Cauchemars... ou réalité ?
moth
-Je vous le dis, c'est pas une bonne idée...
-De toute façon, qu'est ce qu'on risque ?
-Le réveil d'une créature démoniaque des temps anciens qui cherche à se venger de l'humanité ?
-Je répète : c'est pas une bonne idée...
-Mais fermes-la ! dirent-ils à l'unisson.
-De toute façon, d'où tu veux réveiller un démon ?
-Je sais pas... Ah si, c'est écrit sur le haut de la page !
Thomas prit le vieux livre des mains de Théo, et lui dicta le titre.
-"Rituel d'invocation de démon" C'est clair maintenant ?
Théo reprit son ouvrage, tandis que Enzo continua de se lamenter.
-On ne doit pas le faire... Ça va marcher, et alors... On sera bien dans la merde...
Il frissonna à cette pensée. Il faut dire qu'Enzo croit fermement au paranormal. Il y a quelques mois, il nous a même trainé dans une maison, soi-disante "hantée", et nous y sommes restés quatre heures. Quatre putains d'heures passées à attendre un fantôme, dans une demeure où chaque pas fait grincer le parquet, où tout ce que tu touches part en poussière, et où une satané horloge fait retentir un son aigue à des rythmes irréguliers. Je peux certifier que la maison était flippante, mais le revenant, on l'a jamais vu. Du coup, on a quand même ramené un souvenir, un énorme ouvrage avec des pages jaunies par le temps, titré en latin. D'après les sites de traduction, le titre donnerait quelque chose comme "Encyclopédie des procédés de magie noire recueillis par l'Inquisition". Il daterait de l'époque de la chasse aux sorcières, où l'Eglise traquait sans répit tout les gens suspectés de magie noire, et les exécutait sans jugement. Autant dire qu'à la base, on était pas trop emballé. Mais, Thomas, qu'est vraiment pas mauvais en latin, s'était mis en tête de le lire. Et ce qu'il a lu ne donnait pas tellement envie de connaitre la suite. Seulement, on avait oublié l'inconscience de Théo, et nous nous sommes retrouvé embarquer dans un rituel satanique qui se passait le jour d'Halloween. Bien sur, personne n'y croyait, mais imaginait trente secondes que ce que raconte ce livre est vrai. On pourrait relâcher un démon dans notre monde, rien qu'en se tapant un délire. Donc, franchement, nous étions assez sceptiques sur le coup. Mais bon, on n'arrête pas la jeunesse, comme diraient les vieux.
Car, là, le 31 octobre au soir, on se retrouvait dans le hall de la maison "hantée", une sorte de pentagramme tracé avec le sang du hamster du petit frère de Enzo (non, on l'a pas tué, il est mort de vieillesse la semaine d'avant. Quelle heureuse coïncidence, non ?). Sur le sol, des cierges placés aux coins du symbole, et un grimoire médiéval entre les mains du plus con. Mais franchement, qu'est ce qu'on risque ? En plus, je suis persuadé qu'on est sur une propriété privée, donc si ça dérape et qu'on se fait prendre, on peut finir chez les flics. Mais bon, là, le problème, c'est qu'on commençait vraiment à se défiler.
-Et toi, tu veux faire quoi ? me demande Théo.
-Tant que c'est sans danger, je suis partant. C'est toujours enrichissant, les invocations sataniques, après tout... répondis je ironiquement.
Mais il ne semble avoir retenue la remarque sarcastique. -Il nous manque plus que le traducteur alors...
-J'y gagne quoi concrètement ? Rien ! Alors je ne ferai rien.
-Mais de quoi t'as peur, c'est que des conneries écrites par des mecs qui ont pour habitude de croire en ce qu'ils n'ont jamais vu !
-Tu vas pas te mettre à insulter les croyants en plus de ça ?
Thomas, lui, c'est le descendant d'une famille de fervent catholique. Ils sont les français par excellence : raciste, croyant, râleur, conservateur... C'est pour ça qu'il a appris le latin, ses parents voulaient qu'il ai la meilleur éducation possible, et ils l'ont placé dans l'un des collèges le plus côté des alentours. Là-bas, on y trouve toutes sortes de gosses de riches et de fils à papa. Et lui, fils de classe moyenne, on se demande vraiment ce qu'il fout là-bas. Ses parents ont dû dilapider tout l'héritage familial pour lui permettre ça. Heureusement qu'il a pas commencé à prendre la grosse tête après tout ça...
