Colombe - Janvier - III

loiseauphenix

J'ai demandé à Janvier : Qui es-tu ? Et Janvier m'a répondu : « Je suis l’ombre de l’eau, la surface de la lune. »

On s'aperçut que la mère d'Hannah commençait bientôt.

Il fut décidé d'amener la jeune femme à la maison ; Léo les accompagnerait, Stéphanie le déposerait en partant à l'hôpital. Dans les premiers frémissements du jour, le froid restait perçant. L'inconnue rendit sa veste au garçon avant de s'emmitoufler à nouveau dans les couvertures, aux motifs passés de fleurs roses, et l'on sortit.

Hannah lui proposa son bras, mais la jeune femme refusa : elle n'était pas malade, elle pouvait marcher… Ainsi franchit-elle à son tour les portes de la gare, découvrant ce monde, quelques heures plus tôt baigné de noir, devenu éblouissant de blanc. La neige, qui lui arrivait aux genoux, s'insinuait en filets glacés le long de ses jambes… Son froissement sourd, soulevé par ses pas, la fascinait. Elle regardait partout, et elle ne voyait rien. Les arbres qui bordaient la route étaient si couverts de neige que l'on n'en distinguait pas les branches ; leurs troncs blanchis par l'hiver, ils se fondaient tout entiers dans le tableau immaculé des prémices de janvier.

Après un petit jardin, ils arrivèrent à une maison aux murs de pierre. Il s'y accrochait un rosier, dont les branches noires et pointues traçaient autour de la porte une arche délicate. Un oiseau s'était posé sur l'une d'entre elles, et dormait entre deux boutons, brillants de gel.

Le rez-de-chaussée servait de garage et d'entrepôt. Ils suivirent Hannah dans un grand escalier, lambrissé de bois clair. Au plafond, la clarté galactique d'un lustre de pampilles, suspendues par milliers, éclatait, partout contre les murs et les marches grinçantes, sur leurs visages et dans leurs yeux, en flocons de lumière tremblante, et magnifique. C'était beau, pensa l'inconnue : et c'était beau. C'était un enchantement.

La jeune fille, montant les marches, semblait danser.

Léo lui demanda si son père était là ; Marc ne revenait que lundi. L'inconnue pouvait poser ses chaussures sous le radiateur de l'entrée ; Hannah allait lui chercher une serviette… Voulait-elle se laver ?

— Si ça ne vous dérange pas…

Pas du tout : elle pouvait prendre un bain, elle allait lui chercher une autre serviette. Stéphanie demanda si quelqu'un désirait du café, à quoi Léo répondit en la rejoignant. Il laissa l'inconnue à sa petite amie, qui se ferait un chocolat chaud. Maman, dit-elle, voudrait se laver avant de partir, aussi la jeune femme prendrait-elle sa salle de bains ; il y avait des brosses à dents dans le tiroir, elle pouvait l'appeler si elle ne trouvait pas : elle serait dans le salon, juste là.

Puis elle la quitta sur un sourire.

C'était une salle de bains récente, dans des tons qui alliaient le beige et l'argent. La baignoire et le lavabo étaient de la même porcelaine blanche ; il n'y était posés qu'un minimum d'objets : une bouteille de shampooing, un gel douche à la mûre, un gobelet de grès et, de l'autre côté du robinet, sur un support assorti, un petit savon qui sentait la vanille et qui, seul, semblait usé. L'absence quasi totale de meubles renforçait la sensation d'espace donnée par la pièce, imprégnée d'une lumière chaleureuse qui en gommait les angles.

L'inconnue mit l'eau à couler.

Elle se dévêtit, s'assit au bord de la baignoire et entreprit de s'étudier. Qu'avait-elle ? Pas de blessures, pas de cicatrices ; pas une tâche ni sur ses vêtements ni sur elle… Elle ne portait pas de bijoux, aucune épingle dans ses cheveux coupés très courts. Elle se tourna tant qu'elle put, mais ne distingua pas la moindre trace de bronzage : sa peau était uniformément blanche, lisse et sans marques. Elle rougit un peu dans l'eau chaude, mais ne révéla rien.

Hannah lui avait laissé deux serviettes sur un tabouret. Tandis qu'elle s'enroulait dans l'une, l'autre servit à l'inconnue pour ses cheveux… Quelques-uns, d'un brun soutenu, restèrent accrochés au coton blanc : en saisit un, et le considéra. Il ne dépassait pas la longueur de son pouce.

Son regard se posa sur le miroir qui surplombait le lavabo, mais elle ne vit que la buée.

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