce qu'il paraît, c'est parce qu'ils se souviennent d'avoir été chassés il y a des dizaines d'années. Ceux qui en ont réchappé avec une patte folle, une oreille en moins ou une balle dans la trompe. Et les éléphanteaux qui ont vu leurs parents se faire massacrer sous leurs yeux. Même cinquante ans après, ils se souviennent, et ils se mettent à charger dès qu'ils voient un quatre-quatre qui passe à proximité... C'est que ça vit très vieux, un éléphant, hein ? Et ça a de la mémoire... Vous n'avez pas une touche, là ?
Un - C'est le vent...
Deux - Qu'est-ce que vous en faites, quand vous en attrapez un ? Vous le mangez...?
Un - Je le rejette à l'eau...
Deux - Alors ça ne sert vraiment à rien... (Un temps). Mais ils doivent être un peu amochés, quand vous les rejetez à l'eau, non...? Avoir un crochet qui vous transperce la joue, comme ça, ça doit pas faire du bien...
L'autre s'efforce de rester impassible.
Deux - On dit que manger du poisson, c'est bon pour la mémoire... Vous croyez que ça a de la mémoire, un poisson...?
L'autre le regarde, perplexe.
Noir.
6 - Excès de lenteur
Un homme s'approche d'un autre (ou d'une femme).
Un - Papiers.
Le deuxième lui tend ses papiers.
Deux - Voilà.
Le premier examine les papiers.
Un - Vous savez à quelle vitesse vous rouliez ?
Deux (profil bas) - Je ne me suis pas rendu compte...
Un - Et ce n'est pas la première fois.
Deux - C'est la dernière, je vous le promets.
Un - Non mais vous vous rendez compte ! 12 kilomètres heure sur l'autoroute ! Vous auriez pu provoquer un accident très grave ! Qu'est-ce que vous avez à dire pour votre défense ?
Deux - Je n'étais pas pressé...
Un - Vous vous foutez de moi ?
Deux - Je vous jure que non ! En fait... C'est une sorte de phobie... Dès que je pars, j'ai l'angoisse d'arriver...
Un - Vous voulez dire de ne pas arriver...
Deux - Non, d'arriver ! Ça me fait pareil en avion...
Un - Vous avez peur de l'avion ?
Deux - Pas du tout... J'ai peur de l'atterrissage... Enfin, pas de l'atterrissage en tant que tel... C'est la fin du voyage, si vous préférez... Ça me terrorise... Je suis tellement angoissé... Je pourrais détourner l'avion pour l'empêcher d'atterrir... Mais ça ne servirait à rien. Même en faisant des cercles autour de l'aéroport, on finirait par brûler tout le kérosène, et on serait quand même obligé de se poser en catastrophe, non ?
Un - Si...
Deux - À moins d'être ravitaillé en vol...
Un - Oui...
Deux - Vous n'avez pas ce genre d'angoisse, vous, en moto...
Un - Non...
Deux - Ce que j'aimais, quand j'étais enfant, c'était les manèges... Comme ça tourne en rond, on est sûr de ne jamais arriver à rien... Je montais toujours dans la soucoupe... Vous savez, la toupie, là ? On tourne sur soi-même... En plus de tourner en rond... D'ailleurs, tourner en rond, c'est le mouvement universel, non...? Les planètes tournent sur elles-mêmes, et autour du soleil... On dit que le monde ne tourne pas rond... C'est faux... Il n'y a rien qui tourne plus en rond que l'univers... Et vous...?
Un - Moi...?
Deux - Vous montiez sur quoi, au manège ?
Un - Sur la moto...
Deux - Déjà...
Un - En fait, c'est mon père qui m'installait à califourchon sur la moto.
Deux - Et pourtant, la moto, c'est très dangereux.
Un - Moi, ce que j'aurais aimé, c'est monter dans la citrouille...
Deux - La citrouille ?
Un - Enfin, le carrosse, quoi... Surtout que même en moto, le carrosse, je n'arrivais jamais à le rattraper... Sur le manège, je veux dire...
Deux - Vous vous souvenez de Mary Poppins ?
Un - Mary Poppins...?
Deux - Le film...! (Horrifié) Cette scène, quand les chevaux de bois se détachent du manège pour aller battre la campagne et finir au galop sur un champ de course à foncer hors d'haleine vers l'arrivée, la bouche pleine d'écume...
Un - La bouche pleine d'écume, vous êtes sûr ?
Deux - Pour moi, c'était pire que l'Exorciste...!
L'autre le regarde un instant avec un air perplexe.
Un - Bon...
Il rend ses papiers à l'autre.
Un - Vous n'êtes pas complètement rond, au moins ?
Deux - Je vous jure que non...
Un - Allez, ça va pour cette fois... Vous pouvez circuler...
