C'est quoi un testament ? [Club Jetez l'Encre]

octobell

« Mais… C’est quoi un testament ? S’était écriée Emilie, dont l’agacement rendait sa voix plus fluette encore qu’elle ne l’était du haut de ses sept ans. Elle avait mis ses petits poings sur ses hanches, pour imiter maman lorsqu’ils se faisaient gronder.

- Un testament, c’est ce qui transforme la mort de quelqu’un en bonne nouvelle ! Avait malicieusement répondu Arthur, échappant de justesse au coup de coude de Mélanie qu’il avait senti venir à des kilomètres à la ronde. Son éclat de rire mourut à même ses lèvres alors que Mel se rattrapait en lui administrant une petite claque à l’arrière du crâne.

- Dis pas ces choses-là, voyons ! C’est très sérieux !

- Tu as raison, reprit Arthur en affichant aussitôt une mine solennelle. Il faut que j’arrête de voir le verre à moitié plein. Parce que tu vois, ma petite Emy… »

Il se pencha en avant vers sa petite sœur, les mains sur les genoux, et les deux gamines esquissèrent la même grimace, presque certaines de la mauvaise blague à venir.

« La plupart du temps, un testament, c’est ce qui nous fait oublier la tristesse de la mort de quelqu’un, tellement on est occupé à le maudire jusqu’à sa treizième génération, sans se rendre compte qu’on en est, nous, de ces foutus générations…

- Han ! T’as dit un gros mot !

- … Et que c’est pas ça qui va nous aider à avoir le sucrier de chez Louis XVI qui a été légué à Tata Léonie alors qu’elle est diabétique !

Emilie lança un regard perdu à sa grande sœur, qui s’était résignée à une grimace dépitée. Voilà ce qu’elles avaient comme modèle fraternel. Elles démarraient bien dans la vie.

-J’ai rien compris ! S’exclama la petite fille en écartant largement les bras, arborant une autre de ces mimiques qu’elle empruntait à leur mère.

- C’est pas grave, il dit n’importe quoi, répondit Mélanie en fusillant Arthur du regard. Celui-ci, trop fier, partit dans un petit gloussement.

- C’est quoi être diabétique ? Interrogea Emilie.

- C’est quand t’es privé de sucre parce que t’en as trop mangé quand t’étais petit ! S’exclama aussitôt Arthur avant que Mélanie n’ait pu ouvrir la bouche, en faisant les gros yeux à Emilie. Et c’est ce qui va t’arriver si tu continues comme ça ! »

Le garçon amena ses deux mains devant lui, remuant les doigts en poussant de pathétiques râles gutturaux pour imiter un quelconque animal, et se précipita sur le bedon de sa petite sœur pour faire semblant de le dévorer. Tout en partant d’un grand éclat de rire, Emilie tenta de se détacher de la poigne tentaculaire d’Arthur, qui avait sournoisement commencé à la chatouiller.

Mélanie, se désintéressant de leurs jeux, recula jusqu’à la balançoire où elle se berça doucement, les pieds ancrés au sol et la tête reposant contre la corde. Ils avaient tous les trois été envoyés dehors pendant que les adultes débattaient sur ce fameux testament. Elle avait beau n’avoir que douze ans, elle trouvait très glauque de rabaisser la mort d’un être cher à des valeurs pécuniaires qui commençaient déjà à déchirer leur famille. Elle avait probablement été bien entamée, cette déchirure, mais c’était comme si tous ces adultes n’avaient attendu que cette mort pour lâcher la bombe. C’était Arthur qui avait raison : les grandes personnes ne réduisaient la mort qu’à un sucrier.

Et eux, pauvres enfants non concernés, n’avaient plus que leurs yeux pour pleurer. Pleurer l’absence de leur papy, de ses histoires et ses cadeaux, sa grosse moustache qui irritait désagréablement lorsqu’il les embrassait, ses grands éclats de rires qui embaumaient toute la maison et son énorme ventre sur lequel Emilie aimait tambouriner.

Mélanie prit de l’élan pour se balancer un peu plus haut, un peu plus vite, les yeux vissés sur le ciel. Peut-être que si elle allait encore plus haut et encore plus vite, elle arriverait à rejoindre papy, pour qu’il la prenne une dernière fois dans ses bras, et lui dise au-revoir comme il se doit. Elle ferma les yeux et se laissa aller à un petit rire lorsqu’elle entendit, là-dessous elle :

« N’empêche, j’ai toujours pas compris, moi ! Mourir, c’est bien ou c’est pas bien ?

- Ah ça… Ca dépend du testament, Emy ! »

  • Histoire simple et tellement vraie. Ton histoire est à la fois sensible et drôle. Un tour de force !

    · Il y a presque 11 ans ·
    Avatar loup 54

    matt-anasazi

  • Oh, merci à tous les deux, ça fait très plaisir :)

    · Il y a presque 11 ans ·
    Logo bord liques petit 195

    octobell

  • Je trouve ton histoire excellente... Vécue avec des yeux d'enfant, des questions d'enfants, et de la légèreté qui fait sourire même dans un moment comme celui-ci... Et la chute est superbe parce que ça aurait pu finir sur un moment d'émotion, et ça finit sur le rire. Et je trouve ça magistral ! :)
    COUP DE COEUR !

    · Il y a presque 11 ans ·
    20130820 153607 20130820153847362 (2)

    rafistoleuse

  • J'aime bien la chute ! Cela met en évidence une réalité...Et puis, je n'ai pas besoin de le dire mais l'écriture est vraiment fluide, les dialogues sont dynamiques, la narration est bien menée, et puis selon moi, ta manière originale de mettre en avant la signification du mot " testament " est intrigante ! Ingénieux !

    · Il y a presque 11 ans ·
    Mains colombe 150

    psycose

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