Chapitre 2

Adèle Delahaye

Je suis dans une pièce qui ressemble à un salon. La salle est grande et lumineuse, aménagée avec soin et goût. Deux personnes sont assises sur le canapé et discutent :

- Mais enfin, dit l'homme, chérie ! Ne t'inquiète pas pour moi. Je vais me débrouiller, comme je l'ai toujours fait.

Je reconnais avec surprise mon père. Il a l'air plus heureux, plus fatigué aussi. Mais déterminé, comme il l'a toujours été.

Il se penche vers un berceau, à sa gauche et sort un bébé, qu'il porte dans ses bras. Le nouveau-né semble de bonne humeur car il rit et gazouille gentiment. Il a des cheveux noirs et lisses. C'est moi, bébé !

La femme lui jette un regard désolé. Elle, je ne la connais pas.

Serait-ce... Ma mère ? Une déesse ?

Il est vrai qu'elle dégage quelque chose. Elle a les même cheveux que moi (ou plutôt j'ai les mêmes qu'elle) et les mêmes yeux, noirs. Elle me regarde, tendrement.

- Un jour, dit-elle, Jason deviendra grand. Et, venu ce moment, tu ne pourras plus le protéger. Il dégagera une odeur de demi-dieu et attirera les monstres.

Mon père soupire, passant sa main dans ses cheveux (pas encore striés de blanc).

- Et... Tu ne peux rien faire ? demande t-il.

- Chéri, notre fils a un destin difficile, contre lequel aucun dieu ou déesse ne peut lutter.

- Je comprends, dit mon père en me regardant.

- Je t'aime, j'aimerais rester...

- Chérie, la coupa t-il, je te l'ai déjà dit : ce n'est pas ta faute. Je ne t'en veux pas.

- J'aimerai pouvoir vous protéger, vous aider, continue ma mère.

- Tu sais bien que tu n'as pas le droit d'intervenir dans l'avenir de Jason.

Il se penche vers moi et repousse une mèche de mon front.

- Je sais, soupire ma mère. Je le protégerai au maximum, dans la mesure de ce que j'ai le droit de faire.

Mon père hoche la tête en signe d'affirmation, l'air grave.

Tout devient noir, puis le salon réapparaît. Il est moins bien rangé, mais toujours aussi lumineux. Sur la table basse en bois, je vois des cadres et des photos de moi petit. Moi sur un manège, moi en train de dessiner, etc.

J'ai dans les alentours de quatre ou cinq ans et je suis allongé par terre, en train de jouer avec des petites voitures. Mon père me regarde, avec un sourire nostalgique.

Quelqu'un sonne à la porte. L'homme qui était installé au bureau se lève et va ouvrir, n'attendant visiblement la visite de personne.

Je le suis, et je comprends que je suis spectateur de scènes du passé. Eux ne me voient pas, ne m'entendent pas.

La porte s'ouvre sur une femme. Elle a de longs cheveux noirs et lisses qui lui arrivent à la taille et est vêtue d'une élégante robe noire.

Ma mère, le come-back.

- Je...

Mon père semble totalement déboussolé. Il faut croire que c'est une véritable surprise !

- Alors ? demande ma mère avec un doux sourire. On ne dit plus bonjour ?

- Entre ! dit mon père avec un sourire ravi.

Elle obéit puis ils s'assoient sur le canapé. Je me retourne, voit ma mère puis demande :

- C'est qui elle papa ?

Mon père semble hésiter, puis me dit :

- Une collègue.

Ma mère me sourit, visiblement tendue. Je lui souris à mon tour, d'un sourire ravi, avant de retourner à mes occupations.

- Jason a bien grandi, chuchote ma mère pour que je n'entende pas. Je vois que tu n'as pas refait ta vie...

- Non, répond mon père avec un sourire triste. Quand on a vécu avec la meilleure femme du monde, toutes les autres semblent fades à côté.

- Ne dis pas ça, dit la déesse. Je ne manque pas trop à notre fils ?

Le mortel soupire, puis dit :

- Il m'a demandé une fois où était sa maman. J'ai répondu qu'elle était partie. Je... Je crois qu'il pense que sa maman est morte.

Il baisse la tête, honteusement. Ma mère lui prend le menton et lui fait lever la tête.

- Tu as bien fait, ne t'en veux pas. Peu importe ce qui arrive, je suis venue te dire de toujours être fier.

Elle se lève, puis s'en va laissant mon père seul. Je vois tout de même que son visage s'est fendu d'un sourire. Mon père aimait ma mère, c'est sûr.

Mais est-ce que la réciproque était vraie ?

Le décor change encore une fois.

Je suis dans ma chambre. J'ai onze ou douze ans, et je m'engueule avec mon père. Encore une fois.

- Putain mais tu fais exprès de pas comprendre ? hurlai-je. Maman est pas morte ! Sinon il y aurait des articles ! Des traces ! Mais là il y a rien ! Rien !

- Jason... tente mon père.

- Non ! Je m'en fous, tu m'as menti ! Elle est pas morte ! Et tu sais quoi ? Je vais chercher jusqu'à trouver !

- Jason, écoute-moi.

- Non ! Maman est vivante ! Je suis pas con ! Je vais la retrouver et...

- Jason, ta mère est morte.

- Et là tu verras, tu me remercieras ! Tu m'engueules pour pas avoir de fausses joies, juste parce que tu sais que j'ai raison ! T'as peur de la revoir ! T'es un lâche, c'est tout !

- Jason ! Baisse d'un ton ! crie mon père.

- T'as même pas de preuve ! Pas de photo, rien ! Juste tes paroles ! Maman est pas morte et toi tu veux que je te croies ? Chuis pas con !

Le décor change, encore une fois.

Je suis au collège à environ 12 ans. Je suis devant le bureau de la CPE. Mon père et elle parlent, à l'intérieur.

Peu après, je vois mon père sortir. Il me fait un signe de la tête et je le suis. Je suis sûr de me faire engueuler. Il me demande :

- Peux-tu m'expliquer ce qu'il s'est passé ?

- Un gars m'a frappé, expliquai-je. Alors je l'ai frappé. Œil pour œil, dent pour dent, tu vois ?

Mon père me sourit, nostalgique.

- On dirait ta mère.

Il se tourne vers moi, toujours avec le sourire, puis me caresse les cheveux.

- Bon, allez, dit-il. On rentre et on oublie tout ça, d'accord ?

Je fronce les sourcils, ne comprenant pas pourquoi je ne me fais pas engueuler.

- Pourquoi tu me cries pas dessus ? demandai-je.

- Parce que tu ne peux pas t'empêcher de répondre aux provocations, répond mon père. Ce n'est pas ta faute, c'est dans ta nature, dans ton sang, dans ton ADN.

Ce jour-là, je me souviens l'avoir regardé de travers. Mais aujourd'hui je comprends que ça avait sûrement un rapport avec ma mère...

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