Deux - Circuler ?
Un - Et plus vite que ça !
Deux - Bon... Vous ne voulez pas me retirer mon permis...?
L'autre lui lance un regard négatif.
Deux - Ok, j'y vais...
Il fait mine de s'en aller.
Deux - N'allez pas trop vite en moto, vous non plus...
Il se retourne une dernière fois.
Deux - Le périphérique, c'est encore loin...?
Un - Même à 130, vous en avez pour une bonne heure...
Deux - Et sinon, la prochaine sortie, c'est quoi...
Un - La gendarmerie...
Noir.
7 - Hors saison
Un homme (ou une femme) en tenue d'été (genre bermuda et chemisette hawaïenne) voire en maillot de bain, arrive devant un(e) autre en tenue polaire (genre doudoune et moon boots) qui vend des glaces.
Un - Bonjour. Elles sont bonnes vos glaces ?
Deux - C'est des glaces artisanales. Combien de boules ?
Un - Qu'est-ce que vous avez comme parfum ?
Deux - Alors... vanille, chocolat, pissenlit, noisette, fraise, moutarde, cassis, menthe avec éclats de chocolat noir, fruit de la passion, citron, choucroute avec éclats de saucisse de Strasbourg, violette, rose, chrysanthème, papaye, anchois, praliné, noix de coco, framboise, cerise, noix de cabillaud, pomme, caramel, javel, banane, saucisson sec, orange, mandarine, aspirine, rhum-raisins, vieux mollard, huître, tarama, steak tartare, ananas, kiwi... Ah, non, du kiwi, il ne m'en reste plus.
Un - Tiens, je vais essayer chocolat - noix de cabillaud, pour changer un peu.
Deux - Une double alors.
Un - Va pour une triple. Vous me mettrez deux boules de cabillaud.
L'autre lui donne sa glace. Il la goûte.
Un - On sent bien le goût de la morue, hein ?
Deux - On les fait nous-mêmes.
Un (avec une moue) - Ah, une arrête...
Il extirpe l'arrête.
Deux - C'est des glaces artisanales...
Un - Mmm... Et ça marche, les affaires ?
Deux - Ça dépend des parfums... En ce moment, avec ce froid, c'est surtout petit salé aux lentilles, qui part bien. En hiver, ça réchauffe. D'ailleurs, je suis en rupture... Vous êtes en vacances ?
Un - Non, on tourne un film, dans le coin. Je suis comédien. Enfin, figurant...
Deux - Ah oui ? Et qu'est-ce que c'est comme film ?
Un - Les Bronzés au Club Med numéro 5. En hiver, ça coûte moins cher. Le Club est fermé.
Deux - C'est sûr. C'est comme pour moi. J'ai racheté tout ce stock de glaces pour une bouchée de pain. Avec la crise, faut savoir s'adapter. Surprendre. Etre là où on ne vous attend pas. En été, je vends des marrons chauds sur la plage...
Un - Je comprends... L'été prochain, je fais une figuration dans Les Bronzés Font du Ski numéro 4. On tourne à Courchevel, avec de la neige artificielle. C'est que là haut, l'été, ça cogne sous la doudoune... Bon va falloir que j'y retourne. Ils doivent avoir fini de décongeler la piscine. Tous les matins, c'est pareil. On perd un temps, avec ça...
Noir.
8 - Temps perdu
Deux archéologues du temps en train d'effectuer une fouille.
Un - Je crois que cette fois, on a trouvé quelque chose...
Deux - Passé ou futur ?
Un - Futur antérieur, je dirais.
Ils découvrent un objet qu'ils exhibent. C'est une pendule.
Deux - Qu'est-ce que ça peut bien être ?
Un - Aucune idée.
Deux - Il y a des chiffres...
Un - Et des aiguilles...
Deux - Trois...
Un - Il y a une qui bouge.
Deux - Elle tourne en rond...
Un - À quoi ça peut bien servir...?
Deux - C'est peut-être dangereux...
Un - Tu crois ?
Deux - On ferait mieux de ne pas y toucher...
Un - C'est un peu tard.
Deux - On dirait que les autres aiguilles bougent aussi. Mais moins vite.
Un - Ah, ouais, tu as raison...
Deux - C'est peut-être un jeu ?
Un - Ce n'est pas très marrant.
Deux - Un instrument de mesure ?
Un - Pour mesurer quoi ?
Deux - Va savoir...
Un - À moins que ce ne soit un objet rituel...
Deux - Ou alors, c'est une oeuvre d'art.
Un - Ce n'est pas très décoratif...
Un - Bon, il va falloir qu'on rentre au vaisseau spatial. Il est déjà cinq heures trente deux...
Deux - Tiens, c'est marrant.
Un - Quoi ?
