C'était une veuve

minilu

juste un court texte

C'était l'image de cette veuve, que son mari avait abandonné, que ses enfants avaient abandonnés, les bras si maigres et couverts de sombre taches qu'on les aura vent cru prêt à tomber. Il n'y avait rien à dire d'elle, elle fu=ait des cigarettes, n'écoutait plus autant de musiques qu'avant, mangeait avec dégout, parlait parfois,  de choses et d'autres, à ses quelques amis, connaissances vraiment, mais, surtout, elle passait le plus clair de son temps à regarder l'herbe pousser, dans son jardin a la couleur d'émeraude, victime de la même maladie que sa propriétaire, l'obligeant à accepter et à diriger une seule pensée à la fois.

Pour moi, parce qu'il fallait bien l'ancrer à quelqu'un pour la rendre réel, sans quoi je crains qu'elle ne s'envole, à la manière des idées que j'ai, parfois, que je ne peux plus écrire, elle avait été le symbole de l'excellence, l'enfant apeuré, la femme forte qui se battait pour ses idées, elle avait été aussi, à bien des égards, bien plus homme que je n'ai pus l'être, dans la façon qu'elle avait de s'imposer, brutalement, comme si toute une société n'était pas bâti contre elle, de regarder son interlocuteur droit dans les yeux, férocement, les coups ne lui faisaient pas peur, malgré sa carrure déjà fragile. Il m'avait fallu du temps pour comprendre ca qui l'avait poussé à partager son corps, et ses pensées plus rarement, avec quelqu'un comme moi, de banal, incapable des prouesses intellectuelles qui l'accompagnaient, sans cesse, et qu'elle maniait avec un sourire, tout ceci l'amusait. J'aime à croire que ce sont mes mots qui en furent la principale cause, j'étais une sorte de refuge où elle pouvait se reposer, loin de tout le reste du monde, et où je pouvais la regarder, sous tous les angles  qu'on aurait jamais pu souhaiter, la définir, lui prouver qu'elle existait, qu'elle avait une attache, pour que la raison pour laquelle il ne fallait pas partir maintenant lui apparaisse clairement; elle marquait, tout autour d'elle, sur son passage, les esprits comme le sable mouillé de la plage où se dessine les empreintes de pieds de ces milliers de touristes, à ceci près qu'elle, c'est tout le territoire où elle traçait sa marque, et l'océan entier avait beau s'acharner, jamais il n'arriverait à combler les troues béants qu'elle laissait dans la tête des gens, et moi, bien en peine, de tenter de lui expliquer tout ce qu'elle avait pu laisser dans la mienne, des émotions, des sourires, des sensations;

Des mots, aussi.

Et donc, quand il m'arrive de passer devant chez elle, j'aime bien sourire, parce qu'elle est toujours là, et que c'est grace à elle que je peux encore me rappeler, de tout, et pleurer, parce que j'ai peur que, si elle pouvait encore réfléchir comme avant, elle m'en voudrait de l'avoir enchainée à ce corps qui lui faisait défaut, qui avait réussi à abattre le génie qui ne connaissait pas le sommeil, à l'amener à mon niveau, je pense qu'au fond, j'ai honte de ce que j'ai pu lui faire.

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