Chapitre 6

azraelys

https://youtu.be/XQKYEs4llzg

L'accoutrement grotesque qui recouvre en permanence Maelys intrigue sa bienfaitrice. Pourquoi a-t-elle besoin d'en montrer autant ? Elwyne pense que sa beauté n'atteint son apogée qu'à son état le plus brut. Lorsqu'elle porte ses robes à paillettes, cela l'enlaidit. Elle doit remédier à cela. Elle est presque sûre que devoir travailler avec des talons et une robe aussi près du corps n'est pas confortable. Incapable de comprendre ce qui lui passe par la tête, elle décide de ne rien lui dire.

Aujourd'hui encore, la peintre observe sa muse en train d'effectuer les tâches ménagères avec ferveur, alors qu'elle est assise sur le canapé en buvant du thé. Elle récure la cuisine de mouvements rapides et intenses, comme si son travail était une question de vie ou de mort. Elwyne dépose la tasse délicatement sur la table basse. À peine posée, la fée du logis s'élance pour la récupérer, la laver et la sécher immédiatement. Question d'habitude ou d'indifférence, la blonde ne dit rien. Elle préfère utiliser son temps pour entamer des croquis plus ou moins détaillés de ses nombreuses postures. Graver son image est l'une des choses qui l'obsède le plus. Capturer son corps, le reproduire, s'imprégner de ses formes et l'ancrer dans sa mémoire. Comme si une peur invisible la survolait constamment depuis la venue de ce Vladimir. C'était presque un devoir de placer chaque moment en sa compagnie sur une esquisse pour la rendre éternelle, ou du moins jusqu'à que cette feuille ne jaunisse puis se froisse. Un peu comme toutes les choses auxquelles Elwyne a pu porter de l'importance auparavant.

Maelys ressent perpétuellement son regard. Bien qu'une gêne omniprésente l'empêche de travailler sereinement, elle essaye toujours de faire de son mieux. Depuis quelque temps, elle est hantée. Elle n'a de cesse de remémorer l'instant où elles étaient dans les bras l'une de l'autre, leurs corps enlacés, n'aspirant plus à connaître l'éprouvante solitude de n'avoir rien à étreindre chaque nuit. Perturbée par ces nombreux questionnements, le verre glisse de ses mains et se brise immédiatement à l'impact du carrelage. Elwyne se précipite dans sa direction. L'employée, apeurée, implore le pardon pour avoir commis cette erreur. Tête baissée, elle tremble de peur. Elle ne souhaite pas être renvoyée à la rue. Des flashbacks tourbillonnent devant elle. Elle revoit la faim, la peau sur les os, les cris, la saleté, le froid, la chaleur caniculaire des étés. Des souvenirs aux contours effilochés qui la blessent encore. À sa grande surprise, son hôte ne dit rien. Elle se contente de s'accroupir pour ramasser les bouts de verre, sous l'air ébahi de son employée. Un effleurement mortel. Il n'en faut pas plus pour qu'un filament de sang émane d'une coupure provoquée par les morceaux tranchants. À la surface, aucune plainte, aucun son. Elle regarde simplement le sang qui s'écoule de la plaie. L'être responsable de cet incident lui agrippe le doigt pour le placer contre sa langue humide et chaude, sans même y réfléchir à deux fois, car elle n'a rien à sa portée pour arrêter les saignements. Dans ses mœurs, la salive aurait le pouvoir de faire cicatriser les blessures plus rapidement. Mais ce geste ne signifie pas forcément la même chose aux yeux de la blonde sidérée. Maelys remarque son expression et s'enlève immédiatement. Elle lui demande pardon et lui propose d'aller mettre un pansement dans la salle de bain. Elwyne s'y rend pendant que la plus petite s'occupe de ramasser les morceaux de verre restants.

Dans l'autre pièce, la peintre sort à l'aide de son autre main une boîte à pharmacie qui se trouve derrière le miroir. Avant de toucher et d'effacer l'empreinte, le goût, la sensation, la simple présence de Maelys sur ce doigt, elle le place devant la glace. Un large rictus satisfait se dessine sur ses lèvres et elle le suce à son tour, éprise d'une extase qu'elle ne laisse jamais transparaître. C'est un des nombreux instants secrets qu'elle cultive depuis qu'elles partagent le même toit. Elles partagent peut-être le même lit faute de place, mais jamais Elwyne n'aurait le courage de l'effleurer. Seul un regard lui suffit. Elle sait pertinemment que tout a une fin et elle est tétanisée. Rien qu'à l'idée de tout perdre par inconscience, elle serre les poings. Mais, ce n'est pas le moment de remplir son esprit de ce genre de pensées négatives. Elle applique rapidement le pansement sur son doigt, pousse un long soupire et reprend son visage habituel en claquant ses joues à l'aide de ses deux mains. De retour auprès de l'étourdie, celle-ci se rue dans sa direction. L'inquiétude démontrée par Maelys pour une simple entaille amuse Elwyne, mais elle reste fidèle à elle-même et à cette tour de glace qu'elle s'est faite.