Deux - La petite aiguille est sur le cinq, et la grande sur le trente deux...
Un - Tu crois que cet appareil indiquerait l'heure qu'il est ?
Deux - Va savoir...
Un - Mais à quoi ça sert, un appareil qui t'indique le présent ? C'est comme un panneau indicateur qui te dirait "Vous êtes ici". On le sait déjà !
Deux - Nous, oui...
Une - Une civilisation primitive qui aurait eu besoin de machines pour se repérer dans le temps présent ?
Deux - C'est une hypothèse.
Un - Tu imagines, un peu ? Tu te réveilles en pleine nuit, et tu ne sais même pas l'heure qu'il est. Tu es obligé de regarder une machine pour savoir si c'est le moment de te lever ou pas...
Deux - On fait un métier passionnant...
Un - Et pour remonter le temps, comment ils faisaient ?
Deux - Peut-être qu'ils faisaient tourner les aiguilles à l'envers ?
Le premier essaie de faire tourner les aiguilles à l'envers, sans succès.
Deux - Non, ça ne tourne que dans un sens. Apparemment, ces gens-là ne pouvaient voyager que dans le futur.
Un - Pas de marche arrière, t'imagines. Tu n'as pas le droit à l'erreur...
Deux - Ça devait être une civilisation très primitive.
Un - Bon, allez, on y va. Je n'ai aucune idée de l'endroit où on est.
L'autre regarde une sorte de montre à son poignet.
Deux - Longitude 23234, largitude 43722, profonditude 65840...
Un - Remarque, si on y pense. Nous on a pas besoin de machine pour savoir l'heure qu'il est... Et si ces gens-là savaient instantanément où ils étaient...?
Deux - Rien que par la pensée, tu veux dire ?
Un - Ou alors, ils vivaient dans un espace tout petit.
Deux - Au point de toujours savoir où ils étaient ? Comme ça, rien qu'en regardant autour d'eux ?
Un - Je ne sais pas... Imagine que l'espace dans lequel ils vivaient n'était pas lisse, comme le nôtre, mais comportait des aspérités...
Deux - Comme des sommets, des failles ou des précipités ?
Un - Ouais... Qui permettaient de se repérer dans l'espace. Aussi facilement que nous on se repère dans le temps.
L'autre le regarde avec un sourire navré.
Un - C'est con, je sais...
Deux - Tu as fumé ou quoi...?
Un - Ça me fout un peu les jetons, cette machine, pas toi...?
Deux - Si...
Un - Et si on la laissait là où on l'a trouvée ?
Deux - Je n'osais pas te le proposer...
Ils se saisissent de l'horloge pour la remettre en place.
Un - Avant qu'on prenne de mauvaises habitudes...
Deux - Et qu'on ne puisse plus s'en passer.
Ils ont fini et échangent un regard.
Deux - Prêts pour la téléportation ?
Un - Ça baigne.
Un - Tu sais que tu as de l'imagination, toi ? Tu aurais dû faire philosophe, au lieu d'archéologue du temps...
Noir. Ils disparaissent.
Pause
Un personnage est sur scène, désoeuvré. Un autre arrive et l'interpelle.
Un - Bonjour.
Deux - Salut.
Un - Je suis l'auteur. Je fais une petit break.
Deux - Un break ? (Sur un ton de reproche) Le spectacle vivant, c'est comme la vie. Il n'y pas de touche pause...
Un - Il n'y a même pas de coupure publicitaire...
Il sort un paquet de cigarettes et le tend à l'autre.
Un - Vous en voulez une ? Pour tuer le temps... Ça nuit gravement, mais ça règle le problème des retraites.
Deux - Merci. Je ne fume pas.
Un - Ah... Excusez-moi.
Il range son paquet de cigarettes.
Un - Vous êtes au chômage...?
Deux - Par intermittence.
Un - Et vous ne vous ennuyez jamais ?
Deux - Vous savez ce qu'on dit...
Un (soupirant) - Le plus dur, dans ce métier, c'est d'attendre.
Silence.
Deux - Ça sera dans la pièce ?
Un - Quoi ?
Deux - Ce qu'on est en train de dire.
Un - Ah, euh... Je ne sais pas encore. Ça dépend.
Deux - De quoi ?
Un - De l'intérêt de notre conversation, j'imagine. Vous avez quelque chose d'intéressant à dire ?
Deux - C'est vous l'auteur.
Un - Ouais.
Deux - Enfin, c'est vous qui le dites.
Un - Ouais...
Silence.
Deux - Vous écrivez plutôt la nuit ?
Un - Non, pourquoi ?
Deux - Vous avez l'air un peu fatigué...
