Chapitre 2

Audrey L

Dans le chapitre 2 d'Indélébile

Gabriel se demandait s'il avait bien entendu ce que sa mère venait de lui annoncer de but en blanc. Il se dit qu'il avait probablement mal compris. Il était impossible d'envisager ces mots provenant de la bouche de sa mère, pas après tout ce qu'il avait enduré au collège.

- Quoi ? Laissa-t-il échapper bien malgré lui, tout en continuant à fixer l'écran farouchement.

- Avec ton père, nous en avons beaucoup parlé et nous en avons conclu que tu devrais effectuer ta dernière année de lycée en dehors de cette chambre. Tu n'es pas prêt à la vie adulte et ce n'est certainement pas en jouant à ce genre de jeu que tu confronteras la réalité du monde...

La manière dont elle formulait ses mots étaient loin de plaire au jeune homme. Comme s'il n'avait jamais rien affronté dans sa vie. Comme s'il se cachait du monde extérieur sans aucune raison apparente. Que sa propre mère puisse dire ça de lui alors qu'elle connaissait son histoire et son vécu le sidérait. Gabriel était tout simplement livide.

- Tu oses remettre en question-- Commença t-il avant d'être rudement interrompu par sa génitrice.

- Tu ne peux pas toujours utiliser l'excuse de l'incident, mon chéri. Il faut que tu avances et que tu vives, c'est tout ce que je te souhaite, conclut-elle les yeux larmoyant.

Voir sa mère aussi triste était une véritable épreuve pour le jeune homme. Il n'avait pas l'habitude de la voir aussi abattu. Il avait presque honte de la rendre si triste. Il avait l'impression d'être indigne de son amour. Dans une supplique qu'il voulait rassurante, il tenta de la réconforter du mieux qu'il pouvait.

- Je ne peux pas, maman.

- Tu peux, Gabriel. Et c'est ce qui te fait peur au fond.

Le jeune homme admit qu'il y avait une part de vérité dans ses paroles. Il pourrait retourner à l'école parce qu'il avait déjà affronté la pire épreuve de sa vie. Mais il ne savait pas si son mental pourrait en supporter davantage. Était-il assez fort pour en affronter une de plus ? Rien n'était moins sûr. Ses camarades du collège lui avait fait perdre toute trace de confiance en lui. Il ne voulait pas avoir à subir leurs mots qui le tailladaient tels des poignards. Il était presque un adulte mais la douleur que rappelait ces souvenirs était toujours aussi vivace.

- C'est justement ça le problème de la peur. Elle est là et elle reste, comme un putain de marqueur indélébile. D'autant plus que la cicatrice qui me barre le visage est là, elle aussi. Personne ne veut voir ma tronche de défiguré de toute façon. Je ne ferais que gêner les élèves, se renfrogna le gringalet en recommençant une partie.

Pour lui, la discussion était clause. Il avait été claire dans ses propos et il espérait que sa mère respecterait son choix. Derrière lui, il pouvait l'entendre renifler et ce son lui enserra le cœur. Il lui avait fait de la peine. Malheureusement, la vérité était souvent difficile à entendre. Il finit par entendre ses pas s'éloigner. Lorsqu'il l'entendit descendre les escaliers, il posa sa manette sur le sol et essuya les premières larmes, vestige d'un passé trop marquant. Il retira ses lunettes pour mieux épancher ses perles d'eau qui s'écoulaient telle une pluie torrentielle. Il ne devrait pas pleurer mais c'était plus fort que lui. Il était trop faible. Un véritable minable à la gueule cassée, voilà ce qu'il était.

Son chagrin devint plus hystérique encore à la sensation rugueuse qui parcourait son visage en une ligne diagonale. Cette ligne indélébile qui lui barrait la peau du sourcil au coin de la bouche, ratant de peu l'œil gauche, il la maudissait chaque jour de sa pauvre existence. Il regrettait de ne pas s'être battu contre ses ravisseurs. Il était persuadé qu'il aurait pu empêcher ce massacre de chair et de sang.

Quand ses mains furent insuffisantes pour recevoir cet excès de larmes, il utilisa son tee-shirt comme on le ferait d'un mouchoir. Il n'était plus à ça près de toute façon.

Dans son dos, il n'entendit pas l'approche de sa mère, trop obnubilé à éponger son chagrin. Cette dernière se jeta sur lui pour le couvrir d'amour et de réconfort.

- Tout va bien se passer, mon chéri, tu verras, le câlina t-elle tout en laissant échapper sa propre tristesse.

La voix de Gloria l'entraîna dans une nouvelle crise de larmes. Il avait besoin d'évacuer cette peine et cette frustration à vivre entre quatre murs. Il ne le montrait pas mais cet isolement qu'il s'était donné à lui-même devenait pesant. Il voulait posséder des amis. Il voulait tout simplement être normal. Mais sa différence l'empêchait de s'ouvrir au monde. Il avait fait une tentative quelques années plus tôt. Malheureusement, cette dernière fut soldée par un véritable échec. Depuis, il avait baissé les bras. Il ne voulait plus essayer. Il avait déjà trop donné de lui et tellement perdu en retour.

- Les enfants sont méchants. Au lycée, ce sont des jeunes adultes qui prônent la différence, même si rien ne te différencie des autres. Tu es parfait tel que tu es, Gaby.

