Chemins

Christian Lemoine

Combien encore ce chemin d'eaux et de sang ? tant de fois arpenté, trop gravé dans leurs talons arrachés. Tant de fois ils l'ont parcouru qu'ils n'en désirent plus que le scandale et l'oubli. A cet égard, il faut leur reconnaître l'étuve des obsessions. Combien encore ce chemin-là ? Chemin de sangs et d'os, les poussières cannibales qui soufflent, sous les pas, des présidences épaisses devant quoi il s'agira un jour, sans conteste, de se réduire soi-même à son tour en poussière. Fins granulés d'os pulvérisés, la route blanche luira de toute sa sécheresse, aspirant toute buée, buvant toute rosée, pour ne laisser à la verticale des astres qu'une phosphorescence moqueuse. Au bout des hémisphères, la masse tutélaire des rochers sacrés coiffent les humilités, gouvernent les inquiétudes, ou bien jugulent les prétentions. Sous les figures pariétales, les légions des ancêtres et leurs malédictions. Eux, ils espéraient confier la glèbe et la moisson, ou le simple butin des cueillettes. Il n'en demeure, pour les progénitures, que le signe pétrifié, que le chant des cérémonies déluminées. Par les chemins d'os et d'essences, quel que fût l'esquif où charrier leur révolte, ils avaient essayé de racheter les éclaboussures des crimes ou bien, à tout le moins, de s'en débarbouiller, pour jeter au soleil l'aveu de leur innocence. Mais ils prétendaient là refuser d'assumer le déficit primal, celui qui entachait, avant même leur aurore, leur face mélancolique. Ils allaient, arrogants, ne sachant pas déjà que dans leur héritage pontifiaient des fruits pourris. A combien de surgeons jaugeaient-ils leur pardon ? Buvant à la source, ils méconnaissaient que la candeur de l'eau affurait sa pureté à la fétidité des marais stagnants. Combien encore, le chemin de vent et d'eau ? l'absolue déraison de se vouloir mobiles au cœur du monde instable. Ils s'arrogeaient les ambitions des capitaines, quand la cruauté des miroirs d'eau leur façonnait des heurs de parias. Hè, ce n'était pas faute d'avoir reçu des prophéties nitescentes ! Mais leur obstination leur servait de viatique et le murmure des héros leur paraissait oracle. D'autant qu'ils accrochaient en fétiche, sous la peau tendue des clavicules, les reliques de l'aïeul pour toute béquille. Chemin d'eau et de sang. Chemin de poussière et d'os. Et le soleil là-bas qui esquisse sa dépression.
Signaler ce texte