Un - Je me couche tôt, je me lève tard. J'écris surtout en fin de matinée. Des fois, quand je suis inspiré, je m'y remets un peu après la sieste. (Il regarde sa montre) D'ailleurs, ce n'est pas que je m'ennuie, mais il va falloir que j'y retourne.
Deux - Oui, je crois.
Un - Merci de m'avoir tenu compagnie. Ça m'a fait plaisir de discuter un moment avec vous.
L'auteur tend la main à l'autre pour la lui serrer. L'autre hésite un instant, et lui serre la main.
Un - Vous avez la main froide.
Deux - Vous êtes vraiment auteur ?
Un - Pourquoi ?
Deux - Ça pédale un peu dans la semoule, non ?
Un - Vous ne m'aidez pas tellement... Oui, je sais, c'est moi l'auteur. Mais il paraît que quand on a un bon personnage, il suffit de le laisser parler...
Deux - Quand on veut tuer son chien, on l'accuse de la rage... Et puis le théâtre dans le théâtre... Ça a déjà été beaucoup fait, non ? Quand un auteur se met à parler boutique... C'est qu'il n'a plus rien à dire, non ?
Un (ne trouvant rien à répondre) - Bon... (En sortant, un peu déprimé, pour lui-même) Je crois que je ne vais pas la garder, cette scène-là...
Noir.
9 - Perdu de vue
Elle et lui arrivent, visiblement perdus. Ils s'arrêtent, épuisés.
Elle (levant les yeux) - On n'est pas déjà passés par là ? Il me semble qu'on s'est abrités sous ce chêne il y a peine un quart d'heure...
Lui - En même temps, il n'y a rien qui ressemble plus à un arbre qu'un autre arbre. D'ailleurs, comment tu sais que c'est un chêne ?
Elle - Il y a des glands en dessous...
Lui - Je me demande si on ne ferait pas mieux de s'asseoir et d'attendre...
Il s'assoit par terre, découragé.
Elle - Attendre quoi ? On est dans le Bois de Vincennes ! Tu ne crois quand même pas que la gendarmerie va monter une expédition de secours en voyant notre voiture toute seule sur le parking ce soir ?
Il ne répond pas. Elle s'assied à son tour, résignée. Il regarde fixement quelque chose droit devant lui.
Elle - Qu'est-ce que tu regardes comme ça ?
Lui - Le corbeau, là... J'ai l'impression de l'avoir déjà vu...
Elle - Ah, tu vois, qu'est-ce que je disais... On est déjà passé par là...
Il paraît songeur.
Lui - Quand j'étais gamin, mon père avait ramené un corbeau à la maison, un soir... Il était bûcheron, mon père... Alors il avait coupé l'arbre et... Évidemment, le nid... Je l'ai nourri à la petite cuillère... Tu ne peux pas savoir le bruit que ça fait, un bébé corbeau, quand ça a faim... Au début, je n'osais même pas m'approcher... Et puis petit à petit, je l'ai apprivoisé... Il me suivait partout, comme un petit chien.
Elle - À pied ?
Lui - Il devait me prendre pour sa mère. Comme il ne me voyait pas voler, il n'avait pas idée de le faire non plus...
Elle se demande visiblement s'il ne délire pas.
Lui - Enfin si, il volait ! Les crayons de mon père, qu'il lui piquait dans son bureau, et qu'il allait enterrer dans le jardin. Qu'est-ce qu'on a rigolé, avec ça...
Elle (perplexe) - Mmmm...
Lui- Et puis petit à petit, ça lui est venu...
Elle (larguée) - Quoi ?
Lui - De se servir de ses ailes ! Au début, c'était juste des petits sauts. D'une chaise de jardin à une autre... Et puis de la chaise à un arbre...
Elle - Il a dû voir d'autres corbeaux voler. Ça lui a donné des idées...
Lui - Au début, il ne s'absentait qu'un jour ou deux... On savait qu'il reviendrait... Et puis un jour il est parti pour de bon, et on ne l'a plus jamais revu... Il est retourné à la vie sauvage...
Elle - Ou alors un chasseur lui a mis un coup de fusil. S'il n'était pas farouche...
Lui (poursuivant sans l'entendre) - Depuis, à chaque fois que je vois un corbeau, je me demande si ce n'est pas Babac...
Elle - Babac...?
Lui - C'est comme ça qu'on l'avait appelé...
Il fixe toujours le corbeau avec un air rêveur. Elle le regarde de plus en plus perplexe.
Elle - Attends, il doit être mort depuis longtemps, ton corbac !
Lui - Ne crois pas ça. Ça vit plus de cent ans, un corbeau...
Elle se relève pour rompre le charme.
Elle - Dis donc, je ne voudrais pas troubler ces émouvantes retrouvailles, mais il faudrait peut-être songer à repartir, là. Il commence à faire nuit...
Il regarde du côté du corbeau.
