Capitale

Christian Lemoine

Quoi, la ville ! La grande ville, dit-on, la métropole, la mégalopole. Une façade ordinaire, couchée dans le soleil d'hiver, et d'autres alignées, esquissent la douve d'une rue aux bleus ombrageux. Dans son prolongement, ou au-delà des cours secrètes et d'un jardin solitaire, cubes à fenêtres, villages verticaux. Quartiers, ilots, ville sur ville. Il s'en construit une capitale, qui s'offusque des provinces. Sa prouesse n'est pas sa superbe orgueilleuse, mais la foi qu'elle suscite à se revendiquer première cathédrale des dévotions. Davantage des cinémas et des bars. Davantage des théâtres. Davantage, des spectacles et des concerts. Davantage, des tableaux, des photographies, en étalage des vitrines. Davantage, des pas et des reclus mesquins traçant des diagonales sur les pieds vulgaires des sans-logis. Sait-on les trottoirs qu'on foule ? Lorsque la ligne de fuite où s'enchaîne le parcours n'a pas plus d'horizon que le prochain carrefour, nul ne prétendrait la ville-lumière plutôt que la bourgade d'arrogance contrite ancrée dans ses prébendes. L'atma égarée loin de l'universel, cantonnée en viduité, n'y coudoiera que l'ombre de son dénuement. La ville ? Davantage, des êtres frôlés dans une intimité fausse tramée en des écarts où l'infime s'altère en durée incommensurable. Bien davantage, dans les tentacules monstrueux de la ville-pieuvre, des isolats en promiscuité. Une enveloppe brûlée. Un épiderme desséché. Les yeux hermétiques : ne pas contempler les autres pénuries pour mieux méconnaître sa propre disgrâce. La ville ! Vraiment ? Illusionniste de la multitude où nul ne se croise.
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