Le dernier, c'est Théo, le vrai gamin, celui qui nous embarque toujours dans des plans foireux. Tu peux te dire que c'est cool d'avoir un pote complètement con qui fait que des conneries, mais le problème, c'est qu'il arrive à te convaincre de le suivre. C'est lui, qui en apprenant de quoi parler le livre, c'est mis en tête de nous faire recréer un rituel démoniaque. Et même si on était pas d'accord, on l'a suivie, parce qu'au fond de nous, on trouvait ça drôle. Seulement, maintenant, on se retrouve à 22 heures dans une maison qui menace de s'écrouler en permanence, il fait nuit noir dehors, on a tracé un cercle avec du sang d'animal, et on est entrain de se désister que maintenant. Je crois bien qu'il est un peu tard pour ça...
Dix minutes après, on se retrouvait en assis face aux cierges, tandis que Thomas psalmodiait des mots bizarres. Je crois bien qu'on a l'air de cons maintenant. Mais pourquoi on a accepté... D'ailleurs, ça se ressentait dans ses paroles. Il bafouillait, s'y reprenait à deux fois, on sentait vraiment la motivation. Le hall était maintenant très sombre, il n'y avais plus que les cierges pour produire de la lumière. À mon avis, il y aurait le revenant qui arriverait la, maintenant, que je tremblerai même pas. Ça me paraitrait même comme banal vue notre situation... Arriva alors les frissons, qui précédait souvent les catastrophes dans les films d'horreurs... Il ne manquerait plus que les cierges s'éteignent, et on entrait totalement dans le cliché. Notre traducteur nous lança un dernier regard, puis acheva le rituel.
Sur le coup, il ne se passa rien. Juste peut être un coup de vent, voir un ange qui passa, mais bon, rien de très flippant. Et bizarrement, ça m'étonna. M'attendais-je vraiment à voir apparaitre un monstre devant mes yeux ? Parce que sinon, il faudrait que je pense à vérifier si je suis encore sain d'esprit. Et j'ai l'impression que c'est pareil chez les autres. On se mit à souffler, peut être de soulagement, puis on se regarda, l'air de se demander pourquoi on était là. Et, soudainement, nous sommes tous pris d'un fou rire. Ironie de la situation, ou peut-être un retour à la réalité, je n'ai jamais compris d'où il venait, mais il était là. On n'a peut-être rit une minute, voir deux, devant notre échec tant attendue. Enfin, c'est ce qu'on pensait...
Une longue plainte vint l'interrompre. Une plainte sinistre, qui résonnait dans les murs, comme un appel. Une plainte bestiale, stridente, venue tout droit de je ne sais où. Elle s'est arrêtée d'un coup, et nous nous sommes jeté en dehors du pentagramme. On essayait de se faire le plus silencieux possible, malgré l'effroi qui nous saisissait sur le coup. Le silence fut long, nous étions aux aguets, mais surtout crispés. Puis, le temps sembla se ralentir, devenant presque imperceptible. Un énorme claquement vint simplifier notre situation. Enzo cria : "On a invoqué un putain de démon !" Et les plaintes reprirent. Enfin, c'était pas vraiment des plaintes, mais des sortes de cris de guerre très aigues, qui nous poussèrent à se boucher les oreilles. L'écho était tel que l'on n'avait l'impression qu'ils étaient des dizaines. Enfin, le plafond s'écroula sur nous.
Je repris mes esprits quelques minutes après tellement la course fut folle. Essoufflé, je n'avais pas encore réalisé la situation. Je sentais la chaleur du feu me caresser le dos, mais je n'osais me retourner. Tout s'était passé si vite... Les cierges se sont renversés, le feu a pris, Thomas avait la jambe coincé sous un meuble, on l'a dégagé... Et puis cette ombre derrière les flammes... Elle semblait se déplacer sans danger parmi l'incendie... Comme si elle le domptait... On avait réussi en fin de compte... On avait délivré une créature diabolique de sa prison infernale... Je regardai si les autres m'avaient suivi, mais il n'y avait personne. Je me retournai. Du manoir, il ne restait plus qu'un brasier. Il dégageait une lumière orangée, voir même rosée. Les cendres retombaient doucement sur l'herbe alentour, et créaient une fine couche grisâtre, ressemblant à la neige. J'admirai le feu encore quelques secondes, avant de revenir à la réalité. J'étais à la lisière de la forêt qui entourait la maison. Dans quelques temps allaient arriver les pompiers, l'incendie devait être visible jusqu'au village. Une enquête aurait lieu, et ils se rendraient vite compte qu'il avait été déclenché par un homme.