Lui (déçu) - Il s'est envolé... Ce n'était peut-être pas lui, finalement...
Elle semble soulagée de le voir revenir à la raison.
Lui - Ou alors, c'est toi qui lui as fait peur...
Ils s'en vont.
Elle - Tu es sûr que c'est par là ? Je ne suis pas encore prête pour le retour à la vie sauvage, moi...
Noir.
10 - Face à face
L'un et l'autre se regardent à la dérobée.
Un - On se connaît...?
Deux - Je ne sais pas.
Un - Pardon, j'avais l'impression...
Deux - Non, non, ne vous excusez pas. Moi aussi. Votre tête me dit quelque chose...
Un - Où est-ce qu'on aurait pu se rencontrer...?
Deux - Vous habitez dans le coin ?
Un - Pas très loin. Et vous ?
Deux - Je promenais mon oiseau...
Un - On s'est peut-être croisé ici...
Deux - Ou ailleurs...
Silence.
Un - C'est curieux. J'ai vraiment l'impression qu'on se connaît...
Deux - On voit tellement de gens...
Un - Bon. Il va quand même falloir que j'y aille...
Deux - Content d'avoir fait votre connaissance.
Un - Au plaisir...!
Le premier s'apprête à s'en aller, mais se ravise.
Un - Ah, au fait, moi c'est Pierre... Au cas où on se revoit un de ces jours par ici...
Deux - Pierre ? Tiens, c'est marrant. Moi aussi...
Un - C'est un prénom assez courant...
Deux - Pierre comment ?
Un - Pierre Dumortier.
Deux - C'est pas vrai ? Comme moi !
Un - Alors on est des homonymes, comme qui dirait !
Deux - Mais ça ne nous dit toujours pas où on s'est déjà vu...
Un - Bon, ben alors, euh... Je vais y aller...
Deux - J'y vais aussi.
Un - Vous allez par où ?
Deux - Et vous ?
Un - Par là.
Deux - Après vous, je vous suis.
Un - Merci.
Ils s'en vont.
Un - Allez viens, Babac !
Deux - Pas possible ! C'est votre corbeau ?
Un - Oui, pourquoi ?
Deux - C'est le mien aussi !
Un - Je savais bien que votre tête me disait quelque chose...
Noir
11 - 107 ans
Le premier, plus vieux, est déjà là, désoeuvré. Le deuxième, plus jeune, arrive.
Jeune - Salut.
Vieux - Salut.
Le jeune fait quelques pas, pour reconnaître les lieux.
Vieux - Je ne vous fais pas faire le tour du propriétaire...
Le jeune sourit vaguement.
Jeune - Ça fait longtemps que vous êtes là ?
Vieux - Je ne sais plus... Je perds la mémoire. Dans un sens, ici, c'est pas plus mal, vous verrez... Je sais que je suis encore là pour un bout de temps, mais comme j'ai toujours l'impression d'être arrivé hier... (Un temps) Combien ?
Jeune - 10 ans... Et vous ?
Vieux - 107 ans.
Jeune (impressionné) - 107 ans ? Pour quoi ?
Vieux - Escroquerie.
Jeune - C'est cher, pour une escroquerie...
Vieux - Et vous ?
Jeune - J'ai tué un policier...
Vieux - Ce n'est pas très cher pour avoir tué un policier...
Jeune - Une grosse escroquerie...?
Vieux - 115 millions.
Jeune - À qui on peut bien escroquer 115 millions ? À part à un escroc... Total ? Société Générale ?
Vieux - Française des Jeux.
Jeune - Ah, ouais...
Vieux - Les numéros que je jouais n'étaient jamais les bons. Je me suis débrouillé pour que les bons numéros soient ceux que j'avais joués...
Jeune - Et comment on fait ça ?
Vieux - Un magicien ne révèle jamais ses trucs. Sinon, il n'y a plus de magie...
Au gré du metteur en scène, le vieux peut esquisser un petit tour de magie simple, réussi ou raté. Quoi qu'il en soit, le jeune est impressionné.
Jeune - 107 ans...
Vieux - Oh, je ne les ferai pas.
Jeune - Vous avez un truc pour vous évader d'ici ?
Vieux - Un truc imparable. Vous avez pris combien, déjà ?
Jeune - Avec les remises de peine, je peux espérer sortir dans 5 ans.
Vieux - Je serai sorti avant vous. Vous voulez parier ?
Jeune - Vous avez escroqué la Française des Jeux...
Vieux - Â mon âge... Je sortirai même par la grande porte. Les pieds devant...
Silence.
Jeune - Excusez-moi, mais... Pourquoi voler 115 millions... à votre âge, justement ?
