Chasse aux fantômes

poulpita

« Je suis content de voir que tout va bien pour nous après vingt ans. F»

Il avait écrit cela pour clôre aimablement leur brève correspondance. Un constat simple et généreux. Vingt ans ? Non, vingt-quatre.  Ils s’étaient quittés vingt-quatre étés auparavant. Elle était curieuse de savoir ce que le temps avait pu faire à ce garçon. Dans son souvenir, des cheveux en bataille, un sourire comme une seconde nature, toujours prêt à emprunter les chemins broussailleux. Le premier garçon qu’elle avait embrassé quelques heures après avoir fait sa connaissance. Au hasard d’une soirée - fade avant son apparition. Ils étaient sortis un instant pour partager quelques bouffées de cigarette. Ils avaient échangé, assis sur le capot d’une voiture, dans un jardin. Des fleurs, du gravier. Un garçon si sain, qu’elle avait dû lui paraître compliquée. Un garçon si drôle, qu’elle l’avait adoré. Elle ne savait plus exactement qui avait fait le premier pas. L’évidence les avait rendus entreprenants.

Pour elle, c’était un été de liberté, et ce baiser, une première revendication. Pour lui, c’était son territoire. Il avait sa bande, ses icônes, ses recoins. Sa meilleure amie. Que tout le monde adorait. Elle ne comprenait pas pourquoi. La jalousie, sans doute - elle s’était toujours méfiée des meilleures amies. Il fumait dès le matin, écoutait de la musique fort, squattait des canapés déformés, conduisait la nuit. Fragile et provinciale, elle se sentait décalée, pièce rapportée dans une tribu complice et solidaire. Mais il avait sa façon délicate de se moquer d’elle, de la traiter avec douceur, de rendre sa présence évidente.

Souvent silencieuse, elle écoutait, observait, se laissait guider. Une chasse au fantôme nocturne dans une maison immense. Les premiers effets des drogues douces – pas vraiment une réussite. Un bain dans un étang, au milieu d’un golf. Une soirée qui se termine à la casse. Un périple vers le sud, elle ne savait plus où. En boucle, le piano de Charlélie Couture, comme un avion sans aile.

Elle admirait son corps, haut et solide, elle aimait qu’il veuille lui faire l’amour, mais elle ne savait rien des délices de l’abandon.

Aux premiers jours de l’automne, ils se promettaient de se rejoindre. Bientôt. Quelque part.  Aux premières pluies, depuis une cabine téléphonique à la porte poussiéreuse et grinçante, elle lui rendait sa liberté. Elle n’avait rien à lui reprocher. Lui aurait sans aucun doute pu la trouver un brin traîtresse, bien trop volage. Elle avait croisé un blond sur les bancs de la faculté. Il s’était effacé, beau joueur. Et puis la vie avait filé, sans lui. Après le blond – parti dans les bras de sa meilleure amie - il y avait eu le brun. Le même avec qui, depuis, elle se réveillait chaque matin. 

« Je suis content de voir que tout va bien pour nous après vingt ans. F. »

Oui, il avait raison. Tout allait bien.

[note : photo de David Boudjenah http://www.flickr.com/photos/boudj/]

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