- Tu dis ça parce que je suis ton fils, justifia t-il avec une trace de sourire sur les lèvres.

- Tu es le plus beau jeune homme du monde, parole de maman, affirma t-elle en déposant ses lèvres sur mon crâne.

- Raphaël ne sera pas content de l'apprendre.

- C'est pour ça qu'on ne le dira pas à ton frère, Gloria lui confia avec une lueur espiègle dans le regard.

Cette fois-ci, le gringalet sécha ses larmes pour de bon. Le souvenir de son grand frère le poussa à se ressaisir. Ce dernier ne se serait jamais laissé réconforté par leur mère. Il avait toujours été le plus fort des deux et au fond, Gabriel rêvait de devenir comme lui, même s'il ne l'admettrait jamais de vive voix. C'était bien trop embarrassant.

- D'ailleurs, tu as des nouvelles de lui ? J'ai l'impression que ce garçon passe ses journées à faire la fête.

Gabriel répondit par la négative. Ses derniers messages étaient restés sans réponse. Pourtant, il le savait toujours vivant puisqu'il continuait à poster des nouvelles photos sur son compte Facebook. Pour une raison inconnue, son frère ignorait son existence. Il était plutôt rassurer de constater qu'il n'était pas le seul à se faire éviter.

- Ton père va l'appeler ce soir. S'il ne répond pas à son appel, ça va barder pour lui.

- J'espère qui ne va pas répondre alors.

La sonnerie d'un téléphone vint éclater leur bulle. L'espace d'un instant, Gabriel avait presque oublié le monde autour de lui et la vie qu'il menait. Pendant ces quelques minutes, il avait même oublié le cancer visuel qui lui barrait le visage. Il s'était presque senti normal. Il observa sa mère se pincer les lèvres. Elle semblait contrarier à l'idée de le laisser seul après ce moment mère-fils tout à fait inédit.

- Vas-y, je retourne jouer.

Il était inévitable pour elle de sortir de la chambre. Elle avait tout un tas de rendez-vous à noter dans son calepin qui le le quittait qu'en de rares occasions.

- On en reparlera ce soir avec ton père, le notifia t-elle avant de quitter la pièce.

Bien qu'elle se soit retirée de l'entreprise familiale pour être plus souvent à la maison, Sofia ne pouvait s'empêcher d'interférer dans les affaires de son mari. Pendant l'enfance des jeunes garçons, elle passait plus de temps à son bureau qu'à la maison, une décision qu'elle regrettait tous les jours depuis l'incident. Depuis, elle avait essayé de réduire un maximum sa présence au sein de l'entreprise afin de s'occuper de son petit dernier. Elle le chouchoutait autant qu'elle le pouvait, cherchant une forme de pardon à travers ses gestes.

Elle savait qu'il était un peu tard pour faire preuve de présence maternelle auprès de ses garçons devenus pratiquement adultes, mais elle s'était dit que du moment que du moment qu'ils ne la rejetaient pas de toutes leurs forces, elle continuerait d'essayer. Elle se l'était promis le jour de l'incident.

Gabriel, quant à lui, avait éteint la console pour se réfugier dans son lit. La discussion qu'il venait d'avoir avec sa mère le chamboulait plus qu'il ne voulait bien l'avouer. Il pouvait retourner à l'école si l'école voulait bien de lui. En revanche, tout était une question de volonté. De toute façon, il se doutait qu'il n'aurait pas son mot à dire puisque Gloria semblait bel et bien décidée à l'inscrire au lycée. Cette réalisation lui retourna l'estomac. Il n'avait plus qu'à espérer que l'établissement ne veuille pas de lui. Après tout, il était peut-être trop tard pour entamer les démarches d'inscription puisque la rentrée se déroulait demain. Il mettait beaucoup d'espoir sur cette éventualité.

Le soir venu, le jeune homme s'impatientait de ne pas voir son père revenir. Il voulait en finir avec cette histoire. S'il n'arrivait pas à convaincre sa mère, il pouvait bien essayer de convaincre son paternel. Il parvenait toujours à faire plier Marcus Anderson d'habitude, bien qu'il soit à la tête d'une grande entreprise pharmaceutique. 

Ce dernier revint vers 20h. La mère et le fils avaient sagement attendu son retour pour manger. De toute façon, Gabriel avait l'estomac trop noué pour ingurgiter quoi que ce soit. Au lieu de déguster son omelette et ses frites, il ne faisait que picorer timidement son assiette, incapable de soutenir le regard de ses parents.

Son père ne lui avait pas encore adressé une seule fois la parole. Il se sentait nerveux. Pourtant, le jeune garçon savait de quel côté de la balance son géniteur se tenait mais il ne pouvait s'empêcher d'espérer. Quand il était enfant, lors de rare fois où ses parents avaient posés congés, il se souvenait de ce grand gaillard prenant son parti, allant même à l'encontre de celui de sa femme. Il se rappelait cette relation fusionnelle qui ne pouvait s'établir qu'entre un père et son fils. Seulement, cette dernière ne serait visiblement pas mise en lumière ce soir-là s'il en croyait les regards désolés que lui renvoyait son paternel. 

La discussion risquait d'être tendu pour le gringalet qui ne cherchait qu'à s'effacer dans l'ombre de sa chambre...


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