Vieux - C'est vrai... À mon âge, on n'a plus rien à gagner... D'un autre côté, on n'a plus rien à perdre non plus. Au pire, c'était la prison, au lieu de la maison de retraite. Au moins, ici, je suis avec des jeunes... Pourquoi, vous avez buté ce flic ?
Jeune - C'était l'amant de ma femme...
Vieux - Ah, oui, ce n'est pas de bol... Il aurait été charcutier, vous auriez prix trois ans. Et vous, qu'est-ce que vous faites, dans la vie ? Enfin, qu'est-ce que vous faisiez...
Jeune - J'étais horloger.
Vieux - Ah... Ici, il vaut mieux ne pas trop regarder sa montre... Moi, j'ai une Rollex. La précision suisse... C'est tout ce qu'ils m'ont laissé, je ne sais pas pourquoi. Enfin, je m'en doute un peu... (Il regarde sa montre) À propos, je vais vous demander de m'excuser un instant, c'est l'heure du tirage...
Il prend une petite radio qu'il colle à son oreille.
Jeune (étonnée) - Vous jouez encore au loto ?
Vieux - On ne se refait pas... Malheureusement, je ne peux plus aller au bureau de tabac pour valider mes bulletins.
Jeune - À quoi ça sert de jouer ? Si on ne peut plus miser...
Vieux - Pour passer le temps ! Je n'ai plus rien à gagner, vous l'avez dit... Mais on ne peut pas m'empêcher de jouer... Tenez, la semaine dernière j'ai eu quatre bons numéros...
Jeune - Combien ?
Vieux - 19 euros... Vous voulez faire une grille avec moi ? Ou alors, on fait une cagnote, et on remise nos gains...
Air circonspect du jeune.
Vieux - Vous verrez, vous sortirez d'ici virtuellement milliardaire...
Noir.
12 - Leçon de choses
Un personnage plus vieux et un autre plus jeune (jouables indifféremment par des hommes ou des femmes).
Vieux - Alors ? Qu'est-ce que tu veux faire quand tu seras grand ?
Jeune - Je ne sais pas... Qu'est-ce que ce que tu voulais faire, toi, quand tu étais jeune ?
Vieux - C'est loin, tout ça... Sûrement pas ce que je fais maintenant, en tout cas...!
Jeune - Qu'est-ce que tu fais ?
Vieux - Oh, rien de très intéressant, tu sais... Des fois, je me demande même si ça sert à quelque chose... Mais il faut bien que quelqu'un le fasse...
Jeune - Pourquoi...?
Vieux - Qu'est-ce que tu crois ? Il y en a plein derrière moi qui attendent la place ! Ah, si seulement c'était à refaire... Avoir ton âge, et savoir ce que je sais...
Jeune - Qu'est-ce que tu ferais ?
Vieux - Va savoir ? En tout cas, je n'en serai certainement pas là où j'en suis... Mais j'en ai trop vu... Ils m'en ont trop fait voir... Quand on est jeune, on en veut... On y croit... Mais je ne me fais plus d'illusion... Tu verras quand tu auras mon âge...
Jeune - Je verrai quoi ?
Vieux - Tu le sauras bien assez tôt, va... Ces trucs-là, c'est pas facile à expliquer... Et encore, tu as de la chance. Moi, à ton âge, je ne pouvais même pas poser ce genre de questions.
Jeune - Quelles questions ?
Vieux - Allez, va apprendre tes leçons, va... Si tu ne veux pas finir comme moi...
Jeune - Tu n'apprenais pas tes leçons, toi ?
Vieux - Si...
Jeune - Alors à quoi ça sert d'apprendre ses leçons ?
Vieux - Allez, fais ce que je te dis... Tu comprendras plus tard... Et tu me remercieras... (Il s'en va). Ah, ces gosses... Faut tout leur expliquer...
Noir.
13 - Mémoire cash
Elle et lui, en train de s'embrasser, un long moment.
Ils relâchent leur étreinte, et regardent droit devant eux.
Elle - Ça te rappelle quelque chose ?
Lui - Non... Et toi ?
Elle - Non plus.
Lui - C'est la première fois.
Elle - C'est pas inoubliable.
Lui - La première fois, on ne peut pas comparer. On ne se souvient de rien.
Elle - La première fois, on ne se rappelle pas. On le garde juste en mémoire.
Lui - C'est quoi, la mémoire ?
Elle - Je ne sais pas...
Lui - C'est quoi oublier ?
Elle - Je ne sais plus...
Lui - On recommence ?
Elle - Ok.
Ils s'embrassent à nouveau, puis relâchent leur étreinte.
Lui - Et là, ça te rappelle quelque chose ?
Elle - J'ai le vague souvenir d'un déjà vu.
Lui - Moi aussi.
Elle - Ça y est, je m'en souviens.
Lui - C'est un début.
Elle - Oui.
