Chaos artistique

Ce n'était pas Rodin, mais sculpteur, il l'était bien. Du soir au matin, burin en main, vaille que vaille, il sculptait toute la nuit.

Il avait atteint dans son art la perfection, mais de la perfection, il n'en avait cure, il visait l'excellence.

Or, un jour de nuit, qu'il peaufinait une nymphette dans l'albâtre. Il eut une hallucination. Il crut voir tressauter un doigt, palpiter une veine du cou, de sa création. La nuit est sujette à ces errances de l'esprit et dans sa fièvre créative, il se dit simplement que la lumière artificielle s'amusait à lui jouer des tours. Pourtant, il ne fut pas plus étonné que cela, quand la jeunette l'interpella.

-         Dis donc, tu aurais pu me faire un peu plus de seins ?

-         J'aime les formes filiformes et une ondine se doit d'être éthérée.

Bon délirer un peu, ça va ! Mais beaucoup c'est un verre de trop et là, quand la belle descendit de son piédestal pour aller se mirer dans la psyché. Il se dit qu'il avait abusé de la fumette.

-         Le visage, ça va, mon gros, tu l'as bien  réussi, il me plait, quoique les oreilles ?

-         Quoi tes oreilles ?

-         Elles ne sont pas un peu petites ?

-         Tu voulais ressembler à un éléphant d'Afrique, ou quoi ?

-         Bon, admettons ! Je peux t'embrasser, je voudrais connaître le gout du baisé.

-         Ce ne serait pas très professionnel, nous, les sculpteurs, on a une déontologie stricte. Ou alors, juste un petit baisé du bout des lèvres.

C'est alors que de l'atelier, parmi toutes ces formes figées dans la roche, une voix grave se fit entendre.

-         C'est toufours la même chove, y'en a que pour les vemelle !

C'était le lion qui parlait, sa diction n'était pas très bonne, non qu'il fût lion, mais à cause de l'antilope qu'il avait dans la gueule.

-         Eh Raminagrobis, on ne t'a pas appris qu'il ne fallait pas parler la bouche pleine ! Dit la Lolita.

-         Ta feule, poutiasse !

A ce moment, cela dégénéra dur dans l'atelier toutes les statues, qui avait des crampes d'immobilité, se mirent à faire n'importe quoi.

Le discobole qui se faisait passer pour athénien, alors qu'il était italien, lança son disque partout et surtout sur la copie en mieux du David de Michel-Ange, qu'il trouvait trop efféminé avec ses cheveux tout bouclés.

-         Tiens prend ça dans ta gueule, espèce de gonzesse !

La Vénus s'écria, elle dès qu'on s'en prenait à son David, elle en avait les bras qui lui tombaient.

-         Arrête ça tout de suite,  gros macho !

-         Les chaussettes de l'archiduchesse sont sèches, archi sèches. Les chaussettes de l'archi...

Là, c'était le lion qui avait retrouvé son élocution après avoir entièrement béqueter sa gazelle, depuis les lustres qu'il en salivait, c'était frustrant à la longue de l'avoir toujours sur le bout de la langue.

Bref, ce fut bientôt la foire d'empoigne dans tout l'atelier.

***

Ce fut la jeune étudiante en stage d'apprentissage qui retrouva, au matin, son maître, gisant, mort, parmi des débris d'albâtre et l'atelier dans un chaos indescriptible, ce qui m'épargne de le décrire.

Moralité : se méfier de la fièvre de la création, elle peut tourner à la folie des cours de récréation.