Mais si cela avait réellement fonctionné, j'avais d'autres priorités. Déjà, où étaient les autres ? Je n'avais pas vérifié si ils me suivaient, ils pourraient être n'importe où. Ça se trouve, ils étaient restés coincé dans les décombres. C'était le moment pour vérifier, tant qu'il n'y avait encore personne. Je m'avançai à nouveau vers les ruines, et j'attendis un signe de vie. Mais rien, donc je fis un pas en plus. Quand mon pied s'écrasa sur le sol, je sentis quelque chose se craqueler. Je le retirai, et un cadavre d'oiseau se trouvait à l'endroit même où j'avais marché. En regardant le sol plus en détail, je remarquai des dizaines de dépouilles semblables.
C'en était trop ! Je ne savais pas ce qui c'était passé dans cette maison, et je ne souhaitais pas le savoir. Je repartis vers la forêt en détalant, comme si j'avais le diable aux trousses, ce qui était d'ailleurs presque le cas. Quand j'atteignis une distance raisonnable, je me permis une pause. Je sentais le vent souffler, les feuilles s'envolaient autour de moi. Je tournai la tête vers les ruines, et j'aperçus alors l'impensable : une ombre immense s'avançait vers moi à tout allure. Elle semblait fondre sur les arbres, le sol devenait noir sur son passage. Des centaines d'éclats jaunes resplendissait sur celle-ci, lui donnant une allure... divine. Mais, bientôt, je commençais à percevoir le bruit de son passage, et mon esprit s'affola sur le coup. Depuis environ 10 minutes, je ne faisais que courir. Je n'avais plus là force de m'enfuir à nouveau. Seulement, l'instinct de survie prit le dessus, et je me retrouvai une nouvelle fois entrain de sprinter, mais là pour une raison plus évidente.
Je sprintais pour ma vie, pour ma survie, pour échapper à notre oeuvre. J'enjambai les racines, sautai au-dessus des des bâtons, chargeai les branches. Et la créature des ténèbres me suivait toujours. Elle ne me lâchait pas, elle semblait même grandir. Peu à peu, elle reprit du terrain. Peut-être était-elle de plus en plus rapide, ou étais-ce moi qui commençait à fatiguer. Enfin bref, je commençai à me faire rattraper. On dit que l'homme peut accomplir des choses incroyables quand il est proche de la mort, je peux maintenant affirmer que c'est faux. En fait, c'est plutôt le découragement qui commence à s'insinuer, le poids du destin qui s'abat sur nous, le désespoir qui nous incite à abandonner, l'on ne peut influer sur notre vie, nous n'avons pas le pouvoir de nous débattre.
À croire que la liberté, le choix, est une illusion. Comme l'illusion de l'irréel, le voile de fumée qui nous empêche de percevoir la vérité. Et la curiosité nous a désenfumer l'esprit, nous a ouvert au surnaturel, l'indescriptible surnaturel. Cette chose qui n'est que la somme de l'interprétation des faits par l'humain, qui ne souhaite pas croire en l'existence de ses cauchemars, de ses peurs. Si nous avons réussi a invoqué une créature de l'enfer, peut-être le monde est-il plus complexe que ce que l'on pensait. Peut-être n'y a t'il pas un monde, mais des mondes. Ou peut-être est-ce juste mon imagination qui ne veut pas s'arrêter de rêver, de croire en l'incroyable. Peut-être essayait-je juste d'échapper à une invention de mon esprit. Peut-être est-ce juste une interprétation erroné de mon esprit, qui souhaiterait voir l'extraordinaire là où il n'existe pas. Peut-être suis-je fou, peut-être que je suis l'origine de tout ça. Peut-être ai-je déclenché l'incendie... Peut-être sommes-nous tous fou, à croire en des signes irréels au lieu de croire en nous, de croire le réel... Qui croire ? Que croire ? La logique, froide et implacable, qui oriente des tas de personnes depuis des générations, nous forçant à réfléchir et à résonner. L'espoir, joyeux et irréel, qui oriente des tas de personnes depuis des générations, nous forçant à croire et à patienter. Ou bien notre esprit, malveillant et égocentrique, qui oriente des tas de personnes depuis des générations, nous forçant à commettre l'irréparable et à rechercher.
Je la vis maintenant, elle me caressait les jambes. Son souffle me faisait frémir sur place... Je fut peut-être animé d'une rage sans précédent qui me poussa à continuer, à aller jusqu'au bout de cette course, mais je n'en était pas certain. Je penchai plutôt pour la foulée finale, qui annonçait la fin. La fin de cette vie, de cette existence, de ce récit, de cet instant, de ce monde, de cette histoire. De mon histoire...