Lui - C'est la deuxième fois.
Elle - Ce n'est pas un début, alors.
Lui - La première fois, on ne sait pas que c'est un début, puisqu'on ne se souvient de rien.
Elle - Ça sert à quoi de se souvenir ?
Lui - Ça fait passer le temps.
Elle - Et à la fin ? Comment on sait que c'est la dernière fois ?
Lui - On ne sait jamais.
Elle - Il faudrait pouvoir s'en souvenir. Après.
Lui - On ne se souvient que de l'avant-dernière fois.
Elle - C'est la vie.
Lui - Oui. Entre la deuxième et l'avant-dernière fois.
Elle - La vie, c'est quand on y repense.
Lui - C'est une histoire sans queue ni tête.
Ils commencent à s'en aller, chacun de son côté.
Elle - On se rappelle ?
Lui - Ou on efface la mémoire cache ?
Noir.
14 - Souvenirs
Un vieil homme est assis, appuyé sur un parapluie. Une vieille femme arrive. Elle s'assied à côté et lui prend la main. Il se laisse faire, un peu surpris.
Elle - Ça fait du bien, un peu de calme, hein ?
Lui (pas contrariant) - Oui...
Ils restent un moment silencieux, semblant apprécier cet instant de sérénité.
Elle - Tu te souviens de nos premières vacances ? C'était en 36...
Lui - Non...
Elle - Maintenant, pour nous, c'est tous les jours les vacances...
Lui - Oui...
Elle - Tu as bien pris tes cachets ?
Lui (étonné) - Non...
Elle (lui tendant une boîte) - Tiens, je te les ai amenés.
Lui (prenant la boîte) - Merci... (Il prend un cachet et l'avale, puis regarde la boîte). C'est pour le coeur...
Elle - Oui...?
Lui - Ben... Moi, c'est plutôt la mémoire...
Elle - C'est les médicaments de mon mari...!
Lui - C'est que je ne dois pas être votre mari, alors...
Elle le regarde offusquée, lui lâche la main et se lève.
Elle - Vous auriez pu le dire plus tôt !
Elle s'en va, contrariée.
Il la regarde partir.
Noir.
15 - Projets d'avenir
Une fille est assis sur un banc. Elle a le regard fixé devant elle. On comprendra qu'elle regarde le couple de la scène précédente. Un garçon arrive, et s'assied à côté d'elle, sans un mot. Ils restent ainsi un moment en silence, regardant droit devant eux.
Elle - Tu nous imagines, quand on aura leur âge...?
Lui - Non...
Elle - Elle est tirée à quatre épingles. Elle s'est même maquillée...
Lui - Ah, ouais...?
Elle - Lui non plus ne l'a pas remarqué...
Lui - Pourquoi il a un parapluie ? Il n'y a pas un nuage...
Elle - C'est elle qui lui a demandé de le prendre. À l'âge des mises en plis, on se méfie des orages... Et puis elle sait que ça lui sert de canne. C'est plus discret... C'est sa coquetterie à lui...
Lui - T'as vu ? Elle a les cheveux presque violets...
Elle (attendrie) - C'est quand même beau, non ?
Lui - Quoi ? Une vieille avec une coiffure de punk ?
Elle - Ils doivent être mariés depuis un demi-siècle, et ils se tiennent encore par la main...
Lui - Tu parles ! Regarde, elle se barre. Et elle n'a pas l'air contente... Ça fait peut-être cinquante ans qu'ils s'engueulent...
Elle - Il a dû lui dire qu'il trouvait ça trop violet... (Un temps) Je me demande si il ne va pas pleuvoir, finalement... On y va ?
Lui - Euh, ouais...
Il se lève pour partir.
Elle - Pourquoi tu voulais me voir, au fait ?
Lui - Ben... Je ne sais pas comment te dire ça, mais... Je ne crois pas qu'on vieillira ensemble...
Elle - Je sais...
Lui - Et toi, tu voulais me dire quelque chose...?
Elle se lève à son tour, et on voit alors qu'elle est enceinte.
Elle - Tu aurais dû prendre ton parapluie, toi aussi...
Noir.
16 - Premier amour
Un homme déambule dans ce qui s'avérera être une galerie de peinture. Une femme arrive vers lui avec un grand sourire, et semblant sous le coup de l'émotion.
Elle - Tu me reconnais ?
Il semble pris au dépourvu mais, sans trop y croire, tente quelque chose pour ne pas la décevoir.
Lui - Paulette ?
Elle - Chantal !
Lui - Chantal !
Elle - Je te regardais depuis tout à l'heure. Ton visage me disait vaguement quelque chose. Et puis ça m'est revenu d'un coup. Un truc dans l'expression du visage...
Lui - C'est dingue... Ça fait combien de temps ?
