Chronique d’une génération militante annoncée

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Un vent nouveau souffle sur les continents américains et surtout européens : celui de l'engagement massif d'une population bien précise, dont les revendications n'ont guère à envier celles de leurs grands-parents de mai 1968. Née après l'effondrement du bloc soviétique, tous les auteurs de ce site en font partie : souvent dédaigneusement appelée la génération des « Millenials » et générations Y ou Z pour les années 1990, elle est pourtant à l'origine de contestations massives allant même jusqu'à bouleverser, au moins en partie, l'ordre établi.

Je suis né dans le milieu des années 1990 et suis donc un enfant des années 2000, au sens où j'ai bien plus grandi dans ces années-là que dans les précédentes. Un jour quelconque au début des années 2010, un professeur se plaint auprès de nous que la génération actuelle ne se révolte pas, contrairement à la sienne qui avait fait mai 68 et qui avait apporté beaucoup d'avancées sociales et d'idées. Sur le moment, impossible de lui répondre : contre quoi devions-nous nous révolter ? Pourquoi se révolter ? Était-ce bien notre droit, était-on légitimes pour cela ?

Globalement, la génération de nos parents est dépolitisée : elle ne vote pas et lorsqu'elle le fait, elle a à cœur de poursuivre la bonne conduite des institutions et des majorités, car après tout « ça a toujours été comme ça » et qu'il n'y a pas de raison de changer. Par le fait même, nous étions si peu politisés qu'il suffisait qu'un professeur exprimât son avis pour que, l'autorité naturelle de son poste se mettant en fonction sans qu'il le remarquât, nous changions d'avis.

Il faut remettre les choses dans le contexte : le monde du début des années 2010 est incroyablement différent de celui du début des années 2020. On peut confondre, sur le fond comme la forme, le début des années 2000 et celui des années 2010 ; mais pas celui des années 2020. À cette époque, Nicolas Sarkozy vient d'être battu par François Hollande à une époque où Emmanuel Macron était un simple fonctionnaire, Barack Obama venait de l'emporter pour un second mandat et le printemps arabe était né à peine plus d'une année auparavant. Surtout, dix ans avant, une nouvelle ère d'attentats était ouverte par al-Qaïda et la peur de voir débarquer, sur le sol européen, de tels actes. Il aura fallu un traumatisme pour réveiller une génération qui s'annonçait endormie.

Le 13 novembre 2015, plusieurs attaques – aussitôt qualifiés d'attentats par la presse et le monde politique – ont lieu à Paris et dans sa banlieue, provoquant la mort de 130 personnes. La nouvelle est relayée au niveau mondial : la jeunesse est attaquée ; on cherche à détruire son insouciance et à ce qu'elle se morfonde dans la croyance. C'est à moitié chose réussie : à la même époque, Bernie Sanders parvient à renouer la politique avec les jeunes des USA qui souhaitent un monde plus juste. L'élection surprise de Donald Trump est également un électrochoc pour notre génération.

Fin août 2018, une suédoise de quinze ans annonce devant le parlement de son pays qu'elle n'irait plus à l'école les vendredis tant que rien ne serait entrepris pour lutter contre le réchauffement climatique. Greta Tunberg venait sans le savoir de lancer un mouvement massif et mondial, celui de la Grève du Climat. Depuis 2019, les différents scrutins auxquels les partis écologistes se sont présentés ont été pour eux une vague raflant tout sur son passage ; on parle en Suisse de « vague verte » tant le succès électoral des Verts était encore plus important qu'attendu.

Contrairement à ce que prétendant mon professeur, la jeunesse n'a eu de cesse de se mobiliser et de protester dans le monde depuis le début des années 2010 : d'abord les printemps arabes, ensuite l'émergence d'une nouvelle gauche, portée par une jeune génération, les luttes pour plus de droits sociaux, enfin les mouvements pour le climat et, en ce début des années 2020, les soulèvements au Bélarus contre le président-dictateur Loukachenko. Si l'on espère que la démocratie arrivera rapidement là-bas, il y a tout à parier que, dans tous les cas, la politisation de plus en plus rapide et précoce des jeunes nés au XXIe siècle saura bouleverser l'ordre établi et donner aux historiens du futur l'occasion de marquer ces deux décennies dans le marbre comme la naissance du IIIe millénaire.


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Cet article de Antoine Mula a été publié en premier ici: https://pluripol.ch/article-chronique-dune-generation-militante-annoncee/

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