—  Je suis vraiment désolée, marmonne Maelys, honteuse.

— C'est un accident.

À la suite de cet incident, elle a dû arrêter ses croquis. Malheureusement pour elle, cette blessure l'empêche de dessiner convenablement, car elle a du mal à supporter la moindre douleur. Nageant en plein ennui, elle s'est rendue à l'emplacement des cartons. Elle a dû les déplacer dans la chambre par manque de place dans le salon. Elle se dirige vers ceux qui appartiennent à Maelys pour essayer de lui trouver de nouveaux habits. À son grand désarroi, ils sont tous identiques. Tous vulgaires. La peau et les paillettes en étendard. Elle continue d'ouvrir, en vain. Elle termine par perdre patience et donne un coup de pied dans une de ces boîtes, visiblement mécontente de n'avoir rien trouvé. Elle le sait, il est temps de faire quelque chose pour son apparence. L'idée en tête, elle retourne dans le salon. Elle doit réfléchir sur le discours à adopter pour aborder le sujet et ne pas la blesser. Peut-être qu'elle apprécie ses vêtements et qu'elle ne souhaite pas que j'interfère avec son style vestimentaire. Elwyne s'assoit sur le canapé, le regard vitreux. La simple pensée d'avoir une télévision lui traverse l'esprit. Mais rien n'y fait, elle ne souhaite pas partager les malheurs du siècle et encore moins voir les succès de ses prédécesseurs. Les neurones en ébullitions, elle s'est tout simplement endormie sur le canapé. Le sommeil primordial, elle trouverait une solution à leurs problèmes plus tard.

La douleur aux membres, Maelys délaisse enfin son rôle de cendrillon des temps modernes que plus personne ne lui demande d'enrôler. Elle aperçoit la silhouette de la peintre sur le canapé. Elle s'approche d'un pas feutré pour ne pas la réveiller. Surprise de la voir s'endormir en plein jour, elle s'abaisse pour arriver à sa hauteur. La brune ne peut s'empêcher de fixer chaque parcelle de son corps. Depuis leur rencontre, une ombre survole constamment cette jeune femme. Avec son apparence, que fait-elle dans ce coin de la ville ? Pourquoi personne ne partage sa vie ? Elle est fiancée, mais elle semble n'en avoir rien à faire. La dispute entre Vladimir et Elwyne hante également Maelys. Qui est cet homme ? Reviendra-t-il pour la chercher ? À son tour, une peur insaisissable place des ronces autour de son cœur. Il lui arrive de réfléchir à deux fois avant de fermer les yeux, la peur au ventre de se retrouver seule, encore une fois. Elle a été sauvée, on lui a donné du travail et elle vit gratuitement dans cet appartement. Une telle bonté n'est pas sans attente. Elle a toujours grandi en ne connaissant que « ça ». Elle se tue à la tâche, tandis que ses neurones s'écrasent les uns sur les autres. Qu'est-ce qu'Elwyne peut bien attendre d'elle ? Elle s'imagine déjà les raisons qui ont pu pousser cette femme à agir de la sorte envers elle. Elle voit bien l'insistance avec laquelle son regard se pose sur sa chair. Et quand bien même elle s'en doute, elle se demande vraiment si c'est cette raison-là. Incapable d'être utile en dehors des tâches ménagères, elle en est maintenant certaine. Elle affirme avoir trouvé cette fameuse « raison » dans un éclair, sans génie. Tout le monde n'attend que « ça » de Maelys, car elle n'a rien de mieux à offrir. Mais elle est déterminée, car c'est un maigre sacrifice pour tout ce qu'elle a pu recevoir de la peintre qui a même daigné lui montrer qu'elle avait le droit d'exister. Le plus incompréhensible pour Maelys, ce n'est pas de se résoudre à le faire. Au contraire, l'idée d'être un agneau entre ses bras ne la rebute pas. Elle semble prête à s'offrir, à nouveau, en holocauste sacré à ce qui se rapproche le plus pour elle de l'incarnation d'une déesse. La seule et unique personne qui a eu le courage de faire ce que Maelys n'a jamais pu faire, c'est cette somptueuse jeune femme.

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