Brume

Christian Lemoine

Avez-vous jamais tenté de pénétrer la brume pour en percer le secret. La brume, n'est-ce pas. Pas le grossier brouillard qui écrase et étouffe. Mais la brume, le voile léger qui s'attarde parfois sur la taïga gelée d'une isba tombée de neige fraîche, parfois aussi accrochée en dernier souvenir de pluie sur le flanc des sapins étagés à ras de précipice dans les septentrions d'une Italie éreintée d'orages ; plus rarement enveloppant la tardive inalpe d'un troupeau lancinant qui erre en rangs moutonneux et grégaire ; la brume enfin, au plus souvent couchée vers le fond d'un val un peu humide, ou sinueuse écharpe autour des troncs noircis. Avez-vous jamais essayé d'en saisir l'énigme. Puisqu'elle est là d'abord, entre les choses et vous. Mais elle s'efface à mesure que vous venez la caresser ; plus vous croyez vous enfoncer en elle, plus elle semble se disperser, et finalement il n'est plus de cœur où chercher son trésor. Et continuant votre chemin, vous vous retournerez pour voir revenu sur le paysage le voile tendu qui retisse ses mystères. Ainsi peut-être le secret de la vie. Il faut en être loin pour en voir l'épaisseur, et pourtant l'approcher pour mieux le déchiffrer ; et plus on le pénètre et plus il s'évanouit, si bien qu'au plus près il n'en reste plus rien. Et l'on reste déçu d'être au cœur transparent du mystère à ne palper que vide.

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