Carême

Christian Lemoine

De la crypte ensommeillée, fourmillante d'existences réduites à souvenirs à peine vivaces, pourrait revenir à la mémoire l'image d'un grandiose tombeau royal, ou plus probablement la sculpture troublante de vie d'une simple orante, par exemple cette belle femme de marbre dont le lissé et la douceur du poli feraient advenir sous la paume qui s'y risquerait l'illusion du battement régulier d'un sang toujours mobile. Mémoire des dynasties rangées dans leurs murailles de granit. Des pierres puissantes. Des blancs d'albâtre. Moellons gris ou noirs. Plus tard tuffeaux ou grès. Ailleurs marbres encore. Entre ces colonnes assemblées, trop alignées et mêmes pour un seul soupçon de spontanéité dans leur dispersion au sol. Entre ces colonnes, par les brillances des vitraux, les rais s'animent, colorés, de minuscules particules, comme si l'air lui-même se plaisait à être contemplé. Entre ces colonnes ne s'étend pas la prairie grasse où virevoltent les innombrables visages du vivant. Et les brimborions de poussière s'épuisent à tenter de faire écho aux ptérygotes qui pullulent parmi champs et forêts, tous les témoignages visibles par les traits fléchés d'un soleil oblique hachuré de troncs, mus et autonomes dans le faux-semblant d'une experte urbanité, lors qu'il se trame dans ces arabesques légères la quintessence des rites de la survie. De la crypte endormie, les mannes assoupies s'exonèrent du souci des pitances.

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