Elle - Ouh, là... Tu ne m'avais pas reconnue, alors ?
Lui - Si, si, enfin... C'est vrai que tout à l'heure... Mais maintenant que tu me le dis... Tout est là... Le menton... Les yeux... La bouche... Même le nez...
Elle - Et oui...
Lui - Non, j'ai dit Paulette, parce que... C'est une copine de ma mère. (Comprenant sa gaffe et s'efforçant de rectifier le tir) Tu n'as presque pas changé, hein ?
Elle - Depuis le temps...
Lui - Non, je veux dire... On te reconnaît très bien... Quand on sait que c'est toi... (Le temps pour lui de mesurer la profondeur à laquelle il s'est déjà enfoncé) Alors tu habites toujours par ici ?
Elle - Oui... Toujours au même endroit... Et toi ? Tu ne reviens pas souvent, alors ?
Lui - Non, pas très... Ma mère habite encore ici mais bon... C'est un peu compliqué... (Il préfère changer de sujet). Chantal...! Tu es mariée, j'imagine ?
Elle - J'ai quatre enfants...
Lui - Ah, oui, quand même...
Elle - Et toi ?
Lui - Moi aussi... Enfin, moi je n'en ai qu'un, mais bon... (Nouvel embarras) C'est incroyable qu'on se retrouve comme ça ici. Dans cette galerie de peinture. J'allais acheter des cigarettes. Je suis rentré comme ça, par hasard...
Elle - Oui...
Lui - Tu ne vas pas me croire, mais je pensais à toi, tout à l'heure. En passant devant chez toi, justement... Mais je n'ai pas pensé que tu pouvais habiter encore là. Alors tu n'as bougé...?
Elle - Ben non, tu vois. Je suis toujours là...
Lui - C'est incroyable...
Ils ne savent visiblement plus trop quoi dire.
Elle - Tu as eu le temps de voir l'expo...?
Lui - Oui... Enfin pas tout... Il y a des trucs vraiment pas mal, hein ?
Pour se donner une contenance, pendant un moment, il contemple avec elle le tableau devant lequel il se trouve, cherchant quoi dire d'autre.
Lui - Celui-là, en revanche, c'est une horreur, non...? On dirait un dessin d'enfant... Je ne sais pas comment on peut exposer des trucs pareils...
Elle - Il faut encore que je travaille un peu ma technique, je sais...
Lui (liquéfié) - Ah, parce que c'est...? C'est toi qui...?
Elle - Oui...
Lui - Non, mais les autres j'adore, hein ? Je te l'ai dit...
Elle - Enfin, ils ne sont pas tous de moi. C'est une exposition collective. Mais celui-là, c'est moi, oui...
Lui - Bien sûr ! Ça me revient maintenant... Tu peignais déjà, à l'époque... Sur des boîtes de camembert, non...?
Elle - Des boîtes d'allumettes...
Lui - C'est ça. Les grosses boîtes d'allumettes familiales. Ça n'existe plus, d'ailleurs... C'est dommage... Alors maintenant, tu... Tu as changé de support...
Il jette un regard nouveau sur le tableau.
Lui - Ah, oui, c'est bien... C'est... C'est un cheval ?
Elle - Un chat...
Lui - Bien sûr ! Non, on reconnaît bien le... Les oreilles, la bouche, le nez... La moustache... Et puis c'est de la peinture abstraite, non ?
Elle - Non.
Lui - Enfin, je veux dire... De la peinture naïve...
Elle - Pas vraiment...
Lui - Enfin, tu sais, moi, la peinture... Et puis cette manie qu'on a de vouloir toujours mettre des étiquettes sur les choses... Surtout quand il s'agit de peinture ! Moi le premier, hein ? C'est beau, et puis c'est tout... (En rajoutant un peu dans l'émotion) Et puis c'est tellement toi...
Nouveau silence embarrassé.
Lui - Tu sais que j'étais très amoureux de toi...?
Elle - C'était il y a longtemps...
Lui - Je n'aurais jamais osé te le dire, à l'époque... C'est marrant... Ça me fait du bien de pouvoir te le dire maintenant... Je veux dire maintenant que...
Elle - Il y a prescription...
Lui - Oui... (Embarrassé) Écoute, il va falloir que j'y aille, là... Je vais voir ma mère, justement... Tu sais, à son âge... Elle peut mourir d'un instant à l'autre...
Elle - Elle a quel âge ?
Lui - Soixante-deux... Non, mais... Elle a toujours eu une santé fragile, tu sais... Ça m'a vraiment fait plaisir de te revoir... (Cherchant une issue) Je suis sur Facebook... Fais-moi une demande d'amitié... On restera en contact...
Elle - Ok...
Lui - Je t'ai cherché une ou deux fois, tu sais... Sur Facebook...