Chapitre 3

Adèle Delahaye

L'image se dissipe soudain, comme un nuage de fumée. Dame Hestia se tient devant moi, et les ados dans les gradins de l'amphithéâtre. Il n'y a sur leurs visages aucun signe qui prouverait que je me suis absenté un moment.

Tant mieux. J'espère qu'ils n'ont pas vu ce que j'ai vu...

Soudain, tous les regards convergent vers moi et je me sens très mal. J'entends des gens dire "c'est qui ça ?" ou encore "une balance et une roue ?". Je ne comprends rien.

Je me tourne vers Thomas et vois qu'il a quelque chose qui flotte au-dessus de sa tête. Une sorte de balance déséquilibrée, vaporeuse et bleutée, comme une espèce de nuage.

Je reporte mon attention sur Hestia, qui me regarde avec un petit sourire. Elle se met debout puis lève les deux bras vers le ciel, avant de s'exclamer :

- Vous les avez reconnus comme vos enfants, enfin ils connaissent leur identité.

Elle se tourne vers nous.

- Bienvenue à vous, poursuit-elle. Bienvenue à toi, Thomas, fils d'Adicie, déesse des méfaits et de l'injustice.

Déesse de quoi ?

- Bienvenu à toi, Jason, fils de Némésis, déesse de la vengeance, de l'équilibre et de la justice.

De la justice ?

Le sourire de Dame Hestia s'élargit. Je suis le meilleur ami du fils du dieu de l'injustice (et des méfaits, occasionnellement).

Je jette un coup d'œil à Thomas. Il est tout rouge, et je ne sais pas quoi en penser.

Les jeunes de l'amphithéâtre se lèvent tous puis disent (à peu près en cœur, il semble que c'est très difficile de coordonner des demi-dieux...) :

- Bienvenue à vous !

J'hésite à dire merci mais je crois que ce n'est pas nécessaire car tous les jeunes se dispersent aussitôt, retournant vaquer à leurs occupations habituelles, certains retournant dans leur Mobile-Home.

Je me tourne vers Thomas, toujours aussi rouge mais moins.

Je me mets à marcher, et il me suit. Il met ses mains dans ses poches : on va avoir une discussion.

- Putain, j'y crois pas... souffle mon ami. Que des merdes dans ma vie. Que des embrouilles, que des ratés, des désolations et des arrestations. Quand on m'a annoncé que j'étais un demi-dieu, j'espérais que je pourrais, je sais pas moi, redorer mon nom, honorer ce que je suis.

Il hoche la tête de gauche à droite. Moi j'écoute. Si je participe je gâche tout, alors je me tais.

- Mais que dalle ! continue t-il. L'injustice et les méfaits... Et après comment veux-tu que je me fasse des potes ? Est-ce que ça inspire confiance ? Non. Même mon abrutie de mère a pas été fichue de faire un truc bien. En même temps, j'aurais dû m'en douter... Sans elle, mon père...

Les mots se coincent dans sa gorge. Il soupire et shoote dans un caillou.

- Je critique pas hein. Je dis juste que maintenant les gens vont me voir comme un pestiféré et risquent de me rejeter. Déjà qu'au collège c'était pas simple avec ma mère, la police et tout...

Ha oui, c'est vrai que vous ne connaissez pas l'histoire de Thomas. Très compliqué, très long et surtout très triste pour lui. Il faut d'ailleurs préciser que sa mère n'était pas totalement innocente dans l'histoire...

- Viens, dis-je finalement, on va aller voir les responsables de la... Colonie des Sang-mêlés. Qu'ils nous fassent visiter.

Thomas hoche la tête puis nous nous dirigeons vers la grande maison, repérée tout-à-l'heure.

                                           .oOo.

Arrivés, un homme sort de la maison.

Il doit avoir trente ans tout au plus, des yeux bleu vif et des cheveux châtains. Lorsqu'il nous voit, il nous demande :

- Jason et Thomas ?

J'hoche la tête en signe d'affirmation. L'homme nous fait signe d'entrer dans la maison, et nous obéissons.

Arrivés, il nous dit :

- Je suis Marius, le directeur de la Colonie. Vous voulez boire quelque chose ?

- Limonade pour moi, dis-je.

- Un coca, fit Thomas.

- Bien. Ne bougez pas, je vous apporte ça tout de suite.

L'homme se met à siffloter puis s'en va, disparaissant derrière un bar rouge avec un tintement de verre.

Je lève enfin les yeux, et observe mon environnement. Je suis assis sur un canapé, au centre de la pièce. Une grande télé est fixée au mur, en face de nous et dans tout un coin de la salle se trouvent un flipper, un babyfoot et un billard.

Je regarde avec curiosité une tête de sanglier géant affichée au mur comme un trophée de chasse. Ses yeux semblent me regarder. Je me lève et change totalement de côté de la salle, allant me coller au billard.

Le sanglier bouge ses yeux et je vois ses narines s'agiter.

- AAAAH ! criai-je.

Je vois Marius me regarder avec étonnement.

- Vo-vo-votre sangli-glier, arrivai-je à articuler. Il bou-ou-ouge !

Le directeur éclate d'un grand rire qui fait vibrer les murs de la pièce. Le genre de rire qui irait parfaitement bien pour doubler une sorcière dans un dessin animé (et qui aurait d'ailleurs fait fuir n'importe quel enfant sain d'esprit).

- Oui, Jason, dit finalement Marius en essuyant des larmes de rire. Je te présente Topaze, le sanglier de la Colonie.

- Il sert à quoi ? demande Thomas.

- Il ne sert absolument à rien, répond le directeur. Il est là en trophée. Tenez, vos boissons.

Il sort de derrière le comptoir et nous amène un verre chacun. Je saisis le mien mais je n'ai pas le temps de boire ne serait-ce qu'une gorgée de ma limonade que quelqu'un entre en criant dans la maison :

- MARIUS ! Les Arès ont encore pris toutes les armes pour l'entraînement ! Les Apollon et eux sont sur le point de se battre !

Surpris, je renverse toute ma limonade sur mes vêtements (j'ai pas sali le sol au moins). Des armes ? Où ça des armes ?

- Et Pénélope ? demande le directeur en soupirant.

- Non, répond l'adolescente, elle est partie chez son père elle revient après-demain. Tiens, salut les mecs !

Elle nous fait un signe de la main et je daigne enfin lui jeter un coup d'œil.

Elle doit avoir trois ou quatre ans de plus que Thomas et moi. Son visage est parsemé de taches de rousseur et ses cheveux sont roux. Un sourire éclaire son visage et semble y être fixé.

- Je me présente, dit-elle, je m'appelle Amy et je suis la fille d'Euthymie.

Thomas et moi échangeons un regard perdu. Euti quoi ?

- Euthymie, répéta Amy avec un sourire encore plus grand, la déesse de la joie, de la bonne humeur et de l'hilarité.

- Ok, cool, dit Thomas, mal à l'aise.

Il me jette un coup d'œil qui veut clairement dire : "On lui a rien demandé !".

- Alors, Marius, on fait quoi ? demande Amy en se tournant vers le directeur.

- Hum, répond t-il. Prends Jason et Thomas avec toi, à l'entraînement. Ils pourront peut-être t'aider à faire cesser les combats ! Après, fais-leur visiter la Colonie.

- D'accord ! s'exclame Amy tout sourire. Aller les nouveaux ! On va voir si les Arès et les Apollon on commencé à se taper dessus !

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