Colombe - Janvier - IV

loiseauphenix

J'ai demandé à Janvier : Qui es-tu ? Et Janvier m'a répondu : « Je suis l’éclat du bois dormant. »

Hannah l'attendait au salon.

Si elle s'était montrée discrète dans la gare, la jeune fille n'en était pas moins animée d'une sincère curiosité. Ne se souvenait-elle vraiment pas ? Ne savait-elle rien ? Rien, non : Hannah, rien…

— Mais j'aime bien la mûre.

Cette réponse l'amusa beaucoup : elle eut un rire délicat, et ne l'interrogea plus.

— C'est un beau collier…

— Merci. C'est un symbole islandais… Ægishjálmur. Il protège. Il rend invincible, et il repousse le mal.

— Lequel ?

— Les maléfices, je suppose… La vieille femme qui le vendait parlait mal anglais. Tu veux boire quelque chose ?

La jeune femme voulait bien.

Elle partit chercher, dans un placard dont la hauteur la fit se tendre à l'extrême, un grand verre gravé de flocons bordeaux sur un cœur où elle pressa, sur un fond de sucre, un citron jaune, puis mit l'eau chaude. C'était meilleur en hiver, déclara-t-elle en la servant… Elles s'installèrent à la longue table de la salle à manger, laissant une heure s'écouler en silence.

Le jour répandait sur elles et dans la pièce une lumière radieuse. Son spectacle, par la porte vitrée du balcon, était d'une grandeur rare. Les montagnes, d'un marbre dont la blancheur n'avait pas d'égale, tranchaient avec une grâce presque violente contre le ciel limpide ; ce contraste parfait, sous le soleil incandescent, éclatait tout là-haut en une clarté aiguë, révélant, dans l'air froid du matin, les reflets irisés d'un autre monde…

— Majestueux…

Hannah approuva. S'absorbant tour à tour dans la lecture de ses messages et une douce rêverie, elle avait les yeux tournés vers la montagne. Sans craindre ni qu'elle la remarquât, ni le temps dont la marche tranquille les rattrapait déjà, sans embarras, elle l'observa. Si elle lui avait d'abord semblé avoir environ vingt ans, la courbe encore tendre de ses joues, sur la maigreur de la jeune fille, ne lui en donnait pas plus de seize… Son teint, d'une fraîcheur lumineuse, tenait de l'or et de la rose ; ses cheveux, longs et très fins, étaient du blond de blés dont parlent les contes. Tout son être inspirait l'amour, mais ses yeux révélaient, dans la finesse d'un bleu sombre et profond, une intelligence subtile, discrète et vive, qui charma l'inconnue plus que tout le reste.

Malgré leur nuit, blanche pour l'une, glacée pour l'autre, aucune ne voulut dormir : cette compagnie muette, où chacune trouvait son juste écho, leur était infiniment plus douce.

La jeune fille réalisa que l'inconnue aurait besoin de vêtements. Elle l'amena jusqu'à sa chambre, très grande, lambrissée du même bois qui donnait aux escaliers et à l'entrée cette ambiance calme et chaleureuse, et la fit asseoir, entre plusieurs coussins brodés de cœurs et de flocons, sur une jolie causeuse. Puis elle chercha celles de ses affaires, trop grandes pour elle, qu'elle ne mettait pas et qui pourraient lui aller. Elle trouva une veste, dont le gris perle, qui ne l'avait jamais mise en valeur, siérait selon elle à la jeune femme. Elle lui donna ensuite, avec un jean, deux pulls de laine épaisse qui lui avaient échus d'une cousine trop coquette, qu'elle soupçonnait être l'œuvre de sa tante, et dont son invitée lui fut particulièrement reconnaissante.

Puis elle la regarda.

Touchée par quelque chose en elle, Hannah lui fit signe de l'attendre. Elle reparut avec un petit tas d'étoffe entre les mains, qu'elle glissa dans les siennes ; la jeune femme déplia l'écharpe. C'était un grand carré, dont la matière douce et brillante ressemblait à la soie… Entre les bords noirs, de longues courbes et des lignes mêlaient, dans une géométrie délicate, leur blanc de glace au bleu prussien du fond. S'entrecoupant sans cesse, convergeant par moments alors que le motif semblait les éloigner, elles se rejoignaient au centre en une rosace complexe.

— Je… Merci. Elle est très belle… Merci.

Hannah sourit.

De retour au salon, lui ayant expliqué comment allumer la télévision, elle partit se laver à son tour. Lorsque Stéphanie rentra, toutes deux contemplaient l'écran noir sans un mot.

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